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00:00 - L'autrice Itchel De La Porte a passé quelques mois aux côtés des patients de l'hôpital psychiatrique de Cadiac
00:05 entre les murs de l'établissement et au cœur de la ville.
00:08 Elle raconte ses rencontres dans un livre "Ecoute les murs, parlez" qui vient de sortir.
00:12 Elle est notre invitée ce matin, Marie Roache.
00:14 - Bonjour Itchel De La Porte. - Bonjour.
00:15 - Qu'est-ce qui vous a menée jusqu'à Cadiac et son hôpital psychiatrique ?
00:20 - Je ne connaissais pas l'hôpital psychiatrique de Cadiac sur Garonne,
00:23 mais quand j'ai écrit mon premier livre qui s'appelle "Les raisons de la misère",
00:28 sur l'envers du décor des Grands Crus, j'ai rencontré pas mal d'habitants
00:35 et une fois j'ai fait une rencontre avec une jeune fille qui m'a dit que
00:38 ça serait peut-être pour elle une possibilité d'aller travailler à l'hôpital psychiatrique
00:43 en tant qu'aide soignante ou auxiliaire de vie.
00:48 Et en fait, je ne connaissais absolument pas l'existence de cet hôpital.
00:52 Et à partir de ce moment-là, ça a cheminé en fait en moi
00:57 et puis plusieurs années après, je me suis dit qu'il était temps pour moi
01:01 d'aller voir à quoi ressemblait cette ville qu'on appelle la ville des fous.
01:05 - Ce n'est pas un choix forcément lié à l'actualité,
01:08 on parle beaucoup du manque de moyens de la psychiatrie en France,
01:10 c'est détaché, c'est presque un heureux hasard, mais c'est détaché de l'actualité.
01:13 - Oui, oui, c'est vraiment beaucoup de...
01:15 de ma part, c'est vraiment beaucoup de hasard en fait,
01:18 quand les sujets viennent percuter les livres que j'écris,
01:21 mais je ne m'appuie pas tellement sur l'actualité pour avancer,
01:24 c'est plus les rencontres qui me font aller vers des sujets en fait.
01:28 - Vous le disiez, les rencontres, elles sont au cœur de votre livre.
01:31 Je crois que vous êtes retournée à Cadillac hier
01:34 et que vous avez revu notamment les héros de votre livre,
01:38 comment est-ce qu'elles se sont passées ces retrouvailles ?
01:40 - Ah oui, c'était incroyable.
01:43 J'ai été attendue à la librairie Jeux de Mots,
01:45 qui est le lieu vraiment où se retrouvent les patients
01:48 et puis d'autres personnes de la ville,
01:50 et donc le mélange s'opère de manière très simple et très joyeuse.
01:54 Et j'avais là un groupe d'une dizaine de personnes qui m'attendait
01:58 et c'était les effusions quoi, on s'est pris dans les bras
02:02 et puis ils étaient très heureux de me revoir.
02:04 C'était très beau, oui.
02:06 - Parce que c'est un livre profondément humain,
02:08 ce n'est pas une enquête sur l'état de la psychiatrie en France.
02:10 Quel était votre objectif en fait avec ce livre ?
02:12 - Et moi en fait, ce qui m'intéresse en général dans mes livres,
02:16 et là en particulier pour celui-là,
02:18 c'était vraiment d'aller explorer le point de vue des patients.
02:21 C'était de donner la parole à une population qu'on ne voit pas
02:25 et qui est très invisibilisée, y compris dans les médias.
02:29 Peut-être parce qu'elle fait peur,
02:31 parce que c'est repoussant,
02:33 quelqu'un qui parle tout seul,
02:35 ou quelqu'un qui a fait une crise tout d'un coup.
02:37 Effectivement, on ne comprend pas toujours ce qui se passe dans la tête des gens.
02:40 Et donc, je voulais comprendre qu'est-ce que ça voulait dire
02:43 de vivre avec une maladie psychiatrique en fait.
02:46 - Le mal-être en général, pas forcément que les maladies psychiatriques,
02:50 c'est quelque chose qui est assez difficile à vivre dans la société française parfois.
02:54 - Je m'appelle Alexandre, j'habite à Talence.
02:58 On a toujours cette phrase d'un ami ou un proche qui dit
03:01 "Oh mais alors lui, il est toujours avec des idées noires,
03:05 c'est chiant, j'ai pas forcément envie de traîner avec lui."
03:09 Il faut arriver à être tolérant.
03:11 La parole peut se libérer dans le cadre du cercle familial.
03:14 Maintenant, entre amis, ça va rester assez tabou, je le pense.
03:17 - Il y a un tabou aujourd'hui, Tchèle de la Porte, autour de cette maladie psychiatrique.
03:21 - Ah oui, je le pense.
03:22 Je pense que c'est vraiment des sujets qui sont difficiles à aborder.
03:26 Je pense qu'il n'y a pas beaucoup d'espace pour en parler.
03:28 D'ailleurs, là, on est en plein dans les semaines de la santé mentale
03:32 qui sont instituées depuis de nombreuses années
03:35 et qui permettent de proposer des spectacles, des débats, des discussions
03:41 où justement, cette rencontre, elle peut se faire avec,
03:44 comme me dit très joliment un personnage du livre, Claire,
03:48 qui me dit "Vous, vous êtes les standards."
03:51 Et donc, la rencontre entre les standards et les personnes qui sont malades,
03:56 elle n'est pas forcément évidente, en fait, pour plein de raisons.
04:00 Mais en réalité, moi, ce que je trouve très riche,
04:03 c'est qu'ils ont plein de choses à dire.
04:06 Et même, j'ai trouvé des supers artistes, en fait, parmi tous ces gens.
04:10 Il y a des gens qui écrivent de la poésie, il y a des gens qui peignent.
04:13 Il y a des gens qui chantent.
04:16 Il y a une hypersensibilité, en fait,
04:19 quand on va au-delà du diagnostic de dire "Je suis bipolaire, je suis schizophrène."
04:24 Qu'est-ce qu'il y a derrière ça, en fait ?
04:26 C'est ça qui m'intéressait, c'était d'avoir accès aux gens
04:29 et ce qu'ils sont à l'intérieur et pas forcément juste une maladie.
04:34 - Oui, d'être derrière la pathologie. - Exactement.
04:36 - Il est 7h50 sur France Bleu.
04:38 J'ai en autre invité, vous l'entendez ce matin,
04:40 Hitchel Delaporte, l'autrice d'Écoute les murs, parlée par U le 5 octobre dernier.
04:44 Est-ce que c'est facile d'aller à la rencontre,
04:47 en tout cas de laisser venir les patients à soi, dans un hôpital psychiatrique ?
04:51 - Alors déjà, j'ai eu la chance d'avoir l'autorisation de travailler librement
04:55 à l'hôpital psychiatrique et de pouvoir avoir accès aux patients.
04:59 Et, en fait, je n'avais pas tellement d'idées de comment j'allais faire,
05:03 mais je me suis aperçue qu'autour de la maison des usagers,
05:06 qui est une maison ouverte aux patients et dédiée aux patients et à leur famille,
05:10 il y avait des bancs. Et donc je me suis assise.
05:13 Il se trouve que c'était l'été, donc il faisait très beau.
05:16 J'étais assise sur un banc et, en fait, ils m'ont un peu regardée,
05:20 ils m'ont tournée un peu autour, jusqu'à ce qu'il y en ait un, deux, trois
05:24 qui viennent s'asseoir à côté de moi et me parlent.
05:26 Et très curieux de savoir qu'est-ce que je pouvais bien faire là,
05:29 qu'est-ce qui m'intéressait. Et le contact s'est fait extrêmement facilement.
05:33 Je pense parce qu'ils n'ont pas l'habitude que quelqu'un vienne les voir
05:36 pour leur demander comment ça va ou qu'est-ce que tu fais là,
05:39 pourquoi t'es arrivé à l'hôpital.
05:41 Et donc l'échange s'est fait de manière extrêmement spontanée.
05:45 - Et il continue aujourd'hui d'ailleurs plusieurs mois après.
05:47 - Ah oui, bien sûr. - Avec ses patients, le contact existe toujours.
05:49 - Bien sûr. - Alors il y a des absents ou des quasi-absents de votre livre,
05:53 "C'est le monde soignant", finalement, qu'on voit peu et qu'on entend peu
05:57 à travers vos lignes. C'était un parti pris, ça ?
06:00 - Alors non, je pense que si des soignants étaient venus s'asseoir sur le banc,
06:04 j'aurais vraiment eu le grand plaisir aussi de parler avec eux.
06:08 Les soignants, je ne les ai pas beaucoup vus à l'extérieur, dans la partie du parc,
06:14 on va dire, où les patients se baladent et marchent.
06:17 Ils sont très occupés dans les unités à travailler, à s'occuper de tout ce qu'il y a à faire.
06:22 C'est-à-dire il y a beaucoup de travail, il faut délivrer les médicaments,
06:25 il faut s'occuper des patients, il faut s'occuper de leur faire à manger,
06:29 de leur donner à manger, de répondre à des problématiques
06:33 qui peuvent se poser de manière très aiguë.
06:35 Donc ils sont très occupés, ça c'est une première chose,
06:38 une première raison pour laquelle ce n'était pas évident.
06:40 Puis l'autre, c'est que je pense que quand on est soignant en psychiatrie,
06:44 ce n'est pas évident de se livrer, de dire les difficultés auxquelles on s'efface.
06:50 On a peut-être toujours un peu plus de méfiance vis-à-vis de quelqu'un
06:54 qui vient recueillir une parole.
06:56 Et donc, ce n'est pas que je n'ai pas eu envie de leur parler,
06:59 c'est que je n'ai pas forcément fait des pieds et des mains pour avoir accès à eux.
07:03 Néanmoins, il y en a quand même qui m'ont parlé,
07:05 et beaucoup de manière anonyme, parce que leur parole était plus libre ainsi,
07:10 et qui pouvaient aussi dire leurs problématiques,
07:13 leur frustration aussi de ne pas faire correctement leur travail,
07:16 et de travailler dans des mauvaises conditions,
07:19 dans des locaux qui sont parfois désuets,
07:21 et pas forcément rénovés alors qu'il le faudrait,
07:23 avec peut-être parfois une surpopulation,
07:26 et puis des situations extrêmement différentes,
07:29 qui sont à l'intérieur d'une même unité.
07:32 Donc, quand vous mettez quelqu'un qui est bipolaire,
07:35 mélangé avec quelqu'un qui est schizophrène,
07:37 avec quelqu'un qui est dépressif ou qui est anorexique,
07:40 et bien ce n'est pas évident tout ça, ce mélange-là, il n'est pas facile.
07:43 Donc, les soignants, ils sont aussi essourés, ils sont fatigués.
07:46 Ce n'est pas la même chose de travailler dans un hôpital psychiatrique
07:49 que dans un hôpital classique.
07:51 Il y a cette dimension humaine et très exigeante,
07:56 par rapport à des gens qui vont extrêmement mal.
07:59 Donc, j'ai envie de dire, les soignants aussi vont mal,
08:02 et je n'ai pas vu que beaucoup de personnes
08:05 pouvaient s'occuper aussi de leur santé à eux.
08:08 Donc ça, c'était compliqué.
08:10 Mais je pense que quand même, dans le livre,
08:13 on les voit passer, on les entend, on entend leur voix.
08:17 Néanmoins, je trouve que c'est plutôt les patients
08:20 qu'on entend le moins. Donc, c'était ma priorité.
08:23 - Des tranches de vie qu'on retrouve dans votre livre "Ecoute les mûres parlées".
08:26 Merci beaucoup, Ichelle Delaporte, d'avoir été avec nous ce matin pour en parler.

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