L'Interview de Flavie Flament - Le Documentaire Stupéfiant : Une Discussion Poignante et Révélatrice

  • l’année dernière

Category

📺
TV
Transcription
00:00 Le vieux photographe ne me quitte pas des yeux, m'enchaîne, me soumet, me muselle,
00:07 m'intime l'ordre et d'une pression me contraint à écarter les jambes.
00:10 Derrière ses lunettes, son regard s'est durci, son oeil s'est fait métal, froid,
00:15 incisif et sans appel.
00:17 Je me souviens maintenant que j'ai gloussé bêtement, en repoussant ses mains et en tentant
00:21 de me redresser, le regard suppliant avec le fol espoir de me tromper, de le voir se
00:26 relever et dans un éclair de lucidité, s'excuser et m'ouvrir la porte pour me libérer.
00:31 Promis, je n'aurais rien dit.
00:34 Qu'est-ce que la petite fille ressent à ce moment-là ?
00:40 Précisément ce que je ressens là au moment où je lis ces lignes.
00:43 Une peur assez inexplicable, un état de sidération, donc je pense que le souffle me manque, comme
00:55 là il me manque au moment où je vous parle.
00:57 Je voudrais me dire que c'est un cauchemar.
00:59 L'animatrice Flavie Flamand a été violée à 13 ans par un grand photographe.
01:04 En 2016, elle est l'une des premières à briser l'omerta dans le milieu artistique
01:08 avec son livre témoignage La Consolation.
01:11 Vous avez 13 ans donc, vous êtes en vacances au Cap d'Ague avec votre mère.
01:15 Qu'est-ce qui se passe ?
01:16 J'ai 13 ans, je suis pour une fois partie en vacances un peu loin de ma Normandie natale.
01:23 J'ai l'impression que c'est la belle vie, il fait beau, on va manger une glace à la
01:28 terrasse d'un café dans un quartier naturiste quand même.
01:32 Et puis arrive quelqu'un qui nous dit « vous avez été repéré par ce photographe David
01:38 Hamilton » et qui me désigne cet homme aux cheveux grisonnants avec ses lunettes et qui
01:43 déjà a un regard de prédateur.
01:46 Et puis je suis sa nouvelle proie.
01:48 Donc il veut faire des essais avec moi, je fais des essais, je me retrouve dans son
01:50 appartement au Cap d'Agde.
01:52 J'y vais la première fois pour les essais, il m'ouvre la porte, il est en Bermuda.
01:56 Et puis à partir du moment où je fais partie des élus, ce qui suscite évidemment une
02:01 grande fierté familiale, il m'accueille et il est nu.
02:05 Et ma mère me laisse à ce photographe qui va me photographier et puis qui un jour va
02:11 m'emmener sur le balcon et va me violer.
02:16 Voilà.
02:18 Nous sommes en 1987.
02:22 David Hamilton est un photographe mondialement connu et admiré pour ses nues prépubères,
02:27 très jeune fille en fleurs.
02:28 David Hamilton, pourquoi toujours des adolescentes ? Ce n'est pas un reproche.
02:32 Je crois que ce sera mon thème éternel pour la vie.
02:37 Pose lassive et flou, vaporeux, ses clichés pastels se vendent par milliers.
02:42 Des marques aussi prestigieuses que Chanel ou Nina Ricci s'emparent de son imagerie.
02:47 C'est tout à fait une fille amitale.
02:51 Mais en 2015, fin du rêve.
02:57 Le voile se lève, plusieurs modèles dont Flavie Flamand l'accuse de viol alors qu'elles
03:02 étaient mineures.
03:03 À 14 heures, écrivez-vous, j'ai viol.
03:08 À 14 heures, j'ai viol.
03:10 C'était à chaque fois qu'il devait y avoir une séance photo, on faisait des photos quand
03:14 même.
03:15 Et puis après, il y avait viol.
03:16 Après, avant, en fonction de...
03:20 À ce moment-là, votre esprit se dédouble, vous n'êtes plus là, vous laissez votre
03:23 corps...
03:24 À ce moment-là, je pars, c'est ce que l'on explique, je pars en dissociation, c'est ce
03:26 que j'écris dans le livre, c'est-à-dire qu'à un moment donné, je m'abandonne.
03:30 Je m'abandonne puisque physiquement, psychologiquement, je ne fais pas le poids.
03:35 Donc j'abandonne mon corps.
03:37 Et donc effectivement, mon esprit s'en va.
03:39 Et votre mère ? Et votre mère dans tout ça ?
03:43 Ma mère, elle est aveuglée par la notoriété d'un photographe, elle est aveuglée par...
03:51 Par la puissance de l'artiste.
03:52 Par la puissance de l'artiste, comme l'ont été beaucoup de parents des victimes d'Hamilton.
03:57 Flavie Flamand, vous êtes une des premières à avoir brisé l'OMERTA, une des pionnières
04:02 avant Me Too, avant tout ce qu'on entend aujourd'hui.
04:04 Mais vous avez quand même attendu 30 ans pour dire tout ça.
04:08 Pourquoi ?
04:09 J'ai attendu le temps de m'en souvenir, déjà, dans un premier temps, puisque j'ai souffert
04:13 d'amnésie traumatique.
04:14 Donc ça, c'est quand même une chose extraordinaire dans le cerveau qui fait que lorsque vous
04:18 vivez quelque chose qui met en péril votre équilibre psychique, même à l'âge de 13
04:21 ans, ces souvenirs absolument épouvantables viennent se loger dans une partie de vous
04:26 qui vous est inaccessible pendant toute une partie de votre existence.
04:29 C'est-à-dire, on oublie et puis soudainement, ça revient.
04:32 Alors, c'est pas loin.
04:33 À la faveur d'un événement, ces souvenirs reviennent, c'est comme un coffre comme ça
04:36 qui s'ouvre et vous vous prenez tout dans la gueule.
04:39 Et vous vous les prenez avec la même violence que lorsque vous les avez vécues.
04:42 - Fahifah, pourquoi est-ce que vous avez choisi une photo de Damilton pour illustrer votre
04:48 livre ?
04:49 - Parce que je voulais qu'on le reconnaisse.
04:50 À ce moment-là, je veux juste que tout le monde sache qui a pris la photo de cette
04:53 petite fille.
04:54 Et quand je regarde cette petite fille, je vois les yeux d'une petite fille qui vient
04:57 d'être violée.
04:58 Et je veux souligner ce qu'est la réalité des photos de David Hamilton.
05:02 Ce fameux regard des jeunes filles en fleurs, cette fameuse innocence dont il parle, elle
05:07 a un éclat brisé.
05:08 C'est la réalité.
05:10 Et je voulais qu'à un moment donné, on puisse soutenir ce regard-là et que lui puisse soutenir
05:14 ce regard.
05:15 - Alors, il n'a pas pu le soutenir, ce regard ?
05:17 - Non, il n'a pas eu ce courage.
05:19 - Pourquoi ?
05:20 - Parce qu'il s'est suicidé.
05:21 - Et qu'est-ce que ça vous fait à ce moment-là qu'il se suicide un mois après la sortie
05:25 du livre ?
05:26 - Une colère immense.
05:27 Une colère immense parce qu'il nous a une fois de plus échappé et que c'est une révérence
05:36 pitoyable aux allures d'aveu.
05:38 À ce moment-là, je suis très, très en colère parce que je me dis mais j'ai voulu prévenir,
05:44 j'ai voulu dire.
05:45 Et on voit d'ailleurs la suite, ce mouvement comme ça de libération qui a suivi.
05:49 Et je me félicite aussi de voir aujourd'hui à quel point finalement tout le monde a retenu
05:56 une leçon de l'affaire Hamilton puisqu'on ne laisse plus faire.
06:00 Mais à ce moment-là, je suis persuadée que si la justice était autosaisie de l'affaire,
06:05 on n'en serait pas arrivé là.
06:06 - Je vais vous montrer un extrait.
06:08 On est à la télévision française sur France 3, 1992.
06:13 Et regardez ça.
06:16 Cette semaine est donc consacrée aux adolescentes et aux adolescentes à travers le regard,
06:23 bien évidemment, de David Hamilton.
06:26 Pour vous, quel est le type de la jeune fille idéale ?
06:29 - Blonde, doux, les yeux clairs, les grandes bouches, les longues jambes.
06:35 Et une vraie innocence.
06:40 - Là, il y a David Hamilton.
06:45 Et dans quelques minutes, il va être rejoint sur ce même plateau pour discuter des jeunes
06:50 filles, comme dit la journaliste, par Gabriel Maznev.
06:53 Regardez ce plateau.
06:54 - Gabriel Maznev, est-ce que ce type physique est proche de votre propre imaginaire ou de
07:00 vos propres fantasmes ?
07:01 - Je n'ai pas de fantasme et je n'ai pas d'imaginaire particulier.
07:06 - C'est bien ce qui inquiète certaines mères habitant autour de la Sorbonne.
07:11 - Alors ça, c'était il y a 30 ans, à la télévision française.
07:22 On recevait...
07:23 On ne va pas blâmer cette journaliste parce que c'était le temps, l'époque, non ?
07:27 - Non, je ne suis pas d'accord.
07:29 - Ah, on n'est pas d'accord.
07:31 - Non, je trouve que tout ce que je viens de voir est blâmable.
07:33 C'est une société qui s'est fabriquée sur la culture du viol et sur la négation des
07:39 enfants et sur le silence.
07:43 À l'époque, j'aurais voulu être protégée et je n'ai pas été protégée ni par ma
07:48 mère ni par les gens qui pouvaient se douter qu'il y avait quelque chose, mais je n'ai
07:52 pas été protégée par une société entière et je ne suis pas la seule.
07:55 - Est-ce qu'il faut aujourd'hui interdire la publication des photos d'Hamilton ?
08:00 - Bien sûr.
08:01 - Est-ce qu'il faut interdire les livres de Matt Sneff ?
08:03 - Oui, je le pense.
08:05 - Vous êtes pour l'interdiction ?
08:07 - Je suis pour ce genre d'interdiction, oui, de toute œuvre pédocriminale, oui, bien sûr.
08:11 - Pourquoi ?
08:12 - Mais parce que...
08:13 Pourquoi ?
08:14 Mais parce que quand vous ouvrez un livre d'Hamilton, quand vous voyez des cartes postales
08:18 d'Hamilton, vous voyez des gamines qui, dans la majorité des cas, ont été violées et
08:25 vous avez en face de vous le décor d'un pervers sexuel.
08:31 Il faut bien comprendre ce que c'est quand on est victime de se voir exposer dans son
08:35 intimité la plus crue au regard des autres, au regard de la critique.
08:40 Qu'est-ce que c'est quand on est une petite fille, qu'on est dans un livre de David Hamilton,
08:44 qu'est-ce que ça fait de voir ces petites miches de race, anti-sexe, quand on a été
08:51 violée et qu'on finit dans un livre de David Hamilton et qu'on nous dit que c'est de l'art,
08:56 qu'est-ce que vous voulez qu'on pense ?
08:57 On est exposé, on est violé plusieurs fois, on est violé à chaque fois que quelqu'un
09:02 ouvre un livre et regarde une photo de David Hamilton.
09:04 On n'est pas considéré au nom de quoi ? Au nom d'un pseudo-art.
09:09 Non, je ne suis pas d'accord.
09:11 Je ne suis pas du tout d'accord avec ça.
09:14 Un témoignage qui résonne avec ce débat très actuel.
09:17 Que faire de l'œuvre d'un pédocriminel ?

Recommandations