Manuel Bompard, député "La France insoumise" des Bouches-du-Rhône.
Il est l'homme de confiance de Jean-Luc Mélenchon, dont il a dirigé les deux dernières campagnes présidentielles. A la fois stratège, négociateur et organisateur hors pair, Manuel Bompard est aujourd'hui le coordinateur national de la France insoumise. Un parcours étonnant pour ce docteur en mathématiques appliquées.
Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !
Il est l'homme de confiance de Jean-Luc Mélenchon, dont il a dirigé les deux dernières campagnes présidentielles. A la fois stratège, négociateur et organisateur hors pair, Manuel Bompard est aujourd'hui le coordinateur national de la France insoumise. Un parcours étonnant pour ce docteur en mathématiques appliquées.
Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !
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00:00 Mon invité a la réputation d'être une machine de guerre lors des campagnes électorales,
00:05 à la fois stratège, négociateur et organisateur hors pair.
00:09 Autant de qualités qu'il faut peut-être mettre en rapport avec son cursus universitaire,
00:13 puisqu'il est docteur en mathématiques appliquées.
00:16 Générique
00:18 ...
00:32 -Bonjour, Manuel Bompard.
00:34 On s'engage en politique pour défendre des idées,
00:37 mais votre parcours est tellement lié à la personne de Jean-Luc Mélenchon
00:41 que je me demande si vous vous seriez engagé en politique sans lui.
00:45 -Sans doute, mais c'est vrai que j'ai trouvé, à ce moment-là,
00:49 une personnalité qui défendait les convictions qui étaient les miennes.
00:53 J'étais intéressé par la politique depuis que j'étais jeune,
00:57 révolté, je pense, aussi, face à la marche du monde,
01:00 aux inégalités sociales, mais j'avais une difficulté,
01:03 c'est que je me retrouvais ni dans le Parti socialiste tel qu'il était,
01:07 où je considérais qu'il avait abandonné une certaine perspective
01:11 de la société, ni dans les autres partis à la gauche du Parti socialiste,
01:15 où il ne se posait pas la question de la conquête du pouvoir.
01:18 Dans les écrits, dans les interventions,
01:20 dans la démarche politique de Jean-Luc Mélenchon,
01:23 j'ai trouvé une perspective de transformation de la société
01:27 et, en même temps, une volonté de prendre le pouvoir
01:30 et de changer la vie des gens.
01:32 -Vous vous êtes engagé dans le Parti de gauche
01:35 dès sa création par Jean-Luc Mélenchon, en 2008.
01:38 A l'époque, vous étiez un jeune ingénieur,
01:40 docteur en mathématiques appliquées.
01:43 Il s'est un peu occupé de votre formation intellectuelle,
01:46 qui vous a fait lire des bouquins.
01:48 -C'est vrai. -Quels auteurs ?
01:50 -Les classiques du matérialisme historique, Marx,
01:53 les classiques du socialisme, Jean Jaurès.
01:55 C'est vrai que j'avais une formation très scientifique, en vérité.
01:59 Je me rappelle que le premier livre qu'il m'a conseillé,
02:02 c'était "Socialisme utopique, socialisme scientifique",
02:06 un livre de Marx et Engels.
02:07 -Vous êtes plongé dans un univers très éloigné
02:10 de votre parcours universitaire.
02:12 -J'ai accroché, donc après, j'ai continué.
02:14 -Il s'est occupé de votre formation intellectuelle.
02:17 J'ai lu qu'il vous a aussi hébergé chez lui
02:20 quand vous deviez faire des allers-retours.
02:23 Ensuite, il vous a confié la direction
02:25 de ses deux campagnes présidentielles,
02:27 2017-2022. En 2022, il vous a transmis,
02:29 en quelque sorte, sa circonscription à Marseille.
02:32 Il vous a confié les rênes du mouvement La France insoumise.
02:35 On sent qu'il y a une confiance absolue et réciproque,
02:39 une compréhension mutuelle entre vous.
02:41 Vous évoquez même une relation télépathique avec lui.
02:44 -Ce que je veux dire, c'est que c'est vrai
02:46 que quand ça fait plusieurs années qu'on travaille ensemble,
02:50 on a compris un peu comment l'autre personne fonctionne,
02:53 comment elle réagit aux événements.
02:55 Parfois, il n'y a pas besoin de se parler
02:57 pour avoir une réaction sur des faits d'actualité
03:00 ou sur des éléments stratégiques.
03:02 -Vous vous comprenez parfaitement.
03:04 Vous avez des personnalités différentes.
03:07 C'est un pur littéraire, il peut avoir des gros coups de sang.
03:10 Il a plutôt la réputation d'avoir du sang froid.
03:13 C'est la complémentarité qui fait que...
03:15 -Peut-être. C'est des habitudes de travail
03:18 et le sentiment que ça a bien fonctionné.
03:20 On n'a pas le même caractère, mais on travaille bien ensemble.
03:24 -Vous avez obtenu des résultats impressionnants
03:26 en tant que directeur de ses campagnes présidentielles.
03:29 Mais la première grande campagne que vous avez menée
03:32 en votre nom propre, vous l'avez perdue en 2017,
03:35 au législatif à Toulouse.
03:37 C'est plus compliqué d'être en première ligne ?
03:40 -Ca nécessite pas forcément les mêmes savoir-faires,
03:43 les mêmes qualités que d'être directeur de campagne.
03:46 -Aller sur le terrain,
03:47 rencontrer des gens ? -Ca m'a jamais fait peur.
03:50 Avant d'être directeur de campagne, j'étais en militant.
03:53 -Ca correspond à votre nature ? -Oui, j'ai pas de difficultés.
03:57 Après, en 2017, aux élections législatives,
03:59 la France Insoumise a eu seulement 17 députés.
04:03 Je crois pouvoir dire aussi
04:05 que le contexte national était plus compliqué.
04:08 Sur la circonscription sur laquelle j'étais candidat à Toulouse,
04:11 j'ai été qualifié au second tour,
04:13 mais j'ai pas réussi à l'emporter au deuxième tour.
04:16 On a corrigé ça la fois d'après.
04:18 -J'ai jeté un oeil à votre thèse.
04:20 "Modèle de substitution pour l'optimisation globale
04:23 "de formes en aérodynamique et méthode locale
04:26 "sans paramétrisation."
04:27 J'y ai rien compris, sauf que vous êtes un pur scientifique.
04:31 Il y en a pas beaucoup en politique.
04:33 Les scientifiques ont-ils une façon d'aborder la politique
04:37 ou pas ? -Je pense que ça...
04:38 On a des qualités, des réflexes,
04:41 qui, de mon point de vue, sont utiles dans la bataille politique.
04:45 -Quelle qualité ? -Une certaine capacité
04:47 de rigueur, une certaine capacité à lire les événements
04:50 avec, on va dire, un sens de la logique.
04:53 Donc, en termes de réflexion stratégique
04:55 ou de réflexion politique, je trouve que ça peut aider.
04:58 -Au sein de l'FI, vous êtes un peu le Géo,
05:01 pas forcément le gentil organisateur,
05:03 plutôt le grand ordinateur.
05:05 Je dis ça parce que vous êtes à la fois le stratège, le cerveau,
05:08 et celui qui fait tourner la boutique à l'FI tous les jours.
05:11 A chaque fois, vous avez un souci permanent d'efficacité.
05:15 Vous êtes là pour chasser les grains de sable
05:17 qui peuvent enrayer la mécanique.
05:19 On a l'impression que, chez vous, l'efficacité,
05:22 c'est le préalable à tout en politique.
05:24 -Je me suis engagé en politique avec l'objectif
05:27 de faire en sorte que les idées qui sont les miennes
05:30 et les idées qu'on défend arrivent au pouvoir,
05:33 et que ça soit appliqué.
05:34 Dans mon parcours, en tout cas, j'ai toujours refusé,
05:37 si vous voulez, d'être uniquement dans une logique de protestation.
05:41 C'est peut-être ça qui vous fait poser cette question.
05:44 Donc, l'efficacité, oui, je pense...
05:47 -C'est l'efficacité dans tous les domaines.
05:49 Il y a un deuxième micro dans un meeting
05:51 pour être sûr que si le premier tombe en panne...
05:54 -J'ai considéré que, quand on veut prendre le pouvoir
05:57 dans un pays qui est la 5e ou 6e puissance économique du monde,
06:01 il faut avoir un pouvoir, sinon, on n'était pas crédible.
06:04 Dans une campagne présidentielle, c'est une grosse machine.
06:07 A n'importe quel moment, dans cette grosse machine,
06:10 un petit grain de sable peut faire dérailler la campagne.
06:14 Je ne suis pas le seul,
06:15 c'est une culture politique assez forte à la FI,
06:18 une attention pour ce qui peut être de l'ordre du détail,
06:21 mais qui, en vérité, n'en est pas.
06:23 -C'est au nom de l'efficacité que vous avez réorganisé
06:26 la direction de la FI sans faire valider les nominations
06:30 par un vote.
06:31 Certains anciens du mouvement qui ont été écartés
06:33 s'en sont pleins. Vous leur avez répondu
06:36 que le vote n'est pas l'alpha et l'oméga de la démocratie.
06:39 L'objectif, c'est d'être le plus efficace possible.
06:42 Comment auriez-vous réagi si Elisabeth Borne
06:44 avait utilisé la même phrase pour justifier le 49-3 sur les retraites ?
06:48 -Je pense d'abord que cette phrase a été totalement sortie
06:52 de son contexte. Je disais que, dans une organisation politique,
06:55 il faut des modalités de délibération collective.
06:58 Parfois, ça peut être un vote et parfois,
07:01 il peut y avoir d'autres modalités de délibération collective.
07:04 A la FI, on essaie d'expérimenter.
07:06 Le fait que, plutôt que de se poser en permanence
07:09 la question d'un clivage entre majorité et minorité,
07:12 on essaie de fonctionner avec des processus de décision
07:15 par consensus, des processus de décision
07:18 où, petit à petit, en échangeant...
07:20 -Vous êtes contre les courants, comme il y en a pu avoir au PS ?
07:23 -Oui, parce que ça ne produit pas quelque chose de bon.
07:27 Ça produit une situation dans laquelle,
07:29 on passe l'essentiel de notre temps à nous disputer
07:32 en interne des organisations politiques
07:34 plutôt qu'à consacrer notre énergie à la transformation de la société.
07:38 Parfois, il faut voter.
07:39 Bien évidemment, j'ai jamais dit que j'étais opposé au vote.
07:43 Mais il y a d'autres manières pour faire en sorte
07:45 qu'on ne se pose pas la question de regarder ce qui nous sépare
07:49 mais plutôt ce qui peut nous regrouper.
07:51 Voilà pourquoi j'ai dit cette phrase.
07:53 Il n'y a aucune analogie possible
07:55 avec le fonctionnement d'un pays ou d'une Assemblée nationale
07:59 dans laquelle les députés ont été élus pour voter.
08:02 Je souhaite que les députés puissent voter.
08:04 -C'est le pendant de votre souci d'efficacité.
08:07 Vous avez aussi une réputation de bad cop
08:09 qui vous colle à la peau.
08:11 Je regardais l'hebdomadaire Marianne,
08:13 le portrait qu'il vous a consacré.
08:15 Il vous a surnommé "le nettoyeur de Mélenchon".
08:18 Sur ce thème, on retrouve beaucoup de qualificatifs
08:20 qui sont toujours glissés en off et qui ne sont jamais sympathiques.
08:24 -C'est ça que je confirme.
08:26 -Liquidateur, tueur à gage, ça vous agace, tout ça ?
08:29 -Ca m'agace. Ca fait sans doute partie de la vie politique,
08:32 malheureusement, d'être affublé de qualificatifs
08:35 qui ne correspondent pas à la personne que je suis.
08:38 -Vous avez pour mission de faire tourner la maison.
08:41 -Vous savez, quand vous faites tourner
08:43 une machine politique, une organisation politique,
08:46 vous avez toujours des décisions avec lesquelles
08:49 des gens ne se retrouvent pas. Ca arrive.
08:51 Moi, j'essaye toujours de le faire
08:53 plutôt dans le respect de chacune et de chacun.
08:56 Je ne me retrouve pas dans ces qualificatifs,
08:58 mais ça ne m'empêche pas de dormir.
09:00 Si ça m'empêchait de dormir, je ne dormirais pas beaucoup.
09:03 -Dans vos multiples missions,
09:05 vous avez été l'un des principaux artisans de la NUP.
09:10 C'est d'ailleurs vous qui avez annoncé l'accord
09:12 avec les écologistes. On va revoir ça en image.
09:15 -Misnuit 5.
09:17 Après des heures de tractation,
09:19 et sous le regard de Jean-Luc Mélenchon,
09:22 dernière politesse de rigueur et satisfaction partagée.
09:25 -A moi ? -Commence.
09:27 -En quelques jours, en quelques dizaines d'heures,
09:30 on a réussi ce qui avait été impossible
09:32 pendant plusieurs années. -Je crois que c'est historique.
09:36 Nos formations politiques n'avaient pas fait d'accord
09:38 aux élections législatives.
09:40 -Cet accord entre les partis de gauche,
09:42 il n'y avait pas grand monde qui y croyait au début.
09:45 Jean-Luc Mélenchon en est arrivé, et c'est vous qui l'avez fait.
09:49 Est-ce que, pour vous, ça reste l'un de vos plus grands
09:52 accomplissements politiques ?
09:54 -C'était un moment historique, c'est clair.
09:56 C'est un accord qui restera dans l'histoire.
09:59 Peu de gens y croyaient, ça nous a demandé beaucoup de travail,
10:02 d'apprendre à se connaître, parce qu'on ne se connaissait pas,
10:06 ça nous a demandé de faire des compromis.
10:08 -Et d'engager des rapports de force.
10:11 Vous assumez clairement d'avoir des moments
10:13 où vous pouvez être très dur. -Je crois à la franchise
10:16 en politique, et je peux faire semblant
10:18 qu'en politique, il n'existe pas de rapport de force,
10:21 mais il y a des rapports de force.
10:23 Ce qui a permis la constitution de cet accord,
10:26 c'est le fait que Mélenchon ait fait 22 % des voix
10:29 à l'élection présidentielle. Le rapport de force
10:31 n'empêche pas le respect pour ses partenaires.
10:34 J'ai toujours le coutume de dire que dans une négociation
10:37 entre différentes formations politiques,
10:40 c'est une bonne négociation si tout le monde a l'impression
10:43 d'avoir gagné et personne n'a eu le sentiment
10:46 de s'être senti humilié.
10:47 Ce qui a fonctionné dans cet accord,
10:49 c'est que tout le monde a fait des pas,
10:52 mais tout le monde s'est reconnu et s'est retrouvé
10:54 dans un accord qui était productif, efficace.
10:57 Grâce à cet accord, nous avons remporté
10:59 le premier tour des élections législatives,
11:02 nous avons fini en tête du premier tour
11:04 et nous avons permis d'avoir 151 députés à l'Assemblée nationale.
11:08 C'était un moment historique,
11:10 et ça restera un moment important de ma vie politique.
11:13 -On va passer à notre quiz.
11:15 J'ai envie de faire un vrai/faux pour vérifier certaines choses
11:18 que j'ai lues sur vous et qui m'ont étonné.
11:21 "Est-il vrai que quand vous vous ennuyez,
11:23 "vous vous détendez en résolvant des équations ?"
11:26 -Non, c'est faux. J'ai lu ça aussi.
11:28 Ca a pu m'arriver. -Je trouvais ça tellement faux.
11:31 -Je fais pas d'équations sur mon temps personnel.
11:34 Je m'ennuie rarement en réunion,
11:36 car je pense que les discussions sont productives.
11:38 -Il paraît qu'adolescents, vous classiez les disques
11:41 de vos rappeurs préférés par leur ville d'origine.
11:45 -Ouais. -C'est bizarre, comme méthode.
11:47 -Oui, mais je sais pas pourquoi.
11:49 J'avais besoin d'avoir des cases
11:50 dans lesquelles je pouvais mettre mes disques.
11:53 -Avec plus de rappeurs du côté de Marseille ?
11:56 -Oui, pas mal. C'est vrai que moi, j'étais plutôt...
11:59 J'ai grandi, moi, dans la génération IAM,
12:02 donc c'est vrai que j'avais un anthropisme marseillais,
12:05 on va dire, dans mes goûts musicaux.
12:08 -J'ai lu que, pendant plusieurs années,
12:10 vous avez été goûteur de Morito au stand du Parti de gauche
12:13 et que vous avez fait un petit déjeuner.
12:15 -C'est pas totalement faux, mais un peu extrapolé.
12:18 Dans les premiers stands du Parti de gauche,
12:21 à la Fête de l'Humanité, il y avait une buvette
12:23 avec du Morito pour les gens qui venaient sur le stand.
12:27 Quand on avait préparé la recette, il fallait vérifier
12:30 que la recette était bonne avant de vendre.
12:32 -C'était vous qui prépariez les cocktails.
12:35 -Oui, c'est pour ça que j'ai vraiment eu d'abord
12:37 un engagement militant. J'ai distribué des tracts,
12:40 j'ai organisé des mitiges. -Ca donne aussi votre image
12:43 de celle qu'on peut avoir de vous, peut-être plus fêtard
12:46 que vous pouvez en donner l'impression ?
12:49 -Fêtard, oui.
12:50 En tout cas, j'aime bien, comme plein de gens,
12:53 je pense, passer des bons moments
12:55 et pas uniquement faire de la politique
12:57 qui peut avoir un côté un peu froid.
12:59 Mais maintenant, je dois être un peu plus sérieux
13:02 du fait des responsabilités qui sont les miennes.
13:05 Ca empêche pas de continuer à garder des moments
13:08 où on peut se détendre et s'amuser,
13:10 c'est un sens des responsabilités.
13:12 -Ce sera le mot de la fin. Merci, Manuel Lompard,
13:15 d'être venu dans "La Politique et moi".
13:17 ...
13:29 [SILENCE]