Les grands entretiens d'Yves Thréard - Bernard Tapie

  • l’année dernière
En décembre 2020, Yves Thréard recevait Bernard Tapie, l'homme aux mille vies et aux mille métiers. Celui qui fut tour à tour ministre, acteur, patron d'Adidas ou de l'OM, ou encore alors le principal actionnaire du journal La Provence avait affronté bien des tempêtes aussi bien judiciaires que politiques.

Quelles ressources Bernard Tapie puisait-il en lui pour toujours rebondir ?

D'où lui venait cette éternelle pugnacité qui lui permettait d'affronter aussi bien les coups du sort professionnel que privé quand il découvrait être atteint par plusieurs cancers en 2017 ?

Bernard Tapie est décédé le 3 octobre 2021.

Oubliez les plateaux de télévision placés sous le feu des projecteurs, oubliez les éclats de voix des débats et la frénésie de l'actualité; Place à une rencontre singulière avec une personnalité du monde politique, des arts, du spectacle ou de la société civile.
Transcript
00:00 "Uncatchable", Alexandr Zhelanov
00:02 ...
00:23 -Bernard Tapie.
00:25 Un homme à mille vies,
00:28 mille métiers, chanteur, acteur,
00:31 PDG, pilote automobile,
00:34 navigateur.
00:35 Pourquoi cette boulimie ?
00:39 Vous aviez quelque chose à vous prouver à vous-même ?
00:42 -Ah !
00:43 Ca me fait plaisir, cette question,
00:46 parce que ma réponse,
00:48 vous pourrez la vérifier,
00:50 et je reconnais assez inédite.
00:54 Je n'ai jamais
00:57 de toute ma vie,
00:59 et pour tous les métiers,
01:01 que ce soit ministre, patron de l'OM,
01:03 patron d'Adidas ou acteur,
01:06 je n'ai jamais dit "Tiens, j'aimerais faire ça."
01:10 Jamais. -Ah bon ?
01:12 -Aucun projet n'a été fait sans que ce soit une proposition.
01:18 -C'est quoi, c'est l'appétit du pouvoir ?
01:21 -Je n'ai pas compris. C'est pas le problème,
01:24 c'est pas moi qui prenais l'initiative de tenter.
01:27 -Vous, c'est vous. -Donnez-moi un exemple.
01:29 -Donnez-moi un exemple.
01:31 -Vous vouliez absolument, quand vous avez eu l'OM,
01:35 être champion d'Europe.
01:36 -Oui, mais c'est pas moi qui ai dit "Tiens, je vais acheter l'OM."
01:40 -Avez-vous une revanche ? -Je sais où vous les m'amenez,
01:44 mais c'est pas le cas. -C'est pas le cas ?
01:46 -Pourtant, vous venez d'un milieu assez modeste.
01:50 -Mais c'est pas pour autant que ça m'a donné envie
01:54 d'être autre chose. -Regardez vos parents.
01:56 Vous avez beaucoup d'admiration pour vos parents.
01:59 -Mon père a été... -Ouvrier fraiseur.
02:02 -Non, il était ajusteur. -Ajusteur.
02:04 -Et après, il est devenu frigoriste.
02:07 Mon père, c'est un des hommes les plus intelligents
02:10 que j'ai rencontrés.
02:12 Et pourtant, j'en ai rencontrés beaucoup.
02:14 Il était le seul à ne pas le savoir.
02:17 Et comme il était fils de cheminot,
02:19 il a fait son CAP d'ajusteur,
02:22 et puis il s'est arrêté là.
02:24 Et bien que communiste,
02:26 la lutte des classes, c'était pas son truc.
02:29 Il a fallu que je lui prouve, petit à petit,
02:33 qu'il méritait beaucoup mieux.
02:35 Car de lui-même, il en était ni conscient,
02:38 ni volontaire.
02:40 Et il est devenu chef d'entreprise à 55 ans.
02:44 -Grâce à vous ? -Bah, évidemment.
02:46 C'est pas le père qui a fait le fils,
02:48 c'est les deux fils qui ont fait le père.
02:51 Mon frère et moi.
02:52 -La vie, pour vous, c'est un match.
02:54 Il faut qu'il y ait un adversaire,
02:56 il faut que vous vous battiez.
02:58 -C'est incroyable, cette idée que vous avez de moi.
03:01 Ca a rien à voir.
03:03 Je mets de mon côté tous les atouts
03:06 pour que, quand on me confie une mission,
03:08 je la réussisse.
03:10 Evidemment. Mais je suis pas en train de dire
03:12 "Faut que je sois le premier."
03:14 Ca, c'est une vision de ceux qui font rien.
03:17 Parce que si vous aviez cette vision
03:19 en tentant des choses...
03:21 Je vais vous poser une question.
03:23 Vous êtes arrivé au niveau où vous êtes en tant que journaliste
03:26 en vous disant "Faut que je sois le meilleur."
03:29 -Vous avez une volonté de faire.
03:31 -C'est pas par là.
03:32 -Alors, c'est quoi, le ressort ?
03:34 -Non, attendez. La volonté, c'est autre chose.
03:37 C'est pas ça que vous décrivez.
03:39 Vous décriviez l'espèce d'envie d'être quelqu'un
03:42 où, à tout prix, pas du tout.
03:44 -Mais vous étiez content de gagner quand même.
03:47 -Ca a rien à voir.
03:49 C'est la logique du projet.
03:50 -Vous savez ce qu'on se dit ?
03:52 On se dit que Bernard Rinault, en 1984,
03:54 quand il gagne le Tour de France avec la vie claire,
03:57 sous votre sponsor, l'OM, en 1993,
03:59 quand il gagne la Coupe d'Europe,
04:01 on se dit "Bernard Tapie était sur le vélo et sur le stade."
04:05 C'est quoi, la recette de la gagne ?
04:07 -La recette de la gagne, c'est d'abord d'essayer de t'entourer
04:11 de tous les gens qui savent des choses
04:13 que vous ne savez pas, vous.
04:15 Numéro un.
04:16 Numéro deux, je vais vous donner
04:18 un exemple.
04:19 Quand je fais l'OM,
04:21 ou quand M. Denisot fait le PSG,
04:25 il fait une équipe homogène
04:28 avec des gens complémentaires,
04:30 qui, chacun à son poste, a fait la démonstration de sa force
04:35 et a fait du football un sport d'équipe.
04:38 Quand le Catarien fait le PSG,
04:41 il fait de ce sport un sport individuel
04:45 qui se joue à plusieurs moralités,
04:48 évidemment, par rapport à la France.
04:50 Il a gagné par rapport à l'Europe, c'est plus dur.
04:54 Vous voyez qu'il faut être absolument intransigeant
04:58 sur les règles établies pas par vous,
05:01 établies par le milieu.
05:03 -Quand on gagne, on gagne parce qu'on est une bonne équipe.
05:06 -Toujours. -Quel que soit le secteur
05:08 dans lequel nous sommes. -Et surtout,
05:11 quand je reprends Adidas,
05:13 je pique le patron du marketing de chez Nike.
05:16 Je prends le ministre des Finances.
05:18 Allemands, je mets président.
05:21 On élargit le club des sponsors
05:24 au Bayern et à Stéphane Graf.
05:26 On fait le Real Madrid, etc.
05:29 Il y a pas de recette.
05:31 Il faut pas, à la limite, à ma place où j'étais,
05:34 savoir grand-chose,
05:36 mais simplement savoir tout ce que vous ne savez pas.
05:39 -Mais vous avez... -Après, j'ai un don.
05:42 C'est de savoir dire aux gens,
05:45 quand tu crois que t'es au bout, t'as fait à peine la moitié.
05:49 Alors, si c'est un sportif,
05:51 il sort et il me dit, "Oh, je suis vidé."
05:54 "Ah bon ?"
05:55 "Mais il m'a semblé que tu sortais du terrain debout."
05:58 Tu as vu les skieurs de fond, quand ils arrivent sur la ligne ?
06:03 Autrement dit, c'est de leur dire,
06:05 quand tu crois que t'as été au bout, t'as pas fait la moitié encore.
06:09 Autrement dit, donner envie de tout donner.
06:13 Alors, après, c'est vrai qu'il y a le volonté.
06:16 Un, c'est "je voudrais bien".
06:18 -Oui. -Deux, c'est "je veux".
06:21 Trois, c'est "je veux absolument".
06:25 Et c'est celui-là qui réussit.
06:28 -C'est l'absolument. -C'est l'absolument.
06:30 C'est pas au détriment ou par des méthodes,
06:33 c'est simplement "je le veux vraiment".
06:37 -Est-ce que Dieu vous aide ?
06:38 Est-ce que vous êtes croyant, d'ailleurs ?
06:41 -Oui.
06:43 -Est-ce que ça vous aide, dans vos affaires, dans le sport ?
06:47 -Pas là-dedans.
06:48 Parce que, je crois...
06:50 J'ai d'ailleurs dit récemment à quelqu'un,
06:53 quand un footballeur rentre sur le terrain,
06:56 qu'il fait ça, qu'il fait... Bon, c'est bien,
06:58 mais c'est pas possible.
07:00 Dieu existe, pas pour ça,
07:03 pas pour gagner un match de football.
07:05 Je le réserve pour tout à fait autre chose.
07:08 -Il existe pour quoi, Dieu ?
07:10 -Il existe pour vous donner un sens à votre vie.
07:13 Est-ce que vous avez fait plus de mal que de bien ?
07:16 Est-ce que, quand vous avez fait le mal,
07:18 vous avez aussi essayé de compenser ?
07:21 Les écoles de formation, c'est parce que...
07:23 -C'est pour le bien. -C'est parce que je faisais
07:26 des licenciements. Je pouvais pas rester là-dessus.
07:29 -Vous avez fait plus de mal que de bien ?
07:31 -Non, j'ai fait plus de bien que de mal.
07:34 Par exemple, j'ai appris à ne pas être enculier.
07:38 Et tous les gens qui m'ont fait du mal,
07:40 sauf si c'est des amis, c'est-à-dire des gens qui me touchent...
07:44 -Vous coupez, à ce moment-là ? -Hein ?
07:46 -Vous coupez ? -Je souffre.
07:48 Je veux plus le voir.
07:49 Je veux plus le voir, parce qu'il me fait du mal.
07:52 -C'est arrivé. -Oui, mais pas souvent.
07:55 -On a l'impression que vous êtes un homme seul,
07:57 pas un homme de clan, pas un homme de réseau.
08:00 Vous n'avez pas fréquenté la franc-maçonnerie.
08:03 -Ah ouais ? -Et que vous êtes...
08:05 C'est vous qui décidez.
08:07 -Il y a une demi-heure, avant que vous m'appeliez,
08:10 là, que vous veniez me chercher,
08:12 j'étais avec Noël Bellone, qui était secrétaire général
08:16 du groupe Berlard Tapie, pendant 20 ans.
08:18 Non, non, on est comme ça, tous.
08:21 Tous les anciens de Basile Boli,
08:24 en passant par ceux qui étaient à mon ministère...
08:27 -Basile Boli vous appelle régulièrement ?
08:29 -Tous. -Et quand vous avez des problèmes,
08:32 il vous appelle aussi ? -Oui.
08:33 -Pas uniquement pour vous demander des conseils.
08:36 -Non, mais il m'envoie des petits mots.
08:38 "Tiens, bon..." -Et dans le monde des affaires,
08:41 comme vous avez une vie extrêmement riche,
08:45 vous avez dirigé beaucoup d'entreprises,
08:47 Vondères, Bluch, Adiou-Claire...
08:49 -Je suis resté ami avec les vrais, les grands, qui sont bons.
08:53 -C'est qui, les vrais ? -Pinot, François Pinot.
08:56 -Oui. -Qui est un grand.
08:58 -Pourquoi ? -Parce qu'il a démarré
09:00 avec pas grand-chose. -C'est les gens
09:02 qui démarrent... -Non !
09:04 Parce que si tu démarres là et que tu vas là...
09:06 Arnaud, il a pas démarré là,
09:09 mais c'est fabuleux, ce qu'il a fait.
09:11 Extraordinaire.
09:12 Donc, vous pouvez très bien avoir fait Polytechnique
09:15 et être génial, mais vous pouvez aussi
09:18 avoir eu votre CAP d'électricien
09:20 et être génial.
09:22 Le tout, c'est pas ça. Et ceux-là, comme par hasard,
09:25 c'est des gens avec qui j'ai toujours eu
09:27 de très bons contacts. Xavier Niel, pour moi,
09:30 est un modèle qui prend ma suite, si j'ose dire.
09:34 -C'est le Bernard Tapie d'aujourd'hui ?
09:36 -Par beaucoup de points de vue, mais en plus doué.
09:39 Je crois qu'il est plus doué que moi, encore.
09:42 Il arrive à faire quelque chose
09:44 qui, aujourd'hui, est une denrée presque impossible,
09:48 qui n'était pas le cas à mon époque,
09:50 où vous avez connu. On n'était plus généreux,
09:53 on n'était plus copinard,
09:55 on n'était plus avec les autres.
09:58 Cette société a rendu les gens plus égoïstes,
10:02 plus personnels, et c'est pas son cas.
10:05 -En politique, vous avez eu des amis.
10:07 Nicolas Sarkozy, c'est un ami pour vous ?
10:10 -Je peux pas dire ça,
10:11 parce qu'il était président de la République.
10:14 Donc, on a des relations qui sont celles que j'avais
10:17 à l'époque où il était président,
10:19 et vous êtes parti de ceux qui, de temps en temps,
10:22 me disaient "Qu'est-ce que tu ferais dans ce cas-là ?"
10:26 -Et Jean-Louis Borloo, c'est un ami aussi.
10:28 Il est resté un ami. -Oui.
10:30 -Et il y a des ennemis.
10:32 En politique. -Oui.
10:35 Mais les ennemis politiques,
10:38 je les comprends.
10:40 -Par exemple, François Hollande,
10:42 qui a relancé l'affaire Adidas.
10:45 -Il l'a pas relancée, il l'a créée.
10:47 -Oui, mais quand... -Il l'a créée.
10:49 -Il a voulu casser l'arbitrage, repartir devant la justice,
10:52 et avec des procès en pagaille,
10:56 il voulait prendre une revanche sur vous.
10:59 -Logique.
11:00 -Pourquoi ? -Logique.
11:03 Sa femme se présente.
11:05 J'étais plutôt de gauche, vraiment.
11:07 Sa femme se présente.
11:09 Je l'ai côtoyée.
11:11 Je sais ce qu'elle vaut.
11:13 Elle a plein de qualités.
11:15 J'ai fait les marchés avec elle pour l'aider à être députée.
11:19 Mais président de la République, faut pas rêver.
11:22 Donc, Ségolène Royal, face à Nicolas,
11:25 que je connaissais pas,
11:27 et qui m'avait chié dans les bottes en 95,
11:30 vous voyez que j'ai plus de rancune du tout
11:34 quand il s'agit de favoriser,
11:37 pour la France, quelqu'un contre quelqu'un d'autre.
11:40 Donc, eux, qu'on essaie de me tuer après,
11:43 c'est normal.
11:44 -C'est normal que Hollande ait tué ?
11:47 -Je les ai empêchés de gagner.
11:49 J'ai fait tout pour pas qu'il gagne.
11:52 Hollande a gagné quand même. Pas sa femme.
11:55 -Christine Lagarde, par exemple,
11:57 qui a été mêlée à l'affaire Adidas...
11:59 -Je suis très déçu d'elle.
12:01 -Qui a été passée devant la cour de justice de la République.
12:04 -Elle a pas dit un mot.
12:06 -Elle a pas été condamnée à une peine.
12:08 On a dit qu'elle avait été négligente.
12:10 Elle vous a déçue ? -Elle m'a déçue
12:13 de pas s'être défendue.
12:14 Quand j'ai demandé qu'elle vienne témoigner
12:17 à notre procès, elle a pas voulu.
12:19 Elle m'a déçue. -Elle a manqué de courage ?
12:22 -Je dis pas ça !
12:23 -Elle a dit que vous seriez pas son amie.
12:25 -Oui, ça, c'est logique.
12:27 Elle non plus. -Elle non plus ?
12:29 Pourquoi ? Parce que c'est une différence de milieu,
12:32 de culture ? -On n'a pas d'atome crochu.
12:35 Mais c'est une grande dame. Y a pas de doute.
12:38 -Les journalistes, parce que l'affaire Adidas,
12:41 qui fait couler beaucoup d'encre depuis maintenant 25 ans,
12:45 et qui est pas terminée,
12:47 les journalistes...
12:50 La presse a eu,
12:52 en majorité, la dent très dure pour vous,
12:55 en disant que, de toute manière,
12:57 tout ça, c'était... Vous le méritiez, en gros.
13:00 Laurent Voulet, où ? -Je méritais pas.
13:02 -A l'agent journalistique. -Non, je m'en fous.
13:05 -Vous vous foutez des médias ? -Complètement.
13:07 -Vous aimez ça, les médias ? -C'est-à-dire quoi ?
13:10 C'est moi qui vous ai appelés ? -Non, c'est moi.
13:13 -Alors arrêtez ça. Attendez ! Arrêtez ça !
13:16 Tous, vous êtes pareils.
13:18 Vous passez des heures à vouloir m'inviter.
13:21 Et quand vous m'invitez, tous !
13:23 Alors vous aimez vous montrer.
13:24 -Non, mais vous aimez ça, vous ? -Je n'aime pas, ça.
13:28 -Vous n'aimez pas les médias ? -Mais c'est pas le sujet.
13:31 -Est-ce que vous êtes pas meurtri
13:33 par ce que vous lisez, ce que vous entendez ?
13:35 -Non, parce que je m'en fous.
13:38 Ma vie, elle est faite de choses
13:41 qui satisfont ou pas ceux qui m'intéressent
13:44 et ceux pour qui j'existe.
13:46 Votre opinion sur moi, je m'assois dessus.
13:49 Donc je m'en fous. -Ca peut être un moteur.
13:52 -Attendez ! D'autre part,
13:53 vous donnez pas et vous prêtez pas
13:56 le pouvoir que vous n'avez pas.
13:58 Vous faites l'humeur, pas l'opinion.
14:01 La preuve, c'est que dans les médias...
14:04 Je vais prendre justement un fait.
14:07 La justice, il y a deux types de journalistes.
14:10 Il y a le mec qu'on appelle d'investigation,
14:13 qui fout rien, qui est juste à la solde
14:16 d'un procureur, d'un juge,
14:18 ou je ne sais qui.
14:19 -Il investigue pas, mais il reçoit...
14:22 -Rien du tout. On lui file les machins.
14:24 Et vous avez les chroniqueurs de justice
14:27 qui vont au procès, qui s'y connaissent en droit.
14:30 Ceux-là qui étaient venus au procès d'Ida...
14:33 -Vous avez été relaxé.
14:34 -Ils ont pas attendu la relax, hein,
14:36 pour dire "mais qu'est-ce que c'est que ce merdier ?"
14:40 Parce que d'un seul coup,
14:42 c'était pas que les suites organisées par le CDR,
14:46 c'était les plaignants et les réponses.
14:51 Et les journalistes ont félicité
14:55 la présidente qui a rendu le jugement qu'elle a rendu.
14:59 -Il a fallu du tampon pour que la presse...
15:01 -Il a fallu le procès.
15:03 Et rappelez-vous, donnez-moi au moins acte,
15:06 je n'ai jamais voulu alimenter la controverse.
15:10 Dès qu'on me parlait du procès, je disais
15:12 "je veux pas vous en parler, venez à l'audience."
15:16 -Vous êtes patron de presse,
15:17 vous avez un journal qui s'appelle "La Provence".
15:20 -Et je n'y mets pas mon petit doigt.
15:22 -Il y a un grand homme.
15:24 Est-ce que c'est celui que vous avez le plus admiré
15:27 de tous ceux que vous avez rencontrés ?
15:29 C'est François Mitterrand ?
15:31 -C'est l'homme qui m'a le plus impressionné.
15:33 -Pourquoi ? -Parce que,
15:35 quand on le connaissait en vrai,
15:38 il avait une faculté incroyable.
15:40 C'est d'ailleurs une analyse et une capacité intellectuelle
15:44 qui se mettait à votre diapason,
15:47 à votre niveau,
15:48 et un pouvoir de conviction inimaginable.
15:51 Il avait, en plus, ce qu'on appelle la force de l'esprit.
15:55 Il l'avait vraiment.
15:57 Il était sincère.
15:59 -Et alors, vous êtes venu avec lui.
16:01 D'ailleurs, vous aviez des convictions politiques
16:04 très arrêtées, parce que, quand on lit sur vous,
16:06 on dit qu'à un moment, vous pensiez faire un bout de chemin
16:10 avec le RPR, et puis que, finalement,
16:12 c'est à gauche que vous êtes allé.
16:14 -On ne l'a jamais dit.
16:16 -Non ? -Non.
16:17 -A gauche que vous êtes allé, et en 1992...
16:20 -Il est radicaux de gauche.
16:22 -En 1992, Beret-Gauvoie devient Premier ministre,
16:26 Tapie devient ministre de la Ville.
16:28 Deux figures atypiques, finalement, à l'époque.
16:31 -Les deux seuls fils d'ouvriers. -Voilà.
16:34 -Sur tout le gouvernement de gauche,
16:36 on était deux fils de prolos.
16:38 -Et ça, ça vous a attiré la jalousie des autres, non ?
16:42 -Oui. -Les autres socialistes.
16:43 Qui, eux, sortaient de normales sur de l'État.
16:46 -Certains, pas tous. Dumas, Jox,
16:49 même Fabius, c'étaient pas mes ennemis.
16:52 -Alors, Mitterrand, quand même,
16:54 vous l'avez admiré. -Oui.
16:57 -Il vous a pas un peu instrumentalisé, quand même ?
17:01 Ou il a plutôt causé...
17:03 Avec lui, vous avez commencé à avoir vos ennuis, finalement.
17:07 -Oui. -Parce qu'il vous demande...
17:09 -Il m'a demandé des conseils.
17:11 -Il a invité la présidence d'Adidas pour devenir ministre.
17:14 -Il m'a demandé des conseils. -C'est-à-dire ?
17:17 -Il m'a demandé des choses.
17:19 -Vous lui avez demandé quoi ? -Je vais pas vous le dire.
17:23 Je suis pas le genre, mais ça arrive à des présidents
17:26 d'avoir des gens qui s'interrogent.
17:28 Pourquoi moi ? Je vais vous dire quelque chose, monsieur.
17:31 Quand je dis aux cancéreux,
17:33 dans mes premières interviews de cancéreux,
17:37 alors qu'il y a pas le Covid,
17:39 et que je dis, "Chers amis, on est dans le même bateau,
17:44 "j'ai un conseil à vous donner, serrez les dents,
17:47 "battez-vous, y a rien de foutu",
17:50 parce que les progrès vont tellement vite
17:52 que notre condamnation à mort d'aujourd'hui,
17:55 elle est pas forcément vraie demain.
17:58 Quand je dis ça, et je le dis de se remuer le cul,
18:01 imaginez que j'ai pas le cancer moi-même.
18:05 Qu'est-ce qu'ils auraient dit, les cancéreux ?
18:08 "Ça te va bien, connard ?"
18:10 C'est facile à dire.
18:12 Quand je dis, moi, aux fils d'en bas,
18:15 "Battez-vous, y a rien de foutu",
18:18 que je fais ambition,
18:20 et quand je fais ambition, c'est Mitterrand
18:24 qui demande à TF1 de faire ambition avec moi.
18:28 Parce qu'il m'a vu dans une émission
18:30 qui s'appelait "Vive la crise".
18:32 Et il m'appelle, il me dit, "Monsieur,
18:35 "parlez aux Français de l'entreprise,
18:38 "et du rôle que ceux qui viennent d'en bas peuvent jouer."
18:42 Et il demande à TF1 de faire ambition.
18:45 Et je fais ambition, on fait 14, 15 millions.
18:49 Si je venais pas d'où je viens,
18:52 comment je peux faire ambition ?
18:54 -Mais à partir du moment, je ne dis pas qu'il est la cause
18:57 et que c'est lui, mais vous quittez Adidas,
19:00 et donc vous vendez Adidas,
19:02 et là, on rentre dans une affaire qui est toujours en cours,
19:07 vous vous attirez la haine de certains socialistes à gauche,
19:12 et c'est là que ça commence à déraper.
19:15 -Oui, alors j'aurais dû faire quoi ? Pas le faire ?
19:19 -Je sais pas. Est-ce que vous le regrettez, ça ?
19:22 -Non. Mais bien sûr que non.
19:24 -La politique, ça vous a pas brûlé ?
19:26 -Ouah, ça m'a peut-être indiqué encore plus
19:32 ce que je pensais.
19:34 Dans la société,
19:35 il y a tous ceux qui sont là, très nombreux,
19:38 qui sont d'abord pas jaloux.
19:41 Vous savez, quand ils vont à Saint-Tropez,
19:44 ils se mettent derrière le cul des bateaux
19:46 et ils se font photographier.
19:48 Et puis, il y a ceux qui ont réussi,
19:51 et ceux-là, ils sont pas jaloux,
19:54 et ils m'en veulent pas d'avoir réussi à ma manière.
19:57 Ils sont là-haut.
19:58 Et puis, il y a ceux qui sont là,
20:02 qui voudraient bien et qui peuvent pas,
20:05 et qui détestent.
20:06 Et ceux-là, et ceux-là.
20:09 Mais encore plus ceux-là qui ont réussi.
20:13 Parce que la vie est pas juste.
20:15 Parce que, vous vous rendez compte,
20:17 quand tu fais l'ENA et que t'es pas un milliardaire
20:21 ou que t'as pas vraiment le pouvoir,
20:24 alors la vie est mal faite.
20:26 Donc, bada boum.
20:28 Quand, par contre, ceux-là ont des responsabilités,
20:32 comme à Bercy, par exemple,
20:34 alors là, quand vous tombez entre leurs paluches,
20:37 parce qu'il y a l'ENARC, qui a réussi
20:40 à être un grand banquier ou à être ministre
20:43 ou à être président de la République,
20:46 il y a celui qui est...
20:48 Voilà, parce que pour être au plafond,
20:51 faut pas être seulement ancien élève de l'ENA.
20:54 Faut aussi avoir un peu le cerveau droit.
20:57 -Et vous, vous avez été au plafond.
20:59 -Ah ouais ? Et moi, alors là, ceux-là,
21:02 vous imaginez pas.
21:03 Pouh !
21:05 Parce qu'en plus, ils fréquentent la gloire,
21:08 le pouvoir, le blé, et en fait, ils ont rien de tout ça.
21:12 -Et vous, vous avez tout ? -Bah non, j'ai rien de tout ça.
21:15 Puisque je suis ruiné, j'ai pas de pouvoir,
21:18 et j'ai la gloire.
21:19 -Vous avez la gloire. Vous aimez ça ?
21:21 -Oh, vous pouvez pas savoir.
21:23 C'est pour ça que j'ai fait votre émission.
21:26 -On va être vu par des millions de gens.
21:28 On va être vu, au moins, par 10 000.
21:30 -Alors, Bernard Tapie... -Vous pouvez pas, ça.
21:33 -Bernard Tapie, non. Bernard Tapie,
21:35 il y a pas très longtemps,
21:37 vous avez présidé un jury de concours d'éloquence.
21:40 -Oui. -Et le thème de ce jury,
21:43 c'était réussir dans la vie.
21:46 Les apprentis avocats ou les avocats
21:48 ont fait leur plaidoirie,
21:50 et vous les avez repris au vol, tous,
21:54 parce que vous avez fait une distinction disant
21:56 il y a réussir dans la vie et réussir sa vie.
22:00 Est-ce que vous, vous avez réussi dans la vie ?
22:03 -Une. -Votre vie ou les deux ?
22:06 -J'ai réussi ma vie. -D'accord.
22:09 -Réussir sa vie, j'ai fait une chanson.
22:11 Et ça commence comme ça.
22:13 "Réussir sa vie, c'est prendre la main d'un enfant,
22:15 "le coeur d'une femme qui vous sourit,
22:18 "le soir, je sais plus comment c'est après,
22:22 "mais attends, c'est prendre la main d'un enfant,
22:25 "le coeur d'une femme qui vous sourit..."
22:27 -Et là, cette femme, c'est Dominique ?
22:29 -Oui. -Pour vous. Elle est là ?
22:31 Vous êtes tous les deux... -Elle est quand même belle.
22:34 -Très belle femme. -45 ans.
22:36 -Très belle femme. Toujours à vos côtés.
22:39 -Oui. Et moi aussi.
22:40 -Un couple fusionnel. -Oui.
22:44 -Elle vous a toujours tenu dans les moments les plus difficiles,
22:47 elle vous a... Est-ce qu'elle vous a dissuadé
22:50 de vous engager dans certaines causes ?
22:52 -Jamais, y compris sur la politique,
22:56 parce que si elle l'avait fait,
22:58 je n'y serais pas allé.
23:00 Il faut que vous sachiez que c'est ma première
23:04 et souvent unique conseillère.
23:07 -Oui. -Mais vraiment.
23:08 Par conséquent, elle a son domaine de compétences, bien sûr,
23:13 mais elle a son analyse.
23:16 Un jour, pour vous dire à quel point
23:19 elle a dû naître,
23:20 elle a fait une interview télé dans toute sa vie.
23:24 -Oui. -Avec Drucker, il y a 40 ans.
23:27 Et Drucker lui dit alors...
23:30 "Tout se passe bien, c'est formidable.
23:32 "On habitait, Rue des Saint-Père,
23:35 "à un endroit où j'avais aucune chance d'accéder."
23:38 Et j'avais dit à l'époque, sauf en étant facteur du 7e.
23:43 Et elle, elle dit...
23:47 "Rappelez-vous, si jamais un jour
23:50 "il pose un genou par terre,
23:53 "ça va être la curée."
23:55 Voilà ce que ma femme a dit un jour à la télé,
24:00 à Drucker.
24:02 Tellement elle était lucide
24:05 sur le fait qu'on n'attendait qu'une chose, c'était ça.
24:09 -Parce que vous étiez la belle gueule, le beau gosse...
24:12 -Parce que j'étais là où je devais être.
24:14 -Et vous gêniez, finalement. -Et j'avais un tort
24:17 que j'ai négligé,
24:19 c'est que, dans tous les milieux où t'arrives,
24:22 fais-toi tente de te faire accepter.
24:27 -Aujourd'hui, vous avez... C'est un secret pour personne.
24:32 Vous avez des cancers,
24:33 vous êtes atteint de plusieurs cancers,
24:36 vous luttez.
24:37 Est-ce que vous trouvez que le regard des gens sur vous
24:41 a changé, justement,
24:42 grâce ou à cause de ça ? Je sais pas comment dire.
24:45 -Il y a eu deux événements,
24:48 à mon avis.
24:49 Premier événement, c'est...
24:52 Ils ont pris conscience
24:55 que j'étais toujours destiné
24:59 à aller au service des autres.
25:02 Il y a cette facette de moi qui était pas connue.
25:06 Deuxièmement, quand un procureur de la République,
25:10 un culot,
25:12 après la démonstration implacable
25:16 que j'étais totalement innocent
25:19 de ce dont on m'accuse depuis 20 ans,
25:22 et que les journalistes en étaient les témoins,
25:26 ils demandent cinq ans. -Le procureur avait demandé cinq ans.
25:29 -Vos collègues, d'un seul coup, ils ont dit "c'est pas possible".
25:33 Et donc, ils ont changé.
25:35 Et ils ont commencé à raconter
25:41 ce qu'ils avaient dit à tort.
25:43 Et moi, quand la juge
25:47 m'a dit "M. Tapie,
25:49 "est-ce que vous avez une déclaration à faire ?"
25:52 Je me suis un peu avancé,
25:54 il s'est demandé ce qu'il allait se passer.
25:56 J'ai dit "M. le procureur, je vous remercie,
25:59 "vous êtes plus optimiste que mes médecins."
26:02 -Oui.
26:03 -Et là, la salle a compris
26:06 tout ce que ça pouvait ressentir
26:09 de demander cinq ans ferme. Voilà.
26:12 -C'est la gagne, encore, là, quand même.
26:14 -Oui. -Vous êtes un gagneur.
26:16 -Je suis pas un perdant. -Vous voulez gagner.
26:19 -Non, je veux pas perdre. Arrêtez. Je veux pas perdre.
26:22 -Vous êtes revanchard, quand même ? -Oui. Là, oui.
26:25 Là, oui, parce que le cancer de l'ésophage et de l'estomac,
26:29 c'est un cancer qui arrive quand on se fait du mauvais sang.
26:34 -Et c'est un cancer adidas ?
26:36 -Ah bah, c'est un cancer crédilionnais.
26:39 -Crédilionnais.
26:40 Une chose que vous regrettez ?
26:43 -Non. -Non ?
26:46 -Non. Non.
26:48 -Vous prenez tout ? -Oui.
26:50 -Vous retenez tout ?
26:51 -Non, j'en retiens pas, justement.
26:54 C'est "Vive demain".
26:55 -Vive demain ? -Voilà.
26:57 -J'ai lu que vous aviez des projets. -Ah, énorme.
26:59 -Des projets... Théâtre ?
27:02 -Oui. Ça...
27:04 -Oui, mais ça va revenir.
27:06 -Théâtre, et puis... Beaucoup dans le spectacle, quand même.
27:09 -Non.
27:10 On va inventer, avec la région PACA,
27:15 une séquence de temps
27:17 que je trouve mal utilisée.
27:20 Pour l'instant, la vie, c'est trois périodes.
27:23 C'est... Tu nais, tu travailles,
27:26 première période, école, machin.
27:28 Tu travailles, t'es à la retraite,
27:30 deuxième période, troisième période,
27:33 t'es à la retraite, tu crèves.
27:35 Il en manque une. -Laquelle ?
27:37 -C'est celle entre "tu travailles"
27:40 et "tu travailles plus". -Oui.
27:43 -Parce qu'entre "j'ai arrêté de travailler"
27:46 à "faire ce que mon boulot m'a fait faire",
27:49 il y a une séquence.
27:51 C'est celle qui va te faire faire
27:53 ce que t'as toujours rêvé de faire
27:55 et que t'as jamais fait.
27:57 De la musique, de la peinture, du sport,
27:59 de la chanson, de l'agriculture biologique.
28:02 Ma femme fait de la danse. Elle a 70 ans.
28:05 Elle fait trois fois par semaine de la danse
28:07 avec des gens qui ont tous les âges.
28:10 -Et vous ? -Et moi, non,
28:11 j'ai tout fait, ce que j'aimais.
28:13 -Il y a encore des choses que vous pouvez faire.
28:16 -Faire aux autres ce que moi, j'ai fait.
28:18 -Donner aux autres. -Voilà.
28:20 -Merci, Bernard Tapie. -Merci, monsieur.
28:24 Putain.
28:28 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
28:31 "Uncatchable", Alexandr Zhelanov
28:34 ...

Recommandée