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Lilian Thuram est l'invité du grand entretien ce dimanche. Avec l'historien Pascal Blanchard, il signe "Mes étoiles noires en images" (éditions de la Martinière), 40 portraits de personnalités noires, panorama d'une histoire commune méconnue.

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Transcription
00:00 Dans le grand entretien ce matin, la lutte contre le racisme et un livre magnifique où
00:03 l'on croise Lucie, Martin Luther King, Aimé Césaire, Billie Holiday, Rosa Parks, Nelson
00:10 Mandela, des tirailleurs, des anonymes et puis à côté des images, des textes passionnants,
00:15 Lilian Thuram publie « Mes étoiles noires » en image avec l'historien Pascal Blanchard.
00:20 Posez vos questions, chers auditeurs, intervenez au 01 45 24 7000 ou sur l'application France
00:26 Inter, Lilian Thuram et Pascal Blanchard, bonjour et bienvenue à tous les deux.
00:30 Bonjour.
00:31 Lilian Thuram, ancien champion du monde, les français vous doivent largement d'ailleurs
00:35 la première étoile sur le maillot bleu.
00:37 On va en reparler des étoiles, vous êtes président de la fondation Éducation contre
00:41 le racisme, Pascal Blanchard, vous êtes historien spécialiste du fait colonial et
00:45 auteur notamment d'un livre qui avait fait date le racisme en image, en couverture justement,
00:50 couverture de ce livre qui vient d'être publié aux éditions La Martinière.
00:54 Il y a une image joyeuse, une image enthousiaste des hommes, des femmes qui lèvent les bras
00:59 en signe de victoire, elle est formidable cette image, elle en dit beaucoup, est-ce que vous
01:03 pouvez nous la décrire ? C'est un contre-champ.
01:05 Tout à fait, c'est de regarder un tout petit peu ce qu'on ne voit pas forcément
01:09 dans les images qui dominent, d'un seul coup c'est la victoire par rapport aux droits
01:13 civiques, c'est le symbole d'un combat extrêmement long.
01:16 Il faut toujours se rappeler que ces gens savent que ce n'est pas leur génération,
01:19 ni celle de leurs parents, ni celle de leurs grands-parents, mais bien souvent l'histoire
01:22 de leurs arrière-grands-parents qui est l'aboutissement dans les années 60 d'un
01:26 combat extrêmement long.
01:27 Et on a choisi une image qui était positive.
01:29 Une image positive, alors que c'est un livre de combat Lilian ?
01:33 Écoutez, je pense que lorsqu'on combat la justice, en règle générale, il faut être
01:40 joyeux.
01:41 Parce que vous êtes confronté à des injustices et je pense que le mot qu'il ne faut jamais
01:46 oublier c'est que c'est l'amour qui guide les gens.
01:48 Mais il y a aussi parfois de la colère, il y a effectivement la grandeur et la générosité
01:53 et l'amour.
01:54 Cette image qui est en couverture du livre, je le disais, c'est un contre-champ.
01:58 C'était il y a exactement 60 ans, c'était en 1963 et cette marche qui a réuni des centaines
02:04 de milliers de personnes à Washington aux Etats-Unis, avec sur la scène Joséphine
02:09 Baker et Martin Luther King et ces mots qui ont marqué l'histoire.
02:13 « J'ai fait un rêve que mes quatre petits-enfants vivront un jour dans une nation où ils ne
02:24 seront pas jugés selon la couleur de leur peau mais selon le contenu de leur personnalité.
02:29 J'ai fait un rêve. »
02:30 Qu'est-ce qu'il en reste de ce rêve ?
02:33 Je pense qu'aux Etats-Unis, il en reste encore un combat qui doit être mené pour
02:38 arriver à l'égalité parfaite mais ceux qui se battent aujourd'hui savent dans quelle
02:41 traçabilité ils se font.
02:42 Ce rêve, il n'est pas impossible, il est très concret.
02:44 Lutter contre les injustices, lutter contre la loi qui ne permet pas l'égalité, lutter
02:48 contre le racisme par exemple, ou les débats avec la police, on le voit dans les pays du
02:52 monde entier, ce combat veut dire quelque chose.
02:54 C'est très concret et on voit comment on est passé.
02:56 Lilian a expliqué à des jeunes enfants hier avec moi dans les Vosges à un festival qu'il
03:00 y a encore à Saint-Dié des Vosges qu'il y a 200 ans, l'esclavage existait.
03:04 Il y a encore 80 ans, la colonisation existait.
03:06 Il y a encore 40 ans, la partaid existait.
03:08 Donc on sait pourquoi on se bat.
03:10 On se bat pour que ces choses-là n'existent plus comme lutter pour l'égalité.
03:13 Ça veut dire que le combat est loin d'être terminé et qu'on se place dans la continuité
03:16 d'un rêve.
03:17 Ce rêve, il est simplement la matière, même première, qu'on a envie de travailler en
03:21 permanence par la connaissance, par le savoir, des fois par la lutte politique, des fois
03:24 par l'engagement et par la militance, tout simplement pour ramener de l'égalité.
03:28 Lilian Turam, la première édition du livre « Mes étoiles noires », elle date d'il
03:31 y a 13 ans.
03:32 Est-ce que 13 ans après, c'est encore d'actualité de publier un tel livre ? C'est encore utile
03:36 et important ?
03:37 Écoutez, malheureusement oui.
03:38 D'ailleurs, on termine le livre avec les photos de mes deux fils.
03:45 Parce que pour moi, c'est très important la transmission et leur dire qu'effectivement,
03:50 chaque génération doit faire un travail.
03:52 Et croyez-moi, dans 20 ans, dans 30 ans, dans 50 ans, il y aura encore des injustices et
03:57 il faudra encore des personnes pour se lever et dénoncer ces injustices.
04:01 Parce qu'il y a justement les images.
04:03 Vous parliez de ces enfants, de vos enfants.
04:06 On les voit mettre un genou à terre.
04:08 On se souvient de ce geste extraordinaire de ce footballeur des 49ers de San Francisco,
04:14 Colin Kaepernick.
04:15 C'était en 2016.
04:16 Il met un genou à terre pour dénoncer la négrophobie, les acquittements des policiers
04:21 qui sont impliqués dans des meurtres, des bavures à l'encontre des Noirs.
04:25 Vos fils, Marcus Turam et Khephren Turam, ce sont les dernières images du livre.
04:30 Et on les voit donc genou à terre.
04:32 Vous teniez à faire figurer ces photos de vos deux garçons ?
04:35 C'est une marque de fierté ou une manière de dire le combat continue ?
04:38 Mais le combat continue, ce n'est pas une marque de fierté.
04:42 C'est juste que je suis parent et lorsque vous êtes parent, il faut transmettre certaines
04:47 choses.
04:48 Je crois que chacun de nous, nous devons essayer de dire à nos enfants, voilà, il est important
04:53 de se lever contre les injustices.
04:54 Le combat continue, vous le dites.
04:56 91% des personnes Noires en métropole se disent victimes de discrimination en France
05:00 en 2023.
05:01 C'est un sondage Ipsos publié il y a quelques mois dans le journal Le Monde.
05:04 Le gouvernement a présenté un plan pour lutter contre le racisme et les discriminations.
05:09 Il y a plusieurs mesures.
05:10 Les élèves obligés par exemple de faire des visites dans des lieux mémoriels depuis
05:15 cette rentrée.
05:16 Des profs qui vont être formés aux discriminations, des dépôts de plaintes qui vont être facilités.
05:19 Est-ce qu'on va assez loin aujourd'hui ?
05:21 Tout d'abord, ce serait intéressant qu'il y ait un musée qui parle vraiment de ces
05:26 sujets-là.
05:27 Je pense que très souvent, on pense que c'est un sujet tabou de parler du racisme.
05:32 Je pense que c'est très simple, c'est lié à l'histoire.
05:35 C'est comme le sexisme ou l'homophobie.
05:38 Donc il faut comprendre qu'il y a une profondeur historique.
05:40 Aujourd'hui, l'histoire nous emmène à avoir des conditionnements et il faut questionner
05:45 ces conditionnements.
05:46 Donc on ne va pas assez loin si je vous entends, Pascal Blanchard ?
05:48 Non, regardez, on est le seul pays européen, bientôt le dernier, à avoir l'absence
05:52 d'un musée d'histoire coloniale.
05:53 Vous en avez eu vos enfants pour leur raconter cette histoire ?
05:55 Un musée d'immigration mais pas d'histoire coloniale.
05:57 Ça n'a rien à voir.
05:58 Le musée de l'esclavage, il est en Guadeloupe, il n'y en a pas en Hexagone.
06:01 Le musée d'histoire coloniale, il n'y en a pas en France.
06:03 Il y en a en Hollande, il y en a en Allemagne, il y en a en Angleterre, mais il n'y en a pas en France.
06:06 Donc tout ça, c'est peut-être des questions qu'il faut se poser.
06:09 Vouloir déconstruire le présent.
06:11 Il y a un moment, vous savez, s'il y a des comportements, s'il y a des rapports de force,
06:15 si des gens se sentent victimes d'un racisme ou d'une xénophobie, c'est que généralement,
06:20 il s'est passé quelque chose dans l'histoire.
06:21 Et c'est pas mal de l'expliquer.
06:23 En expliquant les choses, d'un seul coup, les gens comprennent mieux.
06:26 Ça s'appelle la pédagogie.
06:27 Donc, c'est vrai, au manque d'un musée, il y a un déficit de savoir et de connaissances.
06:30 - Alors, au-delà du musée, il y a aussi un sujet qui est absent, en l'occurrence du plan du gouvernement,
06:33 c'est le contrôle au faciès.
06:35 Vous parliez de la police tout à l'heure.
06:37 Un jeune noir ou d'origine arabe a 20 fois plus de probabilités d'être contrôlé par la police
06:41 que toute autre personne, selon une étude du défenseur des droits.
06:44 Le Conseil d'État doit se prononcer sur ce sujet dans les prochaines semaines.
06:48 Vous en attendez quoi ? Vous en espérez quoi ?
06:51 - On attend que ce puisse se mettre en place, exactement comme en Angleterre ou en Allemagne,
06:55 le process des moments de formation.
06:57 Parce que vous pouvez remarquer qu'en Angleterre et en Allemagne, il y a moins de contrôle de police
07:00 en fonction de la couleur de la peau, soyons très clairs.
07:02 D'ailleurs, vous le savez, les clients, quand on pose la question à des gens
07:05 "Qui voudrait être un jeune noir en France ?"
07:07 Jamais dans la salle, quelqu'un lève le doigt.
07:09 - Vraiment ?
07:10 - Oui, mais attendez...
07:11 - On l'a fait hier avec...
07:12 - C'est une évidence, tout le monde sait ce que ça veut dire !
07:14 - Non, mais ne riez pas Lilian Thuram, ça...
07:16 C'est une évidence !
07:17 - Venez en conférence avec nous à Libyadou, vous allez voir !
07:19 - Je pense que les gens savent très bien qu'effectivement,
07:22 c'est problématique d'être noir en France.
07:24 - Vous-même, vous êtes encore contrôlé ou pas ?
07:25 Ou vous avez l'impression d'être encore discriminé ?
07:27 Avec votre statut, avec votre notoriété ?
07:29 - Ça dépend si on me reconnaît.
07:31 Je pourrais vous raconter des épisodes, que ce soit avec ma femme, mes enfants.
07:36 Si on ne me reconnaît pas, on voit un noir,
07:39 donc parfois il y a certains préjugés, voilà.
07:42 Malheureusement.
07:43 - Malheureusement, et c'est vrai que c'est important de vous entendre le dire,
07:47 il y a plusieurs figures dans ce livre.
07:49 Il y a des figures héroïques, il y a de très grandes personnalités, évidemment.
07:53 Et puis, il y a ceux dont vous êtes un grand spécialiste, Pascal Blanchard.
07:57 Vous aviez co-écrit un livre qui avait fait date sur les zoos humains,
08:01 et c'est intéressant de voir, croiser vos regards sur ces phénomènes
08:08 qui paraissent absolument fous aujourd'hui.
08:10 Vous, Lilian, c'est grâce à votre coéquipier de l'équipe de France,
08:13 c'est grâce à Christian Carambeu que vous avez découvert l'existence des zoos humains.
08:18 Il y a l'histoire d'Otta Benga, pygmée originaire de l'ancien Congo belge.
08:23 Vous pouvez nous le raconter ?
08:25 - Écoutez, encore une fois, Otta Benga, c'est un personnage qui explique
08:30 comment le racisme s'est banalisé.
08:33 D'ailleurs, il y a quelques années avec Pascal,
08:35 nous avons fait une exposition au musée du Quai Branly.
08:37 C'est-à-dire qu'il faut savoir que la grande majorité des populations blanches en Europe
08:42 ont été voir des personnes qui venaient d'Afrique, d'Asie, d'Océanie, dans des zoos.
08:47 Donc ça veut dire qu'on leur disait que c'était des sauvages.
08:49 Ils repartaient de cela en étant persuadés qu'ils avaient vu des sauvages.
08:56 - Au jardin d'acclimatation, par exemple.
08:58 - Exactement. Et donc voilà pourquoi il faut de la pédagogie pour expliquer
09:01 qu'effectivement, le racisme d'aujourd'hui, en fait, il y a une histoire.
09:05 - Otta Benga qui a terminé sa vie dans un zoo d'ailleurs.
09:08 - Zoo de New York.
09:09 - Un New York, dans le Bronx.
09:10 - Exactement, et qui deviendra une bête de foire, avec la photo.
09:13 D'ailleurs, on le voyait avec un singe, il était présenté avec la photo.
09:15 - Avec un ouvrant goûtant.
09:16 - Exactement. Et on a même été beaucoup plus loin, puisqu'on va bientôt avoir
09:18 les Jeux Olympiques en France.
09:20 On lui a demandé de participer aux Jeux Olympiques de Saint-Louis,
09:23 faire des épreuves pour démontrer que les Jeux ne devaient pas être ouverts,
09:26 et le sport ne devait pas être ouvert aux Noirs, aux Arabes, aux Indiens, aux Mexicains.
09:29 Il devait rester un sport de blanc.
09:31 C'est assez ironique quand on regarde l'histoire d'après,
09:33 et quand on voit la bêtise du temps.
09:34 Parce que c'est aussi ça qu'il faut savoir déconstruire.
09:37 Le racisme est aussi souvent fondé sur de la bêtise d'une époque.
09:40 Et cette distance qu'on peut avoir aujourd'hui nous permet de déconstruire.
09:43 - Question de Gérard, qui nous rejoint ici dans le Grand Entretien Inter.
09:47 Bonjour Gérard.
09:48 - Bonjour. Éventuellement une question.
09:51 Merci de m'accueillir déjà pour France Inter.
09:54 - Vous êtes le bienvenu.
09:55 - Est-ce que l'humour peut être une réponse à une agression raciste ?
10:00 Je pense à Guy Bedos et on n'aime pas les Arabes,
10:03 on n'a plus de boulanger dans notre village.
10:05 - Alors la blague date un peu, mais...
10:07 - Écoutez, alors moi je pense au contraire que très souvent,
10:10 l'humour consolide dans la société le racisme.
10:14 - Comment ça ?
10:15 - Très souvent vous allez voir que les blagues, les voleurs c'est toujours les mêmes.
10:19 - Ne me regardez pas !
10:22 - Ceux qui sont très peu intelligents c'est toujours les mêmes.
10:26 Ceux qui ont de l'argent c'est toujours les mêmes.
10:28 Donc ce serait intéressant aussi d'analyser le racisme
10:31 pour voir qu'à travers les blagues, effectivement,
10:34 nous avons tendance à reproduire des schémas de racisme.
10:37 - Mais là-dessus vous n'avez pas l'air d'accord Pascal.
10:39 - Non, l'humour peut aussi avoir un moment...
10:41 Mais par qui ? Qui peut se permettre de faire de l'humour sur la question ?
10:44 Si on avait Michel Leib avec nous, on pourrait avoir un débat très intéressant.
10:47 - Passionnant !
10:49 - Mais on voit bien qu'on peut aussi regarder Zaddy,
10:51 le film qu'il a fait, il a réussi à en tourner en dérision des sujets que...
10:54 - Jean-Pascal Zaddy.
10:55 - ... qu'on ne pourrait pas.
10:56 Et il a été très très loin.
10:57 - Tout simplement noir.
10:58 - Et en plus Lilian est dans le film, donc il peut vous en parler directement.
11:01 Et Lilian fait très fort dans le film d'ailleurs,
11:03 par rapport à être capable d'arriver à avoir même de la dérision sur certains sujets.
11:06 Donc ça dépend qui le fait, comment on le fait,
11:08 avec quelle chance.
11:09 - Et c'est vrai qu'il est génial Jean-Pascal Zaddy.
11:10 En l'occurrence il a plein de tournages d'ailleurs de son deuxième film.
11:13 Vous allez y jouer ?
11:14 - Ah bah écoutez, je ne sais pas, je n'ai pas été invité.
11:17 - Bah écoutez !
11:18 Ça devrait arriver.
11:21 Il y a dans le livre plusieurs figures et j'aimerais qu'on entende un son.
11:24 - Et j'ai toujours demandé à ma mère, pourquoi tout est blanc ?
11:28 Pourquoi Jésus est blond avec les yeux bleus ?
11:31 Pourquoi dans la scène ils sont tous blancs ?
11:34 Les anges sont blancs ?
11:36 Marie ?
11:38 Les anges ?
11:40 Maman quand on aura, on ira au paradis ?
11:43 Elle m'a dit "Bien sûr !"
11:44 Et je lui ai dit "Et qu'est-ce qui est arrivé à tous les anges noirs quand ils ont pu les photos ?"
11:47 Tout était blanc.
11:50 Et même le président vit dans la maison blanche.
11:52 - Vous avez reconnu ?
11:54 Voilà exactement.
11:56 - Il fait des gestes de la boxe.
11:58 - Vous avez fait un geste de boxeur.
12:00 C'est Mohamed Ali.
12:01 - Certains Mohamed Ali.
12:02 - Voilà.
12:03 - Et quelle photo avez-vous choisi pour illustrer Mohamed Ali ?
12:06 - Je vais ?
12:07 - Oui, vas-y.
12:08 - Le bandeau sur la bouche.
12:09 - Ah !
12:10 - Il symbolise à la fois la censure, on lui interdit un moment un badge qui doit avoir lieu aux Etats-Unis,
12:16 donc il va devoir le faire au Canada.
12:17 Et même au Canada il va être interdit.
12:19 Et la manière plutôt que de prendre la parole dans une conférence de presse,
12:21 ce qu'il va quand même faire après, mais le symbole que vous retenez dans les journalistes,
12:24 c'est "Je n'ai pas le droit de parler, je suis boycotté, on m'empêche"
12:27 et ça devient un symbole mondial et notamment pour les afro-américains.
12:30 Et l'image elle est aussi d'une beauté incroyable.
12:32 - Mohamed Ali, c'est 1963 là aussi.
12:34 - Pardon, des images, il y en a qui sont très fortes dans votre livre.
12:37 C'est pour ça que c'était important aussi de ressortir une édition avec des images,
12:40 parce qu'au départ il n'y en avait pas.
12:41 - Oui, c'est pas la même chose.
12:42 - Vous en avez une qui vous a marqué particulièrement, que vous préférez ?
12:46 - Il me l'a piqué, c'est Mohamed Ali.
12:47 - Ah !
12:48 - J'aime beaucoup, vous parliez d'Ottawa Banga tout à l'heure, la photographie aussi on le voit,
12:51 avec les autres pygmées qui sont exhibés aux Jeux Olympiques
12:54 et à l'exposition universelle de 1904 que je trouve assez belle.
12:57 Non, parce que c'est... Si, Al Broan, j'aime beaucoup cette photo de ce boxeur qui a été un peu oublié,
13:02 qui était l'ami de Cocteau, qui est l'une des grandes stars noires de l'entre-deux-guerres,
13:07 qui est aussi quelque part quelqu'un qui est dans, on pourrait presque l'imaginer dans la Fashion Week aujourd'hui,
13:11 parce que c'était quelqu'un qui était d'une branchitude incroyable et en même temps d'une liberté totale.
13:16 J'aime bien cette photo où vous le voyez boxer avec, il était complètement fluet
13:19 et en même temps c'est un des plus grands boxeurs du monde.
13:21 - Il est en Turam ?
13:22 - Ce qui est très intéressant, c'est qu'effectivement Pascal parle des athlètes
13:26 et moi, lorsqu'on faisait les choix des photos, c'est que moi je voulais voir les personnes qui violentaient les noirs.
13:33 - Ah oui ?
13:34 - Ah oui, ça c'est très important, c'est-à-dire qu'effectivement, lorsqu'on parle de Martin Luther King, de Nelson Mandela,
13:39 en fait, on les met en super-héros, mais on parle jamais des personnes qui les violentent en face.
13:45 Et moi, il y a une photo justement en Afrique du Sud, où il y a des jeunes garçons, jeunes filles,
13:51 avec un drapeau qui ressemble au drapeau nazi, c'est juste d'une violence totale.
13:57 Et moi je pense qu'effectivement, dans ce livre, les photos sont juste incroyables,
14:03 parce que vous n'avez pas besoin de texte, il faut juste les regarder et vous voyez la violence de l'époque.
14:08 - Il y a aussi les dessins, les schémas, on voit ce dessin qui compare une personne de couleur noire à un singe en fait.
14:15 - Exactement, par les images on comprend très rapidement, effectivement, la construction
14:20 et aussi l'idéologie politique qu'il y a derrière le racisme.
14:24 - Vous parliez, on va prendre tout de suite Pierre Austandard, mais vous parliez Lilian Thuram, justement,
14:29 de ceux qui ont été victimes du racisme, et c'est vrai que quand je parlais tout à l'heure des anonymes,
14:33 vous restituez un nom et vous restituez l'histoire, à des pendus par exemple,
14:38 pendant la ségrégation aux Etats-Unis par le Ku Klux Klan, on voit effectivement des images de racisme et de haine et de colère.
14:46 - Et de sourire.
14:47 - Et de sourire.
14:48 - Les visiteurs, de ceux qui regardent, parce qu'ils sont invités au lynchage, des fois c'était 3, 4, 5, 6 000 personnes.
14:54 - C'est un spectacle.
14:55 - Bien sûr, c'est un spectacle de l'Amérique, c'est à la fois une bouffée sociale, d'un seul coup l'Amérique libère son racisme,
14:59 mais en même temps, les gens viennent, ils sont invités, ils font des photos, ils repartent avec le souvenir de l'image.
15:04 - En carte postale.
15:05 - Non on n'y croit pas, en carte postale, les gens sont tétanisés, on se dit aujourd'hui, mais comment un être humain
15:10 peut aller voir un autre être humain se tétaniser ?
15:12 - En famille.
15:13 - On va pique-niquer, on emmène le pique-nique parce que l'horaire est posé, on vient 5, 6 heures avant.
15:18 Et là on se dit, ok, l'Amérique a été aussi fondée sur ça.
15:22 Et on ne peut pas ne pas le regarder en face, parce que c'est là où on regarde le combat dont on parlait tout à l'heure sur le temps long.
15:27 Car c'est des combats qui s'inscrivent sur le temps long, et l'histoire du lynchage aux Etats-Unis, c'est plus de 5 000 morts,
15:32 et c'est une histoire gravée dans l'histoire, c'est le cas de le lire, des étoiles et des bandeaux de l'Amérique.
15:36 - Bonjour Pierre, bienvenue dans le Grand Entretien de France Inter avec Pascal Blanchard et Lilian Thuram.
15:42 - Oui, bonjour, bonjour et je vous remercie.
15:44 Alors moi je suis enseignant d'éducation physique, et j'ai été très marqué par une réflexion de Lilian Thuram,
15:51 disant que le but au fond de l'éducation, que ce soit physique ou ailleurs,
15:56 c'était d'être capable de développer l'estime de soi auprès d'enfants et d'adolescents.
16:01 Et je trouve que c'est assez extraordinaire, parce que ça pose des questions de contenu, mais aussi d'organisation de l'éducation.
16:08 Et il faudrait pouvoir transmettre aux enseignants cette idée,
16:13 mais aussi à tous les gens qui sont susceptibles d'organiser l'éducation.
16:17 Et ça passe par l'autonomie, ça passe par la prise de risque au niveau des enseignants.
16:22 Et voilà, j'ai trouvé que cette remarque était fondamentale dans notre métier. Merci Lillian.
16:28 - Merci Pierre. - Ecoutez, tout d'abord je vous remercie.
16:32 Effectivement lorsqu'on parle du racisme, il ne faut pas oublier que c'est du harcèlement en fait.
16:36 Moi, lorsque j'étais jeune enfant, je suis arrivé à 9 ans à Paris et que des enfants m'insultent de salle noire, c'est de harcèlement.
16:44 Et c'est pour cela que c'est un vrai problème et qu'il faut éduquer, que ce soit les professeurs, que ce soit les adultes,
16:51 à comprendre le mécanisme du racisme. Et lorsque je mets les images de mes enfants, depuis qu'ils sont petits, je leur dis,
16:58 voilà, il est très important de comprendre que ce n'est pas vous qui avez un problème, mais ce sont les racistes.
17:04 Pourquoi ? Pour qu'ils puissent développer une bonne estime d'eux-mêmes. Et donc voilà pourquoi je pense qu'il est fondamental d'enrichir
17:10 ces connaissances, d'enrichir ces savoirs, pour comprendre la problématique d'aujourd'hui, pour pouvoir la dépasser tous ensemble intelligemment.
17:17 - Et votre livre aussi, "Enrichir l'estime de soi", ça passe par ces modèles que vous dessinez, que vous montrez.
17:22 Mais est-ce qu'il ne faut pas aller en fait plus loin que ça ? On parlait d'un musée tout à l'heure, mais par exemple,
17:26 pour donner une place aux femmes qui ont longtemps été considérées comme une minorité, il y a eu des contraintes.
17:30 Il y a eu la parité en politique, il y a eu des contraintes dans les instances dirigeantes des entreprises, des quotas.
17:35 Est-ce qu'il faut de l'affirmative action, faire la même chose pour les personnes de couleur finalement ?
17:39 - Pour les personnes noires. - Les personnes noires, exclusivement.
17:42 - Ou non blanches. - Ou non blanches, parce que quand on dit couleur, on a l'impression que...
17:45 - Oui c'est vrai, le blanc est une couleur, je ne sais pas si le blanc est vraiment une couleur, ni le noir, c'est très compliqué.
17:50 - Non mais moi je reste persuadé, bien sûr qu'il faut mettre des choses en place comme on a mis des choses en place pour les femmes.
17:57 Mais encore une fois, c'est beaucoup plus difficile d'y penser.
18:02 Parce qu'en règle générale, vous avez une fille, vous avez une femme, donc c'est tout à fait logique que vous compreniez qu'il faut faire quelque chose.
18:09 - Ça a mis du temps quand même. - Oui, mais on y arrive.
18:11 Mais aujourd'hui malheureusement, je pense que, bien sûr c'est une évidence, mais moi je suis un homme noir, donc pour moi c'est une évidence.
18:17 - Et il y a quelque chose qui est relevé de l'évidence aussi pour l'une des personnes, alors qui est assez étonnante,
18:22 dont la présence peut étonner en tout cas dans le livre, c'est un immense rappeur, un immense chanteur, Tupac Shakur.
18:29 Dear Mama, qu'est-ce qu'il représente pour vous Tupac Shakur, alors que c'est l'un des représentants du gangsta rap ?
18:40 On vient d'apprendre d'ailleurs qu'un ex-chef de gang a été inculpé vendredi aux Etats-Unis, soupçonné d'avoir tué Tupac il y a 27 ans.
18:47 Vous dites que la violence de Tupac, c'est le reflet du milieu dans lequel il a vécu ?
18:53 - Moi je pense que déjà le rap, c'est aussi un discours pour dénoncer les violences d'une société.
19:01 La violence que se font aux Etats-Unis les jeunes noirs est liée aussi à la violence qu'ils subissent depuis des générations et générations.
19:12 Et je pense qu'ils ont intériorisé cette violence.
19:15 - Pascal Blanchard ?
19:17 - Oui, en même temps le rap est devenu certainement l'espace qui a ouvert le plus de débats depuis une trentaine d'années sur les sujets que la société avait du mal à regarder en face.
19:23 C'est une culture qui est partie justement d'extérieur pour devenir une culture centrale.
19:27 Tous les gamins qui nous entourent, tous les jeunes, tous nos jeunes, ils s'épargnent du rap qu'ils ont appris le débat sur le racisme, qu'on regarde l'histoire coloniale, qu'on regarde l'histoire du combat pour l'égalité.
19:35 Et en fait, la société qui ne fabrique pas des musées, le rap a apporté tous ces débats.
19:40 Et ce sont des débats sociétaux. Les jeunes de moins de 25 ans qu'on rencontre, ils comprennent parfaitement ce qu'on leur raconte.
19:46 - Oui, ils comprennent parfaitement. Mais qu'est-ce que vous répondez à ceux qui vous disent "oui mais vous oubliez l'universalisme républicain, bande de wokes".
19:53 - Ah ben je l'ai oublié. J'ai pas oublié, attendez, parce que je suis un gros républicain.
19:57 - Vous savez, moi je pense que tout est une question de point de vue.
20:00 Vous voyez, très souvent, il y a eu des gens qui ont eu la possibilité de raconter une certaine histoire.
20:08 Et donc, ils ne comprennent pas qu'il y a d'autres points de vue.
20:12 Je raconte souvent aux enfants, lorsque je suis dans les écoles, je leur dis "voilà, il y a l'histoire de Christophe Colomb".
20:19 Ils me disent "oui, on connaît, c'est celui qui a découvert l'Amérique".
20:21 Je dis "ben écoutez, on s'imagine être sur le bateau avec lui. Est-ce que vous êtes sur le bateau ? Oui. Est-ce que vous voyez les gens sur la plage ?"
20:28 Et là, il y a silence. Je dis "mais les gens sur la plage ne racontent pas la même histoire. Ils ne disent pas que Christophe Colomb a découvert l'Amérique".
20:35 Donc voilà.
20:37 Et ce sera le mot de la fin et la morale de cette histoire.
20:40 Ça a médité en tout cas et c'est absolument passionnant.
20:42 Mes étoiles noires en images, Lilian Thuram avec Pascal Blanchard.
20:47 Merci infiniment à tous les deux d'avoir fait escale dans le studio de France Inter.
20:52 Vous serez demain ? Non, vendredi prochain, au Rencontre de l'Histoire à Blois.
20:56 Tout à fait.
20:57 Et ben écoutez, bon voyage !

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