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Entretien avec Sébastien Missoffe, patron de Google en France.

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Transcription
00:00 Et mon invité ce samedi est le directeur général de Google en France, une parole rare.
00:05 Bonjour et bienvenue Sébastien Missoff.
00:07 Bonjour Alexandra Bensahid.
00:09 Merci d'avoir choisi On n'arrête pas l'écho pour votre 25e anniversaire,
00:13 une des rares fois où vous vous exprimez.
00:15 On va parler bien sûr de régulation, mais d'abord les chiffres fous du quart de siècle.
00:19 J'ai lu que chaque seconde, 99 000 mots ou expressions sont googlés.
00:24 Votre système d'exploitation Android équiperait 7 à 8 smartphones sur 10 dans le monde.
00:29 Le moteur de recherche Google détiendrait 90% du marché en Europe.
00:34 Bref, les chiffres montrent un succès incroyable.
00:36 Et pourtant, dans ce quart de siècle, il y a eu plein de morts dans le numérique.
00:40 Il y a eu Napster, MySpace.
00:41 À votre avis Sébastien Missoff, qu'est-ce qui fait que Google est encore là ?
00:47 Grande question.
00:49 Alors d'abord, la première chose, c'est que je crois qu'on se réveille tous les matins
00:52 en se rappelant que le succès n'est jamais acquis.
00:56 Et c'est vraiment un des points les plus importants.
00:58 Il y a trois éléments qui sont au cœur du succès de Google depuis 25 ans.
01:03 J'ai eu la chance de rejoindre Google il y a un peu plus de 17 ans et donc vraiment
01:06 d'observer ces trois points.
01:08 Le premier, c'est l'innovation.
01:10 On est vraiment dans une culture sportive de haut niveau.
01:13 Comme le dit David Douillet, on se réveille tous les matins avec la victoire d'hier
01:17 à se dire il va falloir se réinventer.
01:18 Les utilisations changent, il y a de plus en plus de concurrence et il faut innover.
01:23 Et tous les jours, on innove.
01:24 Si vous voyez les 25 dernières années du moteur de recherche qui a commencé avec une
01:28 barre blanche sur un ordinateur, a évolué avec des images, avec du son, avec la voix
01:33 sur les téléphones portables.
01:35 Beaucoup d'innovation.
01:36 Et on va en parler, ne vous inquiétez pas, on va avoir le temps de parler un peu d'intelligence
01:39 artificielle.
01:40 Deuxième élément, c'est de continuer à se poser des questions.
01:42 Quand on se posait la question de comment aller d'un endroit à un autre, combien
01:46 de temps on va mettre, on commence à créer Google Maps, on commence à se poser les questions,
01:49 à construire les algorithmes qui vont réussir à identifier le trafic, le temps, répondre
01:54 à toutes ces questions.
01:55 Et donc en permanence, cette culture de s'émerveiller, de se poser des questions qui est absolument
02:00 importante.
02:01 Et puis le troisième élément qui est important, c'est qu'on est, vous l'avez évoqué,
02:05 dans des périodes avec une inflexion extraordinaire autour de l'intelligence artificielle.
02:09 On en a vu plusieurs depuis 25 ans.
02:11 On l'a vu avec l'arrivée des téléphones portables, l'arrivée d'Internet.
02:14 Et je pense que les qualités de leadership sont plus importantes que jamais.
02:18 Ces qualités de leadership, c'est d'être capable.
02:20 - C'est quoi ? C'est Sundar Pichai ? C'est votre PDG ? C'est celui qui impulse ? C'est
02:24 ça dont vous parlez ?
02:25 - Oui, c'est Sundar Pichai.
02:26 Mais c'est aussi, dans toutes les équipes, des qualités de leadership où il faut plusieurs
02:29 choses.
02:30 Il faut être capable d'écouter les peurs initiales dans ces périodes de transformation
02:35 et de les transformer en envie de comprendre, en envie d'agir.
02:39 Et donc cette dimension est absolument importante car en permanence, on évolue.
02:43 Il faut faire évoluer les organisations et ce leadership est capital.
02:46 - Bien, alors on va en parler des peurs.
02:48 Parce que justement, en ce moment, Washington et Bruxelles se réveillent.
02:53 On l'a entendu, il n'y a pas que vous, il y a tous les géants de la tech, Apple, Amazon,
02:58 Meta, Microsoft et tous les autres.
03:00 Les régulateurs veulent vous encadrer après 30 ans de liberté, d'innovation, de développement
03:04 tous azimuts.
03:05 Ça, comment est-ce que vous le prenez ? C'est une nouvelle ère ? C'est vraiment quelque
03:09 chose qui change la règle du jeu ?
03:12 - Alors vous l'avez évoqué, beaucoup de ces textes, beaucoup de ces directives ont
03:15 plus de 30 ans, n'étaient absolument pas adaptés aux enjeux d'Internet.
03:19 Donc c'est une excellente nouvelle.
03:21 - La régulation est une excellente nouvelle ?
03:23 - La régulation est une excellente nouvelle.
03:24 Nous sommes 100% alignés.
03:26 Pourquoi ? C'est une excellente nouvelle.
03:27 - Pourquoi oui ?
03:28 - Puisqu'elle va rendre Internet plus sûr, plus transparent, plus responsable.
03:31 Et à partir du moment où on a des règles, des règles claires, on avance plus vite,
03:35 ce sont les mêmes règles pour tout le monde et nous permet d'avancer beaucoup plus vite.
03:38 Donc ça donne un cadre précis et c'est une excellente nouvelle.
03:41 - Mais quand même, par exemple le DMA, ça c'est le texte sur la concurrence, l'ouverture
03:45 à la concurrence.
03:46 Et on sait bien que pendant ce quart de siècle aussi, si les mastodontes se sont développés,
03:53 c'est parce qu'ils ont su aussi peut-être écarter la concurrence avec leur poids.
03:59 L'ouverture à la concurrence, est-ce que ce n'est pas avec des règles ? Est-ce que
04:04 ce n'est pas un risque pour le chiffre d'affaires ? Parce que vous, par exemple, chez Google,
04:07 80% de vos revenus, c'est la pub en ligne tirée du fait que c'est vous qui avez le
04:12 maximum de données les plus précises.
04:14 Est-ce que ça va avoir un impact ? Est-ce que vous êtes inquiet pour le chiffre d'affaires ?
04:19 - Sur le sujet de la concurrence, d'abord, ce n'est pas nouveau.
04:22 Depuis toujours, il y a de la concurrence, il y a de plus en plus de concurrence.
04:26 Aujourd'hui, si vous voulez faire une recherche, on voit qu'aux Etats-Unis, 60% des recherches,
04:31 quand on veut acheter quelque chose, commencent sur Amazon.
04:33 Ma fille de 13 ans fait ses recherches de restaurants sur TikTok.
04:37 Il y a de plus en plus d'usages et il n'y a jamais eu autant de concurrence et ça continue
04:42 à se développer.
04:43 Sur le sujet du DMA dont vous parliez, on n'a pas attendu la régulation.
04:47 Si vous achetez demain un téléphone Android, vous ouvrez votre écran, vous avez le choix
04:51 entre plusieurs navigateurs, vous avez le choix entre plusieurs moteurs de recherche.
04:55 Les utilisateurs ont le choix, personne n'est obligé et donc on va absolument continuer
05:00 dans cette direction.
05:01 La raison pour laquelle on utilise Google et on veut être utilisé, c'est parce qu'on
05:05 est aimé, parce qu'on apporte les meilleurs résultats et ça reste notre seule ambition.
05:09 - Donc pas d'ouverture, pas d'inquiétude par rapport à cette ouverture.
05:14 Ces textes, vous dites finalement, on les a devancés.
05:17 Mais alors qu'est-ce que ça va changer en un terme ? Parce qu'on entend qu'il y a beaucoup
05:20 d'obligations quand même.
05:21 Il y a des choses très très précises.
05:22 Il y a eu beaucoup de lobbying tous ces derniers mois.
05:24 En ce moment, c'est en train de se mettre en place.
05:25 Comment est-ce que vous vous organisez ? Qu'est-ce qui bouge ?
05:28 - Alors, vous parliez du DMA.
05:30 Le DMA, il y a deux semaines, début septembre, on a reçu les informations sur quelles étaient
05:35 les plateformes qui étaient concernées.
05:36 - Vous vous doutiez un peu, vous étiez dedans quand même.
05:38 - Vous savez qu'on était dedans.
05:39 Et on a jusqu'au 6 mars 2024 pour mettre en place toutes les demandes qui sont faites
05:44 aujourd'hui dans le cadre de ces directives en travaillant avec la communauté européenne.
05:49 Alors, c'est des défis technologiques très importants régulièrement de voir comment
05:53 vont s'intégrer nos différents produits.
05:55 C'est un des projets qui mobilise le plus les équipes de Google depuis que je suis arrivé.
05:59 Donc, c'est énormément de travail en effet, maintenant qu'on a ces éléments, pour faire
06:04 en sorte qu'on soit prêt pour cette mise en place pour le 6 mars.
06:07 Donc oui, c'est un changement important, mais on est aligné sur le principe et on
06:11 avait commencé à travailler sur beaucoup de ces sujets.
06:13 - Allez, Sébastien Mistoff, on passe à présent au projet aux 25 prochaines années et en
06:17 particulier à l'intelligence artificielle.
06:19 Depuis que Chad Juppity a été dévoilé, il y a tout le temps des annonces des géants
06:24 de la tech sur des produits d'intelligence artificielle.
06:26 On a l'impression que c'est la course pour trouver ce qui sera quelque part le nouvel
06:30 iPhone.
06:31 Est-ce que c'est comme ça que vous le vivez ? C'est un moment iPhone ?
06:33 - Pas vraiment.
06:35 Je pense que d'abord, en effet, on ouvre tous les jours la presse et on voit tous
06:39 les jours des annonces différentes autour de l'intelligence artificielle.
06:41 Dans le cas de Google, vous en parliez tout à l'heure sur ce qui a fait notre succès.
06:45 La seule chose qui nous intéresse, c'est de voir dans quelle mesure on va pouvoir utiliser
06:49 l'intelligence artificielle pour améliorer nos produits et répondre à des problèmes
06:53 de société.
06:54 Quand vous êtes sur Google Photos et que vous avez une photo de vacances avec quelqu'un
06:58 qui est derrière votre fille, vous pouvez en quelques secondes effacer cette personne,
07:04 utiliser cette intelligence artificielle pour améliorer la photo.
07:07 Je l'ai évoqué tout à l'heure, sur Google Maps, aujourd'hui, vous êtes capable de
07:11 remonter une rue, de non seulement voir le chemin, mais de voir en trois dimensions cette
07:15 route.
07:16 Donc on voit aujourd'hui combien l'intelligence artificielle nous permet d'améliorer tous
07:21 nos produits.
07:22 - Mais vous n'avez pas le sentiment, est-ce que la Silicon Valley n'est pas en train
07:24 de se dire, mais là il y a quelque chose qui va arriver et qui va être comme l'iPhone.
07:28 Vous m'avez dit non, pas vraiment.
07:29 Il n'y a pas une effervescence particulière ?
07:31 - Oui, absolument.
07:32 Sur le point d'inflexion, j'ai la conviction absolue qu'on est dans un point d'inflexion
07:35 avec l'intelligence artificielle.
07:37 Ma réaction était par rapport aux annonces.
07:39 Je pense qu'on ne se concentre pas sur les annonces, on se concentre vraiment sur comment
07:42 ça va être utilisé et comment on va réussir à l'intégrer pour que ça ait une valeur
07:46 ajoutée aujourd'hui sur les utilisateurs.
07:48 Il y a quelques semaines, on a annoncé sur l'intelligence artificielle quelque chose
07:52 qui paraissait incroyable.
07:55 C'est qu'on est capable aujourd'hui, vous êtes dans une réunion, on prend les notes
08:00 de la réunion et à la fin, avec cette intelligence artificielle générative, d'avoir le résumé,
08:07 d'avoir les points d'action et donc de contribuer à nous aider sur cette rédaction.
08:10 - Alors Sébastien Milchsof, dès le début de l'interview, vous avez dit mais il faut
08:13 aussi adresser les peurs.
08:15 On va parler des peurs, il y a des grandes questions, l'impact sur l'emploi par exemple.
08:19 Et même les journalistes, il paraît que vous avez proposé au New York Times et au
08:23 Washington Post un logiciel qui écrit des articles.
08:25 Nous en France, il y a quelques jours, on a eu un plan social, 200 personnes remplacées
08:32 par un logiciel intelligent.
08:33 Comment on voit ça chez Google ? Comment vous voyez ça ? Est-ce que le solde sera
08:38 positif ou négatif entre les destructions d'emploi à cause de l'IA et les créations ?
08:43 - Alors dans les moments d'inflexion, il faut continuer à rêver, il faut continuer à
08:48 être sûr d'écouter ses peurs et de parler des projets parce que c'est comme ça qu'on
08:51 donne envie, c'est comme ça qu'on avance.
08:53 Mais il faut aussi être responsable et si vous nous avez vu avancer un peu moins vite
08:57 que d'autres acteurs depuis quelques mois sur ces sujets-là, c'est qu'on a vraiment
09:00 essayé de trouver l'équilibre.
09:01 - Là vous êtes en train de parler du fait qu'en effet, vous avez sorti Bard, l'intelligence
09:05 artificielle, plus tard que Chachepiti.
09:06 - On l'a sorti en juillet dernier, il y a quelques semaines en France, donc évidemment
09:10 on l'a sorti plus tard.
09:11 Pour moi, il y a trois enjeux particuliers, il y a trois responsabilités, trois inquiétudes
09:15 que je veux particulièrement adresser autour de l'intelligence artificielle.
09:18 Il y a les emplois dont vous avez parlé, il y a le sujet du droit d'auteur qui est
09:22 particulièrement important et le sujet de la désinformation.
09:25 C'est les trois inquiétudes aujourd'hui que je vois et sur lesquelles on travaille
09:28 particulièrement.
09:29 Sur le sujet des emplois, la réalité, pour nous qui l'utilisons tous les jours, c'est
09:34 que ça nous aide, c'est de la productivité, ça n'écrit pas un article.
09:37 Ça vous permet si vous écrivez un article de trois pages de demander de le résumer,
09:42 de changer le format, de l'améliorer.
09:43 De la même façon qu'à la fin des années 70, dans tous les journaux, il y avait une
09:47 salle avec des dactylos qui tapaient à la machine.
09:50 Ensuite, tout le monde le tape sur des logiciels qui corrigent tel mot, tel mot d'orthographe
09:54 et qui avance.
09:55 Donc on est dans la productivité et ce qui avance.
09:57 J'étais sur LinkedIn hier soir, vous tapez Data Scientist, il y a 20 000 rôles ouverts
10:03 sur LinkedIn aujourd'hui.
10:04 C'est des nouveaux métiers dont on va avoir besoin, c'est vrai pour l'intelligence
10:07 artificielle et ça va continuer à l'être.
10:09 Alors vous avez parlé aussi du droit d'auteur, c'est très intéressant parce qu'on a
10:12 vu la révolte des écrivains dont celui de Game of Thrones contre Chad J.
10:17 Parce qu'évidemment, il a besoin de se nourrir cette intelligence et donc elle aspire
10:22 des œuvres, des textes.
10:23 En France, il y a un groupe de parlementaires qui a déjà prévu un texte qui propose
10:27 qu'on ne bride pas les entreprises mais qu'on les contraigne à rémunérer les
10:32 auteurs, les créateurs, les artistes.
10:33 Qu'est-ce que vous en pensez ?
10:34 Google est bien placé pour en parler, on a eu ces discussions, on est un des seuls
10:40 acteurs à avoir avancé sur le sujet des droits voisins, sur le partage de la valeur
10:44 avec les éditeurs de presse.
10:45 On a su avoir des accords avec les auteurs sur la musique et sur un certain nombre de
10:50 partenariats.
10:51 Donc vous pensez que vous allez trouver un accord ?
10:52 Oui, sur le droit d'auteur et dans ce cas-là, sur ce point spécifique, évidemment si
10:56 on utilise des contenus protégés, ça fait partie des engagements sur le droit d'auteur
11:01 et on a fait une annonce hier pour donner la possibilité à chaque site aujourd'hui
11:07 dans le monde de choisir, s'ils veulent ou non, que leur contenu soit utilisé pour
11:11 venir nourrir ces algorithmes qui travaillent sur l'intelligence artificielle.
11:16 Donc de nouveau, ce qui est important, c'est le choix.
11:18 Et une rémunération, qu'est-ce que vous en dites ?
11:20 Si, à partir du moment où on utilise des contenus, il y a des contrats de droit d'auteur
11:24 qui sont signés.
11:25 Sébastien Missoff, le directeur général de Google en France, merci d'avoir accepté
11:30 l'invitation, n'en arrête pas l'écho.

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