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00:00 ...
00:05 L'air de la mer, le plaisir d'être entre soi,
00:09 Palm Beach, en Floride,
00:11 c'est le lieu d'une caste, celle des plus riches.
00:14 ...
00:18 A Palm Beach, on est loin du monde réel
00:21 et de ses turpitudes.
00:22 ...
00:25 Chacun aime acheter, rouler et vivre dans le luxe.
00:29 ...
00:32 Mais les super-riches aussi ont leurs problèmes.
00:36 ...
00:38 A Palm Beach, le 11 décembre 2008,
00:41 est resté gravé dans les mémoires
00:44 comme l'un des pires jours de l'histoire.
00:46 ...
00:50 -Le 11 décembre, tout s'est arrêté.
00:52 ...
00:57 J'étais en train de dîner dans un restaurant de Palm Beach
01:00 ce soir-là.
01:02 A la table d'à côté, un téléphone portable a sonné.
01:05 Puis, à une autre table, un autre téléphone a sonné.
01:09 C'est devenu une mélodie de téléphone portable
01:12 qui a duré une quinzaine de minutes.
01:14 L'homme à côté de moi avait perdu 100 millions de dollars.
01:18 ...
01:20 -100 millions de dollars, oui, 100 millions,
01:23 envolés en un coup de fil.
01:25 -Les investisseurs étaient en état de choc, de panique, de terreur.
01:30 Ils criaient, pleuraient, juraient.
01:32 Ils étaient anéantis.
01:34 C'était le terme que tout le monde employait, "anéanti".
01:38 -Et puis, il y a eu la colère.
01:41 Ces gens ont réalisé qu'ils avaient perdu tout leur argent.
01:45 Ils pensaient avoir investi chez un ami
01:47 car ils considéraient Bernard Madoff comme un ami.
01:50 Ils ne pensaient pas que cet ami les trahirait.
01:53 ...
01:55 -C'est l'histoire d'une fraude financière tentaculaire.
01:59 Personne ne l'avait imaginée.
02:01 Le très discret Bernard Madoff, légende de Wall Street,
02:06 dieu des marchés, a réalisé le casse du siècle.
02:10 ...
02:14 -11 décembre 2008.
02:17 Le grand public découvre Bernard Madoff,
02:20 un des plus grands criminels de l'histoire.
02:23 C'est rare, certains photographes révoltés par le scandale
02:27 vont jusqu'à le bousculer.
02:28 ...
02:32 Madoff vient d'avouer au FBI
02:34 qu'il n'a jamais investi, mais détourné l'argent de ses clients.
02:37 Subitement, il incarne tout ce que la finance peut engendrer
02:41 de pire.
02:42 ...
02:44 ...
02:49 ...
02:55 -Le fonds Madoff était le plus grand fonds d'investissement
02:59 au monde. Il avait atteint la somme délirante
03:02 de 65 milliards de dollars.
03:04 C'est l'équivalent du PIB annuel d'un pays comme la Croatie.
03:08 ...
03:12 ...
03:18 ...
03:24 ...
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03:39 ...
03:42 -A New York, 12 jours à peine après l'arrestation
03:45 de Bernard Madoff, l'histoire dramatique
03:47 d'un grand financier français va faire la une de l'actualité.
03:51 ...
03:55 ...
04:06 -Sur Madison Avenue, dans les luxueux bureaux
04:09 de sa société Access International,
04:11 René Thierry Magon de la Villuchet s'est taillé les veines.
04:15 ...
04:17 C'est une figure de la finance norvégienne.
04:20 Avec son associé Patrick Littet,
04:22 ils avaient investi pas moins de 2 milliards de dollars
04:26 chez Madoff.
04:27 ...
04:29 Hugues Armand de Lille se trouve dans le bureau
04:32 de René Thierry Magon de la Villuchet,
04:34 dont il est l'assistant, au moment précis
04:36 où Madoff reconnaît la fraude.
04:38 ...
04:41 -Tout le staff de la société est debout,
04:44 les bras ballants, bouche ouverte, en train d'observer
04:47 un flash info. Je peux pas m'empêcher
04:49 de tourner la tête vers Thierry pour observer sa réaction.
04:52 Là, je m'aperçois qu'il est lui-même
04:55 dans l'incrédulité la plus totale.
04:57 Il est absolument pétrifié, enfin, tétanisé, en fait.
05:02 ...
05:05 -Les 2 associés français avaient réussi à attirer
05:08 dans ce fameux fonds américain
05:10 de très nombreuses grandes fortunes européennes.
05:13 C'était la French Connection de Bernard Madoff.
05:16 ...
05:19 -Le profil de nos clients, c'était le genre de personnes
05:22 qui prêtent leur nom à des parcs, des boulevards et des avenues.
05:26 C'est un peu la vieille société européenne,
05:29 ces vieilles fortunes de France, de Suisse,
05:32 d'Angleterre, d'Italie.
05:35 Voilà, un petit peu, royauté, haute société,
05:37 vieille banque d'affaires, vieille banque familiale.
05:40 -René-Thierry Magon de la Villuchet avait un gros carnet d'adresses.
05:44 Il avait convaincu Liliane Bettencourt,
05:47 l'héritière de l'empire L'Oréal, d'investir 22 millions d'euros
05:51 dans sa société Access International.
05:54 Il avait tout placé chez Madoff.
05:56 ...
05:58 -C'était le coup magistral de Thierry,
06:00 et je pense que c'est ça qui a scellé les rapports
06:03 entre Thierry et Madoff.
06:06 C'était le fait d'avoir fait entrer la fortune Bettencourt
06:09 dans le fonds Madoff.
06:11 Et le fait de faire investir une grande fortune française
06:14 comme Bettencourt dans ce fonds, c'était un très bon signal
06:17 pour d'autres clients qui ont voulu en bénéficier.
06:20 ...
06:22 -Madoff, une valeur sûre de Wall Street
06:25 pour la fortune des Bettencourt.
06:27 En Europe, de nombreux investisseurs sont persuadés
06:30 que l'affaire est prometteuse. Ils veulent du Madoff.
06:33 Mais après l'arrestation de Bernard Madoff,
06:36 René Thierry Magon de la Villuchet est assailli par les demandes.
06:40 Il va remuer ciel et terre
06:42 pour tenter de récupérer l'argent de ses investisseurs,
06:46 mais c'est un désastre.
06:48 ...
06:50 Depuis Paris, son frère, Bertrand Magon de la Villuchet,
06:54 est persuadé qu'il va refaire surface.
06:56 ...
06:57 -Je l'avais eu au téléphone la veille,
07:00 et ses avocats lui ont confirmé que ses investisseurs n'auraient rien.
07:04 Et c'est ce qui a...
07:08 déclenché, si vous voulez, l'acte.
07:10 -Le fait de se retrouver en face de tous ces gens
07:13 qui avaient tout perdu, lui était confortable ?
07:16 -Oui, en face, ou pas forcément en face,
07:19 mais enfin, objectivement, ils avaient tout perdu.
07:22 -Et ils s'en sentaient responsables.
07:25 -Oui, et ils s'en sentaient responsables, absolument.
07:28 Dans la mesure où il a estimé
07:30 que lui avait entraîné des gens dans cette aventure,
07:33 il en était responsable,
07:34 et que c'était une question d'honneur, bien sûr.
07:37 Musique sombre
07:39 -René-Thierry Magon de la Villuchet
07:41 aurait laissé toute sa fortune dans l'aventure Madoff.
07:44 Il y avait aussi entraîné toute sa famille.
07:47 ...
07:50 -Mon frère n'était pas foilier.
07:52 S'il avait pensé que Madoff était un escroc,
07:55 instantanément, il aurait, un, retiré son argent,
08:00 deux, fait retirer l'argent de ses investisseurs,
08:03 et trois, éventuellement, celui de son frère.
08:06 Non, bien entendu, il n'était pas au courant.
08:08 Musique douce
08:11 -Le fonds Madoff, toutes les grandes stars aussi en voulaient.
08:14 A Hollywood, Steven Spielberg, John Malkovich
08:17 ou Kevin Bacon lui avaient confié des millions.
08:20 A New York, Elie Wiesel, prix Nobel de la paix
08:23 et sa fondation dédiée à la mémoire de la Shoah,
08:26 y avait placé tout son budget, 15 millions de dollars.
08:29 ...
08:32 Le bruit courait la planète.
08:33 Le fonds Madoff était ce qu'il y avait de plus rentable
08:36 et surtout de moins risqué.
08:38 L'investissement rêvé.
08:40 Au Royaume-Uni, en France, en Amérique latine,
08:43 aux Etats-Unis, 13 500 investisseurs
08:45 avaient placé leur fortune chez Madoff.
08:48 Ils pensaient tous gagner plus,
08:50 encore plus.
08:52 ...
08:54 -Tout le monde pensait que Madoff était un génie,
08:57 le meilleur financier au monde.
08:59 -C'était un magicien à Wall Street.
09:03 Il faisait fructifier votre argent
09:05 et avec lui, vous ne perdiez jamais.
09:08 Les investisseurs le considéraient vraiment
09:10 comme un maître du marché.
09:14 ...
09:16 -Sa réputation de génie de la finance,
09:19 Bernard Madoff l'a forgée à partir de 1990,
09:22 lorsqu'il prend la tête du fameux Nasdaq.
09:25 Au début des années 80, le Nasdaq était la bourse
09:28 dédiée aux start-up américaines innovantes
09:31 comme Microsoft, Intel ou Apple.
09:34 Aujourd'hui, près de 3 500 sociétés
09:36 sont cotées au Nasdaq.
09:38 Sous la présidence de Madoff,
09:41 le Nasdaq connaît une révolution technologique.
09:44 Finis les traders déchaînés qui hurlent le bras en l'air,
09:48 tout se fait désormais par ordinateur.
09:50 Grâce à Madoff, le Nasdaq devient
09:52 le plus vaste marché électronique d'action au monde.
09:55 Les transactions qui s'effectuent en un claquement de doigts
09:59 grâce à l'informatique, les marchés financiers d'aujourd'hui,
10:02 c'est Bernard Madoff.
10:04 -Il a vu que l'avenir serait du côté des ordinateurs.
10:10 A l'époque, beaucoup pensaient que c'était stupide
10:13 et disaient que les transactions ne seront jamais informatisées
10:16 par les salles de marché.
10:18 -Lorsqu'il quitte le Nasdaq en 1993,
10:23 Bernard Madoff installe ses bureaux
10:25 dans cet immeuble de Manhattan, le Lipstick Building.
10:29 Il y développe une société de trading.
10:32 200 employés échangent chaque jour pour lui
10:35 des millions de dollars en actions
10:38 sur les marchés financiers du monde entier.
10:41 ...
10:45 -Il avait le plus grand volume d'opérations financières au monde,
10:50 plus important que Goldman Sachs, par exemple.
10:55 Madoff représentait 10 % du volume quotidien
10:59 de la bourse de New York.
11:00 C'était énorme.
11:02 Il avait 200 employés.
11:05 188 ne travaillaient que sur de vraies opérations de transactions,
11:09 totalement légales.
11:11 Les 12 autres s'occupaient, eux, de l'activité frauduleuse,
11:16 celle de conseiller financier.
11:18 ...
11:22 -Bernard Madoff ouvre en secret une seconde société,
11:26 un hedge fund, un fonds d'investissement spéculatif.
11:29 Il sélectionne scrupuleusement parmi ses plus riches clients
11:33 et promet des revenus incroyablement stables
11:36 de 10 à 12 % par an.
11:38 Certaines années, d'autres fonds offrent de meilleurs rendements
11:42 allant jusqu'à 20 ou même 25 %.
11:45 Madoff est le seul à garantir des revenus totalement étrangers
11:48 aux fluctuations des marchés.
11:50 Il n'a jamais d'années négatives.
11:52 C'est une première mondiale.
11:54 ...
11:57 A New York, parmi les nombreux concurrents de Madoff,
12:01 Martin Gruss a toujours été étonné par ses résultats ahurissants.
12:06 -Je suis un investisseur professionnel.
12:10 Dans ce domaine, j'ai appris que si quelque chose
12:14 paraît trop beau pour être vrai, c'est que c'est trop beau.
12:18 Sur le papier, les retours sur investissement de Madoff
12:21 étaient incroyables.
12:23 Bien sûr, il n'y avait pas de retours sur investissement,
12:26 puisqu'il n'investissait pas du tout.
12:29 ...
12:32 -La société légale de Bernard Madoff
12:35 est installée au 18e et 19e étage du Lipstick Building.
12:39 Un étage plus bas, au 17e,
12:42 l'accès est limité à quelques complices.
12:44 Le prétendu fonds d'investissement
12:46 n'est en fait qu'une simple pyramide de Ponzi,
12:49 du nom de l'escroc italien Charles Ponzi.
12:52 ...
12:55 Ponzi avait englouti l'argent de toute la communauté italienne
12:59 dans le Boston des années 20,
13:00 en faisant croire à des placements miracles.
13:03 ...
13:05 Dans une pyramide de Ponzi,
13:07 l'escroc ne place pas l'argent des investisseurs,
13:10 il n'y a pas de business.
13:12 Les fonds des nouveaux clients
13:14 servent à payer les intérêts des anciens clients.
13:17 Ils servent aussi à rembourser ceux qui veulent récupérer leur mise.
13:20 Au passage, l'escroc garde une partie de l'argent pour lui.
13:24 Pour que la pyramide fonctionne,
13:26 le fraudeur doit attirer de nouveaux investisseurs.
13:30 Tout est basé sur la confiance et la réputation de son auteur.
13:33 Et cela, Madoff l'avait bien compris.
13:36 L'une des rares à qui Madoff accepte de parler depuis sa prison,
13:40 c'est Diana Henricus.
13:41 -La première société de Bernard Madoff,
13:45 celle qui faisait du trading, était irréprochable.
13:49 Au milieu des années 90,
13:51 un scandale a explosé au marché du Nasdaq.
13:54 C'était un arrangement secret entre traders
13:57 pour contrôler les taux d'intérêt.
13:59 Des dizaines de traders étaient impliqués.
14:02 Aucun d'entre eux ne travaillait pour Madoff.
14:06 C'était l'une des plus grandes magouilles de l'histoire,
14:09 et Madoff était blanc comme neige.
14:12 Si vous ne saviez pas qu'il gérait cette pyramide de Ponzi,
14:16 vous vous disiez "Mon Dieu, Bernard Madoff,
14:20 le seul homme honnête à Wall Street".
14:22 Bernie Madoff.
14:23 -Bernard Madoff est un manipulateur hors du commu.
14:29 Tout au long de sa vie,
14:30 il va se servir de sa notoriété à Wall Street
14:33 pour attirer toujours plus de grandes fortunes.
14:36 Son cynisme n'a pas de limite.
14:38 En 2004, devant le gendarme américain
14:40 des marchés financiers,
14:42 Madoff n'hésite pas à donner des leçons d'éthique.
14:45 ...
15:08 -Au début des années 2000, Bernard et Ruth Madoff
15:12 forment un couple de milliardaires très en vue à New York.
15:15 Ils ne flambent pas, ils savent rester discrets,
15:18 mais ils ont la belle vie.
15:20 Ils habitent un penthouse à 7 millions de dollars
15:23 dans le quartier chic de Upper East Side,
15:26 à Manhattan.
15:27 ...
15:31 Les Madoffs possèdent plusieurs propriétés,
15:33 dont les Hamptons, où les plus riches viennent passer week-end.
15:37 Les Madoffs voyagent aussi dans leur grande villa
15:40 du sud de la France.
15:42 Mais Palm Beach, en Floride, reste leur destination favorite.
15:45 Chaque année, ils passent les fêtes de fin d'année
15:48 dans leur hacienda à 10 millions de dollars.
15:51 ...
15:54 Pour alimenter sa chaîne de ponzi,
15:56 Madoff doit sans cesse attirer de nouveaux clients.
15:59 Il va entamer une fuite en avant.
16:01 Partout dans le monde,
16:03 Madoff étend et internationalise sa vaste fraude.
16:06 C'est justement sur la petite île de Palm Beach,
16:09 en Floride, qu'il va lever le plus d'argent.
16:14 ...
16:20 Musique rythmée
16:22 À une centaine de kilomètres de Miami,
16:24 Palm Beach sait soleil et bling-bling toute l'année.
16:29 ...
16:31 La rumeur dit qu'à la haute saison,
16:33 65 % de la richesse mondiale y serait concentrée.
16:37 ...
16:40 À Palm Beach, même les Autochtones le reconnaissent,
16:44 il n'y a pas de pauvres.
16:46 ...
16:53 -La plupart des gens qui viennent ici
16:55 ne sont pas simplement des millionnaires
16:58 ou des multimillionnaires.
16:59 Ce sont des gens qui ont des centaines de millions
17:03 ou des milliards de dollars.
17:05 Ils se déplacent dans leur propre jet privé
17:08 ou dans celui d'un ami.
17:10 ...
17:18 Ces gens font presque tous le même circuit.
17:21 Ils vont de Palm Beach à Aspen, de Palm Beach à New York,
17:25 puis à Paris.
17:26 C'est une petite communauté unique au monde.
17:30 ...
17:32 -À Palm Beach, la vie sociale passe par la pratique du golf
17:36 et l'appartenance à un club privé.
17:39 Dans ces clubs, les adhérents vivent en basclans,
17:42 coupés du reste du monde.
17:44 ...
17:48 ...
17:57 -Certains disent que l'important, c'est la culture ou l'élégance.
18:00 Mais à Palm Beach, tout ce qui compte, c'est l'argent.
18:04 Plus vous en avez, plus vous êtes au placé.
18:06 -L'histoire de Palm Beach est surprenante.
18:09 Jusqu'aux années 50, la ville était réservée aux WASPs,
18:13 les protestants blancs anglo-saxons
18:15 de la vieille aristocratie financière américaine,
18:18 dont certains étaient antisémites.
18:20 -Pendant de nombreuses années,
18:22 les Juifs n'étaient pas les bienvenus à Palm Beach.
18:25 Ils étaient même victimes de discrimination.
18:28 Ils n'avaient pas le droit d'investir dans l'immobilier.
18:31 Sur 4 clubs privés, aucun n'acceptait les Juifs.
18:34 ...
18:37 -Il s'agit bien d'une petite ville américaine
18:40 au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
18:42 ...
18:45 -Au début des années 50, un hôtel avec un parcours de golf
18:48 a fait faillite.
18:50 Quelques Juifs se sont regroupés et ont acheté ce terrain de golf.
18:55 C'est comme ça que le Palm Beach Country Club est né.
18:59 C'était le seul club qui acceptait les clients juifs.
19:04 ...
19:07 -Le Palm Beach Country Club incarne donc d'abord
19:10 une victoire des Juifs contre l'ostracisme WASP.
19:14 Il est le premier club privé de la ville
19:16 à accepter toutes les confessions, sans exception.
19:19 Bernard Madoff, prédateur financier,
19:21 en devient membre en 1996
19:24 et en fait une cible privilégiée.
19:26 ...
19:30 -C'est l'un des clubs les plus riches des Etats-Unis.
19:33 Les frais d'inscription sont équivalents à 350 000 euros.
19:37 Et le club attend de vous que vous donniez en plus chaque année
19:42 l'équivalent de cette somme à des associations caritatives,
19:45 sinon, vous ne rentrez pas.
19:47 Et vous devez prouver que vous versez cet argent chaque année.
19:51 ...
19:54 -Au Palm Beach Country Club, Madoff avait beaucoup d'amis.
19:58 Plus de la moitié des 300 membres lui avaient confié
20:01 une partie de leur fortune.
20:03 Les sommes envolées donnent le vertige.
20:05 ...
20:07 Karl Shapiro connaissait Madoff depuis les années 60.
20:10 Il le considérait même comme son fils adoptif.
20:13 Shapiro a perdu 250 millions de dollars.
20:16 Oui, 250 millions.
20:19 ...
20:22 -Ce genre d'escroqueries, les chaînes de Ponzi,
20:26 sont presque toujours organisées dans la même communauté.
20:29 Ponzi, qui a donné son nom à l'arnaque,
20:32 vivait à Boston. Il était italien.
20:35 Il a escroqué des Italiens pauvres.
20:37 Madoff a donc tout naturellement escroqué d'abord
20:40 des membres de la communauté juive.
20:44 -Au Palm Beach Country Club,
20:47 pour attirer les nouveaux clients,
20:49 Madoff avait une technique très au point.
20:51 Il utilisait la fibre de l'ego et de l'amour propre.
20:55 Le milliardaire Martin Gruss
20:57 possède l'une des plus grandes fortunes de Palm Beach.
21:00 Pourtant, il n'a jamais investi chez Madoff.
21:03 ...
21:05 -Ceux qui avaient investi chez Madoff
21:10 pensaient être chanceux, parce qu'ils avaient accepté leur argent.
21:13 Ils avaient établi cette aura,
21:16 ce sentiment d'exclusivité autour du fonds.
21:18 Et cela a attiré encore plus de clients.
21:22 -Le fonds de Madoff était toujours fermé.
21:25 L'entrée vous était interdite
21:27 parce que vous n'aviez jamais assez d'argent,
21:29 jamais assez d'amis qui le connaissaient.
21:32 -Si vous vouliez lui confier 10 millions de dollars,
21:35 il disait "non, ça ne m'intéresse pas".
21:37 Vous redemandiez plusieurs fois, et il disait "ok, c'est d'accord".
21:41 Alors vous pensiez "c'est merveilleux,
21:43 il veut bien de mes 10 millions".
21:45 -Le fonds Madoff est de loin le club le plus fermé de Palm Beach,
21:48 dans lequel beaucoup rêvent d'entrer.
21:51 En 2003, le gestionnaire de fortune Richard Rampell
21:55 souhaite profiter des rendements de Madoff.
21:58 L'un de ses clients va l'aider à tenter sa chance.
22:02 -Mon client m'a dit "je peux vous faire entrer dans le fonds Madoff".
22:08 J'ai répondu "vraiment ?"
22:09 parce qu'on m'avait dit que le minimum était de 5 millions de dollars.
22:13 Et je ne voulais pas investir autant d'argent.
22:17 Alors mon client m'a dit "j'ai parlé à Madoff,
22:20 il réduit son minimum à 1 million, pour vous !"
22:23 Comme si Madoff me faisait une faveur.
22:26 Mais le maximum que je voulais investir, c'était 500 000 dollars.
22:29 Mon client est retourné voir Madoff, qui lui a dit "non, c'est trop peu".
22:34 Madoff n'a pas voulu de moi, il m'a rendu en grand service.
22:41 -D'un côté, Madoff cultive le secret.
22:43 Il est inaccessible.
22:45 Mais de l'autre, il se taille une réputation
22:48 de généreux philanthrope,
22:50 distribuant son argent aux oeuvres de charité de New York et Palm Beach.
22:54 Pour ses fidèles clients, Madoff est un homme de confiance,
22:58 un patriarche bienveillant.
23:00 -Les gens l'appelaient "oncle Bernie",
23:04 comme s'il était un oncle en qui on pouvait avoir confiance.
23:08 Le plus dramatique, c'est l'histoire de toutes ces veuves.
23:12 Quand leur mari mourait, leur entourage leur disait
23:15 "chérie, confie ton argent à Madoff,
23:17 "tu ne connais rien à la finance.
23:19 "Donne tout à Bernie, et il s'en occupera pour toi."
23:23 -Après la mort de mon mari,
23:31 j'ai confié tout l'argent que j'avais à Madoff.
23:35 Il y avait environ un million de dollars.
23:38 -Le mari de Norma Hill était publicitaire à New York.
23:41 Il avait bien réussi.
23:43 Eux aussi venaient en vacances à Palm Beach.
23:46 Désormais veuve avec cinq enfants, Norma Hill s'inquiète.
23:52 Elle veut voir Bernard Madoff en personne,
23:55 car le fond gère tout ce que son mari lui alléguait.
23:59 ...
24:04 -Je suis entrée dans le Lipstick Building.
24:07 C'était très impressionnant pour moi.
24:09 Il y avait des écrans avec des graphiques partout.
24:12 Les gens étaient à leur bureau, concentrés sur leur ordinateur.
24:16 C'était comme une ruche.
24:19 ...
24:21 M. Madoff a été très gentil.
24:25 Il n'aurait pas pu être plus gentil.
24:27 Il a mis son bras autour de mon épaule
24:30 et il m'a dit de ne pas m'inquiéter.
24:32 J'avais 44 ans, j'étais veuve avec cinq enfants.
24:35 Il m'a dit que tout ira bien, que l'argent était en sécurité.
24:40 -Au milieu des années 2000,
24:42 le fond Madoff devient le plus grand hedge fund du monde.
24:45 Il est dix fois plus important que tous ses principaux concurrents.
24:50 Les clients qui veulent récupérer leur argent
24:52 sont remboursés rubis sur l'ongle avec de confortables intérêts.
24:57 Tout a l'air parfaitement légal.
24:59 Certains racontent que l'argent placé chez Madoff
25:02 est garanti par le trésor américain.
25:04 C'est totalement faux, bien sûr.
25:06 ...
25:11 Peu à peu, pourtant, une partie des investisseurs,
25:14 les plus anciens, commencent à s'interroger
25:17 sur la trop parfaite régularité des rendements de Madoff.
25:21 -L'un de mes clients m'a demandé d'appeler Madoff
25:24 pour essayer de comprendre comment il faisait.
25:27 Alors je l'ai appelé.
25:29 Madoff m'a expliqué que la seule chose que je peux vous dire,
25:32 c'est que je gagne de l'argent quand le marché est en hausse.
25:36 J'en gagne aussi quand il est en baisse.
25:38 Mais si le marché est stable, je ne gagne pas d'argent.
25:41 J'ai essayé de lire entre les lignes
25:43 et j'ai pensé que c'était un délit d'initié,
25:46 ce qui est illégal.
25:48 -De très nombreux financiers à Wall Street ou ailleurs
25:52 investissaient chez Madoff en le suspectant
25:54 de pratiquer le délit d'initié.
25:56 Ils pensaient que c'est grâce à cela
25:58 que Madoff fait des profits merveilleux.
26:01 Et ça ne les gênait pas du tout de gagner de l'argent comme ça.
26:04 -J'ai expliqué la situation à mon client.
26:07 Il m'a répondu "OK, très bien, je ne veux pas en savoir plus.
26:10 "Ne me dis pas de nouvelles."
26:12 Je lui ai dit que je ne voulais pas en savoir plus.
26:15 Je ne voulais pas en savoir plus.
26:18 "Je ne veux pas en savoir plus."
26:19 "Don't tell me."
26:21 -Ces gens étaient donc prêts à traiter
26:26 avec quelqu'un de malhonnête.
26:28 Ils se trompaient juste sur la nature du délit
26:31 et surtout sur l'identité de la victime.
26:33 Ils pensaient que la victime était un trader quelconque
26:36 à l'autre bout de l'opération.
26:38 Ils n'avaient pas compris que les victimes, c'était eux.
26:41 -En 2004,
26:43 Suzanne Murphy travaille pour un important hedge fund
26:46 concurrent de Madoff.
26:48 Après de longues recherches, elle en est convaincue,
26:54 quelque chose ne tourne pas rond chez Bernard Madoff.
26:57 -J'étais à un dîner un soir, nous étions six à table.
27:06 La conversation s'est naturellement orientée
27:09 vers Bernard Madoff et quelqu'un a expliqué
27:12 à quel point c'était un type formidable.
27:14 J'ai dit "Vous devriez vraiment faire attention,
27:17 "car je ne suis pas certaine que les choses soient aussi claires
27:21 "qu'il le prétend."
27:22 Alors une femme âgée s'est levée et s'est mise à me crier dessus.
27:26 "Comment osez-vous critiquer cet homme merveilleux ?
27:29 "C'est un investisseur brillant,
27:31 "il fait tellement pour tellement de monde."
27:34 Je dois dire que cette expérience m'a traumatisée.
27:37 Après ça, quand une discussion arrivait sur Madoff,
27:40 je me taisais, car je ne voulais pas me brouiller
27:43 avec tous ces gens.
27:44 Était-ce la pas du gain ? Je ne sais pas.
27:49 Les gens détournaient-ils le regard parce qu'ils voulaient y croire ?
27:53 Je ne sais pas, mais les signes étaient clairs.
27:56 Je ne veux pas dire que nous savions qu'il s'agissait
27:59 d'une escroquerie.
28:00 Par contre, nous savions que ce qu'il prétendait faire
28:03 ne collait pas avec les bénéfices qu'il obtenait.
28:06 -Plusieurs alertes vont être totalement ignorées.
28:11 En 2001, pour le magazine américain "Barron's",
28:14 une référence dans le monde de la finance,
28:17 Erin Harvedlund consacre un article entier au fond de Madoff.
28:21 C'est écrit noir sur blanc.
28:23 Elle soupçonne bien un délit d'initié à grande échelle.
28:26 Défense de Madoff dans cet article ?
28:29 Cette affirmation est ridicule.
28:31 -L'article a été publié en mai 2001.
28:34 Je m'attendais à ce qu'il provoque un tsunami.
28:38 Je suis arrivée au bureau le lundi en pensant
28:41 "J'ai gagné le prix Pulitzer",
28:44 mais je n'ai pas reçu un seul coup de fil.
28:47 Rien.
28:48 Et 7 ans ont passé
28:52 jusqu'en décembre 2008, lorsqu'il a été arrêté.
28:57 -Madoff a admis
28:59 qu'il n'avait jamais investi le monnaie
29:02 qu'il avait confié à plus de 8 000 personnes et organisations.
29:05 La fraude aurait sans doute pu continuer encore très longtemps.
29:10 Car ce n'est pas le FBI qui va découvrir la vaste escroquerie,
29:14 c'est Madoff lui-même qui va faire des aveux aux agents fédéraux.
29:18 Fin 2008.
29:21 La crise des subprimes provoque l'effondrement brutal
29:24 des marchés financiers.
29:26 Le cours des actions dégringole.
29:28 La plupart des fonds d'investissement plongent de 40 %.
29:31 Seul îlot préservé dans la tempête mondiale,
29:34 le fonds Madoff.
29:35 Ses rendements sont toujours positifs.
29:38 Les investisseurs paniqués cherchent à récupérer de l'argent.
29:41 Ils se tournent donc naturellement vers Bernard Madoff.
29:45 -Tout le monde a voulu récupérer son argent au même moment.
29:51 En novembre, Madoff devait trouver
29:53 entre 7 et 8 milliards de dollars au total.
29:57 Bien sûr, il n'avait pas cet argent,
30:00 puisque dans une pyramide de Ponzi,
30:02 vous n'avez jamais tout l'argent dans les caisses,
30:05 mais seulement une petite partie qui entre ou qui sort.
30:08 -Les fonds d'investissement américains ou européens
30:14 qui voulaient répondre aux besoins de leurs clients
30:17 se sont tournés vers Madoff.
30:19 Ce qu'il faut bien comprendre,
30:21 c'est qu'ils n'ont pas voulu récupérer cet argent
30:24 parce qu'ils ont eu peur que Madoff soit un escroc.
30:27 Ils pensaient au contraire
30:29 que cet argent serait extrêmement facile à récupérer.
30:32 -En Floride, au Palm Beach Country Club,
30:39 où plus de la moitié des membres avaient investi chez Madoff,
30:42 ils sont nombreux à être attablés
30:44 au moment où l'ancien patron du Nasdaq reconnaît sa fraude.
30:48 -C'était comme un enterrement.
30:54 Si vous entriez dans la salle de restaurant du club
30:57 juste après l'arrestation de Madoff,
30:59 vous vous disiez "Quelqu'un est mort".
31:02 -Le 11 décembre 2008, la fête est finie.
31:09 De façon obscène, pendant des années,
31:12 Madoff avait permis aux multimillionnaires de Palm Beach
31:15 d'augmenter encore leurs fortunes.
31:17 Ce jour-là, ils reviennent brutalement sur Terre.
31:21 ...
31:28 -Il y a une ironie incroyable dans cette histoire.
31:32 Voilà cet homme à qui ils avaient confié des millions de dollars
31:36 rien qu'à Palm Beach.
31:38 Eh bien, personne, je dis bien, personne ne s'est dit
31:41 "Non, ce n'est pas possible, il doit y avoir une erreur.
31:44 "Madoff est un type bien."
31:46 Immédiatement, ils ont su que c'était un escroc
31:49 et qu'il avait volé tout cet argent.
31:51 -Investir chez Madoff était un mélange de cupidité,
31:54 de stupidité et d'ignorance.
32:00 -Mais les ultra-riches ne sont pas les seules victimes de Madoff.
32:04 Un peu partout aux Etats-Unis, des vies ont basculé.
32:07 Grâce à sa réputation, l'escroc avait su attirer
32:10 de nombreux investisseurs modestes issus des classes moyennes.
32:14 Sur les comptes, il y a eu des investisseurs
32:17 qui ont été élus par les classes moyennes.
32:19 Sur les conseils de leurs banquiers ou d'un proche
32:22 qu'ils croyaient initié, certains avaient placé
32:25 toutes leurs économies chez Madoff,
32:27 comme Michael DeVita et sa mère, Emma.
32:31 -Je regardais la télévision quand il est entré.
32:39 Il m'a dit "Maman, il faut que je te parle."
32:41 Je lui ai dit "Qu'est-ce qu'il y a ?"
32:44 Il m'a répondu "Tu es ruinée.
32:46 Madoff a pris tout ton argent."
32:47 Je n'y ai pas cru.
32:48 -Comme de nombreux Américains,
32:50 Michael et Emma DeVita avaient épargné
32:53 tout au long de leur vie pour financer leur retraite.
32:56 Aux Etats-Unis, les pensions sont très faibles.
32:59 Pas de répartition, le système est beaucoup moins solidaire
33:02 qu'en France. C'est donc à chacun de prévoir
33:05 un complément de retraite auprès d'une banque
33:07 ou d'un fonds de pension.
33:09 Les DeVita avaient choisi Madoff.
33:11 ...
33:16 -Le compte que j'avais ouvert pour ma retraite
33:19 il y a plus de 25 ans et que je ne comptais pas toucher
33:22 avant une bonne dizaine d'années a disparu du jour au lendemain.
33:25 Alors ma vie a changé, car il ne me reste plus assez de temps
33:29 pour économiser avant la retraite.
33:31 La pension du gouvernement sera la seule ressource
33:33 quand je ne travaillerai plus.
33:35 Or, cette pension ne suffit pas pour vivre.
33:38 Donc je ne prendrai jamais ma retraite.
33:40 ...
33:41 -Parti de rien, Neil Friedman a fait une très belle carrière
33:45 dans les assurances.
33:46 Son compte retraite chez Madoff affichait un beau pactole
33:49 de 2 millions de dollars.
33:51 ...
33:55 -Avec cet argent, nous voyagions partout dans le monde.
33:58 Nous avions une vie agréable.
34:00 Nous pouvions aller voir nos enfants aussi souvent
34:03 que nous le voulions, car la distance n'était pas un problème.
34:06 Nous pouvions aller au restaurant.
34:11 En fait, nous faisions tout ce que nous voulions,
34:14 car nous avions cet argent.
34:15 Notre fille, qui a la sclérose en plaques,
34:19 était rassurée, car nous étions là pour elle.
34:23 Nous avions prévu d'aider mon fils,
34:25 car il voulait lancer sa propre entreprise.
34:28 Nous voulions aussi participer
34:30 aux frais d'université de nos petits-enfants.
34:33 ...
34:38 -Jeune retraité, Neil Friedman voyageait avec son épouse.
34:41 Parfois, il invitait ses enfants et ses petits-enfants,
34:44 comme cette fois-là, au Bahamas.
34:46 Neil Friedman est veuf aujourd'hui.
34:49 ...
34:52 -Ma femme ne s'est jamais remise psychologiquement.
34:55 Elle est devenue très déprimée,
34:58 et ça ne s'est jamais arrangé.
35:01 Aujourd'hui, je fais très attention à mes dépenses.
35:04 Je ne mange plus à l'extérieur, je ne sors plus,
35:07 et donc je ne rencontre plus grand monde.
35:09 -Parce que vous ne pouvez pas ?
35:12 -Je ne veux pas dépenser aujourd'hui l'argent
35:14 dont je pourrais avoir besoin demain pour vivre.
35:17 J'ai réduit mon assurance santé
35:19 pour que le prix soit plus abordable.
35:21 Je n'ai pas besoin d'être autant couvert.
35:23 En fait, je fais des économies partout où je peux.
35:27 ...
35:30 -La plupart des victimes de Bernard Madoff
35:32 ne savaient même pas à quoi ils ressemblaient.
35:34 Pour eux, Madoff était un nom réputé,
35:37 inscrit en haut à gauche d'un relevé de compte.
35:40 ...
35:42 -Nous recevions des relevés mensuels
35:45 avec tout le descriptif des actions des grandes entreprises
35:49 qui étaient soi-disant achetées en notre nom.
35:52 Nous pensions que ces relevés
35:54 indiquaient la valeur de nos investissements.
35:57 Mes relevés disaient que j'achetais des parts chez IBM,
36:01 chez Xerox.
36:03 -General Motors, General Electric...
36:06 Je pensais avoir des actions dans les plus grandes sociétés
36:09 cotées à la bourse de New York.
36:12 -J'avais vraiment le sentiment d'être en sécurité,
36:15 car je croyais avoir des parts dans toutes ces grandes entreprises.
36:18 ...
36:20 -Après l'arrestation de Madoff,
36:22 les investisseurs ont découvert que leurs relevés de compte
36:26 étaient faux,
36:27 imprimés en secret au 17e étage du Lipstick Building
36:31 par quelques employés complices de Madoff.
36:34 ...
36:37 -Quand des gens me montrent du doigt en disant
36:40 "Vous auriez dû savoir",
36:41 je réponds "Comment aurais-je pu savoir ?"
36:45 J'ai investi dans une industrie qui est régulée par la SOC,
36:49 le gendarme du gouvernement.
36:51 Pour moi, nous avons été trahis.
36:55 Si la SOC n'a pas découvert cette fraude,
36:57 je ne pouvais pas la découvrir tout seul.
37:00 ...
37:02 -A Wall Street, le gendarme de la bourse n'a rien vu.
37:05 Ou plutôt, n'a rien voulu voir.
37:07 Non seulement la SOC n'a pas découvert la fraude,
37:11 mais en plus, elle a régulièrement apporté
37:14 son soutien officiel à Bernard Madoff.
37:17 L'Etat fédéral américain a failli dans son rôle de contrôle.
37:21 ...
37:26 Pourtant, depuis Boston, dans le Massachusetts,
37:29 un homme n'a cessé d'alerter la SOC à propos de Bernard Madoff.
37:33 Une dizaine d'avertissements.
37:35 ...
37:37 Dès 1998, Harry Marcopolos,
37:40 enquêteur privé spécialisé dans les délits financiers,
37:43 est convaincu que les rendements proposés par Madoff
37:46 sont irréalisables.
37:48 ...
37:50 -En 5 minutes, j'ai compris que c'était une fraude.
37:53 La courbe des performances formait un angle à 45 degrés,
37:57 en ligne droite. C'est impossible.
37:59 Dans la finance, les rendements sont comme des montagnes russes.
38:04 Or, chez Madoff, 96,4 % des mois étaient positifs.
38:12 Ses rendements ne ressemblaient à rien de connu
38:15 dans le domaine de la finance.
38:16 ...
38:18 -Harry Marcopolos a révélé plusieurs affaires
38:21 de fraude financière aux autorités.
38:23 Tout naturellement, il alerte le régulateur.
38:26 -Je les ai rencontrés directement à plusieurs reprises.
38:30 Je les ai avertis par e-mail.
38:32 J'avais une équipe de 4 hommes qui enquêtait sur le terrain.
38:36 J'ai passé 9 ans à expliquer à mon gouvernement
38:39 qu'il fallait mettre Madoff en prison.
38:43 ...
38:45 -En 2005, il écrit à la SEC.
38:48 Le titre du document de 19 pages est très clair.
38:51 "Le plus grand hedge fund du monde est une fraude."
38:55 Marcopolos développe 2 scénarios possibles.
38:59 L'un d'entre eux évoque la possibilité d'une chaîne de Ponzi.
39:03 ...
39:07 -C'était une affaire résolue.
39:10 Je l'avais emballée dans un papier cadeau
39:12 avec un bonnet autour et je l'aurais donnée
39:15 sur un plateau d'argent.
39:16 Tout ce qu'ils avaient à faire, c'était de faire ce que je leur disais
39:20 pour amener Madoff devant la justice.
39:22 Mais ils ne l'ont pas fait.
39:24 -Que s'est-il passé ?
39:28 Pourquoi le régulateur pourtant dépositaire
39:31 de la sécurité des investisseurs a-t-il ignoré
39:33 les alertes de Harry Marcopolos ?
39:36 Après l'arrestation de Madoff,
39:38 l'affaire va remonter jusqu'à Washington.
39:41 Un homme a donc été chargé de mener une enquête interne
39:46 à la SEC pour comprendre.
39:49 David Coates a travaillé 9 mois,
39:53 interrogé 122 personnes
39:55 et passé au scanner 4 millions de courriels.
39:58 ...
40:01 -A chaque fois qu'ils faisaient une enquête,
40:04 ils ne parvenaient pas à trouver la fraude.
40:06 En fait, ils n'étaient même pas capables
40:09 de mener une enquête correctement.
40:12 Musique douce
40:15 -Après l'enquête de David Coates,
40:17 le Congrès va auditionner les responsables de la SEC
40:21 et leur demander des comptes.
40:23 L'entretien va tourner au jeu de massacre.
40:27 ...
40:29 ...
40:31 ...
40:34 ...
40:36 ...
40:38 ...
41:06 ...
41:12 -Lors d'un entretien,
41:14 les responsables du régulateur ont demandé à Madoff
41:17 comment il pouvait prédire les marchés d'une façon si parfaite.
41:20 Il savait toujours exactement quand les marchés monter ou descendre.
41:25 Madoff a répondu qu'il avait un instinct
41:28 et qu'il pouvait anticiper les variations.
41:32 C'est une réponse absurde.
41:36 -Vous ne pouvez pas sentir les vibrations
41:38 pour savoir si les marchés vont monter ou descendre.
41:41 Ces gens ont accepté cette réponse et sont passés à la question suivante.
41:46 ...
42:05 -Le gouvernement fédéral a laissé tomber les victimes.
42:09 C'était sa responsabilité de découvrir cette escroquerie.
42:13 Il y a eu des opportunités pour le faire.
42:16 Ces gens n'ont tout simplement pas fait leur travail.
42:20 -Après le scandale Madoff,
42:23 personne n'a été renvoyé.
42:25 Aucune sanction.
42:27 Pas de nom, pas de responsable,
42:29 suite à la disparition des 65 milliards de dollars.
42:32 Ellen Chetman défend plus de 500 victimes de Madoff.
42:36 Sa thèse ?
42:38 Depuis qu'il était devenu le puissant patron du Nasdaq en 1990,
42:42 Bernard Madoff était intouchable.
42:44 -De nombreux cadres chez le régulateur protégeait Madoff.
42:51 A chaque fois qu'un jeune employé allait voir un cadre et disait
42:55 "M. Madoff me ment" ou "je voudrais assigner Madoff
42:59 "pour être sûr qu'il achète vraiment des actions",
43:02 le cadre trouvait systématiquement une excuse
43:05 pour dessaisir le jeune enquêteur ou pour annuler les procédures.
43:10 Tout cela n'a pu être motivé que par un désir de protéger Madoff,
43:14 malgré les malversations qu'il était en train de commettre.
43:18 -Les responsables en poste chez le régulateur
43:22 au moment de l'affaire Madoff ont quitté l'agence de contrôle.
43:26 Ils travaillent depuis pour des entreprises privées
43:29 à Wall Street, dans la finance ou dans la banque.
43:33 -Le problème est simple.
43:35 Prenons quelqu'un qui travaille chez le régulateur,
43:39 s'il traite bien les gens de Wall Street.
43:41 Ils l'accueilleront à bras ouverts
43:44 et lui proposeront un emploi très lucratif.
43:49 -Vous pouvez quitter l'ASEC le lundi
43:52 et travailler pour l'autre camp dès le mardi matin.
43:55 C'est clairement un problème.
43:57 Et rien n'a été fait depuis le scandale Madoff
44:00 pour éviter que les gens naviguent sans arrêt
44:03 entre Wall Street et le régulateur.
44:07 -Il pourrait y avoir une loi qui dirait
44:09 que lorsque quelqu'un quitte une agence de régulation,
44:12 cette personne ne peut pas travailler
44:15 dans le secteur privé avant une période de 5 ans.
44:18 -Bernard Madoff a plaidé coupable.
44:21 Il a été condamné à 150 ans de prison.
44:24 Mais il a endossé seul la responsabilité de la fraude.
44:28 Il n'y a pas eu d'enquête judiciaire
44:31 pour rétablir les complicités.
44:33 De nombreuses questions demeurent sans réponse.
44:37 Exemple ?
44:38 Quel fut le rôle des sociétés d'investissement
44:41 qui, dans le monde entier, ont rabattu des clients pour Madoff
44:45 en échange de commissions très importantes ?
44:48 ...
44:50 Le Français René-Thierry Magon de la ville Huchet
44:54 s'est donné la mort.
44:55 Avec son associé Patrick Littet,
44:58 ils ont gagné beaucoup d'argent grâce au fonds Madoff.
45:01 Pouvaient-ils vraiment ignorer que Madoff était un escroc ?
45:06 ...
45:10 En avril 2006, ils avaient commandé un audit
45:13 sur la stratégie d'investissement de Bernard Madoff.
45:16 L'expert avait rendu ses conclusions
45:19 lors d'un déjeuner à New York.
45:22 ...
45:25 -Ils se sont retrouvés au club de l'université à New York.
45:29 C'est un endroit magnifique.
45:31 Le consultant a dit qu'il y a quelque chose qui ne va pas,
45:34 quelque chose qui ne tourne vraiment pas rond chez Madoff.
45:37 ...
45:40 -La suite de ce déjeuner, c'est Emmanuel Assmar qui la raconte.
45:44 Il défend une victime française
45:46 qui a perdu 30 millions d'euros investis chez Madoff
45:49 via la Société des financiers français.
45:52 ...
45:54 -L'auditeur va expliquer à Patrick Littet
45:57 qu'il faut immédiatement arrêter de travailler
46:00 avec Madoff parce qu'il y a au moins des doutes légitimes,
46:04 voire des réalités, qui s'imposent et qui commandent
46:09 d'arrêter immédiatement parce qu'il y a des risques
46:12 de fraude évidents.
46:13 On va lui répondre qu'il est un incapable
46:17 et qu'il ne sait pas travailler et que, de toutes les manières,
46:20 jamais le gouvernement, je cite, américain
46:24 ou la SEC américaine n'autoriserait de telles pratiques.
46:28 Musique intrigante
46:29 -Mais à cette époque, aucun autre investisseur majeur
46:33 ne retire son argent.
46:34 Le succès insolent du fond Madoff est grisant.
46:37 Même s'il y a des doutes,
46:39 il y a l'appât du gain plus fort que la raison.
46:42 -C'est vrai qu'à un moment, il y a une dimension
46:45 dans ces activités-là qui peut se rapporter
46:48 aux casinos, aux jeux, une espèce d'ivresse,
46:52 se retrouver dans un sentiment de toute puissance
46:56 et se dire qu'on est plus forts que le système
46:59 et que les autres ne comprennent rien et que nous, on continue
47:02 et que ça fonctionne très bien et qu'on aurait tort de s'en priver.
47:06 C'est de l'avidité.
47:08 C'est de l'appât du gain.
47:09 Voilà.
47:10 -La justice française a ouvert une enquête
47:13 pour établir les responsabilités
47:15 dans la French Connection de Madoff.
47:18 Malgré de multiples relances,
47:20 Patrick Littet n'a pas souhaité s'exprimer.
47:23 ...
47:27 Qui a vraiment voulu entendre que Madoff était un escroc ?
47:30 À New York, dans la communauté financière de Wall Street,
47:34 de nombreux acteurs auraient dû s'interroger
47:37 sur ses résultats et ses méthodes.
47:40 ...
47:46 -Une des grandes énigmes de cette saga,
47:50 c'est le rôle des banques.
47:53 ...
47:54 Une banque, en particulier, a dû s'expliquer devant les juges.
47:58 Il s'agit de la plus grande banque américaine, Morgan Chase,
48:02 déjà impliquée dans plusieurs scandales
48:05 comme celui des subprimes.
48:06 ...
48:08 Dans cette banque, Madoff avait ouvert les comptes de sa société,
48:12 mais aussi son compte personnel.
48:13 ...
48:16 -Pourquoi cette banque n'a-t-elle pas signalé les mouvements
48:19 entre les différents comptes de Bernard Madoff ?
48:23 -En plus, Morgan Chase ne s'occupait pas seulement
48:26 des comptes de Madoff.
48:27 La banque gérait aussi les comptes de ses deux plus gros clients.
48:31 Il était très facile de repérer les allers-retours
48:34 entre le compte de Madoff et celui de Norman Levy,
48:37 un magna de l'immobilier new-yorkais.
48:40 ...
48:43 -Norman Levy, aujourd'hui décédé, était proche de Bernard Madoff.
48:48 Les deux hommes partageaient week-ends, vacances,
48:51 et surtout, le sens des affaires.
48:53 Norman Levy savait, mais il n'a rien dit.
48:55 ...
49:00 -Sur une période de presque 10 ans, entre 1992 et 2001,
49:04 Norman Levy a transféré 100 milliards de dollars
49:08 à Bernard Madoff.
49:09 Et Madoff a renvoyé cet argent sur le compte de Norman Levy.
49:13 L'argent circulait entre les deux comptes
49:16 chez Morgan Chase.
49:19 -Les banques doivent s'assurer
49:21 qu'il ne se passe rien d'illégal sur les comptes de leurs clients.
49:24 Il est impossible que Morgan Chase n'ait pas vu ces mouvements.
49:28 C'était clairement illégal.
49:32 Il n'y avait aucune justification pour ces transferts d'argent.
49:36 Et Morgan Chase a laissé faire.
49:39 ...
49:41 -En janvier 2014, 5 ans après l'arrestation de Madoff,
49:45 Morgan Chase a finalement accepté
49:48 de verser 2,6 milliards de dollars aux autorités fédérales américaines
49:53 pour échapper aux poursuites judiciaires dans cette affaire.
49:57 ...
50:00 Lors de son procès, en 2008,
50:02 Madoff avait expliqué que les membres de sa famille
50:05 ne savaient absolument rien de son escroquerie.
50:09 Et la justice avait accepté cette hypothèse.
50:12 ...
50:15 Marc et Andrew, les deux fils de Bernard Madoff,
50:18 avaient étudié l'économie et la finance.
50:21 Ils travaillaient avec leur père depuis toujours.
50:24 La presse n'a jamais cessé de s'intéresser à leur rôle
50:27 dans la société de Bernard Madoff.
50:29 ...
50:33 -Vous êtes sûr, Meyla ?
50:34 -Le 11 décembre 2010,
50:37 2 ans jour pour jour après l'arrestation de son père,
50:41 Marc Madoff, le plus âgé des deux fils,
50:43 ne supporte plus la pression.
50:45 Il est retrouvé pendu dans son appartement.
50:47 Il s'est suicidé.
50:48 ...
50:50 Pour apaiser la tempête médiatique,
50:52 Ruth et Andrew, le second fils,
50:54 vont accepter de parler pour la première fois à la télévision.
50:57 Ils vont lâcher Madoff.
50:59 ...
51:02 ...
51:29 ...
51:33 ...
51:56 -Marc et Andrew avaient chacun
51:58 7 comptes différents chez leur père.
52:00 Des comptes comme le mien,
52:02 excepté que sur l'un de leurs comptes,
52:04 ils n'avaient rien mis.
52:06 Rien.
52:07 Vous conviendrez que ce n'est pas beaucoup.
52:10 Ils ont pourtant gagné 14 millions de dollars avec ce compte.
52:14 Or, passer de 0 à 14 millions de dollars,
52:19 c'est un très bon rendement.
52:20 Si j'avais fait des études d'économie
52:23 dans une grande université américaine, comme eux,
52:26 j'aurais trouvé ça bizarre.
52:29 -Ils se sont forcément posés des questions,
52:31 surtout en tant que professionnels.
52:33 Ils travaillaient tous les deux à Wall Street.
52:36 Ils étaient forcément au courant
52:38 que les retours sur investissement étaient insensés.
52:41 ...
52:43 -Finances, suicides et vies brisées.
52:46 L'affaire Madoff, c'est un thriller financier
52:49 à 65 milliards de dollars.
52:51 Une tragédie moderne, façon Wall Street.
52:55 Pendant des décennies,
52:56 Madoff avait fait du mensonge une seconde nature.
52:59 Le voici en 2007, lors d'une intervention télévisée.
53:03 Plus c'est gros, plus ça passe.
53:06 ...
53:34 -Un liquidateur,
53:35 mandaté par la justice américaine,
53:37 a saisi les biens de Madoff et gagné quelques procédures
53:40 contre certains gros clients accusés de complicité.
53:43 Il a recueilli 11 milliards de dollars
53:46 pour indemniser les victimes,
53:48 bien loin des 65 milliards disparus.
53:51 De nombreux clients floués ne toucheront rien.
53:54 ...
53:56 -J'ai eu confiance dans le système.
53:58 J'ai cru que si nous perdions notre argent,
54:01 le système réparerait ce qu'il avait permis.
54:04 Et visiblement, j'ai commis une grosse erreur.
54:07 -65 milliards de dollars ont donc été engloutis.
54:11 Pour la justice américaine,
54:13 il n'y a qu'un seul et unique responsable
54:16 dans ce naufrage, Bernard Madoff.
54:19 -Aujourd'hui, des années après,
54:21 personne ne sait comment Madoff a pu réaliser une telle fraude
54:24 et qui sont ceux qui l'ont protégé.
54:27 On ne le sait pas.
54:29 -Est-ce que c'est un problème ?
54:32 -Eh bien, si vous voulez éviter que ça recommence,
54:35 oui, c'est un problème.
54:38 ...
55:04 [SILENCE]