Le wokisme est-il un danger pour la culture ? La question qui fâche avec Samuel Fitoussi

  • l’année dernière
Quotas à Cannes et chez Netflix, peur de se faire cancel pour un pas de côté... Le wokisme a-t-il envahi le monde des arts ? Pour Samuel Fitoussi, la bien-pensance qui se répand ces dernières années entame la liberté artistique des créateurs, et, par elle, la qualité des séries et films produits.

Retrouvez la question qui fâche de Marie Misset sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-question-qui-fache

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00:00 Votre question qui fâche du jour ne va pas parler du roi ni de l'animateur préféré des français, Nagui.
00:05 Mais va fâcher beaucoup de gens, à commencer par Marine Bahusson, ici présente.
00:09 Puisque cette question c'est, le wokisme est-il un danger pour la culture ?
00:15 La polémique lancée par Nicolas Mathieu sur les sensitivity readers, les relecteurs d'oeuvres avant parution,
00:23 qui indiquent ce qui pourrait être au fausson dedans est encore chaude.
00:27 On attend la prochaine polémique sur la réécriture d'un classique dont les anciennes éditions sont par ailleurs toujours disponibles.
00:33 D'où la question du jour donc.
00:35 Le wokisme est-il un danger pour la culture ?
00:43 Alors pour répondre à cette question, nous sommes avec Samuel Fittoussi. Bonsoir Samuel.
00:47 Bonsoir, merci de m'inviter.
00:48 De rien, vous avez 25 ans, vous êtes l'auteur d'un livre intitulé "Wok-Fiction, comment l'idéologie change nos films et nos séries"
00:56 où pour aller très très vite, vous dites textuellement que le wokisme est en train de tuer notre culture et par extension notre civilisation en toutes nuances.
01:04 C'est pas exactement ce que je dis là.
01:05 Ah bah si on prend les mots pour mots, si si c'est ce que vous dites.
01:08 Samuel Fittoussi, est-ce que vous pouvez nous expliquer la thèse que vous développez dans ce livre en une minute ?
01:13 La thèse c'est que ce qu'on voit à l'écran quand on consomme des fictions, des films et des séries,
01:20 souvent on ne le sait pas, mais c'est déjà aux normes wok.
01:24 C'est-à-dire que, par exemple, pour prendre un exemple, tous les plus grands studios de production américains ont recours à des cabinets de conseils dits de diversité et d'inclusion
01:34 qui relisent avant le tournage les scénarios et qui leur proposent de modifier ou retoucher toute scène qui pourrait selon eux, indirectement inciter au mauvais comportement
01:45 ou qui représente trop négativement par exemple une femme ou une minorité ethnique, etc.
01:49 C'est l'équivalent pour les romans des lecteurs en sensibilité, ça existe aussi au cinéma et on ne s'en rend pas compte.
01:56 Mais la conséquence, c'est que nos films et nos séries sont de plus en plus fades.
02:00 Mais Samuel Fittoussi, moi je vais vous parler de la France.
02:02 En France, le plus grand producteur de cinéma et de séries, c'est Canal+, qui appartient à Vincent Bolloré, qu'on ne peut pas vraiment accuser de wokisme.
02:12 Par exemple, pour Paris 1900, Vincent Bolloré a fait réécrire le scénario.
02:16 On sait qu'il y a des gens qui relisent tous les scénarios.
02:20 Donc voilà, en France, c'est Canal+ qui produit le plus de ciné et de séries.
02:25 Je ne pense pas qu'on puisse les accuser de wokisme.
02:28 Vincent Bolloré n'est clairement pas wok, ce qui ne veut pas dire que dans le monde de la culture, les gens ne sont majoritairement pas à gauche, ils le sont nettement, y compris ceux qui travaillent pour Canal+.
02:37 D'ailleurs, Justine Frier, la réalisatrice du très bon film "Anatomie d'une chute", a fait son célèbre discours au festival de Cannes où elle pestait contre la réforme des retraites.
02:46 Elle n'est sans doute pas alignée avec la vision de la France de Bolloré.
02:49 Par ailleurs, il n'y a pas que Canal+ en France.
02:53 Il y a aussi, par exemple, France Télévisions, qui penche nettement à gauche.
02:57 Vous parlez d'une mainmise, Samuel.
02:59 Vous dites que les woks sont partout, que les woks sont derrière toutes les œuvres culturelles d'aujourd'hui.
03:04 Il n'y a pas de différence.
03:06 Ça affadit. Vous parlez d'une mainmise.
03:08 Moi, je vous dis que le plus grand propriétaire aujourd'hui qui produit en France, on ne peut pas l'accuser de wokisme.
03:14 Sur le monde de l'édition, vous parlez de la culture, c'est pareil.
03:16 "Vive Indie" est possédé par Vincent Bolloré, il veut racheter, achète.
03:19 C'est numéro 1 et numéro 2 de l'édition en France.
03:21 C'est pareil, on ne peut pas voir derrière ça une mainmise du wokisme.
03:26 C'est un mot sur lequel on pourrait revenir.
03:28 Je ne vous parle pas de...
03:30 Evidemment, il reste et il restera toujours des espaces de liberté.
03:33 D'ailleurs, la thèse de mon livre ne s'applique pas au monde de l'édition.
03:36 Vous parlez de la culture.
03:38 Vous dites que la beauté du monde occidental, c'est sa culture.
03:42 Et que la culture est en train d'être gâchée par le wokisme.
03:45 Oui, mais spécifiquement les films et les séries.
03:47 Par exemple, je ne sais pas si vous le savez, mais les Oscars, à partir de l'année prochaine, pour qu'un film soit éligible,
03:53 il faudra qu'il respecte des stricts critères identitaires de représentation.
03:57 Par exemple, un film qui aura trop d'acteurs d'une certaine couleur et pas suffisamment d'acteurs d'une autre couleur ne sera pas éligible.
04:03 Des films comme "Vols au-dessus d'un nid de coucou", "Le seigneur des anneaux", "Apocalypse Now" n'auraient donc pas été éligibles.
04:09 Ce n'est pas forcément un progrès.
04:11 Et ça, c'est que vous le vouliez ou non, c'est institutionnalisé.
04:13 On peut être d'accord ou pas avec ça.
04:15 N'empêche qu'on peut décrire ces critères ethniques, parce qu'il n'y a pas d'autres mots, ou racialistes, comme "wok".
04:21 Et ça devient systémique, en quelque sorte.
04:24 Mais en fait, il y a plein de lois qui régissent le cinéma en général.
04:27 Pourquoi est-ce que celle-là vous dérange en particulier ?
04:29 Parce qu'il y a aussi des horaires qu'il faut respecter.
04:32 Il y a aussi un classement, ça a toujours existé depuis très longtemps.
04:35 Qu'est-ce qui vous dérange spécifiquement dans l'inclusivité ?
04:37 Le fait que des lois existent ne veut pas dire que toutes les lois sont positives.
04:43 Et parfois, une société fait des erreurs et met en place des règlements mauvais.
04:46 Et vous ne trouvez pas ça génial de se dire au contraire, ça va être super, je vais voir un film,
04:50 il va y avoir des gens de toutes les couleurs, qui ressemblent à plein de gens, ça va produire de nouvelles histoires.
04:54 Non mais attendez, il ne faut pas...
04:55 Ça va pouvoir me donner de l'empathie pour des personnes dans les boîtes desquelles j'ai parfois du mal à m'adapter.
05:00 Il ne faut pas caricaturer la position des anti-wok.
05:02 On ne veut pas qu'il n'y ait que des blancs à l'écran.
05:04 Bien au contraire, on veut qu'on arrête de mettre des gens dans les cases,
05:07 de traiter des individus comme les membres interchangeables d'une catégorie identitaire.
05:12 Les réalisateurs doivent choisir les meilleurs acteurs, indépendamment de leur couleur de peau.
05:15 Et le réel antiracisme, ça devrait être d'atténuer l'importance de la couleur de peau plutôt que de l'exacerber,
05:22 d'attiser le ressentiment identitaire et de voir la société comme composée de groupes qui se livrent à un jeu, une guerre à somme nulle.
05:30 Vous dites qu'il ne faut pas caricaturer les anti-wok.
05:34 Moi, j'ai lu votre livre, j'ai aussi une grande impression de caricature du wokisme.
05:38 Vous dites même au tout début du livre qu'on peut définir le wokisme par défaut
05:44 et que le wokisme, ça ne correspond pas vraiment à quelque chose, à part à quelque chose qui énerve les wok
05:49 et que c'est là la beauté de ce mot.
05:51 Non, non, excusez-moi, vous m'avez mal lu, je ne dis pas du tout ça.
05:54 Par ailleurs, une question, c'est que personne ne se réclame pas d'extrême droite.
06:00 Est-ce que pour autant on peut dire qu'il est d'extrême droite ?
06:02 Oui, bien sûr, ce n'est pas parce que personne ne se réclame wok que le concept n'a pas une pertinence sociologique.
06:07 Et si je vous dis par exemple des notions comme la notion de privilège blanc, de racisme systémique,
06:12 d'intersectionnalité, de continuum des violences, de domination patriarcale, d'hétéronormativité,
06:16 ces notions, elles existent, des gens s'en réclament.
06:19 L'intersectionnalité, c'est un outil, ce n'est pas une notion, c'est un outil.
06:23 Un outil si vous voulez, un type de militantisme.
06:26 Ce n'est pas du militantisme, c'est un outil scientifique.
06:28 Non, mais c'est un type de militantisme qui veut que la société soit régie par des structures de domination
06:33 et que le mâle blanc cisgenre hétérosexuel soit l'oppresseur par défaut et que les minorités doivent s'unir
06:39 pour déconstruire l'oppression que celui-ci leur fait subir.
06:42 Donc oui, l'intersectionnalité, c'est une notion qui regroupe un ensemble de théories militantes.
06:48 Vous pouvez appeler ça intersectionnalité, le camp d'en face, pour combattre ces notions,
06:53 a le droit de regrouper tous ces thèmes et ces notions sous la manière "wokisme"
06:59 parce que ce terme a une pertinence sociologique.
07:01 Justement, moi, ce que je trouve, c'est que vous caricaturez les deux positions,
07:06 c'est-à-dire qu'on est dans une réaction à la réaction, c'est-à-dire que si les woks veulent mettre plus de noirs,
07:13 veulent mettre plus de personnes grosses à l'écran, veulent mettre plus de femmes dans des rôles principaux,
07:19 c'est en réaction à un monde hétéronorme, c'est en réaction à une production cinématographique
07:24 qui, pendant des décennies, a été principalement blanche.
07:28 Donc c'est une réaction. Et vous faites une réaction à la réaction et j'ai l'impression qu'on est sur deux mondes
07:32 qui finissent par s'opposer et qui, toutes les deux, caricaturent les positions de l'autre
07:36 et qu'on n'avance pas beaucoup dans le débat avec ces caricatures de positions.
07:40 Là où je vous suis, c'est qu'évidemment, il faut essayer d'être le plus nuancé possible.
07:45 C'est ce que j'essaie de faire dans mon livre. Contrairement à ce que vous pensez, je ne crois pas être dans la caricature.
07:49 Je cite énormément de gens, je prends des règles qui existent dans le monde de la culture, des films qui existent,
07:54 et je les critique parce que je trouve que l'idéologie qu'ils véhiculent est néfaste et n'est positive pour personne
08:02 et pas du tout pour les minorités ethniques que les woks croient défendre.
08:07 Très bien, on en restera à la marine. Une conclusion ?
08:10 Si j'ai bien compris, vous pensez qu'on ne peut plus rien dire, donc vous en avez fait un livre qui a été édicté par le Cherche-Midi
08:16 et vous êtes venu en parler sur France Inter.
08:17 Effectivement.
08:18 Merci beaucoup, Samuel. Faites aussi, je rappelle, le livre que vous êtes venu défendre, ça s'appelle "Wok Fiction".

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