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00:00 L'invité de Paris Direct aujourd'hui, c'est vous, Nadej Bossondian. Bonjour.
00:04 Bonjour.
00:05 Merci d'être là. Vous êtes actrice, comédienne évidemment. On vous connaît bien. Faut-il vous présenter ?
00:11 Vous co-signez "Noir n'est pas mon métier" aux éditions du Seuil. C'est cet ouvrage.
00:17 Un ouvrage dans lequel 16 femmes, 16 femmes noires et actrices françaises témoignent du racisme et du sexisme
00:26 dans l'industrie du cinéma. Depuis sa parution, ce livre a eu un énorme succès. Est-ce que vous vous y attendiez ?
00:33 Alors pas du tout. En fait, c'est à l'initiative d'Aïssa Maïga qui nous a envoyé un texto en nous demandant si on voulait
00:39 témoigner de la réalité de notre métier. Donc évidemment, moi j'ai dit tout de suite oui, ainsi que mes camarades.
00:44 Mais on ne s'attendait pas du tout à cet engouement et à voir ce rapport-là avec les gens.
00:50 C'est-à-dire que dans la rue, les gens m'arrêtent en me disant merci.
00:53 Parce que ça veut dire quelque chose qui est si criant et bien au-delà du monde du cinéma.
00:57 En fait, c'est ça. C'est que nous, nous avons écrit par notre prisme, nous sommes comédiennes et noires et métisses.
01:03 Mais nous parlons surtout à toute cette belle société métissée dans laquelle nous vivons,
01:07 que malheureusement, nous ne voyons pas assez ni à la télévision, ni au théâtre, ni au cinéma.
01:11 Alors on va y revenir. Pour ne parler que de votre expérience, chacune d'entre vous raconte à sa façon sa carrière au cinéma.
01:19 Je vais vous citer quelques-unes des phrases que vous avez entendues lors de casting.
01:23 C'est à peine croyable, c'est sidérant.
01:25 Florie Lèges, question qu'on vous a posée lors de casting.
01:29 Je cite donc "parlez-vous africain ? Est-ce que vous pouvez faire un peu plus yabon-banania ?
01:35 Ça va, vous avez les traits fins, vous ne faites pas trop noir. Comment est-ce qu'on peut supporter à ce moment-là quand on vous dit ça ?"
01:41 Alors en fait, il y a deux choses. Il y a d'abord le prendre.
01:45 Et puis, bon, on ne va pas taper la personne qui est en face. Ce qui est compliqué, c'est qu'il faut quand même travailler.
01:51 Il ne faut pas oublier qu'on a une réalité économique.
01:53 Mais moi, j'ai essayé de parler, pas que moi d'ailleurs, on a toutes parlé dans notre coin de ces problèmes-là.
01:59 C'est très violent. C'est très violent et c'est inacceptable d'entendre des choses comme ça.
02:05 Et je pense que les gens ne s'attendaient pas du tout, en fait, à ce que nous vivions ça depuis toutes ces années.
02:11 On se dit que l'industrie du cinéma, c'est plutôt une industrie moderne.
02:15 Mais faut-il être moderne pour ne pas dire ce genre de phrases ? On ne sait pas.
02:18 Mais qui est plutôt dans son temps, si ce n'est en avance.
02:21 Eh bien, en fait, non. Malheureusement, on se rend compte qu'il y a un racisme latent,
02:27 qu'il y a des mécanismes qui se sont faits et qui ont construit une pensée dans laquelle, finalement, nous ne sommes pas nous,
02:35 mais nous sommes noirs avant d'être nous.
02:37 C'est donc un manifeste pour une représentation plus juste de la société au cinéma,
02:42 pour que le cinéma qui se doit à être l'image de la société, remplisse son rôle dans le monde de la culture.
02:48 Et plus généralement, on va écouter Aïssa Maïga, que vous évoquiez tout à l'heure.
02:52 C'est l'une des actrices qui a, enfin, c'est l'actrice qui a lancé cette initiative.
02:56 Elle répondait il y a quelques jours, depuis Cannes, au micro France 24 de Sonia Patricieli. On l'écoute.
03:02 Ce qui m'a poussée, c'est l'idée que ça fait 20 ans que je suis comédienne en France et que je,
03:07 bon, j'ai moi-même essuyé les plâtres, comme on dit. En même temps, j'ai eu beaucoup de chance,
03:12 puisque j'ai toujours eu des vraies rencontres avec des metteurs en scène intéressants,
03:18 avec des beaux rôles qui échappaient aux stéréotypes et aux clichés.
03:22 Et en même temps, j'étais témoin de ce qui se passait autour de moi.
03:25 Je connais beaucoup d'acteurs issus de la diversité, pas uniquement noirs, qui ne travaillent pas,
03:30 et surtout qui n'ont aucune opportunité dans le théâtre, le cinéma et la télévision en France.
03:36 Donc il y a eu une forme de colère, d'indignation, qui a parfois été un peu plus sourde,
03:44 c'est atténué, etc. Mais j'ai toujours été quand même sidérée par ce manque de vision du métier.
03:51 Manque de vision, Nadej Bossondian, manque de visibilité.
03:55 Soit les actrices noires, c'est ce que vous dites, sont absentes, soit elles sont cantonnées
04:00 aux rôles parfaitement stéréotypés de la femme de ménage à la mère sans mari, jamais au premier plan.
04:10 - Alors en plus, nous parlons effectivement de nous, mais nous parlons des hommes,
04:14 nous parlons des Maghrébins, nous parlons des Asiatiques.
04:16 Et comme je vous disais, je pense que malheureusement, les gens qui construisent l'industrie du cinéma
04:23 restent sur des repères d'un autre temps. Et quand on va, on n'a pas besoin d'aller très très loin,
04:29 mais je regarde moi la télévision beaucoup anglaise, ou maintenant on voit le cinéma américain.
04:34 Alors là-bas, c'est particulier parce qu'il y a évidemment des quotas, donc c'est quelque chose de particulier.
04:39 - Ce qui n'est pas le cas en France. - Ce n'est pas le cas en France.
04:41 Mais quand on voit le succès de Black Panther.
04:44 - Plus gros succès d'histoire du cinéma. - Voilà, c'est quand même incroyable.
04:48 C'est-à-dire que tout le monde s'est identifié à ses héros, et que ça ne posait pas de problème aux gens
04:52 de voir des héros et des héroïnes noires.
04:55 - Parce que la raison évoquée par ceux qui sont responsables de ça, on va revenir dans un instant sur cette image très forte.
05:02 Mais c'est que, c'est quoi ? Ça ne pourrait pas marcher un film ici en France avec une actrice noire en premier rôle ?
05:10 C'est ça la raison qu'on vous donne ?
05:11 - En fait, les raisons évoquées, effectivement, ce sont des raisons dites économiques et de bancabilité.
05:16 - Bancabilité, voilà. - Oui, je rajoute un plus haut, ça va.
05:19 - Il est très haut ! - Bancabilité, pardon.
05:22 - Vous êtes pardonnée.
05:23 - Mais on voit donc que cet argument ne fonctionne pas.
05:27 Et voilà, donc nous, ce que nous demandons, nous avons écrit ce livre parce qu'il y a un problème,
05:32 et que nous avons donc cette voix que nous pouvons faire entendre à 16, qui résonne d'autant plus
05:37 parce que nous sommes toutes différentes, issues de plein de générations.
05:40 C'est-à-dire que, vraiment, avec Aïssa, nous sommes mamies depuis longtemps,
05:43 nous pensions que nous avions, nous, essuyé les plâtres et ouvré les portes pour les jeunes.
05:47 Et nous voyons que Assa, Asila, Carreja, Touré vivent les mêmes choses que nous avons vécu.
05:51 - Ce n'est pas plus facile pour les plus jeunes.
05:53 - Voilà, c'est ça qui est malheureusement regrettable.
05:56 Donc, nous, nous avons écrit ce manifeste pour que maintenant,
06:00 nous nous rencontrions avec les professionnels de l'industrie du cinéma
06:04 et que nous essayions, que nous trouvions ensemble une solution.
06:07 - Alors, on va revenir sur cette image qu'on voyait derrière vous.
06:09 C'était jeudi dernier, mercredi dernier à Cannes.
06:13 Vous avez profité d'une montée des marches, d'un film qui a été présenté,
06:17 pour vous rassembler toutes les 16.
06:19 On va peut-être voir les images montées toutes ensemble.
06:24 Montée, qu'est-ce que vous avez ressenti à ce moment-là ?
06:28 - C'était... Ah, la fin, non, je suis très émotive.
06:30 C'était incroyable.
06:31 Alors, déjà, nous avons eu la chance d'être toutes habillées par Balmain.
06:34 Donc, merci à Olivia Houstin qui nous a toutes habillées.
06:37 - Toutes en noir et blanc, je crois.
06:38 - C'est, voilà, or, argent.
06:40 Et donc, voilà, c'est pour moi le moment de la sororité
06:45 dans tout ce qu'elle a de plus fort, d'émouvant et d'ouvert sur tous, en fait.
06:52 Donc, nous étions toutes là pour montrer que, voilà,
06:56 regardez cette image comme c'est fort et émouvant.
07:00 Avec Kat Janine qui était membre du jury, qui est venue nous rejoindre
07:04 pour signifier qu'elle était avec nous.
07:06 Et voilà, donc nous étions là à Cannes pour dire à l'industrie du cinéma,
07:10 et quand même, c'est quand même un des plus grands festivals international,
07:13 donc pour dire au monde, voilà, nous sommes là,
07:16 nous aimerions que les choses changent
07:18 et que notre voix ait une résonance à l'international.
07:21 - C'est un moment qui a marqué le festival, clairement.
07:24 Vous avez été très applaudies.
07:25 Et pourtant, les gens qui vous ont applaudies à ce moment-là,
07:27 ce sont eux, ils font partie de ce microcosme
07:30 qui véhicule ces clichés, ces stéréotypes que vous dénoncez.
07:33 - Alors, il faut quand même dire que dans ce milieu,
07:35 il y a beaucoup de gens qui pensent comme nous.
07:38 Nous ne sommes pas toutes...
07:40 Tout le monde ne pense pas, évidemment, comme la réalité est.
07:43 Il y a beaucoup de gens qui pensent comme nous,
07:44 qui veulent faire changer les choses,
07:45 que ce soit des producteurs, des scénaristes, des réalisateurs.
07:48 Moi, j'ai eu la chance de travailler avec des gens
07:49 qui ont écrit des choses pour moi,
07:51 en se moquant totalement du fait que j'étais noire.
07:54 C'était moi, Nadège, qui comptais, donc il faut dire ça.
07:56 Et puis, je pense que, voilà, nous, nous avons insufflé une énergie,
08:01 nous avons libéré une parole que d'autres ne pouvaient pas libérer.
08:04 Et cette énergie-là a eu un retentissement incroyable dans la rue,
08:08 parce que je vous dis les merci,
08:11 j'ai reçu un témoignage d'une jeune fille qui a 18 ans,
08:14 et qui dit, voilà, j'ai l'impression que j'étais folle,
08:17 et je ne suis pas folle, en ayant lu votre livre,
08:21 en vous voyant comme ça,
08:22 je sais que ce que je dis est vrai,
08:24 et que j'ai le droit d'exister moi,
08:26 en tant que jeune fille de 18 ans noire, en France.
08:29 - Pourquoi maintenant, il a fallu attendre ce mouvement de libération
08:32 de la parole des femmes en général,
08:34 pour que votre message plus particulier soit dans le bon tempo ?
08:40 - Je pense qu'Aïssa avait écrit le prologue bien avant l'affaire Weinstein,
08:44 et je ne sais pas comment tout s'est articulé,
08:47 mais effectivement, c'est maintenant, nous sommes en 2018,
08:50 et il est temps que les choses changent,
08:52 c'est-à-dire que nous sommes des femmes, nous sommes des femmes noires,
08:55 donc c'est-à-dire que déjà, on sait que c'est compliqué pour les femmes,
08:57 mais alors les femmes noires, je ne vous dis même pas comment c'est compliqué,
09:00 mais c'est surtout que, voilà, il est vraiment temps que les choses changent,
09:04 et nous profitons effectivement de cet élan de féminisme mondial,
09:09 et de cette sororité dont je parle.
09:11 - Ce qui te transparaît, c'est qu'en dépit des témoignages sidérants que vous racontez,
09:17 ce n'est pas un livre de colère, c'est un livre plutôt drôle,
09:20 un livre plutôt optimiste.
09:22 - Nous, nous sommes optimistes, c'est pour ça que quand on me dit
09:25 "je ne suis pas du tout en colère", c'est juste que nous avons vécu des choses atroces
09:29 et qu'on ne devrait pas vivre, mais nous avons le recul dessus
09:33 parce que nous les avons digérées, ces choses-là,
09:35 donc nous les restituons avec humour, second degré,
09:39 parce que quand même, il en faut pour supporter ce qu'on a supporté,
09:41 mais surtout pour dire, voilà, il y a des choses qui doivent être changées,
09:45 et soyons ensemble pour changer ça,
09:47 et que vous avez vu cette France dans laquelle nous vivons,
09:49 c'est formidable quand on marche dans la rue,
09:51 et moi, tous ces gens que je vois dans la rue,
09:53 je voudrais juste les voir au cinéma, au théâtre et à la télévision.
09:55 - Alors des projets, vous vous en avez,
09:57 on va vous retrouver d'abord au Festival d'Avignon,
09:59 ce sera au mois de juillet, à un rôle de théâtre.
10:02 - Oui, une très jolie pièce qui s'appelle "Sur la route", d'Anne Voutey,
10:05 avec Matt Agabin, Rachel Khan,
10:07 et si ça couche, je ne suis pas toute seule.
10:09 - Voilà, et donc là, un très beau rôle,
10:11 et puis dans la prochaine saison de la série sur les dessous du cinéma,
10:16 on en parle, la série 10% qui marche très bien ici en France aussi,
10:20 on a très hâte avec Damien Coquet de vous y retrouver,
10:22 on est fans de 10%.
10:24 - C'est gentil.
10:25 - Merci infiniment, Nadej Bosson-Diagne, d'être venu sur ce plateau,
10:28 on souhaite vraiment que ce manifeste...
10:30 D'ailleurs, vous avez créé un collectif ?
10:32 - Oui, le collectif "Diasporact",
10:34 et dans les jours qui arrivent,
10:37 vous verrez que nous avons plein de choses...
10:39 - Il y a un projet de documentaire ?
10:41 - Oui, il y a Issa Maïga qui est en train de réaliser un documentaire, et voilà.
10:44 - Merci, merci beaucoup, merci d'être venu sur ce plateau.
10:47 Je rappelle donc ce livre, "Noir n'est pas mon métier",
10:49 aux éditions du Seuil,
10:51 un livre à lire,
10:53 tant ce qu'on y lit paraît effectivement d'un autre temps,
10:56 mais teinté, on le disait, d'optimisme et de joie.