"Il faut mettre les moyens dans autre chose que construire des places de prison"
Surpopulation carcérale et conditions de vie alarmantes des détenus : Naïri Zadourian, avocate pénaliste, dénonce les problèmes de détention provisoire en France.
Surpopulation carcérale et conditions de vie alarmantes des détenus : Naïri Zadourian, avocate pénaliste, dénonce les problèmes de détention provisoire en France.
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00:00 On a vu que ça avait son effet, la construction de presse de prison.
00:03 On en a construit de plus en plus et on les remplit de plus en plus.
00:05 C'est comme l'image du sac à main.
00:07 C'est parce qu'on a un plus gros sac à main qu'on va mieux l'organiser.
00:10 Plus on est gros, plus on va le remplir. C'est littéralement ça.
00:12 Il est avéré qu'en France, on a un vrai problème avec la détention provisoire.
00:17 On envoie des dossiers en comparaison immédiate
00:18 lorsque le procureur estime qu'ils sont en état d'être jugés,
00:21 c'est-à-dire que toute l'enquête est bien ficelée
00:23 et qu'on peut présenter ce dossier au tribunal.
00:25 La comparaison immédiate est utilisée pour des dossiers
00:27 qui ne sont absolument pas en état d'être jugés.
00:29 Donc, il y avait trois personnes interpellées, il en manque une quatrième,
00:32 la quatrième, on la cherche, on place les trois autres en détention provisoire.
00:35 Comme ça, on se laisse un petit délai de deux mois pour trouver la quatrième
00:38 et puis si on la trouve pas, tant pis, on a déjà trois en détention provisoire.
00:41 Et on fait ça systématiquement en ce moment.
00:43 Et donc, de manière générale, dans le cas d'une instruction,
00:45 la détention provisoire peut durer jusqu'à 4-5 ans.
00:48 Il y a trois types d'établissements pénitentiaires.
00:49 Il y a la maison d'arrêt, qui est initialement prévue
00:51 pour les courtes peines et les détentions provisoires.
00:54 Le centre de détention, pour les personnes condamnées,
00:55 a des peines relativement longues.
00:57 Et on a les maisons centrales, donc ça, c'est pour les très longues peines.
00:59 Le problème de la maison d'arrêt,
01:01 c'est là qu'on renvoie les personnes placées en détention provisoire.
01:04 Ce sont les conditions de détention les plus dures.
01:06 Les maisons d'arrêt sont insalubres.
01:08 C'est là qu'on dort sur des matelas au sol,
01:10 alors qu'ils sont censés être présumés innocents.
01:13 La dimension, ça dépasse pas les 10 mètres carrés.
01:15 Il peut y avoir deux à trois dedans.
01:17 Il y a une sorte de porte d'attente pour les toilettes
01:20 qui ressemble absolument à rien.
01:22 C'est métallique, c'est ignoble, c'est très sale.
01:24 Certains n'ont même pas de frigo.
01:26 À Bois d'Arcy, par exemple, c'est des glacières.
01:27 Pas de frigo, pas de plaque de cuisson non plus.
01:29 Certains ont une douche en cellule,
01:31 notamment à fleur et myroglisse depuis les travaux.
01:34 D'autres, non.
01:35 Ça veut dire que la douche, c'est trois fois par semaine
01:37 pour les plus chanceux, 8 minutes max.
01:40 Le régime de la détention provisoire en maison d'arrêt,
01:42 il est beaucoup plus sévère que pour les condamnés.
01:45 Ils n'ont pas accès aux activités, puisqu'ils ne sont pas prioritaires.
01:47 On part du principe qu'ils vont pas y rester longtemps.
01:49 Donc ils sont pas prioritaires.
01:50 5 ans, ça fait peut-être beaucoup, quand même.
01:52 On a l'accès au travail,
01:54 pour lequel ils ne sont pas prioritaires non plus.
01:56 Donc on a des gamins qui passent 22h/24 en cellule à ne rien faire.
02:00 Et puis, quand ils essayent de se divertir sur un téléphone,
02:02 qu'est-ce qu'ils risquent ? Une fouille.
02:04 Qu'est-ce qu'ils risquent après la fouille ?
02:05 Un passage en commission de discipline,
02:07 et donc un placement en quartier disciplinaire.
02:09 Un détenu, on a le droit de leur faire 2 fois 500 euros de virement par mois.
02:12 Donc 1 000 euros maximum.
02:14 Sur ces 1 000 euros sont prélevées une part pour les parties civiles.
02:18 Même dans les dossiers où il n'y a pas de partie civile.
02:19 Et une part pour ce qu'on appelle le PQ libératoire,
02:22 c'est-à-dire la petite cagnotte qu'on leur constitue
02:24 pour que quand ils sortent, ils ne se retrouvent pas sans rien.
02:25 Finalement, en net, utilisable, il y a à peu près 610 euros.
02:29 Sur ces 610 euros, le détenu doit payer sa télé, donc 14 euros par mois,
02:32 son frigo, environ 5 euros par mois,
02:35 acheter ses cantines, qui sont d'ailleurs plus chères qu'à l'extérieur,
02:37 donc avec 200-300 euros, on n'achète vraiment pas grand-chose.
02:40 Donc c'est la nourriture, les produits d'entretien.
02:42 Tout doit être acheté par le détenu.
02:44 Absolument tout.
02:45 Et puis sur ce qu'il en reste, il faut qu'il charge la cabine téléphonique,
02:47 avec les prix exorbitants.
02:49 On veut inciter les gamins à ne pas utiliser leur téléphone portable
02:51 et à utiliser la cabine téléphonique.
02:52 J'entends, c'est environ 100 euros pour 20 heures d'appel.
02:55 C'est les prix de...
02:57 Je crois que c'était orange dans les années 2000.
02:59 Et puis 20 heures d'appel, vous doutez bien que pour sa copine,
03:01 pour sa famille, c'est absolument rien.
03:03 Les appels téléphoniques à leur avocat ne sont pas gratuits.
03:05 Donc un détenu qui n'a pas les moyens de recharger la cabine téléphonique
03:09 ne peut pas appeler son avocat.
03:10 Moi, j'ai déjà eu affaire 4 heures de voiture aller-retour
03:13 parce que j'avais une question à poser à mon client.
03:14 Sans cette réponse, je ne pouvais pas bosser.
03:17 Mais il n'a pas les moyens de recharger la cabine.
03:18 Que voulez-vous que je fasse ?
03:19 Et je ne peux pas le laisser, c'est comme ça.
03:21 Aucune somme d'argent ne peut dédommager l'enfer qu'ils subissent
03:24 pendant les 1, 2, 3, 4, 5 ans d'étance emprisonnée.
03:27 C'est inimaginable, c'est de la torture quotidienne.
03:29 C'est des hurlements à toute heure du jour et de la nuit.
03:32 Deux mecs en détresse, des gens qui deviennent fous.
03:35 Il y a un jeune homme qui, au bout de 2 mois de détente emprisonnée,
03:37 a commencé à hurler les chansons de Dora l'exploratrice par la fenêtre.
03:40 Il a vrillé.
03:40 Et vous allez me dire que c'est possible de dédommager ça ?
03:43 Impossible.
03:43 Ils n'ont plus d'intimité, ils n'ont plus rien, ils n'ont plus personne.
03:46 J'ai un client pour lequel ça revient très souvent,
03:48 il ne supporte plus d'être mis à nu.
03:50 Il me dit qu'on regarde sous mes testicules, qu'on regarde entre mes fesses.
03:56 Pourtant, on ne trouvera jamais rien, mais on le fait quand même.
03:59 Il ne supporte plus de devoir faire ses besoins devant ses co-détenus.
04:02 Et on ne les appelle même plus par leur prénom.
04:04 On les appelle par un numéro.
04:06 Quand on dit qu'ils sont logés, nourris, blanchis, en détention,
04:08 eh bien allez-y, je vous en prie.
04:09 On a vu que ça avait son effet, la construction de places de prison.
04:12 On en a construit de plus en plus.
04:14 Et puis, qu'est-ce qu'on fait ? On les remplit de plus en plus.
04:15 C'est comme l'image du sac à main.
04:17 C'est parce qu'on a un plus gros sac à main qu'on va mieux l'organiser.
04:20 Plus on y est gros, plus on va le remplir.
04:21 C'est littéralement ça.
04:22 On avait la loi Taubira qui permettait,
04:25 pour tous les condamnés à une peine inférieure ou égale à 2 ans,
04:28 de bénéficier d'un aménagement de peine.
04:30 La Macron-Touch, c'était les peines inférieures à 6 mois doivent être aménagées.
04:37 Sauf si la situation de la personne condamnée ne le permet pas.
04:41 Et je vous assure que les magistrats sont très très créatifs
04:44 lorsqu'il s'agit de remplir la case "sauf si".
04:48 J'ai moi-même rencontré, vraiment, je vous assure, la semaine dernière,
04:51 un jeune homme qui est parti en détention pour 51 jours.
04:54 Voilà.
04:55 Est-ce qu'on ne pouvait peut-être pas éviter l'incarcération pour ce jeune homme ?
04:57 Surtout, visiblement, c'était pour des contraventions.
04:59 Et donc on a rempli encore sa cellule pour 51 jours.
05:02 Et puis peut-être que j'en sais rien, il a peut-être perdu son boulot.
05:04 Aucun avocat ne vous dira qu'on s'en fout de la victime, bien au contraire.
05:07 En revanche, je pense que, pour les placements sous brasse électronique,
05:10 c'est la chose la plus opportune,
05:12 puisque laisser la personne à l'extérieur, ça peut aussi permettre d'aider l'enquête.
05:15 Voir s'il a des allées et venues chez lui.
05:17 Est-ce que lui se déplace à certains endroits en particulier ?
05:19 Le mettre sur écoute ?
05:21 Alors que le placement en détention pour le tort, pour moi, met fin à l'enquête, finalement.
05:25 Il faut qu'on mette les moyens dans autre chose que de construire des places de prison.
05:27 Parce que les moyens, on les a.
05:28 C'est idiot, et moi, je prendrais toujours l'image d'une maman quand elle punit son enfant.
05:31 Quand on est au coin, qu'est-ce qu'on pense ?
05:33 On a envie de hurler, de pleurer, on déteste notre maman,
05:36 on lui dit toutes les horreurs de la planète quand on est face au mur.
05:40 C'est à quel moment qu'on est le plus désolé ?
05:42 C'est quand elle nous prend dans ses bras.
05:44 Et je crois que la France, elle a suffisamment mis les gens au coin,
05:47 et elle n'a pas compris que ce n'est pas comme ça qu'on va changer les choses.
05:49 C'est le moment où, justement, elle les prend dans nos bras en disant
05:52 "T'as fait de la merde, t'as compris, ou tu vas comprendre, on va t'aider à comprendre.
05:56 Et tu vas revenir vers nous, tu vas revenir à table, et ça va bien se passer."
05:59 Et puis si on voit les détenus ou les délinquants ou criminels
06:02 ou suspects ou mis en cause comme des ennemis,
06:05 dans ce cas-là, j'invite un peu tout le monde,
06:06 c'est ringard au possible, ce que je veux dire,
06:09 mais c'est très juste de lire "L'art de la guerre" de Sun Tzu.
06:11 "Une grande nation, c'est celle qui traite ses ennemis avec tout le respect qu'il aurait dû."
06:14 Partons du principe que c'est nos ennemis.
06:16 Traitons-les juste autrement.
06:18 [Bruit de démarrage]
06:19 [Musique]