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Chroniqueuse : Marie Portolano 




Attention, vous être peut-être sur écoute…. Sandrine Rigaud publie une enquête édifiante sur l’affaire Pegasus, un logiciel espion ultra sophistiqué qui aspire les données personnelles, dans « Pegasus : Démocratie sous surveillance » co-écrit avec Laurent Richard. Dans cet ouvrage, ils reviennent sur le plus gros scandale mondial de cyber-surveillance depuis l’affaire Snowden. Retour sur cette menace qui pèse sur les journalistes.

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Transcription
00:00 Il est 8h13, c'est l'interview d'actualité. Marie, vous recevez ce matin Sandrine Rigaud.
00:03 Elle publie une enquête édifiante sur l'affaire Pegasus.
00:06 Attention, on est peut-être en train de vous écouter ou de vous épier.
00:09 Bonjour et bienvenue à vous.
00:10 Bonjour Sandrine Rigaud, merci d'être avec nous.
00:12 Vous publiez avec Laurent-Richard Pegasus, démocratie sur surveillance,
00:16 chez Robert Laffont. C'est une enquête mondiale
00:19 sur le plus gros scandale de cybersurveillance depuis l'affaire Snowden.
00:22 Déjà, c'est quoi Pegasus ?
00:24 Le projet Pegasus, c'est le nom de cette enquête mondiale qui a été publiée en juillet 2021
00:29 avec un groupe de 17 médias, 80 journalistes.
00:32 En France, on a travaillé avec Le Monde, avec Radio France.
00:34 Mais le nom Pegasus vient du nom de ce logiciel espion,
00:38 un logiciel vendu par une société israélienne qui s'appelle NSO
00:41 et qui est le logiciel le plus sophistiqué qui existe au monde.
00:45 C'est un logiciel qui attaque votre téléphone,
00:47 qui s'en prend à votre téléphone de façon totalement invisible.
00:51 Donc, il n'y a pas de lien suspect à cliquer.
00:54 Et une fois qu'il est dans votre téléphone, il aspire…
00:56 Il peut aller voir absolument tout.
00:58 Absolument.
00:59 Toutes les applications, tous les mails, tous les numéros, tous les textos.
01:01 Absolument.
01:02 Les photos les plus privées, les messages, y compris les applications cryptées.
01:07 Et ce qui est absolument redoutable, c'est que Pegasus peut activer à distance,
01:11 enfin les opérateurs de Pegasus peuvent activer à distance
01:14 le micro et la caméra de votre téléphone.
01:16 Donc, vraiment vous espionnez à 100%.
01:18 Qu'est-ce qui vous alertait sur le sujet ?
01:20 Alors nous, ça fait longtemps qu'on travaille sur les menaces qui pèsent contre les journalistes
01:23 parce que je suis d'abord la rédactrice en chef de Forbidden Stories,
01:27 qui est un consortium qui poursuit les enquêtes de journalistes assassinés.
01:30 Donc, on s'intéressait avec Laurent Richard et toute l'équipe de journalistes
01:33 aux menaces qui pesaient contre les journalistes.
01:35 Et il se trouve que les logiciels espions de ce genre sont une des menaces.
01:40 Il y a les menaces physiques, il y a les arrestations.
01:42 Mais des journalistes menacés, isolés dans le monde,
01:44 qui travaillent sur des sujets sérieux, sont de plus en plus prépaussibles.
01:47 Et donc, un jour, on s'est retrouvés avec Amnesty International
01:52 avec en main une liste de 50 000 numéros de téléphone.
01:55 Alors, vous découvrez cette liste et vous tombez des nues à ce moment-là.
01:59 En fait, c'est quelque chose de rarissime.
02:01 C'est une liste dont tous les services secrets du monde entier rêvent d'avoir entre les mains.
02:05 On se retrouve avec une liste de 50 000 numéros
02:07 qui avaient été sélectionnés pour être ciblés par Pegasus,
02:10 par une dizaine de gouvernements dans le monde et pas les démocraties les plus sympathiques.
02:15 On parle plutôt de régimes autoritaires comme l'Arabie Saoudite, le Maroc, l'Azerbaïdjan.
02:20 Donc, on se retrouve avec cette liste.
02:21 Alors, comment vous vous retrouvez avec cette liste déjà ?
02:23 Alors, c'est une fuite de données. On ne communiquera jamais sur l'origine de la liste.
02:28 Et donc, on travaille, mais on a des numéros de téléphone.
02:31 On ne sait pas qui est attaqué.
02:33 On ne connaît pas les noms, les visages derrière ces numéros.
02:35 Donc, le premier travail consiste à savoir qui sont derrière ces numéros.
02:41 Et une fois qu'on découvre l'identité des victimes,
02:44 effectivement, on tombe des nues parce qu'on savait que Pegasus s'en prenait à des journalistes
02:50 et que ce logiciel attaquait des journalistes dans les pires démocraties.
02:53 Là, on découvre plus de 200 journalistes dans la liste.
02:56 Et puis, il y a cette phrase incroyable, pardon, dans le livre.
02:59 "C'est alors que mes yeux se sont posés sur un nom qui m'a laissé sans voix l'espace d'une seconde.
03:03 J'ai bafouillé en pointant l'écran du doigt.
03:05 Laurent, tu as vu ça ? Macron, Emmanuel Macron, le président français.
03:10 Puis, plus loin, c'est le nom de Macron qui m'a fait comprendre
03:12 à quel point il était dangereux d'avoir accès à cette liste."
03:14 Donc, il n'y a pas que des journalistes.
03:16 Absolument. Là, on s'est rendu compte qu'on avait entre les mains quelque chose d'absolument explosif
03:20 parce que vous avez le président de la République française
03:23 qui est surveillé par une autorité étrangère.
03:26 Donc, on savait que ça allait être grave, dangereux,
03:30 qu'il fallait faire extrêmement attention aussi à nos communications.
03:32 Ça a été un des casse-têtes de cette enquête.
03:35 Mais vous coordonnez une enquête mondiale.
03:37 À Forbidden Stories, on a aussi coordonné cette enquête.
03:40 Inclus des journalistes dans la boucle, il faut absolument sécuriser vos communications.
03:45 Comment vous communiquez avec des journalistes sans utiliser votre téléphone portable ?
03:48 Parce qu'on savait qu'à terme, on allait être surveillés.
03:50 Alors, comment vous avez fait ?
03:52 Alors, à chaque fois qu'on se retrouvait, déjà, on mettait les téléphones portables à l'extérieur,
03:55 voire dans le frigo ou dans le micro-ondes.
03:57 Mais voilà, on n'a jamais travaillé avec nos téléphones portables dans la salle.
04:00 Tout ça se passe en période de Covid, donc il faut se déplacer physiquement.
04:03 Donc, on va rencontrer nos partenaires du Washington Post,
04:05 nos partenaires du Guardian chez eux.
04:07 Donc, ça prend énormément de temps.
04:08 Il faut les convaincre qu'on fait quelque chose de sérieux.
04:12 Quand on va voir une journaliste qui a un prix Pulitzer
04:14 et qu'on lui dit "Alors, on vient avec quelque chose d'important,
04:16 mets ton téléphone à côté", il faut être suffisamment sérieux.
04:19 Puis ensuite, on met en place un protocole de sécurité.
04:22 Et ça, c'est possible parce qu'on travaille avec deux génies de l'informatique
04:26 du Security Lab d'Amnesty International,
04:29 qui nous ont aidés à la fois à travailler sur cette liste
04:32 et à découvrir les preuves des attaques de Pegasus dans les téléphones,
04:36 mais aussi à mettre en place un protocole dont on n'a jamais parlé en détail,
04:41 mais un protocole qui nous empêchait d'utiliser nos appareils
04:44 pour les communications autour de cette enquête.
04:46 Il y a une autre phrase qui m'a marquée dans le livre.
04:48 "Je me souviens d'avoir pensé que si nous nous engageons dans ce projet,
04:52 le principal moteur de l'opération serait la paranoïa."
04:55 Vous l'êtes devenu, parano ?
04:56 Ah mais totalement !
04:56 C'est une enquête qui vous rend totalement dingue.
04:58 Il y a quelques jours de la publication,
05:00 je me souviens d'être sortie du bureau et vérifier si je n'étais pas suivie.
05:06 Enfin, c'est vrai que ça vous rend dingue et tant mieux
05:08 parce que c'est ce qui permet de vous protéger au mieux.
05:12 Et encore, on se doutait qu'on allait être surveillés,
05:14 mais nous on pensait essentiellement aux victimes de ce logiciel partout dans le monde.
05:18 On travaille avec des journalistes qui sont menacés en Azerbaïdjan, au Maroc, en Arabie Saoudite…
05:23 Oui, où le système n'est pas le même qu'en Europe.
05:24 Voilà, on travaille…
05:25 Les journalistes sont moins bien traités.
05:27 Exactement, on travaillait notamment sur le ciblage de l'entourage de Jamal Khashoggi.
05:32 On sait ce qui est arrivé à Jamal Khashoggi.
05:34 On ne veut pas mettre en danger ses proches.
05:36 On sait que sa fiancée, qui attendait devant le conseil à la Turque,
05:39 a été ciblée au même moment par Pegasus.
05:41 C'est une des révélations de notre enquête.
05:43 Le journaliste Omar Hadi, qui croupit aujourd'hui en prison au Maroc,
05:48 est un journaliste qui travaillait sur la corruption dans son pays,
05:50 sur les expropriations terriennes,
05:52 est un journaliste qui a été ciblé par Pegasus.
05:54 Donc ce n'est pas anodin, on a travaillé sur le cas de journalistes mexicains
05:57 qui ont été assassinés après avoir été pris pour cibles.
05:59 Donc vous avez eu peur de mettre des gens en danger,
06:02 et vous, est-ce que vous avez eu peur pour vous ?
06:04 Évidemment qu'on fait attention.
06:06 On se dit qu'à un moment donné, on travaille sur une liste
06:09 qui est convoitée par tous les services de renseignement.
06:11 Enfin, on sait à quel moment, quel régime espionne quel président,
06:16 quel avocat des droits de l'homme.
06:18 C'est une liste qui est extrêmement convoitée.
06:20 On sait qu'on va être probablement à terme ciblé.
06:23 Mais encore une fois, on a une source à protéger.
06:26 C'était vraiment ce qu'on avait en tête en permanence.
06:28 Et puis on a des victimes qu'il ne faut absolument pas mettre en danger.
06:31 Et c'est un casse-tête.
06:32 Comment vous appelez quelqu'un que vous voyez sur la liste
06:35 pour lui dire "attends, tu es menacé, tu es hacké par Pegasus,
06:39 vous ne pouvez pas le faire en utilisant votre téléphone
06:42 puisque cette personne est justement surveillée par Pegasus".
06:44 Donc il faut trouver un moyen de la contacter autrement.
06:47 Comment vous avez fait ?
06:49 Il faut rencontrer les gens personnellement,
06:51 il faut passer par des tiers.
06:53 En France par exemple, on a découvert que le téléphone d'Edouid Plenel avait été ciblé.
06:58 Donc il fallait connaître Edouid Plenel.
07:01 Laurent Richard, mon co-auteur, connaît Edouid Plenel.
07:03 Il fallait absolument le prévenir.
07:04 On sait sur quel sujet Edouid Plenel travaille.
07:08 Il faut d'abord le rencontrer, le convaincre de mettre son téléphone dans une salle
07:13 et puis lui dire "Edouid, nous avons des preuves,
07:16 laisse-en penser que tu es peut-être ciblé".
07:18 Alors évidemment, un bon journaliste d'investigation, il en demande un peu plus.
07:21 On ne peut pas tout lui dire à ce stade de l'enquête.
07:23 Mais Edouid Plenel a accepté de nous confier son téléphone portable.
07:27 Pour vérifier.
07:28 Pour vérifier.
07:29 On n'a plus le temps malheureusement.
07:30 Vous avez été contacté par l'Élysée après ça ?
07:32 Alors on a eu des pressions de toutes sortes des autorités françaises
07:35 avec menace de perquisition, etc.
07:38 Pour avoir la liste.
07:40 Et évidemment, on n'a pas communiqué parce qu'on a une source à partager
07:43 et c'est ce qui a toujours guidé notre travail.
07:46 Merci beaucoup Sandrine Rigaud, c'était passionnant.
07:48 Je rappelle que cette enquête Pegasus, démocratie sous surveillance,
07:51 co-écrit avec Laurent Richard et chez Robert Lafon.
07:54 Merci beaucoup.

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