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Transcription
00:00 Bonjour à l'eau ciné, je suis Pierre Ninet, je suis acteur et je joue dans le dernier film de Michel Gondry qui s'appelle "Le livre des solutions".
00:06 Michel est un très grand cinéaste, enfin pour moi c'est vraiment un artisan de l'imaginaire.
00:15 C'est un mec qui ne s'est jamais fixé aucune limite, qui a toujours laissé parler sa créativité, évidemment avec une énorme part d'enfance, de nostalgie.
00:23 Mais le film a ça de particulier en plus et j'étais très fier qu'il m'appelle déjà pour faire un film avec lui tout court, effectivement parce que c'était un rêve.
00:31 Et que je pensais jamais que ce rêve allait devenir réalité, moi être dans un film de Michel Gondry, j'aurais jamais osé rêver à ça.
00:37 Donc je suis trop heureux et trop fier. Et en plus c'est un film qui parle vraiment beaucoup de Michel de manière très intime.
00:43 Déjà on était une sorte de rapport parce qu'il m'avait choisi comme parrain pour une soirée près César.
00:49 Et on était resté en contact et dix ans plus tard, j'ai pensé à lui parce que...
00:58 C'est dur à expliquer mais quand je cherche un acteur qui doit plus ou moins me représenter, il faut que je puisse m'identifier.
01:04 Et il y a une sorte de virilité qui, si elle est trop forte, je n'arrive pas à m'identifier.
01:12 Par exemple les acteurs américains c'est très difficile, ils ont sur les épaules leur rôle d'homme.
01:17 Et Pierre, il n'a pas ça, donc j'ai plus de facilité à m'identifier à lui.
01:24 Et il a...
01:26 Moi je considère que j'ai un peu une tête à claques et je crois qu'il a un petit peu ça aussi.
01:30 Chez Yann Gauzlan, quand on fait un Homme Idale ou Boîte Noire, c'est un Yann 2.0
01:39 parce que c'est quand même effectivement au coeur de Thriller avec des enjeux beaucoup plus grands que la vie de Yann, enfin je lui souhaite.
01:45 Mais là c'est vrai qu'il y avait vraiment...
01:48 Il y a des scènes incroyables dans le film, vraiment incroyables au sens littéral,
01:52 où on a du mal à y croire, proche de l'absurde et tout ça.
01:55 Et quand on était sur le plateau, de jour en jour, je comprenais que chaque scène était vraie et était vraiment arrivée à Michel.
02:02 Des trucs aussi improbables que lui qui se met en tête qu'il va faire toute la musique de son film lui-même
02:08 alors qu'il n'est pas chef d'orchestre, donc il dirige un orchestre avec son corps
02:12 parce qu'il n'a pas d'autres moyens d'expression que de diriger comme ça l'orchestre et tout.
02:15 Ça c'est vraiment arrivé à Michel, il l'a vraiment fait pour un film.
02:18 Mais notamment il arrive là-bas et ça paraît anecdotique,
02:20 et le mec du studio de son au fin fond des Cévennes qu'il a trouvé dans un petit village paumé
02:26 sort avec la bite qui sort un peu du pantalon.
02:29 Et le personnage de Marc, moi, dans le film, voit ça et il est hyper perturbé de se dire "Oh là là, mais dans quoi je suis tombé ?"
02:36 Et Michel, le jour même du tournage, me dit...
02:39 "Ah ouais c'était marrant d'ailleurs parce que le mec ce jour-là il m'avait dit...
02:42 "Ah bah tiens, attends, on va lui demander d'ailleurs."
02:43 Et je me dis "Alors non seulement c'était vrai cette histoire de pénis semi-apparent,
02:48 "mais en plus, il le met dans le film, et en plus le gars est là ?"
02:51 Et il me dit "Bah oui, parce que c'est vraiment le studio où on a enregistré ça."
02:54 Et donc je me fais "Oh là là, oui en fait on est très loin dans l'autobiographie,
02:58 "et on est allé vraiment sur tous les décors dans les Cévennes que Michel a connus à ce moment de burn-out dans sa vie."
03:03 Il y a plein de trucs assez crédibles dans le film qui sont pas vrais,
03:05 et plein de trucs improbables et complètement fous qui sont vraiment arrivés à Michel.
03:09 Si vous prenez la scène du camiontage,
03:12 le camion était là depuis que je suis né quasiment,
03:16 parce que c'est dans cette maison que j'ai passé quasiment toutes mes vacances.
03:19 Et le camion était là, et pendant cette période, on essayait de terminer le film,
03:24 j'avais envie de transformer le camion en salle de montage.
03:30 Je l'ai pas fait, mais justement quand on a fait le film,
03:32 j'ai trouvé l'occasion de le construire.
03:36 Et en revanche, il y a d'autres choses que j'ai faites et qu'on a pas utilisé dans le film.
03:42 J'avais fait un groupe disco avec la factrice qui avait 75 ans, et on a fait des concerts.
03:47 J'avais fait un spectacle de marionnettes pour le village,
03:50 on l'a tourné mais on a pas pu le monter pour des histoires de temps.
03:53 Il y a des choses que j'ai pensées et que j'ai pas faites.
03:56 Il y a un gros pourcentage de similitudes.
04:00 C'est pour ça que le film a une vraie singularité,
04:04 et aussi un vrai intérêt à se dire "qu'est-ce que c'est qu'être dans le crâne d'un génie ?"
04:09 Franchement j'ai pas peur des mots avec Michel, c'est vraiment un génie.
04:11 Dans la diversité de ce qu'il propose d'art plastique et filmique, et le mélange des genres.
04:17 Et de se dire "qu'est-ce que c'est qu'être dans la tête d'un créateur à ce moment-là,
04:21 quand on découvre qu'on est maniaco-dépressif,
04:23 et qu'en même temps on a une créativité absolument débordante,
04:27 tout ça en ayant un film qui coûte des millions sur les épaules."
04:30 Bienvenue dans ton camiontage.
04:32 Tu tournes le volant à droite, tu claxonnes.
04:35 On installe les producteurs.
04:37 Ils peuvent rien voir les producteurs.
04:39 Voilà, exactement.
04:41 Il voulait pas que je l'imite, même s'il me l'a pas dit,
04:48 j'ai compris, on va dire, il y a des choses qu'il dit,
04:51 qui peuvent paraître anecdotiques parfois Michel, et qui sont très importantes,
04:54 et inversement, là en l'occurrence, moi je pense avoir capté qu'il voulait pas une imitation de lui,
04:59 ça c'était sûr, mais par contre c'est vrai que moi en tant qu'acteur,
05:02 évidemment les vidéos de lui à l'époque, il y a 10 ans,
05:05 quand justement il a commencé à être dans ce tourbillon,
05:09 ces tourments mentaux et psy, et en même temps créatifs,
05:14 ces vidéos d'il y a 10 ans, quand il dirige l'orchestre,
05:17 comment il parlait aux gens, avec quelle intensité,
05:20 tout ça m'a beaucoup beaucoup servi quand même pour comprendre de quoi en parler.
05:23 C'est un moment très particulier de la vie de Michel Gondry,
05:26 c'est un moment dur, et en même temps qu'il a traité avec beaucoup,
05:29 je pense dans le film, de légèreté,
05:32 et je trouve que la rencontre entre la question de la santé mentale,
05:36 et en même temps la légèreté de la création, de l'enfance,
05:40 je trouve que ça fait un mélange qu'on voit pas tous les jours,
05:43 donc le film est assez indescriptible, et pour ça je suis très fier.
05:47 Il est très mélancolique aussi, il est très familial,
05:50 il a trouvé refuge à ce moment-là de sa vie,
05:53 alors qu'il faisait ce gros film dans la petite maison dans les Cévennes de sa tante,
05:58 qui était pour lui un repère, sa tante qui l'a beaucoup aidé dans sa vie.
06:01 Il le raconte dans un documentaire magnifique aussi,
06:03 qui s'appelle "L'épine dans le cœur", sa tante Suzette qui a donc réellement existé,
06:07 et qui est jouée par Françoise Lebrun dans le film.
06:11 Et oui, je pense que les gens vont être surpris par la tonalité du film,
06:14 qui traverse effectivement plusieurs tons très différents.
06:18 Il y a de la comédie, il y a du drame, il y a même du film presque action-thriller,
06:22 il y a un moment en parodie un peu, mais c'était vraiment génial à faire.
06:25 Il y a la folie créatrice, il y a des bouts, ça part en dessin animé dans le film,
06:46 et puis vraiment avec le côté puriste de Michel,
06:49 où il m'a vraiment appris à faire de l'animation,
06:51 parce que du coup je le faisais vraiment avec l'animation,
06:53 avec l'appareil photo vraiment au-dessus, cliché par cliché, à la main et tout,
06:57 donc vraiment à l'ancienne.
06:58 Et en même temps qu'il y ait la méthodologie de Michel pour tous ses clips,
07:02 avec Björk, avec les Rolling Stones, avec les Daft Punk.
07:05 Et en même temps, comme tu dis, il y a cette...
07:08 Maintenant je trouve qu'il a de plus en plus envie de parler aussi de lui,
07:10 d'où il vient, les malheurs qu'il peut rencontrer psychologiquement,
07:13 de buter sur des problématiques qui n'en sont pas et qui en sont aussi réellement.
07:17 Je trouve ça bien de parler de santé mentale aussi pour les artistes,
07:20 parce que comme dans le sport, comme partout, c'est un peu tabou,
07:23 alors qu'en fait on traverse tous des choses plus ou moins évidentes.
07:25 C'est connu en psychologie, mais toute douleur est relative.
07:28 On ne peut pas comparer la douleur,
07:30 c'est pas parce que quelqu'un est forcément un artiste qui travaille,
07:34 qui a une vie, on va dire, matérielle, correcte,
07:37 qu'à côté de ça il ne connaît pas des grands affres de souffrance,
07:41 ou de douleur, ou de malheur,
07:42 et puis qu'il arrive aussi parfois à les transformer en autre chose,
07:45 c'est ça qui est beau.
07:45 Moi je trouve ça beau de se retourner sur soi-même, sur son parcours,
07:49 et de dire "là j'allais pas bien".
07:51 J'allais pas bien, mais pour autant je pense qu'il y a un truc intéressant à raconter.
07:54 Parce qu'il n'est pas du tout dans l'apitoiement, Michel,
07:57 pas du tout, du tout, du tout.
07:58 Il détesterait qu'on fasse un film sur "oh j'allais mal".
08:01 Son film c'est tout sauf ça,
08:03 mais ce que je trouve beau c'est quand même quand on regarde,
08:05 quand on arrive à lire le film et qu'on le voit,
08:08 à travers la comédie, les trucs cocasses,
08:09 il y a Sting dans le film qui apparaît à un moment improbable,
08:12 à travers tout ça je trouve qu'on sent la mélancolie,
08:14 et quand même la souffrance de Michel.
08:17 Et je trouve ça beau de s'ouvrir comme ça.
08:19 Et surtout pour quelqu'un comme Michel,
08:20 qui n'est pas forcément quelqu'un très enclin à se livrer totalement.
08:26 Il le fait à travers l'humour, à travers la création,
08:28 mais là je trouve qu'il fait un acte de courage avec ce film.
08:31 [Musique]
08:35 [SILENCE]

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