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Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik était l'invité du 7h50 de France Inter ce dimanche. Il est revenu sur la situation dans les crèches françaises, à l'occasion de la parution de son nouveau livre, "Quarante voleurs en carence affective", aux éditions Odile Jacob. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50-du-week-end/l-invite-de-7h50-du-we-du-dimanche-10-septembre-2023-9530419

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00:00 Et votre invité ce matin Marion est neuropsychiatre.
00:02 Et sans doute le psychiatre le plus connu et apprécié des français qui publie chez
00:06 Odile Jacob « 40 voleurs en carence affective ». Bonjour Boris Cyrulnik.
00:10 Bonjour.
00:11 On va venir bien sûr à votre livre mais je voulais d'abord vous parler du Maroc
00:13 et de ce séisme qui a fait plus de 2000 morts au sud de Marrakech.
00:16 Vous avez, vous, énormément travaillé sur le concept de résilience.
00:20 Alors c'est un peu tôt bien sûr.
00:21 Est-ce qu'on peut se remettre d'une telle tragédie ?
00:23 Ben là ça va coûter terriblement cher mais pour les survivants certains ne se remettront
00:30 pas.
00:31 C'est le syndrome psychotraumatique et ils vivront régulièrement en pensant à ça.
00:36 Mais si on les entoure, un grand nombre d'entre eux se remettront à vivre avec la blessure
00:41 dans la mémoire.
00:42 Alors les entourer ça veut dire quoi ?
00:44 Ben il faut les soutenir physiquement.
00:47 Actuellement on n'est pas dans la résilience, on est dans la résistance, la synchronie.
00:51 Il faut physiquement les soutenir, leur apporter des médicaments, des pompiers, des vives.
00:57 Et après, quand on fera le bilan des morts, des blessés, des ruinés, à ce moment-là
01:02 pour les survivants il faudra donner sens à ce qui est arrivé de façon à pouvoir
01:07 organiser une nouvelle ville et reprendre une nouvelle vie.
01:11 Et là on sera dans la résilience.
01:13 Transformer le traumatisme en autre chose en quelque sorte ?
01:15 Voilà c'est ça, transformer le traumatisme en un nouveau développement.
01:19 Ils n'ont pas le choix.
01:20 On en vient à votre livre Boris Cyrulnik, 40 voleurs en carence affective, un ouvrage
01:26 qui traite de l'attachement, avec de nombreux exemples qui sont tirés du monde animal aussi.
01:30 Vous expliquez notamment comment les enfants en carence affective peuvent devenir des adultes
01:34 violents qui sont incapables de contrôler leurs émotions, leurs rages.
01:37 Et dans le monde animal on le voit aussi avec des expériences sur les macaques par exemple
01:41 qui sans relation aux autres, sans aucune relation aux autres, ne se développent pas
01:45 correctement.
01:46 Alors quand vous entendez cette semaine par exemple ces enquêtes consacrées au crèche
01:50 privée ou au manque de personnel, où les enfants ne sont maltraités, n'ont pas accès
01:54 au lit, au repas complet, ça vous inspire quoi ?
01:56 Ah ben c'est exactement la tragédie.
01:59 C'est-à-dire que les mille premiers jours, la petite enfance, le cerveau bouillonne.
02:03 Et à ce moment-là tout événement marque son empreinte et circuite le cerveau.
02:08 Depuis la neuro-imagerie, on va dire depuis 15 ans, on voit en photographie, en mesure,
02:14 que le cerveau est sculpté par le milieu.
02:16 Donc si on offre au bébé un milieu altéré, on va altérer leur cerveau et ça va être
02:22 une tragédie pour eux et ensuite ils vont coûter très cher à la société.
02:26 Et vous avez travaillé, vous avec le gouvernement et l'exécutif, sur ce concept des mille
02:31 premiers jours.
02:32 Il y a un guide qui a été édité pour les jeunes parents.
02:35 Quels sont les conseils de bon sens que vous avez inscrits dans ce guide ?
02:41 Ah ben c'est pas du bon sens, c'est des travaux scientifiques depuis les années
02:46 30.
02:47 C'est parti de Harlow, c'est-à-dire de l'étude chez les macaques.
02:51 Un mammifère privé d'altérité arrête tous ses développements.
02:56 Mais en 1930, on n'avait pas la neuro-imagerie.
02:59 Et aujourd'hui, on photographie comment un macaque ou un être humain, un mammifère,
03:04 on est des mammifères, un être vivant, un être humain privé d'altérité, atrophie
03:12 certaines zones cérébrales qu'on photographie.
03:14 Mais si on réorganise le milieu, cette atrophie cérébrale peut se recircuiter.
03:20 C'est la définition de la résilience neuronale.
03:22 Alors ce qui se passe actuellement dans les crèches, c'est très grave.
03:28 Il faut que la petite enfance, le rapport des mille premiers jours qui a eu un retentissement
03:33 mondial, qui est traduit dans 16 langues différentes aujourd'hui, y compris par les japonais,
03:39 c'est un moment sensible du développement.
03:43 Si on le rate, on pourra le rattraper, mais ce sera un travail coûteux et long.
03:48 Alors que si on offre à ces enfants un moment de stabilité, ils sont bien partis dans la
03:54 vie.
03:55 Ce n'est pas gagné pour la vie, mais au moins ils sont bien partis.
03:57 Vous dites, Boris Styrulnik, qu'il faut changer le milieu.
04:00 Ça veut dire quoi ? Ça veut dire renforcer le taux d'encadrement ?
04:03 C'est ça la solution ? C'est ce que propose le gouvernement ?
04:06 Est-ce qu'il faut plus de contrôle aussi dans ces établissements privés qui ne respectent
04:09 pas toujours les règles ?
04:10 Les Africains disent qu'il faut tout un village pour élever un enfant.
04:14 Ça a été repris par tout le monde.
04:16 C'est joli.
04:17 John Bowlby, le fondateur des théories de l'attachement, dit que le système familial
04:22 le plus protecteur, c'est un système familial à multiples attachements.
04:27 La mère, inévitablement, puisque c'est elle qui a porté l'enfant.
04:31 Mais pas qu'elle ?
04:32 C'est elle qui a porté l'enfant, donc c'est elle qui a marqué les premières
04:36 empreintes.
04:37 Si autour de la mère, de mon temps on disait le mari, comment il faut dire aujourd'hui
04:42 ? Le compagnon, le père, le parent numéro deux.
04:45 Le mari, la famille, les copains, les métiers de la petite enfance, si on organise une niche
04:53 sensorielle autour de ces enfants, ils ont de quoi se débrouiller pour bien se développer.
04:58 Ce n'est pas le cas dans ces crèches qui gagnent de l'argent en abîmant les enfants.
05:02 Donc ça veut dire que maintenant, il y a une culpabilité de la crèche et du gouvernement.
05:08 C'est-à-dire qu'il faut organiser les trois niches sensorielles qui permettent à un enfant
05:13 de se développer bien.
05:15 La niche utérine, ça part de ce moment-là.
05:18 La structuration du cerveau commence dans l'utérus.
05:22 Si la mère est stressée, ça va ralentir et modifier le développement du cerveau.
05:26 Après la naissance, c'est les bras, le corps de la mère, le mamelon, le regard qui est
05:31 très important, la voix de la mère.
05:33 Pas seulement sur le téléphone, autrement dit le regard.
05:35 Ce que vous dites, c'est ça exactement.
05:38 Malheureusement, si la mère regarde son téléphone au moment où elle donne le sein, très rapidement,
05:43 le bébé cesse de téter.
05:45 On dit qu'il a des troubles alimentaires alors qu'en fait, il a déjà des troubles
05:49 relationnels.
05:50 Mais autour de la mère, il faut qu'il y ait un mari, un compagnon, une grand-mère,
05:56 une autre femme, puisque maintenant c'est reconnu par la société.
05:59 Il faut qu'il y ait une deuxième niche sensorielle.
06:03 Et la troisième niche sensorielle, c'est celle de la verbalité qui commence dans l'utérus.
06:08 Notre cerveau, le lobe temporal gauche, qui va devenir la zone du langage, commence à
06:13 être sculpté dans l'utérus.
06:15 Donc si on s'occupe de ces trois niches sensorielles, le bébé partira bien dans la
06:20 vie.
06:21 Vous parlez du langage, Boris Cyrulnik.
06:22 Vous écrivez dans votre livre « La langue est la pire et la meilleure des choses ».
06:25 Ça veut dire quoi ?
06:26 Alors ça a été dit par Aesop avant Cyrulnik.
06:29 Oui, mais vous l'écrivez dans votre livre.
06:31 C'est que ça a un rapport avec cet attachement.
06:33 Oui, mais oui.
06:34 Parce que dès l'instant où on parle, on crée un monde avec nos mots, un monde impossible
06:40 à percevoir.
06:41 C'est uniquement des représentations.
06:43 Et là, on peut représenter la créativité, les fabricants de mots, les journalistes,
06:48 les gens de théâtre, les romanciers, les cinéastes, les fabricants de mots et d'images.
06:53 Et là, on peut faire des merveilles.
06:55 Mais on peut aussi faire des malédictions, mauvaise diction, la diction qui condamne
07:01 le langage totalitaire.
07:03 Il n'y a qu'une vérité, celle du chef.
07:05 Et là, ce qui se passe actuellement, c'est que dans plein de pays en difficulté, les
07:09 gens sont désemparés et ils votent pour un dictateur qui est élu démocratiquement.
07:15 Mais qui sait leur parler.
07:16 Mais qui sait mettre en scène un langage totalitaire.
07:21 Hitler était un chef d'œuvre de mise en scène.
07:24 Les oriflames, les tambours, les gestes d'opéra, les gestes académiques du 19e siècle.
07:30 Les gens adoraient ça.
07:31 Il n'y avait aucun contenu.
07:33 Il n'y avait que du spectacle.
07:35 Même des gens intelligents.
07:37 Les Allemands étaient des gens intelligents.
07:39 C'était le peuple le plus cultivé d'Occident.
07:41 Ils ont été embarqués par cette stupidité qui remplace la pensée par une récitation,
07:48 par un slogan.
07:49 Et là, les gens se laissent embarquer.
07:51 Parce que ça les rassure.
07:52 Et ils donnent le pouvoir à un dictateur.
07:55 Je reviens à notre France d'aujourd'hui.
07:58 Il y a récemment eu plusieurs suicides liés au harcèlement à l'école.
08:02 Le dernier, c'était à Poissy, le 6 septembre, un adolescent de 15 ans.
08:05 Là, le gouvernement dit que l'auteur des faits de harcèlement doit être celui qui
08:10 est déplacé, qui est sorti de l'établissement.
08:12 Et ce n'est pas la victime qui doit être déplacée, comme c'était souvent le cas
08:15 jusqu'ici.
08:16 Quelle autre réponse on peut apporter à ce genre de faits de harcèlement ?
08:20 Alors, le suicide est un marqueur tragiquement bon de la désorganisation sociale.
08:29 Chaque fois qu'il y a une désorganisation sociale, il y a un pic de suicide.
08:33 On sait ça depuis le 19e siècle.
08:34 Ça a été confirmé mille fois.
08:37 Le harcèlement est un marqueur tragiquement pertinent de la non-structuration des enfants
08:44 pour l'empathie, c'est-à-dire la représentation du monde des autres.
08:48 Donc, il y a une défaillance éducationnelle.
08:50 Comme vous l'avez dit tout à l'heure, il y a la mère.
08:53 Mais il n'y a pas que la mère.
08:54 Il y a la mère et son entourage.
08:56 Et là, quelque chose est défaillant, parfois dans la mère, le plus souvent autour de la
09:02 mère.
09:03 Donc, il y a une défaillance éducative et on doit intervenir là-dessus pour développer
09:07 l'empathie des enfants qui adorent ça.
09:09 Avec des contes, avec des films, avec des explications.
09:13 On peut leur apprendre l'empathie.
09:15 Il y a une pédagogie de l'empathie.
09:16 Même si on a raté le début, vous disiez qu'on peut rattraper.
09:19 Alors, plus on tarde, plus la résilience est difficile.
09:23 Mais dans les petites années, c'est du gâteau.
09:26 Les éducateurs emploient cette expression.
09:27 C'est du gâteau, ça bouillonne.
09:29 Les enfants apprennent tout à toute allure.
09:30 On apprend notre langue maternelle en 10 mois, sans école, sans livre.
09:35 Vous êtes capable de refaire cette performance dans votre vie ?
09:38 Moi, ça fait 150 ans que je suis débutant en anglais.
09:41 Mais si j'étais né en Angleterre, j'aurais appris l'anglais en 10 mois.
09:44 Sur la question de la violence, il y a eu en juillet dernier un déchaînement de colère
09:48 lors d'émeutes urbaines, après que le jeune Niel a été tué par la police lors d'un
09:51 refus d'obtempérer.
09:52 Une des réponses, c'était cette proposition du ministre de l'Intérieur d'expulser
09:56 les familles d'émeutiers des HLM s'ils en occupent.
09:59 Est-ce que c'est adapté ? C'est ça la bonne réponse ?
10:01 Non.
10:02 Non, la bonne réponse, c'est que ces gens sont vulnérabilisés par leur migration,
10:09 qui est un trauma, très souvent un trauma intense, par l'accueil, qui, même s'il
10:14 a fait énormément de progrès, il n'est pas toujours bon.
10:17 De toute façon, il y a le stress du migrant, même quand ça se passe bien.
10:20 Et là, ça ne se passe pas bien, souvent.
10:22 Donc, je pense qu'au contraire, ce n'est pas punir ses parents, c'est au contraire
10:27 sécuriser ses parents et leur donner une autorité.
10:30 L'autorité, c'est le contexte qui donne l'autorité.
10:34 Il y a eu des pères qui ont été un peu trop autoritaires, parce que c'est Napoléon
10:39 qui avait fait des hommes des pères de chefs de famille.
10:42 Et les chefs de famille n'étaient jamais dans leur famille.
10:44 Ils partaient le matin, les enfants dormaient encore, ils rentraient le soir, les enfants
10:48 dormaient déjà.
10:49 C'est la femme qui n'avait aucun droit, qui faisait tout dans la famille, mais qui
10:52 n'était pas chef de famille.
10:54 Il y avait donc une absurdité légale qui a disparu maintenant.
10:58 Donc, ce qu'il faut, c'est l'alentour, la culture, les récits, les lois doivent
11:03 donner, au contraire, redonner un peu de pouvoir à ses parents.
11:06 Et là, les parents pourront faire leur boulot.
11:08 - Alors, puisque vous me parlez des femmes, et puis qu'il reste une minute dans votre
11:11 livre, vous écrivez aussi que la maturation cérébrale est plus lente chez le garçon
11:15 et qu'elle les rend plus vulnérables.
11:17 Les garçons sont plus fragiles que les filles.
11:19 - Oui, mais ça, ça reste entre nous.
11:21 - Mais ne le dites pas trop fort !
11:23 - Je me sens visé !
11:25 - Mais non !
11:26 - Eh oui ! C'est que les filles sont XX.
11:29 - Des chromosomes.
11:31 - Si une anomalie est portée par un X et pas par l'autre, il n'y aura pas d'expression
11:36 pathologique.
11:37 Pour les garçons, c'est XY.
11:39 Et le Y, c'est un chromosome fragile qui se fragmente, qui porte beaucoup d'anomalies.
11:43 Le résultat, c'est que s'il y a une défaillance dans l'enfant ou autour de l'enfant, ça
11:48 va s'exprimer.
11:49 Donc, les garçons, effectivement, le développement des garçons est beaucoup plus difficile que
11:54 le développement des petites filles.
11:56 5% des garçons sont très difficiles.
12:00 Préverbalement, avant la parole, c'est les bébés garçons qui mordent, qui tapent,
12:05 à la crèche.
12:06 Il y a 5% des garçons et moins de 1% des filles.
12:11 Et c'est pour ça que dans les consultations de pédopsychiatrie, il n'y a presque pas
12:14 de filles.
12:15 Les filles qui viennent en pédopsychiatrie, c'est qu'il y a une tragédie médicale ou
12:19 familiale ou sociale, comme la guerre.
12:22 Et ça veut dire qu'à 12 ans, les filles ont deux ans d'avance sur le développement
12:27 des garçons, d'avance neuropsychologique.
12:29 Sur le plan scolaire, c'est faramineux.
12:31 Et au moment du bac, les filles sont des jeunes femmes en place, alors que les garçons à
12:36 18 ans ne pensent qu'aux choses importantes, c'est-à-dire le foot et la drague.
12:41 - Merci Boris Thiryounis d'être revenu sur France Inter.
12:44 Très bien résumé, merci infiniment à tous les deux.
12:46 Merci Boris Cyrulnik.

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