À l'occasion de sa sortie de ses mémoires ("Une histoire française" chez Tallandier), l'ex-Premier ministre Alain Juppé est l'invité du Grand Entretien. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-lundi-11-septembre-2023-4181153
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00:00 Elle est 8h23.
00:02 France Inter, Léa Salamé, Nicolas Demorand, le 7/10.
00:08 Et avec Léa Salamé, nous recevons ce matin un homme qui a marqué 40 ans de vie politique
00:13 française, Premier ministre, ministre des Affaires étrangères, président du RPR,
00:18 de l'UMP, maire de Bordeaux, il est aujourd'hui membre du Conseil Constitutionnel et publie
00:23 ses mémoires sous le titre « Une histoire française » chez Talendier, ce sera en librairie
00:27 jeudi.
00:28 « Questions et réactions au standard inter 01 45 24 7000 » et sur l'application aussi
00:35 de France Inter.
00:36 Alain Juppé, bonjour.
00:37 Bonjour, merci de m'accueillir.
00:39 Et bienvenue à ce micro.
00:40 Pour ce livre, ça va peut-être vous faire sourire qu'on a trouvé avec Léa particulièrement
00:46 touchant venant d'un homme auquel a toujours collé une réputation de froideur et d'orgueil.
00:52 Il y a une forme de sincérité dans ses pages, la sincérité de celui qui a fait de la
00:58 politique pendant 40 ans à tous les postes ou presque, mais qui, contrairement aux mémoires
01:03 d'autres hommes politiques, ne prépare pas son retour et peut donc écrire, parfois
01:09 très simplement, ce qu'il a sur le cœur.
01:12 Est-ce qu'on se trompe Alain Juppé ? Est-ce qu'on vous a mal lu ?
01:14 Je crois que vous avez bien perçu ce que je voulais dire et d'une certaine manière
01:20 ça me touche, effectivement.
01:21 Vous savez, j'ai entendu très très souvent à la suite de mes interviews le commentaire
01:25 suivant « Alain Juppé a fendu l'armure ».
01:28 Ça fait longtemps que mon armure est en place.
01:30 On vous l'a évité celle-là ce matin.
01:33 Merci.
01:34 J'ai essayé de laisser parler mon cœur puisque, comme vous l'avez dit, j'ai tourné la page.
01:38 C'est ce que vous dites, il y a une liberté dans la plume en fait, qu'on ne retrouve
01:41 pas chez d'autres qui ont sans doute une forme de liberté de sincérité mais où il
01:47 y a aussi le désir de revenir.
01:48 Une forme de cynisme forcément, il n'y en a pas dans votre livre.
01:51 Je n'éprouve pas ce désir et ma décision est prise et elle est irrévocable.
01:55 En 2019, j'ai tourné la page de la vie politique qui a été la mienne, comme vous
01:59 l'avez rappelé, pendant 40 ans, qui m'a apporté de grands bonheurs et aussi quelques
02:05 tristesses et quelques souffrances.
02:06 Et donc c'est l'heure du regard rétrospectif.
02:07 Voilà, je jette un regard sur mon passé et comme mon statut actuel m'interdit de
02:12 commenter l'actualité politique, je m'attache au passé d'une certaine manière.
02:16 Mais le passé peut servir à la compréhension de l'avenir.
02:19 Et c'est ce qu'on va essayer de tenter ce matin, même si effectivement vous avez
02:22 une obligation de réserve en tant que membre du conseil constitutionnel.
02:26 Ce livre est très politique au sens noble du terme.
02:30 Vous parlez de vos convictions qui au fond n'ont pas changé en 40 ans, de vos succès,
02:34 de vos échecs, mais aussi de votre enfance, de votre pays, les Landes.
02:37 Et aussi on va en parler avec des phrases stupéfiantes sous votre plume, des pages
02:42 sur le désir et les femmes.
02:44 Oui, oui, oui.
02:46 Mais pour commencer, vous écrivez dans l'épilogue du livre qu'une grande question vous tourmente
02:51 désormais, qu'ai-je donc fait de ces années ? Avez-vous une réponse ?
02:55 Ce serait un peu prétentieux peut-être de porter un jugement sur ce parcours qui a été
03:04 accidenté.
03:05 J'ai connu des succès, j'ai connu des échecs, mais au total, voilà, je pense que
03:11 j'ai fait ce que je tenais à faire.
03:14 Et je crois que le message que je souhaite adresser précisément, c'est le respect
03:18 que m'inspire l'engagement politique, malgré ces difficultés que je ne dissimule pas dans
03:23 le texte.
03:24 Je crois qu'effectivement, les hommes politiques ont une image détestable en France comme
03:28 ailleurs.
03:29 Ils sont réputés inefficaces, impuissants, menteurs, pourris, ils ne méritent pas cette
03:33 réputation.
03:34 Il y a des moutons noirs dans ce métier, entre guillemets, comme dans tous les métiers.
03:38 Mais au fond des choses, les politiques sont mûs par la recherche du bien commun et par
03:44 le sens du service public.
03:45 C'est ça qui me paraît important de dire aussi.
03:47 Vous dites que la froideur, la fameuse froideur qu'on vous a reproché toute votre vie et
03:52 qui vous a blessé vient de l'enfance de cet enfant premier de classe, poussé par
03:57 sa mère qui rafle tous les prix et qui a sans doute développé chez vous un sentiment
04:01 de supériorité qui peut tourner à l'orgueil, une distance vis-à-vis d'autrui, aggravée
04:08 par une timidité naturelle.
04:10 C'est ça la matrice ?
04:11 J'ai essayé de m'auto-analyser, si je puis dire, puisque tout au long de ma carrière,
04:16 j'ai une réputé froide, y compris certains de mes propres amis.
04:19 Donc il devait y avoir une part de vérité dans cette réputation qui m'a collé à
04:23 la peau.
04:24 Alors pourquoi ? Et j'ai trouvé ces explications.
04:26 C'est vrai que, je le dis sans forfonterie et sans arrogance, j'ai fait une carrière
04:32 scolaire au collège ou au lycée où j'avais eu le prix d'excellence tous les ans.
04:35 Alors ça crée une petite différence avec les copains, même si j'en ai gardé encore
04:40 très proche de moi.
04:41 Et puis il y a cette timidité naturelle.
04:44 Je fais un parallèle entre mon physique et le pain des Landes qui est droit et sec.
04:49 Mais du coup, vous pensez qu'il faut, comme votre mère l'a fait avec vous, pousser
04:54 ces enfants à être les premiers ?
04:55 Je ne sais pas.
04:56 C'est ce qu'elle a fait et je l'en suis reconnaissant puisque d'une certaine manière
04:59 ça a marché.
05:00 Aujourd'hui, je suis sans doute, ou j'ai été sans doute, moins pressant, moins contraignant
05:06 avec mes enfants.
05:07 J'ai reconnu davantage leur marge de liberté.
05:09 Mais bon, c'était il y a combien ? 60 ans ? 70 ans ?
05:12 L'enfance, toujours, et la foi catholique, la pratique de la confession.
05:16 Vous parlez de la confession à l'époque quand vous êtes enfant.
05:18 Je croyais que seule la confession pouvait me laver des péchés mortels que je ne pouvais
05:21 manquer de commettre.
05:22 Un petit mensonge de ci de là, un gros accès de gourmandise, pas encore le péché de chair.
05:27 Vers l'âge de 7 ou 8 ans, je me sentais la vocation de briguer le trône de Saint-Pierre.
05:32 Vous vouliez donc être pape à l'INGP ?
05:35 Oui, mais ça n'a pas duré.
05:36 Je vous rassure.
05:37 Ça s'est arrêté quand alors ?
05:38 Assez vite.
05:39 J'ai reçu une éducation religieuse et catholique.
05:45 Ma mère était catholique.
05:48 J'étais enfant de cœur très longtemps.
05:50 A une époque, j'étais même plus grand que le prêtre lui-même.
05:53 Et comme j'avais de l'ambition, je me disais, si je suis dans cette institution,
05:58 pourquoi ne pas viser au plus haut possible, c'est-à-dire le Vatican.
06:00 Puis très rapidement, je suis revenu à des choses plus concrètes, plus réalistes.
06:05 Et puis, il y a donc, évidemment, votre engagement politique.
06:08 Mystérieux pour certains de vos amis qui viennent de la gauche.
06:11 Louis Gallois, Jérôme Clément que vous citez et qui se sont toujours étonnés que
06:16 vous ayez choisi la droite.
06:17 Pourquoi la droite ? Pourquoi le RPR ? Pourquoi cet aspect-là du spectre politique à l'INGP ?
06:22 Il y a un aspect conjoncturel.
06:24 C'est la rencontre avec Chirac.
06:26 Vous dites qu'il occupe la pièce.
06:28 C'est lui qui m'a attiré à la politique.
06:31 Je n'ai pas fait de politique jusqu'à l'âge de 30 ans.
06:33 Je n'étais pas militant quand j'étais étudiant.
06:35 Je regardais un peu ce qu'il se passait.
06:36 Pour moi, le général de Gaulle était évidemment la référence familiale et estudiantine.
06:41 Mais c'est la rencontre avec Jacques Chirac qui m'a propulsé dans la vie politique.
06:45 Alors, pourquoi est-ce que je me pose cette question droite-gauche ?
06:49 C'est parce que je ne nie pas qu'il y ait une différence entre la droite et la gauche.
06:55 Je le dis, nous n'avons pas la même histoire.
06:56 Nous n'avons pas les mêmes héros.
06:57 Pour moi, mes héros, c'est Tocqueville, Aron, Montesquieu.
07:01 Ce n'est pas Marx.
07:02 Et Jaurès.
07:03 Mais en même temps, je ne crois pas à une espèce d'incompatibilité fondamentale
07:09 entre certaines valeurs de la droite et certaines valeurs de la gauche.
07:12 Les valeurs républicaines peuvent être communes.
07:14 Des sensibilités politiques différentes.
07:16 Les valeurs de la droite, vous en parlez aussi.
07:18 Ce qu'est la droite et votre différence avec Nicolas Sarkozy à l'époque ?
07:22 Vous dites votre malaise face au discours de Grenoble qu'il prononçait en 2012,
07:26 au moment de sa deuxième campagne présidentielle,
07:28 quand vous dites que la ligne de Patrick Buisson l'avait emportée.
07:31 Vous dites aussi comment cette droite que vous pensiez acquise à votre ligne
07:36 pendant la primaire de la droite en 2016, donc 4 ans après 2012,
07:40 où vous défendiez l'identité heureuse, comment cette droite-là vous a lâché ?
07:47 Je l'ai constaté.
07:48 Puisque c'était la raison de mon échec à la primaire,
07:50 je pensais que je pouvais compter sur elle.
07:52 Parce que toute mon histoire, c'était le RPR, c'était ensuite l'UMP.
07:57 Je pensais que j'étais fort de ce côté-là.
07:59 Et donc j'ai ouvert au centre peut-être un petit peu trop.
08:01 C'était une campagne de présidentielle plus qu'une campagne de primaire.
08:05 Et on a vu le résultat.
08:07 Je pense qu'il y a eu effectivement au fil des ans,
08:09 je ne veux pas juger ce qui se passe aujourd'hui,
08:12 une sorte de durcissement des positions.
08:16 Chirac au départ était assez bulldozer dans son combat
08:20 contre la coalition socialo-communiste des années 70.
08:23 Et puis avec le temps, il a pris une épaisseur et une humanité qui fait que moi aussi,
08:28 je me suis un peu ouvert peut-être à des préoccupations qui n'étaient pas tout à fait celles de...
08:33 - Vous êtes trop ouvert au centre.
08:36 "Identité heureuse", c'était une erreur ?
08:37 - Oui, je ne pense pas que ça ait été mal compris.
08:40 Parce que ça a été dénaturé par ceux qui me combattaient.
08:42 C'est bien normal, c'est le jeu politique.
08:44 Identité, c'est quoi ?
08:45 J'aime la France.
08:46 Et si j'appelais mon livre une histoire française,
08:48 c'est parce que je me sens profondément français.
08:51 Et c'est un peu le message que je voudrais délivrer aussi aujourd'hui.
08:54 Un stop à cette espèce d'autoflagellation de la France,
08:57 de déclinisme, "nous sortons de l'histoire", etc.
09:00 Non, je pense que la France est un pays...
09:00 - Ça, vous n'y croyez pas ?
09:01 - Non, je pense que la France est un pays...
09:02 - Vous ne voyez pas le déclassement de la France depuis quelques années ?
09:05 - Ce n'est pas un déclassement, c'est la progression des autres.
09:07 Nous ne sommes plus le centre du monde, c'est vrai.
09:09 Nous ne sommes plus la première puissance européenne
09:11 et l'Europe n'est plus le centre du monde.
09:12 Et alors, la belle affaire, est-ce qu'on va se flageler en permanence ?
09:15 Nous avons des atouts tout à fait considérables.
09:17 Quand nous avons une histoire, nous avons une culture,
09:20 nous avons une langue que nous malmenons,
09:22 parfois même sur les antennes de la radio,
09:25 et dans les documents publics.
09:28 Et nous avons surtout des territoires extraordinaires.
09:30 Quand on s'y a de notre pays,
09:31 on comprend pourquoi c'est la première puissance touristique du monde.
09:34 Alors, il y a des difficultés en France,
09:36 il y a des problèmes, il y a de la pauvreté, il y a des angoisses.
09:38 Mais arrêtons de déprimer comme nous le faisons.
09:42 C'est aussi un peu le message que je veux faire passer.
09:44 - L'autre message que vous faites passer dans votre livre, c'est la ligne.
09:47 La ligne que vous avez toujours tenue, et c'est vrai, vous l'avez toujours tenue.
09:49 "Je me suis battue tout au long de ma vie politique
09:51 pour empêcher toute forme de compromission,
09:53 a fortiori d'alliance avec l'extrême droite,
09:55 qui n'a en commun avec nous ni une histoire, ni une culture,
09:57 ni les grands hommes, ni les valeurs, ni la vision du monde.
09:59 Bref, rien qui ne permette l'exercice du pouvoir en commun.
10:03 De façon plus générale, je déteste tous les extrémismes,
10:06 l'hybris, l'hystérie, l'appel à la haine,
10:10 les fanatismes qui obscurcissent la raison
10:12 et détruisent la bienveillance envers autrui."
10:15 Autre temps, autre moeurs, Alain Juppé.
10:18 - Oui, je n'ai pas envie d'ajouter grand-chose à ce que vous venez de dire,
10:21 qui résume bien ma pensée.
10:23 C'est vrai qu'aujourd'hui,
10:25 on assiste à une sorte d'hystérisation du débat politique.
10:28 Et une de mes idées chères,
10:30 que j'ai puisée chez Montaigne, chez Montesquieu et ailleurs,
10:33 c'est l'idée de modération.
10:34 Quand vous dites "je suis un modéré",
10:35 immédiatement, on dit "vous êtes un mou".
10:37 Non.
10:38 - Ou "vous êtes chiant".
10:39 - Vous êtes chiant, vous avez raison.
10:40 Mais non, je ne crois pas.
10:41 Je crois qu'au contraire,
10:42 il y a une forme de radicalité dans la modération.
10:45 C'est une discipline qu'il faut s'imposer.
10:46 C'est tellement facile de monter aux extrêmes,
10:48 de vitupérer.
10:50 La colère est mauvaise conseillère.
10:52 - Oui, mais la nuance n'imprime pas. Pourquoi ?
10:55 - Ce n'est pas si sûr que cela.
10:57 Regardez ce que pensent réellement les Français.
11:00 C'est quand même extraordinaire.
11:01 Je me fonde sur un sondage récent des Lab qui date du 30 août.
11:05 D'un côté, on demande aux Français
11:06 "est-ce que ça va bien pour vous, personnellement ?"
11:09 Réponse "oui" aux deux tiers.
11:12 "Est-ce que la France va bien ?"
11:13 Réponse "non" aux trois quarts.
11:15 Nous avons une sorte de schizophrénie entre des Français qui souffrent.
11:19 Ceux qui sont pauvres, ceux qui souffrent.
11:21 Et il y en a beaucoup, je le sais.
11:23 Mais qui sont bien dans leur peau.
11:24 Et puis la vision qu'ils ont de leur pays,
11:26 qui est une vision assez catastrophiste aujourd'hui.
11:28 C'est ça qu'il faut casser, je crois,
11:29 en redonnant la confiance et l'espérance.
11:32 - Alain Juppé vous évoquait...
11:33 - C'est ça l'identité heureuse.
11:34 Nous sommes Français,
11:35 mais quelqu'un qui prétend exercer des responsabilités nationales
11:39 ne peut pas dire au peuple français
11:40 qu'il va être malheureux dans les années qui vont venir.
11:43 Il faut lui donner au contraire
11:44 une perspective de bonheur et d'espérance.
11:46 - Alain Juppé, vous évoquez les Gilets jaunes.
11:48 Vous dites ne pas avoir compris la violence de ce mouvement.
11:50 La pire violence urbaine, imbécile et destructrice.
11:55 Il n'y avait pas quelque chose de justifié dans la révolte
11:58 d'une partie de ce que certains appellent la France périphérique,
12:01 écrasée par les taxes et par les normes
12:03 et qui ne peut pas tout simplement boucler ses fins de mois ?
12:07 - Écoutez, quand on est confronté à des phénomènes comme ceux-là,
12:11 à des manifestations comme celles-là,
12:13 il ne faut pas se voiler la face.
12:14 Même si on a du mal à comprendre, il faut essayer de comprendre.
12:17 Au début, j'ai eu du mal à comprendre
12:19 parce que Bordeaux était une ville qui se développait,
12:22 qui était attractive, qui était plutôt sereine et plutôt calme.
12:25 Et je vois tout d'un coup cette violence se déchaîner.
12:27 J'étais dans le PC de la mairie, tous les ventes s'amenient.
12:31 Et je voyais les gens vite upérés contre les forces de l'ordre
12:34 et essayer d'envahir l'hôtel de ville.
12:36 Pourquoi ? Pourquoi ?
12:38 J'ai essayé de réfléchir, j'ai essayé de questionner autour de moi
12:40 et j'ai entendu cette réponse.
12:42 Mais Bordeaux est devenue trop belle, trop attractive, trop riche.
12:46 - La métropole des métropoles, c'est ça ?
12:47 - La métropole des métropoles,
12:49 au détriment des territoires dits périphériques.
12:52 - Ce n'était pas vrai ?
12:53 - Ça m'a poussé à m'interroger.
12:56 J'ai commencé par dire non, ce n'est pas vrai.
12:58 Ce n'est pas vrai.
12:59 Et quand on regarde les choses, par exemple, dans ma métropole à moi,
13:02 le développement démographique en dehors de la métropole,
13:05 dans le département de la Gironde, a été plus rapide que dans la métropole.
13:08 Donc la métropole n'a pas asséché les territoires périphériques.
13:11 Sauf peut-être certains d'entre eux.
13:14 Je veux faire la géographie girondine ici.
13:16 Mais enfin, c'est vrai que ça a pu exister.
13:18 En tout cas, ce que je crois, c'est que la bonne réponse,
13:20 ce n'est pas d'antagoniser les métropoles et les territoires périphériques.
13:24 C'est au contraire de rechercher la coopération et le partenariat entre eux.
13:27 Et c'est ce que j'ai essayé de faire.
13:29 Prenons l'exemple de Bordeaux.
13:30 J'ai essayé de conclure avec la ville de Libourne, qui n'est pas très loin de là,
13:34 un accord de coopération pour faire profiter Libourne du développement de Bordeaux.
13:38 C'est ça, c'est cette démarche-là qu'il faut avoir.
13:40 Parce que les métropoles, nous les avons voulues.
13:42 Il faut quand même se souvenir de ce qu'était la France il y a 30 ou 40 ans.
13:45 Paris et le désert français.
13:47 On a voulu rééquilibrer Paris et le désert français.
13:49 On y est arrivé.
13:50 Aujourd'hui, peut-être, sans doute, faut-il rééquilibrer métropoles,
13:54 villes moyennes et territoires périphériques dans le partenariat et pas dans l'affrontement.
13:58 L'urgence climatique, vous en parlez aussi dans le livre.
14:00 Vous racontez en avoir pris conscience lors de votre exil au Canada.
14:03 On se souvient, après votre condamnation, vous êtes parti au Canada pendant un an.
14:07 En voyant dans le Grand Nord les maisons des Inuits fondre de plus en plus,
14:11 vous dites dans une interview au point « je ne comprends pas pourquoi la droite a laissé le terrain libre sur l'écologie ».
14:17 Je ne vois pas pourquoi la défense de la nature ou le rétablissement entre l'humanité
14:23 et son environnement de relations différentes,
14:25 ce qu'elles se sont devenues depuis des années,
14:27 est une idée de droite plutôt qu'une idée de gauche.
14:29 Ou l'idée de gauche plutôt qu'une idée de droite.
14:31 Le réchauffement climatique nous atteint tous.
14:33 C'est un des défis majeurs qui nous est lancé aujourd'hui.
14:36 Et il faut donc s'y attaquer.
14:37 Il faut plus de radicalité.
14:39 Radicalité, je ne vais pas me contredire.
14:42 Oui, mais c'est ça, j'essaye de vous...
14:44 Il faut plus d'initiatives, plus d'énergie, plus de force de conviction.
14:48 Et je crois que c'est sous la pression de l'opinion publique
14:51 que les dirigeants iront un coup plus loin dans l'adaptation de notre modèle économique et social.
14:56 Vous dites et vous parlez de l'urgence écologique.
14:59 On sent que c'est un sujet qui vous travaille vraiment Alain Juppé.
15:02 Et en même temps, vous continuez à défendre dans ce livre les vertus de la mondialisation et du libre-échange.
15:06 Alors même que les plus grands libéraux des années 90 sont eux-mêmes revenus de cela
15:11 en disant que ça avait porté atteinte à notre souveraineté, à notre indépendance économique et énergétique.
15:15 Que c'était pas bon pour le climat tout simplement, cette mondialisation.
15:19 Non, je crois qu'il n'y a aucun lien entre la mondialisation et le...
15:21 Le transfert des marchandises, ça pollue ?
15:24 Bien sûr, mais nous avons profondément profité de la mondialisation.
15:28 On découvre aujourd'hui qu'il y a de l'inflation tout simplement
15:30 parce que ça coûte plus cher de fabriquer un certain nombre de produits chez nous
15:33 que de les faire fabriquer ailleurs.
15:35 On ne pouvait pas avoir le beurre et l'argent du beurre.
15:37 C'est-à-dire les avantages de la mondialisation et ses inconvénients indéniables.
15:41 Je ne crois pas à la démondialisation, ça ne veut strictement rien dire.
15:45 Que nous reconquérions notre autonomie en matière industrielle dans un certain nombre de domaines,
15:50 oui, bien entendu, mais il n'y a pas de solution, notamment contre le défi climatique,
15:54 qui soit purement souverainiste.
15:56 Vous imaginez que la France toute seule va lutter contre le réchauffement climatique,
16:00 le recul de la biodiversité ou l'augmentation des pollutions ?
16:03 C'est un enjeu européen et c'est un enjeu mondial.
16:06 C'est donc par la coopération et non pas par l'isolement et le rétablissement des frontières qu'on va y arriver.
16:11 Alain Juppé, un mot à l'ancien ministre des Affaires étrangères.
16:14 Sur l'Ukraine d'abord et l'invasion russe, vous écrivez dans l'épilogue
16:18 « A-t-on bien compris que l'invasion de l'Ukraine par la Russie de Poutine
16:21 n'était pas seulement une tentative de conquête territoriale
16:24 aux fins de reconstitution d'un empire perdu,
16:27 mais très explicitement un affrontement idéologique mondial
16:32 entre démocratie et dictature ? »
16:35 Pour vous, l'invasion de l'Ukraine relève d'un affrontement idéologique mondial, c'est clair ?
16:41 Il suffit d'écouter ce que déclare Poutine et un certain nombre de ses séides.
16:46 Je veux dire deux choses à propos de l'Ukraine.
16:48 La première, c'est que je ne crois absolument pas à cette petite musique qui se déploie parfois chez nous,
16:52 selon laquelle nous serions responsables de ce qui s'est passé.
16:55 Parce que nous aurions menacé la Russie d'encerclement et d'étouffement. Ce n'est pas vrai.
17:00 Vous parlez de la russophilie aiguë dont vous rendent la droite de l'UMP.
17:04 C'est un enjeu plus politicien.
17:07 Je lisais récemment les mémoires d'un grand ambassadeur français qui s'appelle Claude Martin,
17:11 ça s'appelle « Quand je pense à l'Allemagne la nuit ».
17:13 Il explique de façon très précise comment, par exemple, Chirac et Schröder ont essayé pendant des années
17:19 d'intégrer Poutine dans le G8 et dans la coopération avec l'Europe.
17:24 Donc nous ne sommes pas responsables de ce qui s'est passé.
17:26 C'est cette espèce de paradoïa de retour sur l'empire qui s'est saisi de Poutine depuis quelques années,
17:32 qui a mené là où on en est.
17:33 Et aujourd'hui, je pense qu'effectivement, au-delà des enjeux territoriaux, des enjeux idéologiques,
17:38 Poutine mène campagne contre la décadence de l'Occident, contre la perte des valeurs familiales,
17:43 contre le mouvement LGBT et ainsi de suite.
17:45 Donc c'est quelque chose qui nous interpelle profondément dans nos manières d'être et dans nos convictions profondes.
17:52 Alors il ne s'agit pas de déclencher un affrontement généralisé, mais il s'agit de défendre nos valeurs
17:57 et d'être bien conscient de ce qui est en jeu.
17:59 Vous comprenez bien qu'on va vous poser la question sur...
18:02 parce que vous citez les mémoires d'un grand ambassadeur,
18:05 on peut vous citer les mémoires d'un ancien président qui s'appelle Nicolas Sarkozy,
18:08 qui a parlé de la neutralité de l'Ukraine, la Crimée qu'il faut lâcher,
18:11 les compromis qu'il faut faire avec Vladimir Poutine.
18:14 Joker !
18:15 Non, non, je ne commenterai pas les déclarations de Nicolas Sarkozy
18:19 parce que ça m'entraînerait sur un terrain politique sur lequel je ne veux pas aller aujourd'hui.
18:23 Mais sur le fond, vous êtes pour l'entrée de l'Ukraine...
18:26 Je vous ai dit ce que je pensais.
18:28 La Russie est un voisin, un pays considérable,
18:31 et le jour où on aura renoncé à attaquer ses voisins par la guerre et à violer le droit international,
18:36 il faudra bien évidemment retrouver le chemin d'une coopération avec la Russie.
18:40 Ça va de soi, on ne va pas l'ignorer indéfiniment.
18:42 C'est Poutine aujourd'hui qui pose problème, ce n'est pas le peuple russe.
18:45 On passe au standard de France Inter où nous attend Philippe.
18:48 Bonjour Philippe !
18:49 Bonjour Monsieur le Premier ministre, bonjour France Inter.
18:52 Bonjour, bienvenue.
18:54 J'ai 55 ans, je suis de gauche, c'est pour ça que j'écoute France Inter.
18:59 Je voudrais demander à Monsieur le Premier ministre
19:01 s'il ne considère pas que c'est la dernière génération de gens politiques crédibles et respectables.
19:07 Je n'ai aucun respect pour le gouvernement actuel.
19:10 Pour moi, c'est tous des traîtres de gauche et des traîtres de droite qui sont plus qu'ambitieux.
19:15 Bon, voilà, c'est dit, c'était votre édito et il y avait une question dedans.
19:20 Est-ce que vous faites partie Alain Juppé de la dernière génération crédible en politique ?
19:26 Le miracle de la démocratie, c'est qu'il faut respecter toutes les opinions.
19:33 Voilà, c'est ce que je fais.
19:34 Pour le reste, je ne crois pas.
19:36 Je sais que c'est une idée qui circule, en laquelle il y a une espèce de médiocratisation,
19:40 pardon, dans ce gros mot, de la classe politique.
19:43 C'est vrai qu'aujourd'hui, quand on a 20 ou 30 ans, s'engager en politique,
19:46 c'est peut-être plus compliqué que quand j'avais cet âge-là.
19:48 Parce que la politique a une réputation détestable,
19:51 parce que ça implique des contraintes dans la vie personnelle considérable,
19:55 parce que quand on est honnête, on ne gagne pas beaucoup d'argent,
19:58 même si les hommes politiques vivent mieux que la majorité des Français, etc.
20:03 Donc, il y a une espèce de blocage de ce côté-là.
20:05 Et c'est dommage, et c'est la raison pour laquelle je plaide pour la reconnaissance
20:08 de la noblesse de l'engagement politique.
20:10 - Question de Nathan, vous l'abordez dans le livre,
20:13 "Regrettez-vous l'intervention en Libye ?"
20:15 - A posteriori, cette intervention a abouti au chaos.
20:21 Je ne la regrette pas en ce sens que nous avons évité un massacre.
20:25 Il faut se souvenir de ce qu'était Kadhafi,
20:27 un tyran qui, pendant 40 ans, a opprimé son peuple,
20:30 et qui a envoyé ses colonnes de chars contre la population de Benghazi.
20:33 Et si nous n'étions pas intervenus, on allait vers le bain de sang.
20:36 Nous n'avons pas su gérer la suite.
20:38 Nous n'avons pas su accompagner les responsables
20:43 qui avaient pris les commandes en Libye
20:45 dans le cheminement vers la démocratie.
20:47 Et aujourd'hui, la Libye est effectivement en situation de chaos,
20:50 comme l'ensemble d'ailleurs des 20 ans avant a abouti à un fiasco généralisé.
20:55 - Vous dites votre tristesse sur le fait que l'État...
20:57 - Et ça a été peut-être une de mes erreurs d'analyse,
20:59 et une de mes naïvetés.
21:00 J'ai pensé à un moment donné qu'effectivement,
21:02 la démocratie pouvait aussi pénétrer ces pays.
21:05 Et on se rend compte aujourd'hui que de l'Égypte à la Tunisie,
21:08 hélas aussi, tout ceci ne s'est pas passé.
21:11 - Et on en vient à l'amour, je le disais au début, à l'amour et aux femmes,
21:14 puisque sans aucune transition...
21:15 Ben oui, enfin, il en est beaucoup question Nicolas dans le livre.
21:18 Je vous laisse l'évoquer.
21:19 - Oui, je vous évoque votre première épouse Christine,
21:21 avec qui vous avez toujours des liens d'amitié aujourd'hui.
21:23 Votre coup de foudre pour Isabelle, la femme de votre vie,
21:28 mais aussi le démon de Midi qui s'est emparé de vous
21:31 au tournant de la quarantaine.
21:33 Là, on n'était pas prêt effectivement avec Léa,
21:36 Alain Juppé à lire sous votre plume,
21:38 « J'avais toujours été sensible à la beauté des femmes,
21:41 la politique multiplie les tentations,
21:43 j'eus donc des aventures, la plupart sont non. »
21:45 - Je n'en dis pas plus.
21:47 Il faut remarquer que mes confidences ne vaient quand même pas très très très très très très très loin.
21:50 - C'est un art de l'euphémisme, mais on ne s'y attendait pas.
21:53 - Oui, mais écoutez, moi je ne suis pas un monstre froid,
21:55 j'aime les femmes, j'aime la beauté féminine,
21:58 j'en confie imparfaitement.
22:00 J'ai eu de grands amours dans ma vie, je me suis marié très jeune.
22:02 C'est peut-être pour ça qu'ensuite, à 40 ans,
22:04 j'ai éprouvé le besoin de m'attissoiner ici ou là.
22:08 Mais voilà, aujourd'hui je vis une vie,
22:11 enfin je ne vais pas vous raconter ma vie actuelle.
22:13 - Vous parlez de la rumeur aussi,
22:14 vous parlez des rumeurs qui vous ont atteint,
22:16 qui ont atteint votre couple détestable,
22:18 les rumeurs people, de tromperie, d'adultère.
22:21 - Oui, enfin j'étais un peu quand même à l'abri de ce genre de...
22:24 - Vous en parlez dans le livre ?
22:26 - Non.
22:27 - Ah bah relisez !
22:28 - Je ne suis pas profondément marqué.
22:30 En tout cas, je ne l'ai pas reçu.
22:32 Je voudrais ajouter quand même quelque chose
22:34 à quoi je crois profondément depuis longtemps
22:36 et qui est au cœur de mon office aujourd'hui au Conseil constitutionnel,
22:40 c'est la légalité entre les hommes et les femmes.
22:42 Pour moi, ce n'est pas une question.
22:44 La réponse est claire, c'est oui.
22:45 - Enfin, il y a la mort, vous en parlez dans le livre.
22:48 Vous posez la question d'ailleurs,
22:49 "ai-je peur de la mort ? Je ne crois pas."
22:52 - Qu'est-ce que c'est que la mort ?
22:53 C'est un instant.
22:55 Ce qui me fait peur, c'est la déchéance physique,
22:58 c'est la souffrance pour moi-même
23:02 et pour ceux qui sont autour de moi.
23:04 Et au fur et à mesure que le terme se rapproche,
23:07 c'est une question qui vous hante davantage.
23:10 Alors voilà, j'essaye de gérer ça en cherchant.
23:15 Je dis aussi quelque part dans mon livre
23:17 que je me sens comme un catholique agnostique.
23:20 Catholique parce que j'appartiens à cette famille
23:22 qui est l'Église catholique millénaire
23:24 avec un message extraordinaire.
23:26 La seule valeur qui compte, c'est l'amour.
23:28 C'est extraordinaire ce message évangélique.
23:30 Et puis une institution qui, elle, a commis bien des fautes et bien des erreurs.
23:33 Et agnostique parce que je ne sais pas.
23:35 J'admire ceux qui savent, qui ont reçu la grâce.
23:37 Il y en a beaucoup.
23:39 J'admire ceux qui savent qu'il n'y a rien, d'une certaine manière,
23:42 parce qu'ils ont réglé le problème.
23:43 Et moi, je suis entre les deux et je cherche.
23:46 Je n'ai plus beaucoup de temps pour trouver.
23:48 - Merci.
23:49 - Merci Alain Juppé.
23:50 Une histoire française, mémoire,
23:52 publiée chez Talendier en librairie cette semaine.
23:55 Merci beaucoup d'avoir été à notre micro.
23:57 Il est 8h47.