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La main tendue de Jean-Pierre Lacan : De la solidarité maritime à la solidarité climatique

Ce sont plus que des chiffres, ce sont des vies : 2.066 disparus depuis le début de l'année, la méditerranée centrale est l'axe migratoire le plus mortel au monde. 2023, SOS MÉDITERRANÉE a déjà sauvé 1.711 personnes. Mi-août le navire « Ocean Viking » a fait sa plus importante opération de sauvetage : 623 naufragés récupérés en 15 opérations réalisées en moins de 2 jours. Et, depuis le début de ses activités au printemps 2016 l’association a sauvé 38.847 vies.

Journaliste, reporter, chef d’édition, l’homme n’ignore rien de l’actualité liée à la Méditerranée et au monde méditerranéen. Lucide face à l’urgence humanitaire...


20230908 Jean-Pierre Lacan et la solidarité

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Transcription
00:00 Jean-Pierre, quand on connaît l'engagement que vous avez, notamment avec l'association SOS Méditerranée,
00:05 on définit comment la solidarité ?
00:08 On la définit très très simplement. Pour moi la solidarité c'est d'abord une image, un geste.
00:13 C'est le geste de la main tendue.
00:15 Elle est formidable cette image, la main tendue.
00:17 La main tendue pour sauver des gens qui se noient en Méditerranée,
00:21 la main tendue à tout le monde, à tout le monde sur cette planète.
00:24 Cette solidarité c'est d'abord pour moi la main tendue, c'est quelque chose de tout à fait simple.
00:29 Mais aujourd'hui la principale difficulté c'est le contexte général qui fait de la Méditerranée un espace sans lois.
00:37 Je dirais même un espace sans foi ni lois.
00:41 La solidarité des gens de mer c'est une valeur cardinale de toute personne qui prend la mer
00:47 pour y naviguer, pour tenter d'arriver à bon port.
00:50 On ne prend pas la mer si on n'a pas la certitude que quelqu'un un jour, si vous êtes en difficulté, viendra vous sauver.
00:55 Mais aujourd'hui cette certitude n'est pas du tout acquise en Méditerranée centrale.
01:02 J'ai rencontré des skippers, je pense à quelqu'un qui est formidable,
01:08 qui est un marin véritablement formidable et très attaché à ces notions de solidarité,
01:17 c'est Kito de Pavan.
01:18 Kito de Pavan lors d'un tour du monde a été victime d'une avarie.
01:22 Il me dit chaque fois, moi quand j'ai été à l'eau dans des conditions extrêmement difficiles,
01:27 on était dans les 40e rugissants, dans un espace maritime extrêmement difficile,
01:31 moi j'ai jamais perdu espoir parce que je savais qu'on viendrait me récupérer.
01:36 Et de fait on est venu le récupérer, de très loin mais on est venu le récupérer.
01:40 Mais il me dit, il ajoute ceci, il me dit, en Méditerranée centrale,
01:43 à deux pas des frontières maritimes de l'Europe,
01:46 ceux qui se noient n'ont jamais la certitude qu'on viendra les sauver.
01:50 Et c'est pour ça qu'effectivement ce geste simple de la main tendue aujourd'hui
01:54 n'est pas évident, n'est pas acquis pour tout le monde,
01:57 pour tous ceux qui sont en droit de le revendiquer.
02:01 Alors justement la solidarité des gens de mer allie la tradition et une obligation légale.
02:07 En revanche, il faudrait peut-être un jour légiférer sur la solidarité climatique.
02:13 Oui enfin, allez, on va parler un peu de droit et de convention internationale.
02:21 La convention qui est un peu notre texte fondateur, enfin sur lequel on s'appuie,
02:29 l'un des textes sur lesquels on s'appuie, on s'appuie sur les conventions maritimes
02:32 qui organisent le sauvetage à partir de cette notion de solidarité.
02:35 Et on s'appuie également sur cette convention de Genève de 1951
02:40 qui est la convention qui donne protection, qui assure la protection des réfugiés.
02:46 Alors la convention de Genève, elle définit ce que c'est qu'un réfugié.
02:49 Elle le définit, elle dit dans quelles conditions on peut revendiquer le droit à être réfugié,
02:55 c'est-à-dire lorsqu'on est pourchassé pour des raisons politiques,
02:58 pour des raisons liées à son genre, pour des raisons liées à sa foi, à ses idées, etc.
03:02 Évidemment en 1951, la problématique climatique n'était pas encore au centre des préoccupations.
03:08 Aujourd'hui elle l'est devenue.
03:09 Donc il faudrait s'interroger, il va falloir qu'on s'interroge obligatoirement
03:12 au statut qu'on pourrait et qu'on devrait accorder à des gens qui quittent leur pays
03:18 parce qu'ils ne peuvent plus y vivre pour des raisons climatiques.
03:21 Et assez souvent ces gens qui partent pour des raisons climatiques
03:24 partent de pays qui ne sont pas, vous le savez, on le sait très bien,
03:27 qui ne sont pas à l'origine de ces dérèglements climatiques,
03:30 mais qui sont les premiers à en subir les conséquences.
03:33 Donc clairement il va falloir qu'on réfléchisse sur l'extension
03:37 de la demande d'asile ou du droit de réfugié à ces gens qui partent pour des raisons climatiques.
03:42 Alors justement, partir pour des raisons climatiques, partir pour un dérèglement climatique,
03:47 partir pour une urgence climatique,
03:49 est-ce qu'il n'y a pas là peut-être à avoir une révolution de la sobriété
03:53 qui serait peut-être le geste de solidarité le plus important dans les années à venir ?
03:59 Oui, non mais c'est évident.
04:00 Moi je vois ici, je vis sur le littoral méditerranéen
04:06 et très très souvent on met en avant la nécessité qu'il y a à sauver cette Méditerranée des périls écologiques.
04:13 Et effectivement c'est une mer fermée, une mer intérieure, Maré-Nostrum,
04:17 et elle subit la conséquence de des pressions démographiques de plus en plus élevées
04:24 qu'il y a sur ses berges et sur ses rives.
04:26 C'est une mer fermée qui subit tous les outrages de ce point de vue.
04:29 Mais moi je suis convaincu qu'on ne réglera pas la question de la sauvegarde des eaux maritimes de la planète
04:40 si on ne s'appuie pas sur la solidarité, sur les solidarités humanitaires.
04:45 Ça me paraît moi tout à fait évident.
04:48 Solidarité à l'égard des populations qui sont en situation difficile sur les berges de la Méditerranée
04:54 et qui n'ont pas droit à tous les équipements auxquels nous, sur cette rive nord de la Méditerranée,
05:00 extrêmement favorisés, disons bien les choses.
05:03 Certes il y a des difficultés, certes il y a des populations qui souffrent ici aussi,
05:07 mais sur les rives sud de la Méditerranée la souffrance est sans doute plus grande encore.
05:11 Les équipements font défaut, etc. etc. Les injustices sont flagrantes, etc.
05:16 Si on ne résout pas cette question de la solidarité humanitaire,
05:20 on ne résoudra pas non plus la question des équilibres écologiques nécessaires
05:25 et des efforts qu'il faut faire pour y arriver.
05:27 Ça j'en suis profondément convaincu.
05:29 Tendre la main à quelqu'un qui se noie en Méditerranée,
05:32 c'est aussi tendre la main aux populations qui sont en difficulté partout dans le monde,
05:38 notamment sur la rive sud de la Méditerranée.
05:41 Alors le Parlement de la Mer va avoir 10 ans, vous en êtes le vice-président.
05:46 Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quoi cette décennie est importante ?
05:50 Oui, j'en suis l'un des vice-présidents et des vice-présidentes.
05:55 Cette décennie est importante parce que, assez curieusement,
05:58 l'histoire du Parlement de la Mer qui a été voulue par Christian Bourquin,
06:01 président de la région à l'époque, de la région Languedoc-Roussillon,
06:05 et qui est aujourd'hui portée très fortement par Carole Delgas,
06:08 laquelle d'ailleurs soutient très très fortement SOS Méditerranée
06:12 et la solidarité et le sauvetage en mer.
06:16 Ce Parlement de la Mer est né, assez curieusement,
06:18 la même année où tout change de dimension en Méditerranée centrale du point de vue humanitaire.
06:26 Je vous rappelle une des dates marquantes de l'histoire des naufrages en Méditerranée centrale,
06:32 c'est celle de la nuit du 3 au 4 octobre 2013,
06:36 lorsqu'un bateau, qui était un chalutier, qui remonte de Libye,
06:41 arrive à quelques centaines de mètres des côtes de l'île italienne de Lampedusa
06:45 et fait naufrage. Il y aura cette nuit-là 366 victimes.
06:50 Ça a été un choc, un traumatisme énorme pour les populations européennes.
06:55 On a mis en place très vite, l'Italie a fait preuve d'une grande solidarité,
06:59 a mis en place une opération d'État, la première et la dernière opération d'État jamais organisée en Méditerranée.
07:04 C'est l'opération Marénostrum, avec pour mandat d'aller sauver des vies au large des côtes libyennes.
07:10 Et Marénostrum, c'est 150 000 vies sauvées en un an. Au bout d'un an, on arrête Marénostrum,
07:15 il n'y a plus rien qui se passe, tout simplement parce que du côté de l'Europe,
07:18 on a peur de l'appel d'air, de l'attraction que pourrait représenter la solidarité vis-à-vis des migrations par la mer,
07:25 et on arrête Marénostrum. Et là, il n'y a plus que l'initiative des organisations non gouvernementales.
07:32 C'est dans ce contexte-là que naissent les ONG de sauvetage, c'est dans ce contexte-là que naît SOS Mitterrand.
07:38 C'est 10 ans de l'histoire de la solidarité en Méditerranée, 10 ans après le terrible naufrage de Lampedusa.
07:51 Donc pour nous, aujourd'hui, pour moi en tout cas, ma mission au sein du Parlement de la Mer,
07:56 c'est de porter ce débat sur la question des solidarités.
08:00 Et les choses, grâce à l'impulsion de Didier Codorniou, qui est président du Parlement de la Mer,
08:04 premier vice-président de la région Occitanie, avec grâce à cette impulsion, les choses avancent grandement.
08:11 Le 24 octobre, donc très bientôt, va avoir lieu dans le cadre du Salon du littoral,
08:18 qui se déroulera au Parc des Expositions de Montpellier, une initiative qui s'appelle "Osons la Méditerranée".
08:25 Osons la Méditerranée visera à poser les bases d'un Parlement de la Mer méditerranée,
08:30 avec les Parlements de la Mer français, des côtes littorales, des côtes méditerranéennes.
08:36 Je pense à la Corse, à Paca, Sudpaca, et plus bien sûr le Parlement d'Occitanie.
08:42 Ça, c'est un des éléments de "Osons la Méditerranée".
08:45 Et pour illustrer cette thématique de la solidarité qui fondera le Parlement de la Méditerranée,
08:51 nous organisons une table ronde qui réunira le président François Thomas de SOS Méditerranée France,
09:01 mais également le politologue spécialiste des questions de migration, qui est François Gemene,
09:07 que tout le monde connaît bien, parce qu'il est très médiatique du fait de son rôle notamment au sein du GIEC.
09:12 Et puis ensuite, un personnage absolument extraordinaire, qui est Pietro Bartolo.
09:18 Pietro Bartolo est parlementaire européen italien, du Parti Démocrate italien,
09:23 mais au-delà de son étiquette, il est surtout connu comme le médecin des migrants de l'île de Lampedusa.
09:29 Pietro Bartolo a été en première ligne, malheureusement, lors du fameux naufrage que j'évoquais tout à l'heure,
09:35 de la nuit du 3 au 4 octobre 2013.
09:38 Il en parle d'une manière formidable dans son bouquin autobiographique, qui s'appelle "L'arme de sel",
09:43 et que je recommande absolument à tout le monde.
09:45 Pietro Bartolo sera là pour débattre avec François Gemene et François Thomas.
09:49 Ce sera un grand moment de solidarité.
09:51 Alors, un grand moment de solidarité à vivre.
09:55 Le grand conseil de solidarité de Jean-Pierre Lacan, c'est lequel ?
09:58 Écoutez, nous sommes une humanité.
10:01 Tous ensemble, nous formons une humanité.
10:04 Au-delà de nos différences, au-delà, et au contraire, peut-être à cause de nos différences,
10:09 qui nous enrichissent tous, nous formons une humanité.
10:12 Cette humanité, si on veut qu'elle travaille sur des questions essentielles,
10:17 qui sont notamment celles de la sauvegarde de la planète, il faut qu'elle soit unie.
10:21 Il faut, il est nécessaire qu'elle soit solidaire.
10:23 Ça me paraît tout à fait évident. En tout cas, ça constitue ce que je suis.
10:27 La solidarité, c'est notre vivre ensemble. C'est notre façon de vivre ensemble.
10:32 Et Dieu sait que nous en avons grandement besoin dans un monde devenu violent et extrêmement compliqué.
10:38 [Musique]

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