Quand Marc Lavoine évoque ses souvenirs aux toilettes

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Quand Marc Lavoine évoque ses souvenirs aux toilettes
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00:00 Ça vous marque à moi de vous installer dans ce fauteuil. Ah oui, c'est pas facile derrière tout ça. L'homme qui ment.
00:06 On l'a dit en tout début d'émission, un papa qui travaillait au PTT, un papa communiste, un papa qui trompait votre maman.
00:18 - C'est pas facile, hein ?
00:19 - Je résume pendant ce temps. Pendant que vous reprenez vos chaussures.
00:22 - C'est un peu comme aux toilettes, quoi. Quand il faut y aller, il faut y aller.
00:24 - Ah bah oui, il faut y aller.
00:25 - Allons-y, allez.
00:27 - Un papa donc qui trompait votre maman, disais-je. Et sans vraiment vous le cacher, en tout cas c'est ce que vous racontez, peut-être que vous romancez,
00:35 vous nous direz peut-être qu'elle est justement la part de vérité et la part de roman dans tout ça.
00:41 Il y a une chose que j'ai remarquée au fil du livre, je sais pas si c'était vrai, c'est que... Qu'est-ce que vous pissez souvent en même temps que votre papa ?
00:47 - C'est vrai.
00:48 - C'était vrai, ça ?
00:49 - Toujours un rendez-vous assez intime de pisser avec quelqu'un, c'est comme marcher, c'est... Voilà, enfin, de pisser entre hommes.
00:55 J'ai rarement fait pipi avec une jeune femme en même temps.
00:59 Écoutez, je suis réaliste, la période, tout ça, c'était très fort, je sais plus trop ce que je dis, je suis pas en train d'y aller sans filtre.
01:13 Pardonnez-moi, je...
01:20 - Bien, bien, bien, marque la voie de craque, c'est vrai.
01:22 - Vous auriez pu me répondre que c'était des moments de complicité, par exemple, avec votre père.
01:28 - Exactement, c'est ça.
01:29 - Est-ce qu'ils ont vraiment existé, ces moments-là ?
01:31 - Évidemment, c'est... Oui, enfin, bien sûr qu'on a fait pipi ensemble avec mon père, oui.
01:36 - C'est ça.
01:39 - Je sais pas si ça fait...
01:40 - Ça me donne envie de le lire.
01:41 - Ah, mais c'est pas si commun ?
01:42 - Ça me donne envie de le lire, à balle.
01:43 - C'est pas si commun que ça, mais... Alors là, je vous garantis que ça revient à plusieurs reprises dans ce que vous racontez, je sais pas pourquoi, justement.
01:49 - J'ai pas que pissé, d'ailleurs.
01:50 - Pardon ?
01:51 - Oui, mais pourquoi ? C'est du vécu ?
01:53 - C'est comme aller à Deauville sans voir la mer, si vous voulez.
01:56 - Alors, oublions ces moments...
02:04 - Non, non, non, allons-y, pardon.
02:05 - Oublions ces moments de complicité.
02:07 - Prenons la direction de Saint-Malo, par exemple. Ça, il l'a fait, votre père, ou pas. Moi, j'essaie de voir la vérité et le revendique.
02:12 - Pas là pour vous dire ce qu'il y a de vrai ou faux dans mon livre.
02:14 - C'est quand même tellement incroyable d'emmener ses enfants en voyage le temps d'un week-end avec une des maîtresses, pendant que, évidemment, vous, vous avez encore votre maman à la maison.
02:25 - A l'hôpital ? Je crois que la scène à Saint-Malo, c'est pendant que votre mère est à l'hôpital ?
02:30 - Oui, mieux, même, pire ! Pire, vous avez raison, à l'hôpital.
02:33 - Bon, bah, ça, c'est faux, par exemple.
02:34 - Ça, c'est faux.
02:35 - Non, j'en sais rien. Je sais pas. Vous savez, j'ai pris des trucs. J'étais enfant, à cette époque-là. Alors j'ai pris des symboles de ma vie, de ce que j'ai pu regarder, observer.
02:45 - Et puis, parfois, je les ai mélangés. C'est pas un documentaire chronologique avec une caméra embarquée sur la vie de quelqu'un.
02:51 - C'est un vrai roman, alors ?
02:52 - Voilà. Oui, c'est un roman avec des choses que j'ai ressenties, que j'ai vues. Alors après, je les mélange un peu comme je veux, quoi. Voilà.
03:00 - En tout cas, on est vraiment dans l'ambiance de cette famille de banlieue, ce papa politisé qui vous a donné goût à la politique, quand même, pendant un moment.
03:09 - Bah, c'est-à-dire que quand on est dans une famille où ça colle des affiches, ça discute, il y a des réunions de cellules à la maison avec des gens qui ont fait la résistance.
03:20 - Voilà. On parlait tout à l'heure des dessinateurs qui ont été tués. Bon, c'est historique. Leur cas a été tué. Jean Moulin a donné à Daniel Cordier le désir d'aimer les tableaux.
03:32 - Il a fait ça de sa vie entière. Ensuite, il a défendu les artistes parce qu'un tableau, c'est une arme. C'est quelque chose de très fort.
03:41 - Donc moi, j'ai été élevé là-dedans. Quand on a coupé les doigts du guitariste Victor Jaha pour lui demander de jouer de la guitare, c'est exactement ce qu'on a fait aux dessinateurs.
03:50 - Là, on lui a cassé les doigts pour lui dire "Vas-y, dessine maintenant". Alors l'intelligence, c'est une provocation. Et c'est ça qui m'intéresse dans la résistance.
03:58 - Alors le communisme a représenté à une époque, je crois, une forme de résistance. Et aujourd'hui encore, j'imagine.
04:04 - Et il y a le passage, et ça c'est dans le livre, le passage aux années 80, les années Mitterrand et les illusions qui s'en vont.
04:12 - Et là, c'est assez amusant. Vous dites finalement, lui qui faisait cocu, caricature, je résume, lui qui faisait cocu, maman...
04:18 - Pas cocu. - Ah, pas cocu.
04:21 - Elle écrit ça. - Elle est bien, celle-là.
04:25 - On va avoir le droit à tout ce que ça veut dire. - Ça vous couperait, ça.
04:28 - Non, non, on gardera. Alors nous, quand on nous dit "On coupe, on garde",
04:32 - C'est l'esprit farceur de... - Lui, il a été cocu, j'y viens, lui il a été cocu par la politique.
04:39 - Bah oui, ils l'ont senti arriver. Ils ont senti venir qu'on allait les utiliser comme chausses-pieds pour faire passer autre chose.
04:48 - Mais même, on le voyait sur les t-shirts, on voyait John Lennon, Che Guevara dans le même magasin.
04:53 - On a senti tous un petit peu que les idées simples pour des gens simples, c'était fini.
04:59 - On s'embourgeoisait, on prenait du ventre, on affichait clairement un goût nouveau pour les apparences,
05:04 - Comme une aigreur naissante, une démission, une défaite face à cet ennemi sans partage et sans quartier, l'argent.
05:09 - Petit à petit, vous avez vu l'argent arriver. - Oui, il a acheté une Ford Capri.
05:13 - Et c'est vrai que pour remplacer une 4L ou une 2CV, acheter ce genre de voiture à l'époque, c'était symboliquement très violent.
05:20 - En tout cas pour moi, je l'ai... - C'était pas celle-là, mais... - Le même genre.
05:24 - Le même genre. Et moi, je l'ai vécu comme quelque chose de difficile à porter, comme un costume qui était pas fait pour moi.
05:29 - Un jour, il a eu un accident. Et il est rentré à la maison, il a dit "Bah, j'ai eu un accident, la Capri, c'est fini."
05:35 - Et j'ai trouvé... Et j'ai trouvé qu'il avait en même temps, lui, voilà, cette forme de recul.
05:44 - C'était un enfant... C'était un enfant passionnant, très intelligent. Et ma mère aussi était une forme d'enfant.
05:50 - C'était des gens formidables, voilà.
05:53 - Vous écrivez à la fin du livre "Mes enfants ne t'ont pas connu ou presque, mais ta légende parle d'elle-même et je suis là pour la leur raconter d'une façon ou d'une autre.
06:02 - Tu es tellement en moi, je suis tellement de toi, que même s'il faut du temps, la somme de nous finit par se répandre. C'est l'échelle du sang."
06:10 - Ça, c'était important d'écrire. - J'ai écrit ça, moi ? - Oui, vous avez écrit ça. Pas mal, hein ?
06:17 - Emeric Caron, Léa. Emeric d'abord et Léa ensuite. Je change un peu d'ordre de temps en temps.
06:23 - Marc Lavoine, on vous connaissait chanteur, acteur, avec beaucoup de réussite dans ces deux domaines.
06:30 - Alors, effectivement, on se dit "Tiens, un livre de Marc Lavoine, est-ce que ça peut être aussi bien que ce qu'il fait dans les autres domaines ?"
06:36 - Et ceux qui se posent cette question vont être très agréablement surpris. Et l'une des raisons...
06:43 - Non, mais l'une des raisons, c'est que je trouve qu'en plus, c'est écrit sans prétention. C'est-à-dire que vous n'avez pas cherché à jouer l'écrivain.
06:49 - Non. - C'est pour ça que je disais tout à l'heure en préambule qu'on vous entend en tant que Marc Lavoine,
06:55 ce qui n'empêche qu'il y a des passages très bien écrits, de très belles images, etc.
07:00 - On est dans l'ambiance, en tout cas. On réussit à nous plonger dans l'ambiance de l'époque.
07:04 - Et surtout, on est très proche de tous ceux qui ont été importants pour vous, d'un point de vue affectif, dans votre vie.
07:11 Et c'est pourquoi, je me dis, on est avec Marc Lavoine, l'artiste, tout le temps également.
07:16 C'est parce qu'on comprend un peu qui vous êtes aujourd'hui lorsque vous rendez hommage, parce que je l'ai pris comme un hommage, ce livre.
07:23 À tel point que je vous dis, honnêtement, parfois, j'ai même eu le sentiment qu'il y a des pages qui ne nous étaient pas destinées à nous, lecteurs.
07:28 Quand vous parlez de votre tante, etc. Parce qu'on dit qu'elle n'apporte pas grand-chose, fondamentalement.
07:33 - Ah, c'est drôle. J'ai pensé... J'ai d'ailleurs confié ça à Marc Lavoine avant l'émission, exactement.
07:37 8 ou 2 pages sur l'oncle Bernard, par exemple. Ça m'a marqué lourd, parce que, évidemment, on appelait aussi l'oncle Bernard l'économiste de Charlie Hebdo.
07:45 Voilà pourquoi j'ai retenu particulièrement son nom.
07:47 - J'ai voulu vraiment parler d'eux, parce que certains utilisent des livres comme des étendards, vous voyez.
07:53 Et donc, on fait de sa vie une sorte de védétariat. D'autres, non. D'autres utilisent des livres pour les transmettre sans se mettre en avant.
08:02 C'est ce qu'ont fait mon oncle et ma tante pendant toute leur vie. Ils ont donné aux jeunes enfants le goût de la lecture.
08:07 C'est ce que fait mon frère sur la lutte contre l'illettrisme. C'est des gens dont on ne connaît pas les visages, mais qui font tous les jours quelque chose de bien pour l'humanité.
08:16 Des petites choses, et elles sont importantes. Et ils avaient la même façon que moi de prendre les événements. La mort, la joie.
08:23 Je n'ai jamais été quelqu'un qui ait explosé, qui montre mes sentiments. Et ces gens-là ont toujours été très...
08:32 Voilà, ils ont toujours eu un regard vers moi qui était un regard de gentillesse, d'affection et de retenue.
08:38 Et c'est pour ça que j'ai voulu parler d'eux. Et mon professeur de français en faisait partie.
08:42 - C'est intéressant ce que vous nous dites là, parce que je pense que ça résume très bien ce que moi j'avais cru comprendre, percevoir de ce livre.
08:48 C'est notamment chez vous ce sentiment, ce que vous expliquez finalement sur le divan de votre psy, dans ce cabinet dans lequel vous nous invitez à la fin de votre livre.
08:56 C'est-à-dire quelles sont les questions que vous n'avez pas encore résolues dans votre vie, et notamment cette question de la célébrité.
09:02 Et on sent que vous vivez toujours mal le fait, vous, d'avoir réussi, d'avoir gagné de l'argent, alors que vous avez vécu avec des valeurs qui n'étaient pas celles-là, avec des gens humbles.
09:14 Et vous venez de le dire. Des gens qui cherchaient simplement à être anonymes et à faire des choses autour d'eux.
09:19 Et est-ce que c'est pas ce décalage qui fait que ce livre existe aujourd'hui ? Parce que votre psy finalement n'a pas fini son boulot. Il n'a pas réussi à vous aider suffisamment.
09:27 - Ce qu'il peut, ce que je veux dire par là, c'est qu'on crée des vedettes et on tue des artistes. Et ça, c'est dommage.
09:32 On donne un prix à une oeuvre d'art alors qu'elle n'est pas encore sortie de l'atelier. Je trouve qu'il y a une petite... Voilà, il y a quelque chose qu'on est en train de...
09:39 En tout cas, j'espère qu'on ne perd pas ça. On n'est pas là pour être des vedettes. Un artiste, c'est pas une vedette.
09:45 Un artiste, c'est quelqu'un qui, dans la société, tous les jours, doit se comporter à la hauteur du rêve qu'il a en face de lui.
09:52 Et moi, c'est ce que j'essaye de faire. Donc c'est pour ça que quand on parle de beauté, de vedetteria, de vente de disques, ça, c'est très bien.
09:58 Il faut vendre des disques, il faut aller au cinéma, etc. Mais au fond du fond, quand on peut raconter une histoire qui vous dépasse dans un film qui est plus grand que vous,
10:07 quand on parle de la résistance ou qu'on parle de la déportation des Zyganes, quand on parle de l'enfer de Chabrol, c'est d'abord l'histoire du cinéma
10:15 et c'est aussi qu'est-ce qu'on fait avec une voiture trop grande pour nous, qu'est-ce qu'on fait avec tous ces désirs qu'on nous propose.
10:20 Et je trouve que c'est le plus intéressant. Et la période qu'on vit aujourd'hui, on l'avait entendu tout à l'heure, remet les artistes au centre d'une vie qui est une vie de résistance.
10:30 Je parlais de Jean Moulin, ce qu'il transmettait à Daniel Cordier en dehors des réunions, c'est "Regardez Mondrian, regardez Picasso, regardez Braque".
10:39 Et il est allé jusqu'à Napple Torp et à offrir toutes ses toiles à la France, à Beaubourg. Il en a donné 1 200, Daniel Cordier. Il a rien aujourd'hui.
10:46 Il habite dans un tout petit endroit. Moi, j'aime les gens qui ne sont pas possédés par ce qu'ils possèdent, qui finissent par ne plus rien avoir pour être là.
10:54 Je crois que ce qui est important aujourd'hui, c'est qu'on soit là.
10:57 "L'homme qui ment", chez Fayard, lui aussi par Léa Salamé.
11:00 (Applaudissements)
11:04 Oui, c'est doux. Il est doux, il est amer. Il est joli, votre livre, en fait. Et je trouve que... Voilà, c'est un très très bel hommage que vous rendez à la banlieue française de ces années 70-là et à cet esprit des communistes, de la CGT.
11:20 Cette période qui n'existe absolument plus. Sans mettre en doute votre sincérité d'aucune manière, pourquoi vous l'avez écrit, ce livre ? Pourquoi maintenant ?
11:31 Est-ce que c'est vous qui le portiez véritablement ? Est-ce que vous aviez vraiment envie d'écrire cette histoire de votre enfance, de vos parents, de votre père séducteur, de votre mère qui va tomber progressivement dans le chagrin ?
11:43 Ou est-ce que c'est un éditeur qui vous a dit "Vas-y, écris ta vie, ça va marcher", etc. ?
11:48 Elle m'arrange notre question. Non, non, on n'écrit pas un bouquin pour un éditeur. On écrit un bouquin parce qu'on n'a pas le choix. Pourquoi vous êtes journaliste ? Pourquoi...
11:55 Pourquoi maintenant, alors ?
11:57 Bah parce que j'ai 52 ans, que mes parents sont morts, que je vais peut-être perdre la mémoire un jour et que j'ai envie de ne pas les oublier ou en tout cas que mes enfants puissent lire ce que moi j'ai vécu à travers la transmission.
12:07 Moi je crois beaucoup à la transmission. J'étais la semaine dernière, enfin il y a quelques jours, dans le nord de la France avec des agriculteurs et on parlait du gaspillage alimentaire et de l'écart de triage et de la difficulté d'être un agriculteur aujourd'hui.
12:19 La troisième cause de mortalité chez les agriculteurs c'est le suicide. Donc c'est des gens. On nous dit "30% de chômage", c'est des visages, c'est des personnes. C'est ça qui m'intéresse.
12:29 Et donc je me dis, je peux pas me retenir de faire une chanson si j'ai envie d'en faire une. Parce que quand j'ai écrit "C'est ça la France", c'est venu comme ça. Quand je chante avec Swan Massey, ça vient comme ça.
12:38 Je pense qu'il faut avoir le courage de ne pas se laisser des choix. On n'est pas là, c'est pas une idée qu'on se fait. On se dit pas "Tiens, je vais être le mec dans la télé".
12:47 Non, on est avec des gens, c'est une intelligence collective, avec des textes, avec des acteurs, des actrices, des gens qui travaillent ensemble.
12:56 Et donc c'est ça, je trouve, la singularité des artistes et je trouve qu'on leur doit beaucoup aussi. C'est eux qui nous ont, qui ont dit "J'accuse", c'est eux qui nous racontent l'histoire.
13:07 C'est eux qui sont les passerelles entre ceux qui savent et ceux qui ne savent rien. Moi je suis fasciné, je parlais tout à l'heure, moi je ne sais tellement rien que quand je vous écoute, je suis content de mon ignorance.
13:16 Parce que j'apprends quelque chose. Je crois qu'il faut arrêter de désigner. Il faut être avec. Et c'est pour ça que j'ai fait ce bouquin.
13:23 Vos parents sont décédés aujourd'hui et c'est vrai que ce personnage flamboyant, d'un père séducteur, généreux, mais à la fois qui fait souffrir sa femme terriblement, parce qu'il la trompe comme jamais, en tout cas dans les pages que vous racontez.
13:39 Et d'une certaine manière ses enfants, parce qu'il partage avec eux, vous avez raconté l'épisode de la maîtresse, il y en a d'autres, celle où il trousse une de ses maîtresses le jour des funérailles de son...
13:50 Oui, c'est dans le livre.
13:52 Vous savez, la mort provoque un désir de vivre. Sinon la mort est mortifère. Moi j'ai pas fait un roman à charge. Je dis simplement avec leur qualité et leurs défauts, ils ont fait ce que je suis.
14:02 Moi ça m'a fait encore plus aimer les gens. Parce que je les trouve vraiment formidables. Il y a aussi des femmes beaucoup dans mon livre.
14:10 Il y a beaucoup de femmes dans votre livre, mais c'est vrai que vous racontez, si on sort de votre histoire, vous racontez l'histoire d'un homme qui fait aussi mal à sa famille, mal à sa femme, mal à ses enfants.
14:20 Mal est bien.
14:21 Mal est bien, bien entendu, et je le dis à beaucoup de tendresse. Et il y a souvent cette phrase que je cite, que j'aime bien d'Oscar Wilde, on commence par aimer ses parents, quand on grandit on les juge, parfois on leur pardonne.
14:32 Est-ce que vous avez pardonné à votre père ?
14:34 Moi j'ai jamais eu à pardonner mon père.
14:36 Vous l'avez jamais jugé ?
14:37 J'ai jamais eu ce choix à faire. Ca n'est pas mon problème, c'est pas ma question, c'est pas la question que je me pose. Il est comme ça. Je l'aime comme ça. Il a pas trahi les choses fondamentales. Il s'est fait gauler.
14:52 Mais, non mais, entendons-le bien, c'est pas un méchant...
14:56 Même quand vous voyez le chagrin de votre mère ?
14:57 Mais je vois le chagrin des deux, surtout parce que mon père il est revenu de la guerre d'Algérie, il a pas parlé pendant deux ans, il s'est marié avec une jeune femme avec qui il avait fait un enfant avant d'être marié, c'était pas facile à l'époque.
15:07 Dans un petit village de banlieue comme ça, ma mère était d'une classe supérieure légèrement. Plus élevée que la sienne, je le dis dans le livre.
15:14 Les filles de commerçants, lui il est fille de mec qui n'a pas de rond. Il veut faire médecine, il peut pas le faire. Il rencontre des gens et puis il rencontre des événements.
15:24 Et je crois qu'on est aussi parfois victime des événements. Et il a pas trahi sa conscience de classe, il a pas trahi le fondamental.
15:34 Ils ont eu une histoire d'amour qui a mal tourné comme des millions d'histoires d'amour. Voilà.
15:41 Cette exaltation, je vous laisse la parole, cette exaltation de la banlieue, de cet esprit libertaire des années 70 où on buvait, on fumait, on couchait énormément.
15:52 Voilà, il faut redire aussi, il faut contextualiser.
15:57 Des années 70, c'est ce que je dis, c'est là où j'en viens à ma question. Il y a une petite musique qu'on entend en ce moment qui pointe du doigt ces post-mai 68.
16:10 Michel Onfray notamment dans certains de ses ouvrages sur les conséquences pour l'école de cet après-mai 68 où on a tout libéralisé, où on a tout déconstruit pour employer un terme cher à certains.
16:23 Qu'est-ce que vous en pensez, vous ? Est-ce que vous participez de ceux qui veulent faire le droit d'inventaire de mai 68 et de ces années libertaires ou pas ?
16:32 Ou est-ce que vous pensez qu'il nous manque aujourd'hui cet esprit-là ? Où est-ce que vous vous situez ?
16:38 Moi, en ce qui me concerne, je me situe avec les gens. Je me situe, comme je vous ai dit, avec les agriculteurs. Je me situe avec les autistes.
16:47 Je me situe là où il y a une discrimination. Alors les premières sont les femmes qui sont discriminées et ensuite tous les autres.
16:53 Et sous toutes les latitudes, dès qu'il y a un fasciste qui arrive quelque part, c'est eux qu'on descend. On tue les femmes, on brûle les livres, on tue les artistes, on tue les homosexuels, les curés, on tue un peu tout le monde.
17:04 Tous ceux qui racontent quelque chose à l'autre. Tous ceux qui peuvent nous apprendre quelque chose. Un maître d'école, boum.
17:10 Donc moi, aujourd'hui, dans notre société qui est en train de bouger considérablement, j'avais pas senti que ça allait nous arriver comme ça. Mais maintenant, c'est là.
17:19 Donc je crois qu'il faut continuer tranquillement à créer des passerelles et pas à dresser des murs.
17:24 Vous auriez dû être une petite fille, ça c'est vrai.
17:27 Oui, comme John Wayne.
17:29 Votre maman voulait absolument une petite Brigitte. Et c'est Marc qui t'est arrivé. Elle a vraiment, vraiment eu cette attitude.
17:36 Vous pouvez nous raconter comment ça s'est passé. Parce que vous ne pouvez pas vous en souvenir évidemment.
17:40 Cette attitude, dès le départ, à votre naissance, de vous rejeter.
17:43 Oui, le rejeton a été rejeté parce que c'était trop dur pour elle.
17:49 D'avoir un garçon.
17:50 Oui, je crois qu'elle aurait préféré, je dis, tricoter dans une autre couleur.
17:53 Et bien, voilà, ça s'est passé autrement. Alors, j'avais pris pour habitude, parce qu'elle m'a gardé longtemps dans cet imaginaire.
18:00 On me prenait beaucoup pour une fille quand j'étais petit. Alors je baissais mon pantalon pour me présenter.
18:05 Au lieu de dire bonjour, je disais, voilà, je suis un garçon.
18:07 Ça vous racontait à plusieurs reprises à montrer votre zizi pour prouver que vous étiez un garçon.
18:10 J'ai arrêté à un moment donné.
18:11 Oui, je comprends.
18:12 On ne va pas vous demander de le prouver ce soir, Marc.
18:16 Mais d'une certaine manière, quand on est artiste, je ne dis pas qu'on baisse son pantalon.
18:23 Mais en tout cas, on enlève, on y va à découvert. Et les dessinateurs dont on parlait tout à l'heure, ils traversaient comme mon frère, d'ailleurs.
18:32 Qui m'a protégé toute sa vie, qui a protégé les gens et qui aujourd'hui protège encore les gens.
18:36 Essaye de leur apprendre l'alphabétisation. Il va reprendre ses feutres depuis d'ailleurs ces événements là.
18:42 Le dessin de la maison.
18:44 Ils avancent un peu à découvert, quoi. Et ben voilà.
18:47 Marco les grandes feuilles, c'est aussi vous. Il était quand même assez rigolo, votre papa.
18:53 C'est sûr.
18:54 Il dit Marco les grandes feuilles. C'est ainsi qu'il vous appelle à un moment donné.
18:57 En tout cas, c'est ce que vous lui faites dire parce que la taille de vos oreilles à la naissance était considérable.
19:02 J'essaie de les regarder encore.
19:04 Et il vous disait c'est bien, tu auras des réductions sur les bateaux à voile.
19:08 C'était un homme qui qui qui qui faisait toujours le lendemain d'une soirée où on faisait pipi tous les deux.
19:16 Et je me demande s'il n'a pas un petit problème avec certaines choses.
19:21 Et il me ferme la porte au nez de mes questions et on se retrouve devant le fleuve du Lot comme ça.
19:28 Et je lui dis c'est drôle, elles sont jolies ces petites îles.
19:30 Je n'avais pas remarqué.
19:31 Il me dit oui, c'est les gounettes.
19:33 Je dis comment ça les gounettes.
19:34 Il me dit c'est les petites îles gounettes.
19:36 C'était quelqu'un qui enjolivait tout.
19:39 Il fallait que tout soit beau, une soirée, un dîner.
19:41 Il prenait la guitare.
19:42 C'était rien.
19:43 Il y avait juste des copains du parti, des copains à moi, un peu des hippies ici.
19:48 Et puis s'il y avait deux, trois filles, il faisait d'une soirée à la maison un spectacle de l'Olympia.
19:53 Et pourquoi toute la famille vous appelait Trouduc ?
19:55 Ça, je leur ai jamais posé la question.
19:59 Mais on vous appelait vraiment Trouduc ?
20:00 On m'appelait Trouduc.
20:01 À part ma mère qui m'a appelé pas Trouduc.
20:04 Votre papa, votre frère, vous en parlez souvent et dans le livret ce soir sur ce plateau de votre frère.
20:12 Vous en aviez parlé, mais en chantant dans deux extraits de chansons qu'on va voir maintenant.
20:18 Tout d'abord, un extrait d'une chanson où vous évoquez votre papa, son départ en tout cas.
20:22 Et un autre extrait d'une autre chanson où vous évoquez votre frère.
20:26 J'ai perdu d'avance, j'ai perdu la guerre.
20:29 J'ai perdu le sens de l'humour, des affaires.
20:32 Et puis j'ai perdu la mémoire, j'ai perdu le sourire.
20:38 Le jour où j'ai perdu mon père, j'ai perdu à la loterie.
20:43 Je lève encore mon verre, un peu comme une prière, sans dire un mot et sans pleurer.
20:55 Je marche de travers, auprès de toi mon frère, peux-tu encore me prouver ?
21:03 Alors on revient un peu à la chanson quand même avec vous Marc.
21:07 Vous n'allez pas abandonner définitivement la chanson parce que c'est vrai que ces derniers temps on vous voit plus comédien.
21:13 Vous serez au théâtre très bientôt.
21:15 Je fais une pièce avec de Léonore Confinon et de Catherine Chauve avec Géraldine Martineau qui s'appelle "Le Poisson Belge".
21:23 Et j'ai rendu hommage à Jean Ferrat dans un disque qui va sortir.
21:27 Jean Ferrat qui est présent.
21:29 Les chanteurs et les chansons sont présentes dans le livre aussi parce que votre papa avait des chanteurs différents en fonction des maîtresses qu'il fréquentait.
21:37 L'homme qui ment, Marc Laval, est un peu plus acteur, un peu plus écrivain en ce moment que chanteur mais vous reviendrez à la chanson quand même.
21:44 Avec plaisir.
21:45 Je ne sais pas, c'est une question que je vous pose.
21:47 Oui bien sûr, évidemment.
21:49 Vous n'allez pas abandonner définitivement ça.
21:51 Vous dites dans certaines interviews que ça vous intéresse moins.
21:53 C'est moins une partie de votre vie en ce moment.
21:55 Que c'est plus l'acteur et écrire, vous dites que ça vous a...
21:59 Ça m'intéresse autrement.
22:00 C'est vrai que j'ai fait 11 disques.
22:02 J'ai beaucoup fait de concerts.
22:04 Aujourd'hui j'ai envie d'explorer la musique un peu différemment.
22:07 Alors je prépare quelque chose depuis 2008 ou 2009.
22:11 J'écris quelque chose qui j'espère verra le jour.
22:14 En tout cas votre livre a la même musicalité que vos chansons.
22:17 Quand on entend, il y a vraiment quelque chose qui résonne de la même manière.
22:21 Ça me plaît.
22:22 Merci.
22:23 Et il sera en librairie dès lundi, L'Homme qui mange chez Fayard, signé Marc Lavendrieu.
22:27 Rejoignez votre place.
22:29 *Applaudissements*

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