La réalisatrice franco-sénégalaise Ramata-Toulaye Sy est l’invitée de "Nouvelles Têtes". Son premier film "Banel & Adama" sort en salles. Il avait déjà été apprécié à Cannes, dans la sélection officielle.
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00:00 grâce aux nouvelles têtes avec vous donc Mathilde Serrel. Tous les matins, vous conviez
00:04 un nouveau talent à la table du 7-10 et c'est une cinéaste déterminée à épater le monde
00:10 entier. Rien que ça qui ouvre la saison !
00:12 Ramata Toulhaissi, bonjour !
00:14 Bonjour !
00:15 On peut dire que vous démarrez fort. Votre premier long-métrage, « Banel et Adama »,
00:19 qui sortira ce mercredi, s'est retrouvé directement en compétition officielle à
00:23 Cannes, aux côtés de Nanny Moretti, Wes Anderson ou notre palme d'or française,
00:27 Christine Trier. Vous avez 37 ans, vous avez grandi assez loin de Cannes, dans une cité
00:31 du Val d'Oise, en banlieue parisienne, au sein d'une famille de 5 enfants, des parents
00:35 immigrés, ouvriers et agents d'entretien, qui vous emmènent passer toutes vos grandes
00:39 vacances au Sénégal et une sœur qui vous accompagne voir tous les blockbusters à l'UGC
00:43 de la Défense. Bac L en poche, puis fac de ciné à Nanterre Paris 10, vous intégrez
00:47 l'école de cinéma La Fémis, section scénario, un parcours classique, dites-vous modestement,
00:52 enfin mention très douée, tout de même, à mon avis, après quelques collaborations,
00:56 vous commencez votre parcours de réalisatrice par une sélection officielle à Cannes. Est-ce
01:00 que c'est le genre de film que vous vous faisiez pour votre carrière ?
01:03 Non, pas du tout. Finalement, quand même, très modeste !
01:07 Non, non, moi je regardais vraiment les blockbusters quand j'étais plus jeune et moi mon film
01:13 que ma mère nous mettait, vraiment même à 5 ans, c'est Les 10 commandements, c'est
01:17 Terminator, c'est Rabi Jacob qu'on avait en cassette et qu'on regardait tout le temps,
01:21 alors même qu'on est musulmans, mais c'était l'un de nos films préférés. Donc je m'y
01:26 mets pas à faire des films auteurs très expérimentaux.
01:29 Pas le festival de Cannes. Comment ont réagi vos parents, puisque même à 37 ans, ils
01:32 vous parlent souvent d'eux, y compris à l'aéroport quand vous êtes entrés dans
01:35 le studio, vous allez dire un petit mot là-dessus.
01:37 Oui, oui, oui, mes parents, ils étaient très fiers, même s'ils sont très très éloignés
01:41 du monde du cinéma et de tout ça, et de Cannes. Et je suis très fière parce qu'ils
01:46 ne sont jamais entrés dans une salle de cinéma, même s'ils vivent en France depuis les années
01:49 60 et ce sera la première fois cette semaine avec mon film.
01:52 Et ils sont tous venus à Cannes, vos parents, vos 5 frères et soeurs ?
01:54 Non, juste mes 5 frères et soeurs et pas mes parents.
01:57 Mes parents, ce sera vraiment la première fois cette semaine.
01:59 Vous avez grandi dans une cité à Besanç.
02:01 Quel est le moment où l'œuvre, la personne qui vous a entraîné dans cette voie artistique
02:05 remata tout là-ici ?
02:06 Alors c'est beaucoup la littérature plus que le cinéma, avec les livres et Harry
02:10 Potter, parce que Harry Potter m'a permis de voyager dans la fiction et dans le merveilleux,
02:18 dans le fantastique, quand c'était tout gris dans ma cité.
02:21 Harry Potter, c'est le déclencheur artistique.
02:24 Ensuite, qu'est-ce qui se passe ?
02:25 Alors, qu'est-ce qui se passe ? Je rentre à l'université en cinéma.
02:32 Je pense que je regarde un film, bizarrement, je crois qu'on n'a pas le droit de citer
02:37 son nom, Johnny Depp, mais Pirates des Caraïbes, qui m'a vraiment… Je ne sais pas pourquoi
02:43 ce film, je suis allée le voir et je me suis dit, il faut que je fasse du cinéma, il faut
02:46 que je fasse du spectacle pour aider les gens comme moi en fait, juste à s'évader et
02:51 juste pour raconter des histoires.
02:53 Donc Harry Potter et Pirates des Caraïbes, dans les déclencheurs artistiques de Ramatatou,
02:58 là ici, c'est un premier film, une première sélection à Cannes, je le disais dans la
03:01 foulée, on a l'impression que c'est presque facile, pourtant vous avez dû rencontrer
03:05 des obstacles, lesquels ?
03:06 Alors non, ce n'est pas facile, moi comme je dis beaucoup, c'est beaucoup de travail.
03:09 Après, des obstacles, je n'en ai pas rencontré beaucoup, mais je pense que c'est grâce
03:16 au fait que je sois déterminée, motivée et je me suis toujours dit qu'on ne m'attend
03:20 pas, donc j'ai beaucoup défoncé les portes, je suis allée travailler à Canal+, à France
03:24 2, à Gaumont et personne n'est venu me chercher, c'est moi qui suis allée à chaque fois
03:29 me présenter.
03:30 Avec la voiture bélier !
03:31 Qu'est-ce qui aurait pu vous dissuader dans votre parcours Ramatatou, là ici, malgré
03:35 tout ?
03:36 Malgré tout ce qui est… je ne pense rien, parce que vraiment rien, rien, rien, je suis
03:44 quelqu'un, je suis vraiment très déterminée, je suis motivée et personne ne peut me…
03:49 Quand j'ai quelque chose en tête, j'y vais et je n'ai pas peur.
03:52 Dans ce premier long métrage, "Banel et Adama", les deux noms de ce jeune couple
03:56 résonnent comme une formule magique.
03:58 Vous avez gardé Harry Potter au cœur, le goût des histoires, de la magie et des récits
04:03 qui flirtent avec le surnaturel.
04:05 Vous aimez cette dimension magique ?
04:07 J'aime beaucoup et je pense que ça s'est développé beaucoup avec Tony Morrison et
04:11 le réalisme magique.
04:13 Une nobelle de littérature en 93, c'était 20 ans.
04:16 Et aussi avec les contes que ma mère me racontait, les contes sénégalais et africains issus
04:26 des griots que ma mère me racontait.
04:27 "Banel et Adama, ce sont deux amoureux qui rêvent de pouvoir vivre leur vie sans devoir
04:31 être chef, par exemple pour lui.
04:33 Adama, sans devoir faire d'enfant pour elle.
04:35 Banel, tu ne l'as toujours pas d'enfant, demande-t-on à Banel.
04:38 Pourquoi faire ? répond-elle.
04:40 Ça pourrait se passer un peu partout, mais vous vouliez planter cette histoire dans un
04:43 village peul du nord du Sénégal.
04:45 Pourquoi ?
04:46 Parce que mes parents sont originaires du Futa et donc moi aussi.
04:49 Je voulais vraiment que ça soit une histoire universelle, mais c'était important de le
04:52 mettre au Sénégal parce que je pense que le cinéma en Afrique, on a beaucoup encore
04:57 à faire.
04:59 Il y a beaucoup de choses et de personnes qu'on doit… comment dire ? Je pense que
05:10 le cinéma africain doit être développé, doit se développer encore.
05:14 Hors du naturalisme ?
05:15 Hors du naturalisme et surtout, on n'a pas besoin de moi en France.
05:18 Même si je suis française et je suis née ici, je pense qu'on a plus besoin de moi
05:21 au Sénégal.
05:22 Et ce que je voulais, c'était essayer de faire du cinéma qui ne soit pas naturaliste
05:27 et qui sort des sentiers battus et qu'on propose une nouvelle image surtout de l'Afrique
05:32 et de la femme.
05:33 A votre formule magique, les contes font partie de l'histoire, les griots de votre enfance,
05:40 on a parlé d'Harry Potter, mais aussi de la tragédie.
05:42 Votre personnage, Banel, qui est déterminé d'ailleurs comme vous, vous l'avez voulu
05:45 proche d'une figure mythique de la tragédie, Médée.
05:48 Et c'est un autre mythe qui va nous en parler.
05:50 Isabelle Huppert.
05:51 J'essaye de voir comment en elle cohabitent les forces du mal et du bien.
05:55 J'essaye de la comprendre, je n'essaie pas de la justifier.
05:58 On ne peut pas justifier la monstruosité dont à aucun moment Médée ne fait l'économie.
06:04 Elle est véritablement, à un moment donné, traversée par les forces du mal, elle en
06:09 a la jouissance.
06:10 Il ne s'agit pas de l'angéliser, mais simplement d'essayer de la comprendre, d'essayer
06:17 de comprendre sa souffrance.
06:19 Isabelle Huppert au micro de France 2 le 10 juillet 2000 a interprété l'infanticide
06:24 Médée de Ripi dans la cour d'honneur pour son premier festival d'Avignon.
06:28 Le personnage de Médée, il symbolise quoi pour vous aujourd'hui ?
06:31 Il symbolise la passion, il symbolise l'amour et il symbolise la détermination comme mon
06:36 personnage.
06:37 Et Isabelle Huppert, qu'est-ce qu'elle symbolise ?
06:40 Le cinéma français et vraiment une très très grande actrice.
06:45 Vous aimeriez jouer, faire tourner Isabelle Huppert ?
06:48 Pourquoi pas ? Elle est très bien dans Amour.
06:50 Je l'ai beaucoup aimé dans Amour d'Hanoke.
06:52 Vu votre détermination, ça pourrait se produire.
06:55 Quand vous faites des films, qui voulez-vous épater ?
06:57 Le monde entier.
06:59 Vous rêvez de travailler et/ou de passer un petit déjeuner avec qui ?
07:04 Ramat Atul a ici.
07:06 Shimamanda Ngozi Adichie, Toni Morrison et Mohamed Ali.
07:12 Vous le citez dans vos modèles.
07:14 Mohamed Ali, Shimamanda Ngozi Adichie, adoré de Beyoncé, l'écrivaine nigériane.
07:18 Toni Morrison dont on a parlé.
07:19 Mais aussi Maya Angelou, poétesse américaine, afroféministe et activiste des droits civiques.
07:24 C'est une nouvelle tradition qu'on inaugure aujourd'hui.
07:26 On vous a demandé de venir avec quelque chose à la table du 7-10 ce matin.
07:30 C'est un extrait de son autobiographie que vous avez choisi.
07:32 Un mot sur elle ?
07:34 Maya Angelou, c'est vraiment quelqu'un d'important pour moi.
07:36 Parce qu'elle m'a aidée vraiment à m'accepter, à m'aimer, à m'élever en tant que femme
07:41 noire dans toute sa grandeur, sa beauté et sa complexité.
07:44 Je vous laisse les commandes, Ramat Atul a ici.
07:47 Dans ce passage, Maya Angelou s'adresse à une assemblée de femmes écrivaines et leur
07:51 raconte l'histoire des femmes afro-américaines qui se sont battues pour la liberté.
07:56 Les Africaines, ravies, m'écoutèrent parler de ce jour nétrousse.
08:02 Au 19ème siècle, l'esclave libéré, qui faisait plus d'un mètre 80, prit la parole
08:07 à l'occasion d'un rassemblement de blanches qui luttaient pour l'égalité.
08:10 Ce soir-là, un groupe d'hommes blancs, déjà fâchés d'entendre leur femme dénoncer le
08:16 sexisme, devinrent fous furieux lorsqu'une femme noire osa se lever.
08:20 Assis dans la foule, un des notables de la petite ville cria.
08:24 « Je constate la haute taille et la férocité de la personne qui parle.
08:28 J'entends le timbre grave de sa voix.
08:31 Messieurs, je ne suis pas du tout convaincu d'avoir affaire à une femme.
08:36 Avant de dénier l'écouter, j'exige que les blanches de l'assistance conduisent
08:40 cette personne dans la pièce fermée et lui fassent subir un examen approfondi.
08:44 À cette condition seulement, je consentirai à l'entendre.
08:48 » Les autres hommes signifièrent bruyamment
08:50 leur approbation, mais les blanches refusèrent de se prêter à une telle ignominie.
08:54 Ce jour nétrousse, cependant, prit les choses en main.
08:57 D'une voix retentissante qui tonna jusqu'à la dernière rangée de la vaste salle, elle
09:02 déclara.
09:03 « À teuler comme un bœuf, j'ai labouré vos champs.
09:06 Et je ne suis pas une femme, peut-être ? À coups de hache et de hachette, j'ai défriché
09:12 vos forêts.
09:13 Et je ne suis pas une femme, peut-être ? J'ai donné naissance à treize enfants que vous
09:18 avez vendus à des étrangers, et aujourd'hui ils retournent d'autres terres.
09:22 Et je ne suis pas une femme, peut-être ? J'ai allaité vos bébés avec ces seins-là.
09:27 »
09:28 Elle posa ses grosses mains sur son corps sage, puis tira.
09:31 Les coutures cédèrent.
09:32 Son chemisier et ses dessous s'ouvrirent, révélant deux énormes tétons qui se balançaient
09:37 librement.
09:38 Le visage, imperturbable, et la voix assurée, elle ajouta.
09:41 « Et je ne suis pas une femme, peut-être ? »
09:43 Saskia de Ville : merci pour cette lecture scotchante, Ramat Atoula.
09:46 Ici, votre premier long métrage, il est présenté en compétition au Festival de Cannes, juste
09:51 au mois de mai dernier.
09:52 Voilà qu'il sort le 30 août, ce mercredi.
09:55 C'est magique, ça s'appelle « Banel et Adama ».
09:57 Nicolas Demorand : et merci à vous Mathilde Serrel.