L'interview d'actualité - Xavier Pasco

  • l’année dernière
Chroniqueuse : Maud Descamps 




Ce matin, Xavier Pasco nous plonge la tête dans les étoiles. Alors que pour la première fois, une sonde indienne a atterri sur la lune, la Russie n’a pas réussi à signer un tel exploit. Mais le Japon compte bien conquérir stratosphère à son tour. En effet, il s’apprête à envoyer ce lundi un satellite qui prévoit d’analyser les événements les plus violents de notre univers. Assistons-nous au retour de la conquête spéciale ? La réponse avec Xavier Pasco, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique, spécialiste de la politique spatiale américaine, qui fait le point sur les enjeux stratégiques et les investissements lunaires et spatiaux.

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Transcript
00:00 8h10 et la tête dans les étoiles ce matin, Maud, avec votre invité.
00:03 Alors qu'avant-hier, une sonde indienne a atterri sur la Lune, c'est une première,
00:06 eh bien ce matin, vous allez faire un point sur les enjeux stratégiques
00:09 et les investissements lunaires et spatiaux avec votre invité, Xavier Pascoe.
00:13 Il est directeur de la Fondation pour la Recherche Stratégique.
00:16 Bonjour, Xavier Pascoe.
00:17 Bienvenue sur le plateau de Télématin.
00:19 Le Japon s'apprête à envoyer lundi un satellite
00:22 qui va aller analyser les événements les plus violents de notre univers.
00:25 L'Inde, en effet, a posé un petit robot sur le pôle sud de la Lune.
00:29 C'était il y a quelques jours.
00:30 Et puis, il y a la Russie également, qui a tenté d'envoyer une sonde.
00:33 Malheureusement, elle s'est écrasée.
00:35 Est-ce qu'on est en train d'assister au retour de la conquête spatiale ?
00:39 Ah ben là, effectivement, on a un retour, un regain d'intérêt pour la conquête spatiale.
00:42 En fait, la Lune, c'était Apollo.
00:44 Et puis après Apollo, il ne s'est pas passé grand-chose.
00:46 C'est un peu caricatural de dire ça, mais la navette spatiale, plus grand-chose.
00:49 Et les États-Unis, quand même, au début des années 2000, ont relancé un peu les affaires
00:53 avec cette idée que la Chine était en train de monter en puissance
00:55 et que la Lune redevenait un élément symbolique, on va dire.
00:59 Et donc, autour de ça, un certain nombre de pays émergent aujourd'hui,
01:02 dont l'Inde, spectaculairement.
01:03 C'est quand même le premier pays qui a pu envoyer cette sonde
01:05 dans cet endroit particulier de la Lune.
01:07 Et ça, ça présage de quelque chose de dynamique nouvelle, en fait.
01:10 Alors justement, qu'est-ce qu'il va aller faire, ce petit robot qui s'est posé
01:13 dans une zone assez méconnue pour le moment ?
01:15 Quelle va être sa mission ?
01:16 Oui, alors sa mission, c'était d'abord de démontrer pour l'Inde
01:19 qu'ils étaient capables d'atterrir, de faire atterrir une sonde.
01:20 Donc, c'est un message fort envoyé.
01:21 Voilà, c'est un message envoyé très fortement.
01:24 C'est le quatrième pays, en fait, après les États-Unis, la Russie, la Chine,
01:27 qui arrive à poser un objet sur la Lune.
01:29 Et puis, la zone du pôle Sud devient une zone d'intérêt
01:31 parce qu'on imagine que les grands programmes qui sont en cours
01:33 pour réhabiter la Lune, j'allais dire, on va installer les astronautes
01:37 dans ce voisinage du pôle Sud pour tout un tas de raisons géographiques, lunaires.
01:41 Alors justement, pourquoi ce regain d'intérêt pour la Lune ?
01:44 Qu'est-ce qu'on va y chercher exactement ?
01:45 Je dirais qu'on a à la fois un regain d'intérêt parce qu'il y a cette idée
01:50 qu'on va habiter l'espace un peu différemment aujourd'hui.
01:54 Les technologies nous permettent désormais non plus seulement
01:56 de tirer des traits dans l'espace, d'être dans une station spatiale,
01:59 mais de faire un peu plus.
02:00 Et immédiatement, évidemment, la Lune apparaît comme un endroit
02:03 où on peut revenir pour cette fois y rester, y faire des études scientifiques
02:05 et éventuellement, alors ça c'est un peu plus lointain,
02:08 exploiter des ressources locales, possiblement.
02:11 Et on a découvert sur la Lune qu'il y avait de l'eau sous forme de glace
02:14 vers le pôle Sud et que ça serait popis à l'installation d'astronautes et d'équipements.
02:18 Donc, ça intéresse un certain nombre de pays,
02:20 notamment les États-Unis et la Chine,
02:21 qui en fait se projettent aussi d'une forme de compétition symbolique.
02:24 Et donc autour de ces deux pays, il y a une agrégation de petits pays,
02:27 de pays qui émergent dans le domaine spatial, on va dire,
02:30 qui aussi prennent acte et montrent qu'ils sont capables d'être des partenaires.
02:32 Alors vous le disiez, la dernière fois que l'homme a foulé le sol de la Lune,
02:36 c'était en 1972, c'était la mission Apollo 17.
02:39 Pourquoi est-ce qu'on n'est pas retourné sur la Lune depuis ?
02:42 Quand on est allé sur la Lune du point de vue américain,
02:43 c'était pour répondre à l'Union soviétique qui avait fait toutes les premières,
02:46 Spoutnik en 1957 et puis Gagarin en 1961.
02:49 Et donc il y avait cette idée de réponse.
02:51 Et une fois que les Américains avaient démontré qu'ils étaient finalement revenus à l'égal,
02:55 et même qu'ils avaient dépassé l'URSS,
02:57 il n'y avait plus d'intérêt vraiment pour la Lune.
02:59 L'espace n'a jamais présenté un intérêt politique pour lui-même.
03:03 Il a présenté un intérêt politique pour ce qu'il projetait du pays.
03:05 Et donc on a fait une navette spatiale qui était en fait
03:08 quelque chose qui permettait de continuer à faire tourner l'industrie un peu.
03:11 Et puis on a fait la station spatiale dans les années 80.
03:13 L'ISS ?
03:14 L'ISS, voilà, qui va être mise, j'allais dire,
03:17 enfin voilà, arriver en fin de vie en 2030 à peu près.
03:20 Et donc ce qu'on voit aujourd'hui, c'est que ce qu'on appelle le programme habité,
03:23 qui est une partie de l'activité spatiale,
03:25 est en train de se trans…
03:28 je dirais de se transsater de la mission orbitale de la station spatiale vers la Lune.
03:32 Le centre de gravité du programme habité est en train de changer.
03:35 Et donc la Lune, ça devient un nouveau territoire.
03:37 Ça veut dire que l'homme va retourner sur la Lune dans les prochaines années,
03:40 je pense au programme Artemis ?
03:41 C'est ça. Alors c'est le programme Artemis américain.
03:43 Il y a deux grands programmes en gros.
03:45 Le programme Artemis qui prévoit un premier à l'Unisage en 2025.
03:49 Et puis le programme chinois, la Chine aussi,
03:50 a dit "eh bien nous on va installer une base sur la Lune,
03:53 en coopération avec la Russie" et c'est ouvert à qui veut coopérer avec nous.
03:57 Donc il y a deux programmes de coopération
03:58 et on voit bien que c'est aussi un peu une compétition politique.
04:00 Alors vous nous parlez de la Chine, vous nous parlez des Américains,
04:03 vous nous parlez de la Russie, et l'Europe là-dedans ?
04:05 Alors l'Europe a une tradition dans sa politique spatiale,
04:08 surtout d'insister sur ce qu'on appelle l'espace utile.
04:10 C'est-à-dire en fait on va faire plutôt des satellites qui vont sculpter la Terre,
04:12 qui vont suivre le changement climatique, etc.
04:14 Et l'Europe est très performante là-dedans.
04:16 Par exemple le programme Copernicus est le premier programme mondial
04:18 pour surveiller la planète.
04:19 Mais effectivement, l'Europe n'a jamais été vraiment attirée
04:22 par cette exploration habitée,
04:23 mais aujourd'hui elle est un peu mise au pied du mur quand même.
04:25 C'est-à-dire que les grands programmes des grands pays développés,
04:28 avec tout l'argent qui va avec, l'investissement public, va vers la Lune.
04:31 Donc l'Europe va devoir se décider.
04:32 Elle coopère aujourd'hui avec les Américains,
04:34 mais elle doit sans doute améliorer un peu son statut de partenaire.
04:38 Est-ce que les tensions qu'on connaît ici sur Terre entre certains États
04:41 peuvent se délocaliser d'une certaine manière quelque part dans l'espace ?
04:44 Est-ce que ça peut être un terrain de guerre froide par exemple ?
04:46 Alors ça l'a été.
04:48 On voit bien qu'il y a une compétition de puissance, effectivement.
04:50 Alors pour l'instant, par exemple pour la station spatiale,
04:53 on a des Russes et des Américains à bord et ça continue.
04:55 Je dirais que la coopération continue.
04:56 C'est peut-être l'un des derniers domaines où cette coopération continue.
04:58 Il y a une mission qui part aujourd'hui avec des...
05:00 Avec un Russe à bord, un dessous-américain.
05:02 Et comment ça se passe alors quand on se retrouve avec des Russes par exemple ?
05:04 Eh bien aujourd'hui, je dirais que ça se passe a priori de manière très professionnelle.
05:09 L'espace est un milieu hostile pour l'homme de toute façon.
05:11 Donc quand vous êtes dans l'espace, vous êtes d'abord un être humain
05:14 et il y a une forme de solidarité.
05:15 Et ensuite, on a quand même le développement de programmes militaires
05:18 qu'on ne voyait pas avant et qui commencent à montrer certaines...
05:20 Voilà, à reproduire les tensions qu'on a sur Terre.
05:23 Alors on n'est pas dans une guerre de l'espace,
05:25 mais on a quand même en voie des tensions montées.
05:27 Depuis quelques années, on sent un engouement nouveau du public pour la chose spatiale.
05:32 On voit que la NASA par exemple a complètement changé sa stratégie de communication.
05:35 Elle est très présente sur les réseaux sociaux.
05:37 Moi j'ai le souvenir du compte Twitter de Curiosity, le petit rover qui est sur Mars.
05:40 Est-ce que ça, ça a marqué un tournant justement dans la volonté d'être plus transparent ?
05:44 Oui, il y a cette idée-là.
05:45 En fait, il y a l'idée que l'espace coûte toujours cher.
05:48 Oui, on demande aux gens une sobriété.
05:50 Voilà, on demande une sobriété.
05:51 Il y a l'idée aussi qu'on devrait se préoccuper d'abord du vaisseau spatial Terre, j'allais dire.
05:55 Et donc finalement, il faut expliquer pourquoi on va faire ces recherches
05:58 dans l'espace, loin de la Terre, et qu'est-ce que ça rapporte aux gens.
06:01 Donc il y a cette nécessité de mieux communiquer, de mieux dire ce qu'on fait.
06:04 Et puis, il y a aussi pour l'espace habité, peut-être cette idée que l'espace,
06:08 ça a des mérites scientifiques, ça a des mérites technologiques,
06:10 mais ça a aussi des mérites humains.
06:11 Ça fait rêver, ça projette, ça donne un horizon.
06:15 Et donc, toute cette idée-là a conduit à une modernisation un peu des communications.
06:19 Et justement, qu'est-ce que ça nous rapporte à nous, terriens,
06:21 d'aller explorer l'espace concrètement ?
06:23 D'abord, c'est de la recherche scientifique.
06:25 C'est-à-dire qu'effectivement, en allant sur Mars par exemple,
06:27 on comprend mieux aussi l'avenir de la Terre, puisque Mars a eu un passé.
06:30 Et donc, on a besoin de comprendre ça.
06:32 Et puis, il y a eu effectivement, en général, depuis le début de l'ère spatiale,
06:37 la technologie spatiale a tiré un peu la technologie,
06:39 a contribué à des progrès technologiques dans tous les domaines,
06:43 y compris médicaux par exemple.
06:45 Alors, quelquefois, on a un peu surévalué ça,
06:47 parce qu'on voulait tellement le montrer que c'était un peu excessif.
06:49 On a survendu un peu.
06:50 On a survendu, mais il ne faut pas non plus sous-estimer.
06:52 Donc, il y a un équilibre à trouver.
06:54 Et finalement, l'espace, ça fait partie des grandes politiques publiques
06:56 sans doute nécessaires aujourd'hui.
06:57 Quelles sont les prochaines grandes missions,
06:59 les prochaines grandes découvertes qu'on attend ?
07:01 Je pense qu'aujourd'hui, les grandes découvertes qu'on voulait faire,
07:05 c'est vraiment ce qui concerne la découverte de la vie ailleurs.
07:08 Et par exemple, on a une mission européenne qui est partie vers Jupiter
07:11 pour explorer les satellites de Jupiter, parce qu'il y a des océans.
07:15 Et on espère, par exemple, trouver dans ces océans peut-être des traces de vie.
07:18 Ça, c'est vraiment ce qui motive.
07:19 On regarde les planètes extrasolaires,
07:21 celles qui tournent autour d'autres étoiles que le Soleil,
07:23 mais celles-ci sont très loin, on ne pourra jamais y aller.
07:24 Mais en revanche, peut-être mieux savoir dans quel environnement on vit,
07:28 ça, ça motive beaucoup les gens.
07:29 Il y a un gros enjeu aussi avec Xavier Pascot,
07:31 évidemment, ce sont les vols commerciaux.
07:33 Est-ce que selon vous, on est en train d'assister à une privatisation de l'espace ?
07:37 Alors, je pense que ça, c'est un peu excessif.
07:38 On a de nouveaux acteurs privés, effectivement,
07:40 qui font un peu la publicité pour du tourisme spatial.
07:44 Il ne reste que l'argent qui circule dans l'espace,
07:46 c'est d'abord de l'argent public.
07:47 Et finalement, ces acteurs comme Elon Musk…
07:50 Elon Musk, Jeff Bezos, Amazon, oui.
07:52 Jeff Bezos, patron d'Amazon, qui a aussi des ambitions dans l'espace.
07:54 Et bien finalement, ils essayent de vivre en symbiose,
07:56 j'allais dire avec, en l'occurrence, l'État américain,
07:58 qui fournit quand même beaucoup d'argent, y compris dans le cas de l'Uner.
08:00 Donc, ces deux industriels se mettent un peu dans le sillage de la NASA.
08:03 Mais ils ont aussi leurs propres projets.
08:04 Par exemple, Musk est, j'allais dire, obsédé par le fait qu'un jour,
08:07 l'homme ira sur Mars, donc il a ses propres projets avec ses fusées.
08:10 Et donc, on essaye de trouver un nouvel équilibre.
08:12 L'idée, c'est que c'est un équilibre mutuellement bénéfique,
08:15 à la fois pour l'argent public et pour la NASA,
08:17 qui va pouvoir s'appuyer sur ses industriels,
08:19 et pour les industriels, pour bénéficier de la main de public.
08:20 Donc, on est plutôt, je dirais, dans une réadaptation
08:23 des relations publiques-privées dans ce cas-là.
08:25 Mais on voit que la NASA, oui, s'appuie beaucoup sur ses entreprises privées.
08:28 Est-ce que l'Europe a intérêt également à le faire ?
08:31 C'est-à-dire qu'on n'est pas tout à fait dans le même écosystème, j'allais dire.
08:35 Il faut noter que les entreprises privées américaines
08:37 qui investissent dans l'espace, elles viennent du monde de l'information.
08:39 Parce que là, le monde des GAFAM, de l'Internet,
08:42 trouve vraiment maintenant intérêt à investir dans l'espace,
08:44 dans ces infrastructures spatiales.
08:45 On n'a pas des acteurs équivalents en Europe.
08:47 Donc, il faut qu'on trouve, nous, notre propre narratif, j'allais dire,
08:49 et notre propre écosystème.
08:51 Bon, pour l'instant, on a besoin, de toute façon,
08:53 dans les deux cas, d'argent public qui s'investisse
08:55 et qui se projette dans l'avenir.
08:56 Merci beaucoup, Xavier Pesco, pour votre analyse.
08:59 Merci d'être venu sur le plateau de Télématin.
09:00 Merci.
09:01 C'était passionnant, on a vraiment eu la tête dans les étoiles.
09:03 Et c'est toujours aussi fascinant, effectivement,
09:04 cette conquête spatiale et lunaire.

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