Retrouvez "L'invité actu" sur : http://www.europe1.fr/emissions/l-invite-actu
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 - Merci Yanis Roder. - Bonjour. - Merci d'être en ligne ce matin sur Europe 1.
00:03 Une note de l'Education nationale que révèle Europe 1 ce matin indique une forte récrudescence,
00:08 inquiétante même, des atteintes à la liberté dans les établissements scolaires durant la dernière année.
00:14 Une augmentation de 150%, 4710 faits signalés notamment,
00:18 pour des atteintes à la loi de 2004 sur le port de signes et de vêtements religieux.
00:23 Qu'est-ce que ça vous inspire Yanis Roder ?
00:25 - C'est un phénomène que nous avons pu observer à la fois au ministère de l'Education nationale je crois,
00:32 et surtout évidemment sur le terrain, à partir du printemps 2022,
00:36 où effectivement le port de signes ostensibles religieux type abaya,
00:42 principalement des abayas, c'est-à-dire ces robes larges qui sont tout à fait repérables et identifiables,
00:49 on a vu cela arriver et exploser réellement durant l'année scolaire 2022-2023.
00:57 Donc je ne suis pas du tout étonné par ces chiffres,
00:59 finalement qui ne sont que l'addition de ce qu'a annoncé tous les mois le précédent ministre de l'Education nationale, M. Papadiaï.
01:08 Donc voilà, il y a une vraie poussée dans les établissements scolaires,
01:12 assez localisée d'ailleurs en général, de revendications identitaires et religieuses.
01:17 - Alors justement cette revendication identitaire et religieuse, c'est quoi ?
01:21 C'est une mode, entre guillemets, consistant à défier l'institution,
01:25 ou alors il y a quelque chose de plus profond derrière en termes de politique, de communautarisme ?
01:33 - Je crois qu'il ne faut pas être naïf.
01:35 Si effectivement des jeunes veulent par là marquer leur appartenance identitaire et religieuse,
01:41 bon les modes ça a toujours existé et la volonté d'être perçue comme telle ou telle a toujours existé.
01:49 Mais néanmoins derrière cela, et c'est ce qu'avait montré d'ailleurs une note du comité interministériel à la prévention et à la lutte contre la radicalisation,
01:58 qui avait fui dans la presse au mois de septembre ou octobre 2022,
02:01 et qui montrait qu'il y avait une grande offensive sur les réseaux sociaux,
02:06 d'entrepreneurs identitaires et religieux, on va les appeler comme ça,
02:10 qui poussait les jeunes justement à défier l'institution scolaire pour finalement, disons-le très clairement,
02:17 fracasser cette loi de 2004 qui leur pose problème.
02:21 Donc oui, il y a des gens qui derrière, alors c'est difficile, je ne sais pas de qui il s'agit,
02:27 mais qui sont difficilement identifiables à partir des réseaux sociaux,
02:30 qui poussent les jeunes à afficher leur appartenance religieuse, à porter ces vêtements, à défier l'institution.
02:38 Vous savez, il y avait même sur TikTok des défis qui étaient lancés,
02:41 je me souviens de ces deux jeunes filles qui s'étaient prises en photo, qui avaient posté sur TikTok,
02:46 qui s'étaient prises en photo dans un établissement, je crois que c'était en Bretagne, couverte d'une abaya,
02:53 et d'un voile à l'intérieur de l'établissement en disant, excusez-moi de répéter ce qu'elle disait,
02:57 on a niqué le CPE. Et voilà. Et ce post TikTok avait fait en quelques heures 450 000 vues.
03:05 - Donc selon vous, c'est le modèle républicain qui est défié finalement dans ces attitudes ?
03:13 - Bien sûr, c'est le modèle républicain, c'est-à-dire c'est l'école laïque,
03:18 qui vise justement à ne pas afficher, depuis la loi du 15 mars 2004,
03:24 à ne pas afficher de signes ostensibles religieux qui amèneraient à être identifiés
03:29 comme appartenant à une communauté religieuse. Et c'est cela qui est bien sûr défié.
03:34 - Que peut faire l'éducation nationale, Yanis Roder ?
03:36 Est-ce que les enseignants sont suffisamment armés pour contenir cette vague, finalement ?
03:43 - Alors vous savez, à la suite de l'assassinat de mon collègue, de notre collègue Samuel Paty,
03:48 le ministre de l'éducation nationale qui avait précédé Papendia et Jean-Michel Blanquer
03:54 avait lancé un grand plan de formation, laïcité, et ce plan est toujours en actualité.
03:59 Pas seulement, c'est-à-dire l'idée était de former les 1 million de fonctionnaires
04:03 de l'éducation nationale à la laïcité. Je crois qu'on est aujourd'hui,
04:06 le plan est toujours en route, il est toujours fonctionnel.
04:09 On est à 350 000 fonctionnaires formés, ce qui est déjà bien.
04:12 Mais surtout, je crois qu'il faut un discours qui soit très clair, un discours de l'institution.
04:18 Et puisque le président de la République s'est exprimé et s'exprime ce matin dans Le Point,
04:23 il me semble qu'il a quand même quelque part donné la feuille de route
04:27 au ministre de l'éducation nationale actuel, M. Gabriel Attal,
04:31 puisque le président dit qu'il n'y aura aucune forme d'accommodement avec les principes à l'école.
04:36 C'est-à-dire qu'on arrive à un moment donné où je crois que le politique,
04:40 en l'occurrence le président de la République, dit "bon ben voilà, on sonne, ça me semble,
04:44 enfin je le comprends comme ça, on sonne la fin de la récré, quoi, voilà,
04:46 et maintenant on va dire les choses très clairement".
04:48 - Mais comment est-ce qu'on peut faire pour convaincre ces jeunes qui se vêtissent en abaya,
04:54 que le principe de laïcité est vécu comme une brimade, et c'est très difficile de les faire changer ?
05:03 - Alors oui, vous avez tout à fait raison, c'est difficile,
05:07 mais justement il faut expliquer ce qu'est la laïcité.
05:09 La laïcité, et que l'école de la République, elle prend tous les enfants de France
05:16 et elle vise à leur offrir la possibilité de l'émancipation.
05:21 Et pour qu'ils se voient offrir la possibilité de l'émancipation,
05:25 c'est-à-dire la capacité à penser par soi-même et à décider par soi-même
05:29 ce que l'on veut, ce que l'on veut être, ce qu'on ne veut pas être,
05:32 et bien quelque part c'est mettre de côté le temps de l'école, ces convictions religieuses.
05:39 Non pas les oublier, mais les mettre juste de côté le temps de l'école pour respirer,
05:44 c'est ce que la philosophe Catherine Kisseler appelle la respiration laïque,
05:48 de manière à pouvoir être en position de recevoir tous les enseignements.
05:54 Et l'école n'est pas le lieu où on affiche une appartenance,
05:58 où on affiche une volonté de se distinguer des autres, de se séparer des autres,
06:03 c'est un lieu où on construit la future nation, les futurs citoyens,
06:07 dans un esprit d'égalité.
06:10 - Travail de fond donc qui concerne tous les représentants des communautés éducatives des établissements.
06:16 Merci, merci Yanis Roder, je rappelle que vous êtes professeur d'histoire-géo en collège à Saint-Denis,
06:20 directeur de l'Observatoire de l'éducation à la Fondation Jean Jaurès.
06:23 Je rappelle également le titre de votre dernier ouvrage,
06:25 "La jeunesse française, l'école et la République",
06:28 ça a été publié l'an dernier aux éditions de l'Observatoire.