La modernité est morte, l'humanité s'essouffle. Plus de grand récit, plus d'ambition grandiose. Il est temps de faire renaître l'élan, d'en retrouver l'amorce : la révélation chrétienne. Elle s'est affirmée, au XIIème siècle, avec la mystique cistercienne, suscitant une formidable dynamique créatrice et spirituelle. Mais depuis, cette dynamique s'est déréglée, nous livrant au néant. Dans son ouvrage "La dernière avant-garde - Le Christ ou le néant", l'écrivain et journaliste Romaric Sangard en prend acte, mais refuse le déni comme la décomposition postmoderne. En se reliant à la révélation chrétienne, il propose une issue transcendante à l'impasse actuelle ; une dernière avant-garde. À présent, soit nous tombons dans l'abîme, soit nous nous donnons les moyens de franchir ce cap critique. Un essai inédit, intense et radical, qui entend rappeler la grandeur à laquelle nous sommes destinés.
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00:00 [Générique]
00:06 – Bonjour à tous et bienvenue dans notre Zoom,
00:08 aujourd'hui en compagnie de Romaric Sangars.
00:11 Bonjour Romaric. – Bonjour Pierre.
00:13 – Romaric est journaliste et écrivain et il publie l'ouvrage
00:17 que voici "La dernière avant-garde",
00:19 "Le Christ ou le néant" publié aux éditions du Serre,
00:22 à retrouver évidemment sur notre boutique officielle TV Liberté.
00:27 Alors je vous cite Romaric Sangars dans les débuts de cet essai,
00:32 des phrases qui ont retenu mon attention,
00:36 "L'art se dégrade comme le reste, l'ambition s'éternit,
00:39 l'humanité s'essouffle, elle est plus décevante que prévue,
00:43 ce monde n'a plus aucune tenue.
00:46 Tout ce par quoi nous avons roulé depuis des siècles est mort,
00:50 la faillite à laquelle nous assistons est celle d'un système métaphysique
00:54 débuté à la Renaissance, alors qu'est-ce que c'est que ce système ?
01:00 – Ce système métaphysique débuté à la Renaissance,
01:02 je dirais que c'est une forme d'humanisme, d'abord chrétien,
01:10 mais très vite post-chrétien ou néo-païen d'une certaine manière,
01:14 qui est héritier du Moyen-Âge mais qui va prendre une autre voie.
01:21 Ce que j'essaie de montrer dès le début de mon essai,
01:26 c'est qu'il y a trois éléments essentiels qui fondaient notre rapport au monde,
01:32 qui était l'homme au sein de la création,
01:34 ça on comprend, c'est vraiment l'humanisme,
01:36 ça c'est vraiment l'héritage de la Renaissance,
01:38 la raison et l'histoire, la raison comme moyen de prendre possession du monde
01:43 et l'histoire comme ce que nous étions en train de faire de ce monde.
01:47 C'est trois piliers d'une espèce de foi, on va dire humaniste,
01:51 issue de la Renaissance, selon quoi nous avancions,
01:55 même aujourd'hui dans une forme de société sécularisée, post-chrétienne,
02:00 nous avions foi dans ces trois choses-là, dans le privilège de l'homme,
02:05 l'efficacité de la raison et le fait que l'homme avait une histoire,
02:08 quelque part il y avait une destinée collective.
02:11 Et ces trois éléments, ces trois notions sont issus du christianisme,
02:17 c'est le christianisme qui a donné à l'homme un statut particulièrement privilégié,
02:23 en faisant l'image de Dieu, qui a donné, disons,
02:28 la possibilité que la raison soit un moyen de modeler le monde,
02:32 de transformer le monde et non pas uniquement de s'harmoniser avec le monde,
02:36 comme un peu dans les paganismes il s'agit de trouver un équilibre
02:38 avec le monde tel qu'il est,
02:39 là on nous demande de réformer un monde chuté,
02:42 et puis l'histoire qui était liée à une forme d'eschatologie,
02:45 à partir du moment où le christianisme implique qu'il y a une chute,
02:48 qu'il y a une rédemption et qu'il y a une fin des temps,
02:49 on rentre dans un temps linéaire qui n'est plus un temps cyclique des païens,
02:53 et donc ces trois produits du christianisme se sont ensuite autonomisés,
02:57 et ça a été l'homme non plus en tant qu'image de Dieu mais l'homme pour l'homme,
03:01 ça a été la raison non pas en tant qu'articulation de la pensée humaine
03:05 et de la raison humaine avec un plan divin mais la raison autonome,
03:09 et ça a été l'histoire marxiste,
03:11 c'est-à-dire l'histoire qui vise la sortie de l'histoire,
03:14 c'est-à-dire une espèce de messianisme séculier,
03:18 enfin purement terrestre.
03:20 Et donc la modernité après la renaissance,
03:23 après la chute du christianisme, la modernité était restée,
03:26 cela dit accrochée à ces trois éléments qui aujourd'hui sont morts,
03:29 et d'ailleurs c'est la fin de la modernité,
03:31 le fait qu'on soit rentré dans la post-modernité,
03:34 c'est le fait que justement il y a un grand doute sur l'humanisme,
03:38 les animalistes vont considérer que l'homme est un animal comme les autres,
03:41 et les transhumains par exemple vont considérer que l'homme
03:43 est quelque chose à réformer ou à améliorer techniquement,
03:46 donc c'est fini l'humanisme,
03:47 la raison, on est dans une époque qui est complètement irrationnelle
03:50 et extrêmement émotionnelle, enfin oui, émotionnelle, hystérique,
03:55 où tout est hystérisé, on est de plus en plus loin de la raison,
03:59 très sensorielle, et quant à l'histoire,
04:01 il n'y a plus de foi collective évidente dans une avancée historique
04:05 de l'humanité indéfinie, comme ça au contraire,
04:07 on est angoissé par la fin de la planète, voilà.
04:11 Donc, tous ces éléments-là, je ne les invente pas,
04:13 ça fait longtemps que beaucoup de penseurs ont établi le fait
04:17 que nous étions sortis de la modernité,
04:19 mais il me semble que c'est quelque chose dont personne n'a pris conscience
04:23 parce que c'est une telle chute qu'on a beaucoup de mal à penser
04:30 après cette chute parce qu'on est complètement démuni,
04:33 donc voilà, je voulais partir, je voulais commencer ce livre
04:37 sur ce constat et sur l'importance de ce constat,
04:40 sur la violence de ce constat qui n'est pas établi, partagé pleinement
04:45 et je pense qu'il faut penser justement notre époque à partir de cet échec
04:49 et de la faillite de ces trois éléments autonomisés
04:54 et donc la proposition de mon livre, c'est pour poursuivre l'aventure,
04:58 c'est-à-dire néanmoins de retrouver cette aventure,
05:01 retrouver une place à l'homme, à la raison et une dimension historique,
05:06 renouer avec le christianisme et le XIIe siècle,
05:12 c'est-à-dire ce moment où, à mon sens,
05:15 le christianisme prend en charge toutes les dimensions de l'humain
05:20 et qu'il propulse de cette manière l'humain dans cette aventure collective.
05:26 Maintenant, à mon avis, il faut revenir à la source
05:28 si on veut pouvoir continuer cette aventure
05:31 puisque la route a été déviée par la Renaissance
05:34 et depuis, voilà, tout s'est effondré
05:36 parce que tout s'est autonomisé.
05:38 – Avec la Renaissance, est-ce que ce n'est pas quelque part
05:40 l'homme qui a pris la place de Dieu comme étant au centre du monde
05:45 alors qu'au Moyen-Âge, c'était Dieu qui était au centre du monde
05:49 et donc est-ce que cette place de l'homme que vous évoquez,
05:53 ce n'est pas justement de se remettre dans une société
05:58 où c'est Dieu qui est au centre ?
06:00 – Oui, alors ce que j'aime beaucoup, moi, ce qui me touche beaucoup,
06:02 c'est cette idée de christocentrisme qui obsède les médiévaux,
06:06 surtout notamment à ce moment de l'apogée médiévale
06:09 du XIIe et du XIIIe siècle, tout le monde est christocentrique
06:11 et donc christocentrique, ça veut bien dire centré.
06:14 – Tout l'art est… – Le Christ est le modèle.
06:16 – En référence.
06:17 – C'est-à-dire que c'est Dieu partout, mais Dieu en tant qu'Il s'est incarné.
06:20 – Oui, c'est la Vierge, l'Enfant.
06:22 – Oui, donc c'est une dimension aussi vraiment de Dieu
06:24 en tant que Dieu s'incarne.
06:26 Et donc c'est l'homme au centre de la création, mais c'est l'homme-Dieu.
06:29 Plutôt que la Renaissance mettra l'homme au centre de la création,
06:32 le Moyen-Âge met l'homme-Dieu au centre de la création,
06:34 ce qui n'est pas tout à fait la même chose,
06:36 et qui, à mon avis, en effet, offre des ambitions
06:40 et des perspectives beaucoup plus vastes.
06:42 – Alors, le sous-titre de votre ouvrage, c'est "Le Christ ou le néant".
06:48 Alors, est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que ça veut dire,
06:50 "le néant" au juste ?
06:53 – Il me semble que le christianisme ne cesse,
06:58 au fur et à mesure qu'il se déploie par l'Esprit-Saint,
07:01 de mettre à jour des vérités profondes
07:04 et qui sont des vérités critiques, on va dire, de certaines manières, risquées.
07:09 Par exemple, je prendrais comme exemple le recours au bouc émissaire,
07:13 d'en parler beaucoup au René Girard, par exemple,
07:15 c'est-à-dire le fait que toute société humaine,
07:16 d'après René Girard, avant le christianisme,
07:18 a recours à un bouc émissaire pour expulser sa violence sans se détruire.
07:22 À partir du moment où le christianisme a révélé ce mécanisme par le Christ,
07:29 qui montrait que le bouc émissaire, c'est-à-dire lui-même, était innocent,
07:33 et donc on ne pouvait pas se débarrasser de la violence de cette manière-là,
07:38 il y a toujours eu des boucs émissaires ensuite,
07:39 mais ce recours est devenu difficile,
07:43 et donc ce que dit Girard, c'est que soit on arrive à se sanctifier,
07:46 et à sanctifier la société,
07:48 soit, comme elle n'a plus recours au bouc émissaire,
07:51 et au mensonge, au troncage du bouc émissaire,
07:53 elle finit par ne plus savoir se libérer de sa violence et elle s'autodétruit.
07:56 Il me semble que le christianisme, comme ça, a ouvert des tas de vérités,
08:02 par exemple, je ne sais pas, l'égal, l'absolue dignité de tout être humain,
08:06 qui nous paraît à nous évident, mais qui n'a strictement rien d'évident
08:08 dans aucune société, il paraît évident que les êtres humains ont une dignité en soi.
08:12 Il y a des êtres puissants, forts, riches, avec des armées
08:15 qui ont une dignité évidente, flagrante, fracassante presque,
08:18 et puis des gens qui sont des esclaves, des sous-hommes,
08:20 qui n'ont pas de dignité particulière,
08:22 sauf que c'est une vérité métaphysique profonde
08:25 que chaque être humain dispose de cette dignité absolue.
08:28 Donc une fois que cela a été révélé,
08:30 on ne peut plus faire comme si ça n'avait pas été révélé
08:32 et ça devient difficile d'exploiter trop violemment son prochain,
08:36 sans remords, sans scrupules, c'est valable pour la liberté humaine,
08:39 c'est valable pour le fait que les êtres aient une destinée,
08:41 une destinée importante, une destinée grandiose,
08:44 parce que le christianisme a offert finalement à chaque être humain
08:47 une destinée grandiose, et bien une fois que ces choses ont été découvertes,
08:51 on ne peut plus revenir en arrière,
08:53 on ne peut plus faire comme si on ne les connaissait pas,
08:54 on ne peut plus faire comme si ces grandeurs promises
08:57 n'avaient pas été révélées à tous,
08:59 et donc ça devient très difficile,
09:02 et d'une certaine manière, si on n'arrive pas à les assumer,
09:06 ça nous détruit, et donc je pense qu'en effet,
09:08 aujourd'hui, tout ce qui découle du post-christianisme
09:12 nous pousse vers le néant, d'une certaine manière,
09:14 parce qu'on ne peut pas se remettre de la révélation chrétienne.
09:18 – Alors vous dites qu'avec la modernité,
09:20 les européens se sont vautrés dans de fausses religions,
09:23 alors à quel type de religion vous faites allusion ?
09:27 – Alors au XXème siècle, c'est assez facile et évident,
09:30 parce que ça a pris des côtés grand guignols,
09:32 mais je veux dire, cette ère des titans, comme disait Ernst Sünger,
09:35 c'est-à-dire le fascisme, le communisme,
09:39 ont été des religions collectives, comme ça, avec des hommes titans
09:42 qui étaient des hommes dieux, des nouveaux pharaons,
09:45 donc c'était… et puis avec tout un… enfin je veux dire,
09:48 l'empire athée du communisme qui met Lénine dans un mausolée
09:52 et qui le momifie, et vraiment, derrière son athéisme,
09:55 est en fait dans un néo-paganisme flagrant,
09:59 ne parlons pas de toute l'esthétique néo-païenne très flagrante des nazis,
10:04 et du côté romain du fascisme italien,
10:07 donc le XXème siècle a été plein de ces nouvelles religions,
10:13 et le XIXème siècle, comme disait Philippe Muray,
10:15 a été occulto-socialiste, c'est-à-dire n'a cessé de prôner
10:19 des religions collectives sécularisées,
10:21 et de faire tourner les tables par derrière,
10:23 donc de prétendre à une raison, et en fait, avec un retour du spiritisme,
10:29 du bouddhisme un peu travesti, donc finalement,
10:33 depuis que l'Europe, d'une certaine manière,
10:35 est devenue apostate progressivement,
10:38 elle n'a cessé de remplacer le christianisme par d'autres religions,
10:42 elle n'est pas arrivée à une absence de foi.
10:46 – Je vous cite encore une fois Romaric Sangars, le dogme de la nature perverse
10:51 de l'homme blanc, fonde la religion des éveillés,
10:54 alors qu'est-ce que les modernes,
10:56 qu'est-ce que ces éveillés reprochent dans le fond à l'homme blanc ?
10:59 – Alors les éveillés, ce que j'appelle par les éveillés,
11:00 c'est les woke, tout simplement,
11:01 mais j'avais envie de leur donner un nom français finalement,
11:03 même si c'est à notre honneur que ce ne soit pas une religion d'origine française,
11:09 même si, bon, ils sont aussi inspirés par la déconstruction
11:13 qui vient de la french theory, bref, peu importe,
11:16 et oui, c'est-à-dire que ce que je trouve assez fascinant,
11:19 c'est que dans le, si on gratte un peu, derrière le procès des woke,
11:26 des éveillés, il y a l'idée que le monde a été mal organisé,
11:29 que ce qu'on appelle le patriarcat finalement,
11:32 et la domination structurelle, le racisme systémique,
11:35 enfin tous ces termes-là sous-entendent finalement
11:39 que le monde a été organisé par l'homme blanc
11:41 et qu'il a été organisé de manière injuste et au détriment de tous ceux
11:44 qui ne sont ni hommes, ni blancs, ni hétérosexuels, ni tout cela,
11:47 et que cette organisation est perverse,
11:49 et qu'une fois qu'on se serait débarrassé de cette organisation,
11:54 qu'on aurait finalement démantelé cette organisation perverse,
12:00 on retrouverait un âge d'or, enfin un paradis perdu,
12:04 alors premièrement, évidemment, il me semble que si on désorganise,
12:07 on tombera juste dans d'autres barbaries et d'autres modalités de domination
12:11 qui ne seront pas forcément préférables,
12:12 et ensuite ce qui m'intéressait aussi,
12:14 c'est moi dans ma vision du monde justement chrétienne
12:19 qui par certains aspects est réactionnaire et par d'autres révolutionnaire,
12:22 et je pense que ce livre me permettait à moi aussi de me confronter à ces choses-là,
12:26 comment me situer finalement par rapport à ça,
12:28 et la question des woke est intéressante
12:29 parce que les woke font en permanence le procès de la modernité,
12:32 on les prend pour des nouveaux modernes
12:34 alors qu'en fait ils sont plutôt une décompensation de la modernité,
12:36 ils ne cessent de protester contre la modernité
12:38 puisque la modernité c'est en effet, le 19ème et le 20ème siècle,
12:41 ces moments où, il est vrai, l'homme blanc rationnel,
12:45 industriel et industrieux et impérial du 19ème et du 20ème siècle
12:50 a pris possession de toute la planète,
12:53 et donc c'est vrai que d'une certaine manière,
12:55 l'homme blanc a organisé, l'homme blanc moderne post-chrétien
12:57 a organisé la planète, de la Chine marxiste jusqu'au Brésil
13:03 qui a la devise d'Auguste Comte sur son drapeau,
13:05 le Japon qui s'est occidentalisé volontairement,
13:08 l'Afrique qui a été occidentalisée de force,
13:10 il se trouve que oui, d'une certaine manière,
13:12 l'homme blanc moderne a été un grand organisateur.
13:15 Le WOC a raison, à mon avis, de critiquer beaucoup de choses
13:18 dans cette organisation de l'homme moderne,
13:21 parce qu'en fait c'est une modernité,
13:23 mais il me semble qu'elle nous précipite dans quelque chose d'encore pire
13:28 qui est cette décompensation de la modernité,
13:33 et il me paraît aussi très…
13:36 il me semble que c'est aussi donner quand même trop d'importance
13:40 à la puissance occidentale ou à l'homme blanc de croire
13:44 qu'il suffirait de déconstruire tout ce qu'il a fait ou tout ce qu'il est
13:49 pour que le monde aille bien.
13:51 Enfin justement, c'est à mon avis un phénomène de bouc émissaire inversé
13:54 assez étrange et paradoxal,
13:55 mais finalement l'histoire est une suite de retournements improbables.
13:59 – Et vous dites que plus grand monde n'est encore réellement convaincu
14:04 de ce triptyque "Démocratie, Capitalisme et Technologie"
14:09 qui offrira un bonheur à l'Humanité entière.
14:13 Est-ce que vous voyez une défiance dans ce triptyque,
14:18 dans la société où tout le monde a l'air d'adhérer ?
14:21 – Alors je crois… non, alors,
14:23 c'est-à-dire que je crois qu'il y a justement un double discours,
14:25 c'est-à-dire que c'est toujours officiellement les valeurs
14:28 et les principes qui sont censés nous organiser
14:30 et sur lesquels nous sommes censés communier.
14:32 Mais en fait, c'est déjà complètement dépassé, c'est faux.
14:35 Enfin c'est-à-dire qu'on fait semblant de maintenir ça
14:37 comme idéaux fondamentaux finalement sur lesquels on pourrait se réunir.
14:41 Il me semble que dans ma jeunesse, dans les années 80, 90 surtout,
14:46 c'était encore très établi,
14:48 puisque on venait de sortir de la guerre froide,
14:50 l'Occident avait finalement gagné cette guerre par forfait,
14:54 par démission de l'ennemi, et finalement cette idée que la démocratie,
14:58 la société capitaliste, le progrès technologique,
15:00 allait apporter le bonheur collectif,
15:02 était quelque chose d'encore très partagé dans les années 90.
15:05 Il me semble qu'aujourd'hui, déjà,
15:07 ça serait considéré comme de l'impérialisme occidental
15:10 et qu'on ne croit plus vraiment en ça pour des tas de raisons.
15:14 Il est difficile de pratiquer une démocratie dans des nations
15:17 qui sont elles-mêmes déstructurées, qui ne croient plus en elles-mêmes,
15:20 il est difficile de repérer où est le peuple,
15:22 quel est le peuple et qu'est-ce qu'il constitue,
15:24 où les fondamentaux des peuples ne sont plus vraiment partagés.
15:27 La technologie, elle peut ce qu'elle peut,
15:30 mais ce sont des miracles qui sont transitoires et imparfaits
15:34 et qui ne transfigureront pas l'homme
15:37 comme le christianisme pouvait par exemple le proposer.
15:39 Donc je pense qu'il y a une gueule de bois par rapport à ces choses-là
15:42 et que non, on n'y croit plus vraiment
15:44 et que c'est encore un constat qu'on a du mal à faire
15:46 et qu'il me semble urgent de faire et d'admettre.
15:49 – On voit certains projeter l'idée de nous implanter des puces dans le cerveau,
15:54 c'est ce qu'on appelle aujourd'hui le transhumanisme.
15:56 Elon Musk en est l'un des promoteurs avec sa société Neuralink
16:00 et pourtant vous dites que c'est ce transhumanisme une idée chrétienne.
16:06 – Oui, c'est aussi par provocation que je le dis, mais c'est vrai,
16:09 c'est-à-dire que ce n'est pas parce qu'on se défie à juste titre
16:15 des délires de cette espèce de sorcellerie technique
16:20 qui est le transhumanisme et qui va conduire évidemment à des aberrations
16:25 et à des espèces de monstruosités nouvelles et inédites,
16:29 qu'il faudrait oublier que cette idée de transhumanité
16:33 est une idée profondément chrétienne
16:34 et que le terme d'ailleurs "transhumané" a été inventé par Dante
16:37 dans la "Divine Comédie" pour exprimer le sens du parcours terrestre de l'homme
16:43 qui se doit de se diviniser et qui donc doit être transfiguré
16:48 et qui doit se traverser, se traverser en traversant dans la "Divine Comédie"
16:51 son propre enfer, son purgatoire pour atteindre les différents niveaux
16:57 d'illumination et de joie absolue du paradis.
17:02 Cette idée que l'homme n'est pas quelque chose,
17:05 est quelque chose de chuté,
17:07 est quelque chose qui doit être transfiguré
17:10 et non pas être admis tel quel est statique,
17:13 est une idée profondément chrétienne.
17:15 Et donc il ne faut pas en faire le deuil parce que certains la dévoient.
17:19 Et ce n'est pas étonnant non plus que le transhumanisme
17:22 soit issu d'un contexte qui est un contexte métaphysique chrétien.
17:28 – Et alors à propos de l'Église, vous dites ceci,
17:31 "Elle ne cessait de se trahir tout en maintenant le cap".
17:35 Alors quelles ont été les trahisons de l'Église ?
17:39 – Ah ben disons que c'est fatal, le Moyen-Âge avait cette belle expression
17:46 pour définir l'Église qui était appelée à l'époque "la sainte putain",
17:50 c'est-à-dire qu'elle était sans cesse menée à se prostituer,
17:53 à se prostituer au monde, à se prostituer au pouvoir,
17:56 mais qu'en même temps c'était elle qui avait le dépôt de la révélation
17:59 et qu'en ça elle était sainte quoi qu'il en soit.
18:01 Donc évidemment l'Église ne cesse de tanguer,
18:04 c'est une nef qui ne cesse de tanguer,
18:07 mais l'Esprit Saint la guide quoi qu'il en soit et elle maintient son cap.
18:10 On le voit, disons qu'il est évident que la modernité
18:15 étant un produit du christianisme et une hérésie chrétienne,
18:19 je ne sais plus qui dit ça d'ailleurs,
18:20 mais c'est une formule célèbre qui me paraît très juste,
18:22 la modernité est une hérésie chrétienne,
18:23 elle est entièrement le produit du christianisme,
18:25 on ne pourrait pas inventer ou penser la modernité ou les lumières…
18:28 – Ou Chesterton.
18:29 – C'est possible que ce soit Chesterton.
18:30 – Ces idées folles devenues…
18:32 – Tout à fait, ça rejoint l'idée de Chesterton
18:35 sur les idées chrétiennes devenues folles.
18:38 Et donc évidemment l'Église a un rapport à la modernité
18:42 particulièrement polémique, ambiguë et compliqué,
18:45 on l'a vu au 19ème siècle, on l'a vu encore au 20ème siècle
18:47 avec les conciles, avec les Vatican II etc.
18:51 mais même Vatican I et Vatican II qui avaient justement comme mission
18:54 d'établir le rapport entre l'Église et la modernité.
18:57 L'Église se retrouve…
18:58 – Alors que la conséquence c'est que ça a vidé l'Église quoi.
19:00 Les Églises ?
19:01 – En partie, c'est compliqué, c'est une question qui se pose
19:05 aussi parce qu'on est passé aussi d'une religion sociologique
19:08 à une religion de nouveau profondément spirituelle et militante.
19:11 Donc forcément, si vous n'êtes plus obligé d'aller à l'Église,
19:14 ceux qui restent sont forcément moins nombreux,
19:15 mais ce n'est pas inintéressant non plus.
19:17 Mais en tout cas, l'Église a un rapport critique à la modernité
19:22 qui fait que de temps en temps elle va complètement dans un sens
19:25 et puis complètement dans l'autre.
19:27 Et donc il me paraît que cette fin à la modernité,
19:31 si on accepte que justement on est en train de sortir de la modernité,
19:34 devrait être un moyen pour l'Église de retrouver le cap
19:38 de manière plus claire et plus simple,
19:39 puisqu'elle n'a plus à essayer de chercher à négocier avec la modernité,
19:42 elle n'a qu'à, à nouveau, assumer pleinement une voie mondiale
19:48 et progressiste au sens, non pas des progressistes athées ou laïcs,
19:54 mais progressiste au sens de la transfiguration de l'Homme.
19:58 – Alors parlons justement du Christ, vous citez certaines de ses paroles,
20:02 "Heureux ceux qui pleurent, aimez vos ennemis,
20:06 quiconque s'élèvera sera abaissé et quiconque s'abaissera sera élevé".
20:10 Pourquoi vous vous êtes intéressé à ces phrases un peu paradoxales ?
20:15 – Parce que ce que j'ai voulu montrer,
20:17 un des grands dangers qui nous guettent, il me semble, depuis un certain temps,
20:23 c'est le retour au manichéisme.
20:24 Il me semble qu'on est tous redevenus des manichéens.
20:26 J'explique que les woke d'ailleurs font beaucoup songer à l'hérésie cathare
20:29 dans le sens où, de la même manière que les cathares
20:32 qui finalement rejettent le Dieu créateur et font du Dieu créateur Satan
20:37 pour vouloir quelque part se désincarner et revenir à une espèce de pureté angélique
20:42 qui n'a jamais existé, il me semble que les woke fonctionnent selon la même mythologie.
20:46 Il n'y a non plus un créateur mais un Dieu organisateur,
20:49 c'est un mauvais organisateur, le patriarcat, de toute manière,
20:51 le mauvais des miurges, et donc que si on se désincarnait,
20:54 on retrouverait une pureté angélique qui n'existe pas.
21:01 – Sur l'aspect paradoxal de ces paroles de Christ.
21:03 – Oui, pardon, alors voilà, les cathares ont ce côté profondément manichéen.
21:08 Il me semble que justement, il faudrait réussir à sortir d'une dialectique
21:12 qui est faussée entre progressistes et réactionnaires,
21:15 entre droite et gauche sur certaines choses, entre locale et universelle par exemple,
21:19 en n'oubliant pas de revenir à ce qui fait la force du christianisme
21:23 qui est la crucifixion, et la crucifixion c'est justement le fait de tenir ensemble
21:27 deux choses qui normalement ne peuvent pas tenir ensemble,
21:30 comme l'humanité et la divinité, comme le corps et l'esprit,
21:33 comme la finitude et l'éternité, et ce que je voulais montrer
21:36 c'est que spirituellement, cette crucifixion,
21:41 elle s'applique spirituellement, métaphysiquement, artistiquement,
21:45 et que la plupart des injonctions du Christ sont des injonctions paradoxales.
21:50 – Vous dites "le corps du Christ crucifié est un signe retourné",
21:54 on revient à cette inversion.
21:56 – Voilà, c'est un signe retourné puisqu'à l'origine,
21:58 – En quoi, expliquez-nous ça ?
21:59 – On crucifie les gens, c'est une espèce de panneau avertisseur
22:03 que César impose à sa population, en expliquant celui qui désobéit à César
22:09 sera puni de mort, et on exhibe, et on expose comme une menace
22:14 ceux qui sont frappés de cette mort, donc la crucifixion…
22:18 – Même si le gouverneur s'en était lavé les mains.
22:20 – Même si le gouverneur s'en était lavé les mains,
22:22 sauf que cette manière de tenir l'homme par la peur,
22:26 et de le tenir par la peur des peurs, qui est la peur de la mort,
22:30 va se retourner en symbole d'espérance, qui aujourd'hui,
22:33 évidemment, on est habitué à cette iconographie,
22:36 je vais dire, donc ça ne nous paraît plus aussi scandaleux
22:39 que ça l'a été à l'origine, qui est le panneau avertisseur de l'Empire,
22:43 devient au contraire un signe d'espérance et une défiance à tous les empires
22:48 et à toutes les formes d'oppression possibles,
22:50 puisque celui qui devait mourir n'est plus mort,
22:52 c'est lui qui a vaincu la mort, donc qui a vaincu l'Empire,
22:54 qui a vaincu la peur, toutes les peurs, et qui libère,
22:57 et donc c'est un signe retourné dans ce sens, évidemment,
22:59 puisque c'est un signe qui dit le contraire
23:02 de ce qu'il était censé dire à l'origine,
23:04 et de la même manière, la phrase "Jésus Christ, roi des Juifs",
23:09 qui est inscrite au-dessus par Pilate comme une condamnation, en fait,
23:15 et qui est censée être posée là comme une condamnation ou comme une ironie,
23:19 devient un titre de gloire.
23:21 – Terminons avec l'espoir, vous dites qu'il est possible
23:24 de se réjouir en partie du désastre, de ce désastre de la modernité,
23:29 alors quels sont vos motifs d'espoir ou prendre appui ?
23:34 – Ce que je trouve intéressant, j'ai dit dans mon livre "Gloire à la catastrophe",
23:37 c'est-à-dire qu'au moins on n'est plus dans une situation
23:40 où on peut tergiverser parce que toutes les fausses religions
23:46 du 18e, 19e et 20e siècle ont fini par s'effondrer les unes après les autres,
23:51 et que maintenant on n'a plus le choix entre le Christ ou le néant,
23:53 c'est-à-dire qu'entre le fait de retrouver la source spirituelle profonde
23:59 qui avait permis à la chrétienté de déployer l'homme, l'art et la pensée
24:05 bien au-delà de tout ce qu'elle aurait pu l'imaginer,
24:08 soit on revient à cette source, on se reconnecte en fait
24:11 à ce moment christocentrique du 12e siècle pour reprendre cette grande aventure,
24:17 soit on finit totalement de se délabrer et la radicalité de la situation,
24:24 l'urgence de la situation, au moins a cette vertu d'être stimulante.
24:28 – Et il nous faut, dites-vous, une nouvelle interprétation du mystère
24:32 de l'incarnation du Christ, je vais y arriver, excusez-moi,
24:37 comment la trouver cette nouvelle interprétation ?
24:41 Qu'est-ce que vous proposez ?
24:42 – Mon point de vue, ma perspective, qui n'est pas forcément originale,
24:46 c'est qu'il y a un deuxième moment de l'incarnation,
24:49 c'est-à-dire qu'évidemment il y a l'incarnation
24:50 qui est le premier avènement du Christ, qui a lieu il y a 2000 ans à Bethléem,
24:55 et puis il y a une deuxième incarnation qui pour moi débute vers le 11e-12e siècle,
25:00 c'est-à-dire le moment où le Christ devient une réalité
25:04 qui imprègne toutes les dimensions de l'être humain
25:06 et qui n'est plus uniquement une méditation d'ascètes, de moines,
25:10 d'une caste particulière, mais qui devient…
25:14 en fait on christianise tout, on sanctifie tout,
25:17 et on sanctifie, et ça on le voit avec toute la littérature du Moyen-Âge,
25:20 avec le Graal, avec la littérature courtoise,
25:22 voilà, on sanctifie tout, en tout cas, on donne à tout,
25:28 la possibilité d'un infini et d'une transfiguration,
25:32 on invente une nouvelle manière d'aimer par l'amour courtois,
25:34 une nouvelle manière de combattre par la chevalerie,
25:36 on invente une nouvelle manière d'être humain et d'avoir une destinée…
25:41 – Être français.
25:42 – Et d'être français aussi,
25:43 parce que ce sont des inventions françaises en l'occurrence, oui.
25:45 – Terminons par cette citation que j'ai,
25:48 enfin cette phrase que j'ai trouvée dans votre ouvrage,
25:50 "Les vérités spirituelles dont cette civilisation s'est faite le véhicule
25:54 avant de les dévoyer, ces vérités-là sont inarrêtables."
25:59 – Ben oui, c'est ce que je disais tout à l'heure,
26:00 c'est-à-dire que les vérités que le christianisme révèle au fur et à mesure,
26:04 on ne peut pas retourner en arrière, c'est la même manière que…
26:09 par exemple, prenons sur le point de vue purement amoureux,
26:12 il y a eu un idéal amoureux d'Occident,
26:14 avec l'amour courtois qui s'est développé ensuite,
26:17 qui est sans arrêt attaqué évidemment,
26:19 on aimerait au 19e, au 20e siècle, revenir à une espèce de facilité,
26:23 en fait, jouir comme des païens et retourner à des orgies bien tranquilles,
26:27 c'est l'été, on en profite,
26:29 mais finalement on n'y arrive pas parce qu'on ne peut pas faire comme si
26:31 on ne savait pas qu'on pouvait atteindre, dans l'amour,
26:35 un infini et une transfiguration sublime,
26:38 et que cet idéal, on sait qu'il existe, il va nous hanter
26:41 et il va nous empêcher de jouir tranquillement
26:45 en régressant sans scrupule, en fait, voilà.
26:48 – Romaric Sangars, la dernière avant-garde,
26:52 "Le Christ tout néant", c'est aux éditions du Serre,
26:55 à retrouver évidemment sur notre boutique officielle,
26:57 merci Romaric.
26:58 – Merci Pierre.
26:59 [Générique]