émission la marche du siècle (1992)
Category
📺
TVTranscription
00:00:00 [bruit de la machine à écrire]
00:00:20 Mesdames, Messieurs, je vous souhaite la bienvenue à Alger, dans une marche du siècle enregistrée au moment où vous la regarderez, il y a 48 heures.
00:00:28 Le poids des islamistes, c'est-à-dire essentiellement le problème du Front Islamique du Salut, le désarroi des jeunes algériens, la gravité des problèmes économiques de ce pays,
00:00:37 et puis aussi l'inquiétude et en tout cas les tiraillements de certaines familles algériennes de France, voici les quatre reportages que vous verrez dans cette émission ce soir.
00:00:47 Cette édition spéciale de la marche du siècle ne recevra en effet qu'un seul invité.
00:00:52 Il s'agit de M. Mohamed Boudiaf, qui est président du Haut Comité d'État depuis exactement deux mois.
00:00:59 A cette fonction, M. Boudiaf a les prérogatives d'un chef d'État.
00:01:03 Trente ans après l'indépendance, cet homme qui fut un chef historique, un homme d'ailleurs du refus, vous y viendront peut-être dans son entretien,
00:01:10 a passé près de 28 ans hors des frontières de son pays, en exil, principalement au Maroc.
00:01:16 Il était d'ailleurs un inconnu pour les jeunes générations de la rue, et il faut bien dire que nous, c'est-à-dire gens du pourtour nord de l'Amide véranée,
00:01:24 n'avons pas développé un soin extraordinaire pour faire jusqu'à présent sa connaissance.
00:01:28 Ne nous trompons pas tout de même, la réussite ou l'échec de cette équipe dirigée par cet homme aura des conséquences fondamentales non seulement pour l'Algérie,
00:01:37 mais aussi, et par vraie conséquence naturelle, pour la France.
00:01:40 Et pourquoi, comme ce fut le cas pour le chancelier fédéral Helmut Kohl lors de la réunification allemande, nous avons choisi qu'il soit l'invité unique de cette émission,
00:01:48 qui sera conduite en compagnie de Bruno Lodon.
00:01:51 Monsieur Boudiat, que se passe-t-il dans la tête d'un homme de votre génération, qui a vécu un peu plus d'un an dans l'Algérie indépendante,
00:01:59 pour laquelle pourtant vous avez lutté de nombreuses années, que vous souhaitiez, et qui, depuis novembre 1963, vit en exil, et puis, brutalement,
00:02:08 on le rappelle, et il faut bien le dire, on l'appelle un peu au secours.
00:02:11 Et notamment, que saviez-vous du pays ? Comment l'avez-vous trouvé en France ?
00:02:15 Il est très difficile de dire exactement comment j'ai trouvé ce pays, mais ce que je sais, c'est que l'Algérie me fut un temps très difficile.
00:02:28 Et je crois que c'est cet élément qui m'a poussé à revenir.
00:02:31 J'étais réticent, mais j'ai senti que c'était de mon devoir de retourner dans ce pays pour essayer d'apporter ma contribution et aider à ce que ce pays s'en sorte le plus rapidement possible de la suite.
00:02:45 Monsieur Boudiat, comment s'est passé exactement, début janvier 1991, votre retour en Florent ?
00:02:49 Est-ce qu'on est allé vous chercher, et plus exactement, qui, comment, dans quelles conditions ? Que pouvez-vous en dire ?
00:02:53 Bien, il faut dire que cette période, dans le temps, ce n'était pas tellement l'un de l'autre. Parce que de 1962, on peut diriger cette période.
00:03:02 A partir du 20 septembre 1962, on s'est un parti d'opposition à l'FRS. L'FRS a vécu jusqu'en 1972, à la réclamant de Boulogne.
00:03:14 Pendant cette période, nous avons opté pour le socialisme, qui pour nous était la voie la meilleure à l'époque.
00:03:21 La politique s'est développée et nous avions développé nos idées. Nous avions un journal, nous avons posé des tracts.
00:03:29 Nous croyions réellement, nous pensions, qu'une bonne partie du militant mondial FLM allait nous rejoindre.
00:03:35 Or, il se trouve que nous étions dans le creux de la vague et il n'y avait pas beaucoup d'éléments qui nous avaient suivis.
00:03:42 N'empêche que notre activité s'est poursuivie jusqu'en 1979.
00:03:46 Notre thème, c'est de démontrer que le socialisme qui était appliqué en Belgique n'était pas réellement socialiste.
00:03:52 Et je crois que dans ce domaine, nous avons fait beaucoup de travail, de clarifications dans ce domaine-là.
00:03:58 L'intérêt de cette période de l'exposition, c'est d'avoir constitué une équipe d'hommes valables que j'ai retrouvées à mon repos ici.
00:04:09 Par ailleurs, nous avons eu le temps de réfléchir, de développer une réflexion sur énormément de problèmes, et en particulier sur la démocratie,
00:04:17 qui est un des derniers sujets de discussion.
00:04:22 Donc, il y avait une période. La deuxième période, c'est de 1979 jusqu'en 1990.
00:04:29 Là, on a décidé, nous qui étions à la tête du PRS, d'adopter une position de refus.
00:04:37 - Qu'est-ce que ça veut dire, le PRS, t'en parles moins?
00:04:39 - Le PRS, c'est parti de la Révolution Socialiste.
00:04:41 Alors, à partir de cette période-là, nous avons mis en place une façon d'observateur.
00:04:45 Et je peux vous dire que pendant tout ce temps-là, je n'ai pas manqué de suivre les événements. Je n'étais peut-être plus loin.
00:04:52 Il y a la période, la fin, à partir de 1990, après les événements, je reçus énormément de gens qui venaient d'Algérie,
00:05:01 des anciens militants, des connaissances, des gens que je ne connaissais pas, et qui me demandaient d'entrer.
00:05:06 Et j'ai toujours refusé d'entrer parce que je ne voyais pas Pierre, qui est le partenaire, rentrer dans ce pays-là pour faire une démocratie
00:05:15 qui devait se dériver sur des événements graves après 1990. Je ne croyais pas réellement en ce processus démocratique.
00:05:22 - Alors, tout ça ne nous dit pas exactement qui est allé vous chercher et comment ça s'est passé.
00:05:26 - Oui, alors, je vais vous donner... Il faut dire une chose. Il faut préciser un point que je n'ai jamais douté.
00:05:32 Je n'ai jamais douté, d'un seul instant, que la situation en Algérie allait s'aggraver.
00:05:37 De quelle façon, je n'en sais rien, et ce n'était pas... je n'étais pas surpris d'apprendre ce qui s'est passé en Algérie.
00:05:44 Donc j'ai reçu la visite d'une Mérène Akachi, d'un ancien camarade de la Fédération de France, qui allait à Rouen,
00:05:50 qui m'a téléphoné pour me dire qu'il avait une mission auprès de moi. Je pensais à la constitution d'un parti d'opposition,
00:05:58 et il me dit que ce replan-là, qui ne compte pas. Là, il m'a dit qu'il s'agit d'autre chose.
00:06:02 Il est venu me voir. Il m'a posé le problème. De cette façon-là, on vous demande de payer vos affaires.
00:06:09 Du coup, j'étais très réticent, parce que je n'avais pas... je ne savais pas ce que je devais faire.
00:06:15 Il m'a annoncé que j'avais besoin d'aller démissionner et qu'il y avait une situation nouvelle en Algérie.
00:06:21 Je suis resté pendant 24 heures, et j'ai donné ma réponse pour dire, bon, je vais rentrer à condition de rencontrer des décideurs et de discuter avec eux.
00:06:31 Je suis rentré pendant 24 heures. J'ai vu des responsables, dont le Premier ministre, M. Ahmed Rouzadi, les syndicats d'Inde,
00:06:39 les anciens Moudjahidines et d'autres. Nous avons discuté. Et puis le problème qui s'était posé pour moi, devrais-je entrer ou non?
00:06:48 La situation était grave. Bon, malgré ces discussions, je n'avais pas une idée précise, mais j'ai senti qu'il était de mon devoir de rentrer dans ce pays,
00:06:56 d'apporter ma contribution dans l'unique but de servir ce pays. Je dis, je vais dire autre chose, ce n'est pas à mon âge que je vais faire une carrière politique.
00:07:07 Je n'ai pas aimé le pouvoir, mais dans cette situation, je l'ai accepté dans un seul et unique but, parce que j'ai compris que ce que je dois faire est une mission.
00:07:17 Cette mission est celle-ci, à savoir avec la participation de toutes les jeunesses algériennes, de ces cadres, de ces éléments conscients,
00:07:27 d'essayer de mettre le train sur les rails et de redémarrer, de faire redémarrer l'Algérie.
00:07:35 - Oui. Président Moudjahid, quand vous êtes arrivé, le processus électoral venait d'être suspendu. Le gouvernement avait donc deux solutions,
00:07:42 ou bien rester dans ce processus démocratique engagé deux ans auparavant, notamment en juin 1990, et puis laisser le Front Islamique du Salut prendre régulièrement le pouvoir,
00:07:52 ou bien suspendre les élections législatives, ce qui a été fait, et entamer le combat contre les islamistes.
00:07:59 Alors, je voudrais que vous regardiez d'abord, avant de prenaitre vos réactions, ce reportage de Khaled Mela et de Jean-François Renou,
00:08:05 qui est un exemple de l'implantation du fils dans les campagnes qui, au vu des résultats électoraux des élections locales de 1990, n'est en effet pas très contestable. Regardons.
00:08:21 - À 450 kilomètres à l'ouest d'Alger, Yelden, un village rural de 2000 habitants. Dans cette région, en juin 1990, 67% des paysans ont voté pour le Front Islamique du Salut.
00:08:38 Sur 38 communes, 38 ont été remportées par les hommes de Abbassie-Madani.
00:08:44 Depuis l'instauration de l'état d'urgence en décembre dernier, des islamistes ont été destitués de leurs responsabilités, d'autres arrêtés et emprisonnés.
00:08:55 L'un des rares encore en fonction, Djiléli Moussa, il a 33 ans, fils de paysan, il est maire de la commune.
00:09:08 Il s'attend, lui aussi, à être déchu de ses fonctions à tout instant et au mépris de la loi dictine.
00:09:18 - On n'a pas... On n'est pas venu ici, dans cette place, avec le trafic. On est venu avec le droit de la loi, avec le droit de la loi, pour faire le défilé ici. Donc pourquoi ce problème pour nous ? Pourquoi 15 000 hommes en prison, au mois de Ramadan ? Pourquoi ?
00:09:46 Témoin de notre entretien, le conseiller politique du fils. Il exige du maire qu'il soit parfaitement clair. Pas étonnant, nous demandions si une femme peut être bonne musulmane et porter la minijuque.
00:10:00 - Je suis pas d'accord. Mais ce n'est pas moi qui suis pas d'accord. Dieu n'est pas d'accord avec ces manières. Pourquoi ? Pourquoi ? Nous ne sommes pas contre toutes les personnes. Nous ne sommes pas contre des Algériens. Nous ne sommes pas contre un Français. Je suis pas contre.
00:10:22 Mais je suis contre le Dieu. On n'islamise pas de démocratie. Parce que le musulman, il avait un corps pour vivre dans cette ville.
00:10:38 - Je vais vous parler de la carte de la vie.
00:10:58 - Le musulman, il avait un corps pour vivre dans une riche vie, c'est-à-dire ne pas faire de erreurs, ne pas faire de erreurs dans l'humour. Des choses qui sont correctes.
00:11:26 - Quelques heures plus tard, le maire recevra la visite des gendarmes et il sera interdit de nous revoir. Le silence devient une obligation, comme le port du voile.
00:11:50 - Nous avons des lois, des supérieurs, allez les voir. Le premier adjoint du maire, lui, se réfugie derrière les autorités. Pas question de parler.
00:12:04 - Dans les années 70, sous boue médienne, les paysans algériens sont devenus les enfants chéris de la révolution agraire. On leur a distribué la plupart des terres appartenant aux riches. Du même coup, ils sont devenus des fonctionnaires.
00:12:24 - Cette politique agricole a pour résultat l'appauvrissement des paysans. Dans les campagnes, la déception est grande. Aux élections municipales de 90, le Front islamique en fut le bénéficiaire. Il a promis, au nom du Coran, de rétablir la propriété privée et la liberté d'exploitation.
00:12:44 - Benissaïd est agriculteur. Il fait partie de ces déçus. Élu du Front islamique du Salut, à l'Assemblée régionale, il n'hésite pas à dénoncer la répression.
00:12:58 - Une lettre que j'aimerais bien passer à cause des gens qui sont en prison, emprisonnés dans des camps de concentration, durant... pour la chaleur, d'après ce qu'ils disent, dans la zone où il se trouve, c'est 52 degrés, à l'ombre, et durant le mois de Ramadan. Pour une Algérie qui va pour un résultat de pur empire.
00:13:24 - Il y a des responsables, il y a des militants de base, il y a des sympathisants. Il y a d'autres gens, de d'autres partis, qui ont été pris.
00:13:31 - Les candidats qui se sont présentés aux dernières élections législatives ont-ils été arrêtés ?
00:13:36 - Les meilleurs ont été arrêtés.
00:13:38 - Qu'est-ce que vous entendez par les meilleurs ?
00:13:40 - Les gens les plus actifs. Parce que si je suis là, c'est parce que je suis pas trop actif, je suis pris par d'autres choses. C'est ça.
00:13:52 Loin des préoccupations de l'État, le progrès s'est arrêté aux portes des campagnes. Ici, pas d'eau courante, l'électricité n'est arrivée qu'en 1987.
00:14:03 Aujourd'hui, les femmes sont comme hier, comme leur mère, gestes silencieux, soumission absolue jusqu'au bulletin de vote, il est compris dans la dot. C'est le mari qui décide de tout pour sa femme.
00:14:20 Mohamed est militant du Front de Libération Nationale, l'EFLN, surtout par tradition familiale. Candidat aux dernières élections, il réfute le programme des islamistes qui se sert, selon lui, de la religion pour tromper les paysans.
00:14:37 Je suis au EFLN depuis très longtemps, exactement depuis 1978. Je n'aime pas le fils. Le fils le sait bien, nous sommes musulmans, depuis avant même son apparition. On a toujours été musulmans, nous faisons la prière, nous donnons l'obol. C'est pas avec l'arrivée du fils que l'islam est né.
00:14:58 On trompe les gens, les paysans sont ignorants, on leur a dit que le fils allait leur donner beaucoup de choses, mais dans les faits tout le monde regrette d'avoir voté pour eux. C'est une erreur, je le répète.
00:15:14 Les paysans ont été trompés, ils sont analfabètes. Et moi qui suis lettré, j'aurais pu être fils et abuser les paysans. Si le fils avait accédé au pouvoir, eh bien les libertés individuelles auraient été supprimées.
00:15:37 La terre aurait été retirée aux paysans. Ils le disaient eux-mêmes, si tu possèdes de logements, on t'en prendra un. C'est pour ça que les paysans commencent à se détourner d'eux.
00:15:51 Mostaghanem, la ville des festivals. La politique du fils a privé ses 200 000 habitants de l'Ouest algérien de toute manifestation culturelle. Plus de cinémathèque, plus de théâtre, fini les concerts. La musique n'est pas inscrite dans le Coran.
00:16:09 En juin 1991, le parti religieux, ici comme dans toute l'Algérie, appelle à l'instauration de l'état islamique. Le gouvernement algérien a réagi en arrêtant tous les leaders du front islamique.
00:16:23 Actuellement, Mostaghanem n'a plus de maire. C'est le préfet qui a pris les commandes.
00:16:35 Lorsque le soleil se couche, le muezzin annonce la fin du jeûne et la sirène retentit comme une alerte.
00:16:53 Monsieur le président, vous venez de regarder avec nous ce reportage que les Français viennent de voir également. On va venir dans un instant à votre gouvernement, votre programme politique, ce qu'il y a à faire dans ce pays qui n'est pas mince.
00:17:03 Mais d'abord des points très sensibles qui touchent, disons, à votre conception du respect des droits de l'homme et ce que vous pouvez en ordonner aux services administratifs et gouvernementaux.
00:17:15 Je voudrais que nous puissions avoir quelques précisions, si vous le permettez, avec Bruno Ledreff, sur ce qu'il est advenu des personnes qui ont été internées ou arrêtées.
00:17:22 D'abord, monsieur le président, si vous voulez bien, pouvez-vous nous donner des précisions sur le nombre de personnes arrêtées ? On parle en général de 9000. Est-ce un chiffre que vous acceptez ?
00:17:31 Et puis, surtout, quelles sont leurs conditions d'hébergement ? Les familles qui ont pu voir leurs parents à Régane disent que les conditions sont difficiles, qu'ils vivent sous des tentes, avec de très grosses chaleurs, qu'ils n'ont pas pu avoir de linge de rechange.
00:17:44 Qu'en est-il de ces conditions ?
00:17:46 Il est vrai que le nombre des personnes internées dans les centres du Sud, c'est de 8500. C'est le dernier chiffre. Il ne dépasse pas 9000. Ça, c'est vrai. On se plaint des conditions matérielles.
00:18:08 Combien de centres d'internement, monsieur le président ?
00:18:11 Il y a actuellement 5. Alors, ils sont en train aussi de chercher d'autres centres parce qu'on a constaté la Ligue des droits de l'homme qui a rendu vise à ces gens-là, a considéré que les gens étaient nombreux dans les centres.
00:18:27 Et les autorités qui s'occupent de l'ordre sont en train d'essayer de trouver d'autres camps pour essayer de donner des conseils. Ce qui est certain, c'est que ces gens-là, tous, tout ce monde-là qui a été arrêté, s'est converti au débat d'urgence.
00:18:43 Ce débat d'urgence qui a été imposé aux autorités. Parce qu'il fallait en finir avec cette situation qui, chaque vendredi, posait des problèmes aux fortes-lordes et aux citoyens.
00:18:55 Et comme le premier objectif de mon retour était de réparer l'État dans son autorité, il est impossible de continuer cette façon.
00:19:03 D'ailleurs, il y a un problème qu'on n'a pas soulevé. On a parlé d'un raz-de-marée difficile. C'est faux. Parce qu'en Algérie, il y a 13,2 millions d'électeurs.
00:19:14 Ceux qui ont voté, 105 millions. Le FIS, il a eu 300, 200. Le FFS, 500 000. Et le Fonds de libération d'armes, 1,5 million. Donc, sur 13 millions, il y a 5,5 millions.
00:19:27 — Et je veux dire que le premier parti de ce pays, ce sont les abstentions. — La grande partie n'a pas voté parce que... Bon, la démocratie nouvelle en Algérie,
00:19:36 c'est une démocratie qui a été, elle, même faussée au départ parce que c'était beaucoup plus pour passer une période difficile après les événements de 1988.
00:19:45 D'ailleurs, voilà un pays qui a vécu sous le Parti unique. Pas de tradition démocratique, pas d'expérience. Et cela a fait que cette démocratie est faussée à la base.
00:19:59 Les gens n'arrivent pas... ne sont pas arrivés à se débarrasser de la perversité du Parti unique.
00:20:07 — M. le Président, est-ce que vous pouvez imaginer qu'à votre poste, on puisse vous mentir sur les chiffres ou sur les situations des gens qui sont internés ?
00:20:12 — Je ne pense pas. Je ne pense pas qu'on puisse me mentir parce que je demande presque tous les 24 heures le nombre des... Il y a des gens qui sont dans des commissariats.
00:20:22 Les choses sont arrivées rapidement comme ça. Et les autorités, elles-mêmes, jusqu'à un certain temps, n'avaient pas le nombre exact.
00:20:28 Ce qui est certain, c'est que, que ce soient les organisations internationales... J'ai vu les éléments de la Croix-Rouge. Je les ai posés à partir de cette place.
00:20:35 La ministère internationale est sur place. Et on leur dit qu'on va leur faciliter les départs sur place. Et nous n'avons rien caché.
00:20:44 Nous avons autorisé les familles à partir, c'est-à-dire si les dictumeuses veulent pas les voir. C'est un autre problème.
00:20:49 Pour vous dire une chose, que dans cette situation, il y a beaucoup de fraternité. Et je pense que... Je demande, j'espère que cette situation ne se promange pas.
00:21:01 Parce que dans ce tas, il y a beaucoup de gens. Et avant la fête de l'Aïd qui procure le mois de Carême, il y aura beaucoup de libérations et d'autres libérations suivantes.
00:21:11 — M. le Président, qui a décidé ces arrestations ? C'est vous, personnellement ? C'est l'armée ? C'est le gouvernement de M. Rosalie ?
00:21:18 — Il y a actuellement un haut comité d'État. Et c'est ce comité qui remplace le président de la République, qui a pris cette décision,
00:21:26 qui a pris la décision de l'état d'urgence et qui a décidé d'en finir avec cette amarchie qui allait en se développant.
00:21:34 — L'office, M. le Président Boudiaf, a été dissous le 4 mars 92, c'est donc tout à fait récent. Est-ce que c'est définitif ?
00:21:40 — Bon, ils ont interrogé à la tête. Il y en a autour qui va se partir. Je fais confiance à la justice algérienne.
00:21:47 — Et en dehors de cette phrase à laquelle je m'attendais, si vous me permettez, quel est votre sentiment personnel ? Est-ce que vous pouvez l'écrire ?
00:21:52 — Mon sentiment, ce qui concerne cette situation, il appartient à la justice. Laquelle justice ? Avec le temps, on va être indépendants,
00:21:59 complètement indépendants. Et si nous allons dans le sens de la... de respect des droits de l'homme, de la marche vers la démocratie,
00:22:09 nous devons donner l'exemple de Zedouja et d'instance qui est entre les mains Soudou, si je peux.
00:22:16 — M. le président, cela fait maintenant un peu plus de 4 ans que je viens en Algérie assez régulièrement. J'ai trouvé, après cette vague d'arrestations,
00:22:23 les Algériens apeurés. Vous avez frappé tout de même très fort. Qu'est-ce que vous pouvez leur dire pour les rassurer ?
00:22:29 — Je ne pense pas. Je ne pense pas parce que le danger était très grave. Et vous venez d'entendre un maire qui dit que la démocratie est une hérésie.
00:22:37 — C'est un blasphème.
00:22:39 — Or, l'Algérie, je crois pas sans doute, parce que la question qui est posée à tous ces pays musulmans, à tous ces pays arabes,
00:22:46 la majorité musulmane s'est adoptée pour la modernité ou pour l'Europe. Et l'Algérie a opté pour la démocratie.
00:22:54 C'est le processus électoral qui a été arrêté et non la démocratie. La preuve, nous avons une presse qui vit. Les partis, les autres partis,
00:23:02 qui ont respecté la règle du jeu, personne n'a été inquiété. Nous ne voudrions pas qu'un parti qui a été élu, qui a été autorisé,
00:23:12 même en contradiction de la Constitution et des lois en vigueur qui interdisent des partis à base de religion ou d'une teinte régionale,
00:23:23 ait été autorisé. Eh bien, cette autorisation, non seulement a fait que ces gens-là se croyaient, enfin, sont installés dans cette situation
00:23:32 et préparaient des actions armées. Parce qu'après ces arrestations, nous avons découvert qu'il y avait des groupes armés.
00:23:38 Bon, c'était cette violence. J'ai dit, en arrivant ici, que je prendrais ma main à tous les deux.
00:23:45 Dans la deuxième conférence de presse que j'ai donnée, j'ai dit que le fils a été reconnu légalement et qu'il n'est pas question de le dissoudre.
00:23:55 Or, quelle a été la réponse ? On a continué l'agitation dans les mosquées, a révolté les gens et a essayé de... Nous avons des preuves que,
00:24:06 vendredi, le deuxième ou troisième après mon retour ici, on a appelé à l'insurrection armée. Or, nous ne voudons pas. Nous ne voudrons pas de révolution dans ce pays.
00:24:16 - Monsieur Boudiard, d'où vient l'argent des groupes auxquels vous faites allusion ?
00:24:19 - Ils ont reçu de l'argent de l'Arabie Saoudite dans un premier temps. Ils ont reçu des gens du Khalif. Ils ont reçu des liras, qui dernièrement, c'est plus grave,
00:24:27 ils ont reçu des liras. C'est pourquoi nous comprenons la réaction très, très, très forte, la réaction sévère des Iraniens quand le fils a été dissous.
00:24:36 Et jusqu'à présent, jusqu'à présent, nous avons retiré notre ambassadeur. Le Ravon du Nord a attiré leur attention. C'est un problème interne à l'Algérie.
00:24:44 Ils continuent, et je lis, j'ai lu dans un journal aujourd'hui, ils menacent les Turcs de faire de la Turquie l'Algérie de la mer Noire.
00:24:53 - Alors, une petite chose encore avant d'en arriver à la politique, qui n'est d'ailleurs pas mince, on a un peu le sentiment que votre gouvernement ou vos services, je ne sais pas,
00:25:02 s'irritent contre certains organes de presse ou des journalistes. Car si je vous ouvre la presse hier et aujourd'hui, je vois qu'ils se regroupent professionnellement.
00:25:09 Qu'est-ce qui se passe ? Est-ce qu'il y a des esquisses de censure ? Est-ce qu'il y a des difficultés avec la presse ?
00:25:14 - Il n'y a rien. Parce que notre presse elle-même, c'est une presse qui est débridée, une presse qui est... Je ne connais pas les titres. Je ne connais pas le nom de tout.
00:25:23 - Et le nombre, il est varié, en tout cas. - Il est varié avec les critiques et choses comme ça. Nous voulons attirer l'attention de cette presse pour lui dire que l'Algérie vit une crise grave.
00:25:32 Nous voulons attirer l'attention de tous ces journalistes avec toutes les difficultés qu'ils ont d'essayer de se mettre en tête qu'il y a une situation grave et que leur devoir, c'est d'essayer de faire une opinion,
00:25:41 d'essayer d'expliquer à cette jeunesse et aux Algériens dans quelle situation nous nous trouvons. Or, malheureusement, il faut une tradition. Je vous l'explique.
00:25:50 Cela ne vous fait pas encore un grand souci. Les CIS journaux sont libres. Comme par exemple nous, vous n'avez qu'à prendre tous ces journaux.
00:25:57 J'ai critiqué personnellement et tous les autres. Nous vous demandons bien. Ce n'est pas tellement grave.
00:26:02 - Voulez-vous que nous abordions maintenant le problème de l'exercice de votre pouvoir politique et de votre programme ?
00:26:06 Il y a un problème d'abord sur lequel j'aimerais bien pouvoir écouter votre commentaire. Comment allez-vous asseoir votre légitimité politique durablement ?
00:26:16 Sur quoi allez-vous vous appuyer ? Puisqu'au fond, pour la jeune génération, vous êtes un héros historique dont on n'a jamais laissé figurer le nom, même dans les manuels d'histoire.
00:26:24 Donc, il y a un problème d'existence. Comment allez-vous faire ?
00:26:27 - Il faut dire que jusqu'à la fin de 1993, c'était une politique très prévivoire. Et même dans le dernier programme du gouvernement,
00:26:39 le programme du gouvernement et le gouvernement qui a été remanié n'ont pas plu à tout le monde. Ils ont été critiqués parce qu'ils s'attendaient, la plupart des gens, à un changement radical.
00:26:51 Ce changement radical n'est pas facile. Il faudrait le préparer. Il ne faudrait pas se tromper. Ce que je puis dire, c'est qu'il y a un changement en Algérie.
00:27:01 Il y a un changement. Un changement que je voudrais passer au jeu. Et mon but, c'est de faire que cette jeunesse algérienne, qui a la majorité qui se représente,
00:27:09 qui est moins de 30 ans, représente 70 %, soit un élément actif dans la vie politique d'Algérie. Toutes ces jeunesses qu'on a mis de côté, ces jeunesses qui ont été marginalisées,
00:27:18 mon but, c'est de faire que cette jeunesse puisse s'organiser autour de ces difficultés et être un élément de dialogue et un contre-pouvoir. Et je crois que c'est cela, la grande difficulté.
00:27:30 Pour ce qui est de la légitimité ou de la malégalité de ceux qui viennent après moi, la légalité ne peut venir que de ce tas dans la mesure où la démocratie...
00:27:37 Il faut des ordinaires à la démocratie. Il y aura une sanction démocratique à des élections libres. Et c'est à partir de ce moment qu'on peut parler de légitimité.
00:27:46 — Vous venez de parler de changement radical. Vous n'avez pas pu le faire. Pourquoi ? Vous n'êtes pas totalement libre de votre action ?
00:27:52 — Non, absolument pas. Absolument pas. Il y a, premièrement, des grandes lignes de cette politique. Il y a une... Il faut le dire. Il ne faut pas le cacher.
00:28:03 Il y a une situation qui est difficile à enlever, sur le plan social, sur le plan économique, sur le plan politique. Et un changement radical présuppose des lignes de politique,
00:28:13 des axes politiques sur lesquels nous sommes en train de travailler. Par ailleurs, il faut avoir les moyens. Et troisièmement, il y a un problème de personnes.
00:28:25 Je peux vous dire une chose. Le Conseil consultatif, qui devrait être fait immédiatement après l'installation du Haut Comité d'État, nous y travaillons depuis maintenant deux mois
00:28:35 pour essayer de trouver des éléments avec deux critères essentiels, des éléments honnêtes, propres, et puis des éléments neufs et compétents. Or, ce n'est pas possible.
00:28:45 Et je ne voudrais pas faire ce changement radical dans une situation qui est caotante et présenter peut-être une équipe qui serait incapable de faire de la politique
00:28:54 qui lui serait assez, à savoir faire passer l'algérie d'une économie étatisée. Cette situation, il y a un reste encore, c'est le Général Seyf, qui pourrait assigner.
00:29:07 Il y a aussi l'entreprise privée. Comment rentrer dans le marché ? C'est la même difficulté qui s'est posée aux démocraties populaires. Et ce n'est pas facile.
00:29:14 Et c'est pourquoi il y aura un changement radical, mais au moment où il est, avec toutes les garanties de réussite.
00:29:21 - Il y a quelque chose d'un peu terrible dans votre phrase, M. le Président. Vous êtes en train de dire à l'opinion publique, qui nous regarde des deux côtés de la Méditerranée, je l'imagine,
00:29:28 qu'au fond, vous avez des difficultés de calendrier et de trouver des hommes qui soient suffisamment nets à vos yeux pour incarner un peu de vertu à la tête du gouvernement.
00:29:37 C'est bien ça que vous êtes en train de dire ? - Oui, oui. Oui, oui. Parce que, bon, j'ai signalé tout à l'heure que mon absence, ça fait que je me suis éloigné un peu de la scène algérienne.
00:29:48 Et je n'ai pas une connaissance très poussée des personnes, des personnes politiques. D'autant plus que pendant 30 ans, tous ces cadres politiques, ceux qui ont participé ont été balottés.
00:29:58 Tous ces gens-là sont des squibis. Si vous demandez à n'importe qui, vous demandez aux tribunaux, tout le monde est voleur, des voleurs. Si vous demandez aux trafiquants, ainsi de suite.
00:30:04 Or, il y a des cadres politiques. Ces cadres ont été mis sur la couche. Ils ont été marginalisés. Il faut les trouver. Il faut leur donner confiance. Il faut essayer de travailler avec eux.
00:30:13 J'ai fait des réunions avec les jeunes, avec les femmes, avec les syndicats, avec les entreprises privées. Et je sens que dans ces gens-là, avec les universitaires, qu'il y a des bonnes volontés qu'il faut faire rendre la confiance et l'espoir.
00:30:28 Et dans cette Algérie, il y a tous les éléments pour s'en sortir, pour sortir de cette situation du point de vue matériel comme du point de vue humain. Mais il faut du temps.
00:30:39 Et je le dis, je l'explique. Je le dis aux syndicats. Le lendemain de la formation du gouvernement, il y a eu le resserrement du gouvernement. On a essayé de faire un programme qui répond à une situation provisoire.
00:30:52 Les gens étaient mécontents au fil du syndicat. Ils ont dit « Il n'est pas possible. Il faut être honnête. Il ne faut pas mentir au peuple ». Et c'est ça, la différence qu'il y a.
00:30:58 Je voudrais que les responsables, quels qu'ils soient, parlent la vérité à ce peuple.
00:31:02 Je voudrais qu'on aborde, M. le Président Boudiaf, maintenant, le chapitre de la jeunesse, qui est vraiment l'élément de base très important de tout ce qui va se passer dans ce pays.
00:31:10 4 habitants sur 5, dans ce pays de 25 millions de personnes environ, ont moins de 25 ans, ce qui est extraordinaire comme fourmillement et comme capacité d'ailleurs.
00:31:19 Dans ce pays, dont la population a quadruplé en 30 ans, les jeunes sont donc en première ligne. Dans les émeutes de 88, c'était d'ailleurs visible.
00:31:26 Je voudrais que nous regardions le reportage que Bruno Ledreff précisément et Bruno Carette ont tourné et qui donne la parole à trois types de jeunes, c'est-à-dire des jeunes issus de milieux tout à fait différents.
00:31:37 Et nous nous retrouvons tout de suite après. Merci.
00:31:39 C'est comme ça, la vie. C'est l'Algérie. Ça, il va exploser. Ça n'est pas leur camp. Il va exploser, cette Algérie.
00:31:52 Ici, la vie, c'est un calvaire. C'est un mauvais quart d'heure à passer.
00:32:01 Il faut comprendre que cette jeunesse-là est l'avenir du pays et vraiment le pétrole de ce pays.
00:32:09 Ils ont moins de 25 ans. Ils représentent 70 % de la population du pays. Un Algérien sur deux a moins de 15 ans, un sur quatre moins de 7 ans.
00:32:23 En moyenne, cinq enfants par femme. L'un des taux de croissance les plus élevés au monde.
00:32:29 Les rues d'Alger débordent d'enfants, ses habitations également. Frères, sœurs, parents, grands-parents, parfois oncles et tantes s'entassent dans des appartements évidemment trop petits.
00:32:45 Et le reste suit. École inadaptée, université en plein désarroi et le chômage à l'arrivée.
00:32:51 Alors, on survit de petits trafics. Le trabendo, première étape d'un marché noir omniprésent, la vente de cigarettes.
00:33:02 L'un de ses petits vendeurs a accepté de nous parler. Il a 15 ans, six frères et sœurs et rêve d'étranger.
00:33:12 Un petit peu, mon quartier, c'est pas... un petit peu, il est grand. Maintenant, il est en France. Je sais pas où il est.
00:33:21 Il y avait beaucoup de sorties, il va à la France, à Belgique, bien espagnol. Alors, je vais avec lui, je vais vendre des cigarettes après je pars.
00:33:38 Parce que tu as envie de quitter l'Algérie? Oui, parce qu'il y a la jeunesse, ils ne donnent pas... la soutien, comment dire? Ils ne donnent pas...
00:33:54 Il est en arabe. Ils ne donnent pas... les policiers m'ont frappé, les gens m'ont dit tu ne travailles pas cette chose. C'est pas un pays, ça.
00:34:10 C'est pas un pays. Le fait c'est merdier celui-là. C'est une crase. Ils tuent les gens. Alors comme ça, on va à l'étranger, on va faire un petit peu de théâtrine.
00:34:30 Amine passe ses journées dans les rues en attendant de réaliser ses rêves d'Eldorado étranger. L'étranger que les Algériens reçoivent aujourd'hui directement chez eux sur leurs écrans de télévision.
00:34:43 Face à face, une chaîne algérienne, en arabe, qu'on ne regarde plus, et une quinzaine d'étrangères, surtout françaises. Les paraboles de réception satellite couvrent les toits d'Alger.
00:34:53 Dans l'ensemble du pays, 8 millions de foyers riches ou pauvres en possèdent. Les jeunes, comme leurs parents, vivent à l'heure du zapping à l'occidental.
00:35:01 Merwan, fils de l'un des metteurs en scène les plus célèbres d'Algérie, dénonce cette perte d'identité culturelle.
00:35:08 La culture dans notre pays a été effacée, gommée. Gommée parce que le jeune a été étouffé pendant 30 ans de partie unique et que la culture ne représente rien.
00:35:19 C'est un mot qui ne veut rien dire. Surtout pour les pachydermes, les dinosaures du pouvoir qui ont plus main bas sur la réalité, qui sont en dehors de la réalité.
00:35:30 Ils sont dans leur haute sphère où ils tiennent des discours encore langue de bois, toujours des discours, des discours. On nous a gavé de discours.
00:35:35 Et ça continue, quoi. La jeunesse ne prend pas confiance parce qu'elle entend des discours. On leur promet la lune et bon, il n'y a pas de concret.
00:35:42 La jeunesse a tendu concret et la jeunesse, tout le monde est branché sur parabolique.
00:35:47 Toutes les villas, tu ne trouveras même plus âgé quelqu'un qui n'est pas branché, tu vois. C'est une mode qui s'est généralisée.
00:35:54 Tout le monde est branché sur parabolique, voit Rick Hunter, voit des tas de séries de télévision, voit des pubs de Coca-Cola et voit des pubs de Tahiti Douche où ils voient le rêve.
00:36:04 Et pour eux, l'idéal, le paradis, représente l'Occident, l'Australie, le Canada. Ils ont des aspirations à voyager, à laisser tomber leur pays, quoi.
00:36:13 Et ils ne croient plus en ce pays qui ne leur a rien offert. Donc la jeunesse est complètement désemparée.
00:36:18 On en a marre des apprentis sorciers. On en a marre des apprentis sorciers dans la politique, les dinosaures du pouvoir qui font du népotisme, qui posent leurs frères comme ministres, qui font de la magouille, qui pillent le pays.
00:36:30 On en a marre des apprentis sorciers religieux qui disent qu'ils se prennent pour de nouveaux prophètes alors qu'il y a un seul prophète, c'est Mohamed, et il n'y en aura jamais d'autres.
00:36:38 Tu vois, il y en a marre qu'on nous la fasse. Il y en a marre parce que c'est la jeunesse qui paye, que les jeunes veulent faire des trucs, qu'ils sont là et tout.
00:36:44 Mais bon, maintenant, ils sont devenus un mort, quoi. Parce qu'on les a. C'est devenu des morts vivants. Ils errent dans les quartiers et tout et ils n'ont rien. Ils tiennent les murs et voilà.
00:36:56 Ceux qu'on appelle ici les hitistes, de l'arabe hit, le mur. Ils passent le temps appuyés contre un mur ou en vague promenade sans but.
00:37:06 Alger en est empli. Comme la plupart d'entre eux, Amine fut exclue de l'école, dans les rues, à 15 ans.
00:37:16 J'ai acheté une cigarette après je fais le marché noir. J'ai acheté près de Pax après je fais le marché noir.
00:37:24 Et tu gagnes suffisamment d'argent comme ça? Un petit peu. 400 dans le paquet. 400... 4 dinars, 4 dinars. 4 dinars par paquet.
00:37:35 Dans le cartouche, c'est pas 20, 20 dinars. Comme ça. Pas trop beaucoup la jeunesse. Ils ne donnent pas vivre. Ils cassent la tête sur la jeunesse.
00:37:47 Tu trouves ça normal comme vie à 15 ans? Oui, un petit peu.
00:37:54 Tu n'aimerais pas faire autre chose, être à l'école? Non, je n'aimerais pas. Parce que l'école, ils ne donnaient pas comment lire.
00:38:04 Lire un petit peu en français. Ils ne savent pas lire. Ils ne t'ont pas appris à lire?
00:38:09 Mais ils nous le prennent parce qu'ils ne nous prennent pas toutes les choses. Toutes les choses, ils ne nous prennent pas.
00:38:18 Comme ça.
00:38:20 A l'opposé d'Amin, Yassir. D'origine bourgeoise, lui a réussi à l'école. Moins bien dans la vie professionnelle.
00:38:34 Sa tentative pour développer un studio de mixage ultra moderne tourne court. Fier d'être Algérien, il nous dit aussi son désespoir.
00:38:43 On est fiers d'être Algériens parce que c'est un peuple qui a une histoire, en plus encore récente, une histoire très dynamique.
00:38:53 On est écoeuré de voir comment notre histoire a été confisquée par 3 ou 4 bonhommes. 3 ou 4 bonhommes, de façon parlée.
00:39:01 On est écoeuré de voir ça. C'est vrai qu'on est fiers d'être Algériens.
00:39:11 Des fois, je suis en ronde contre mon pays. Je dis merde, je vais me casser, je pars de ce pays, je vais vivre autre part.
00:39:19 Il y en a ras le bol. Et d'un autre côté, je me dis merde, ce pays là, il faut se défoncer pour lui. Il mérite qu'on se défonce.
00:39:26 Et ça, c'est important.
00:39:28 Si il a la confiance de la jeunesse, si on s'en sort, on peut faire des choses.
00:39:37 Mais bon, il faut que des têtes tombent. Il faut que les mecs qui s'accrochent au pouvoir comme des vautours, il faut que ceux-là s'éliminent.
00:39:46 Tu ne peux pas faire tomber... Chedlin ne peut pas démissionner si les gens qui ont été avec lui, qui l'ont placé, qui ont mangé avec lui, eux ne tombent pas.
00:39:53 Non, non, non, tu ne peux pas t'attaquer au social comme ça, condamner des gens.
00:39:58 C'est vrai, bon, le fils, mais c'est une injustice, parce que l'ordre a été bafoué en bas, populaire par le fils, mais il a été bafoué en haut aussi,
00:40:08 par ces mecs-là qui se sont mis du fric et qui, je pense, vont lier les mains de Bouddhia, frisent de lier les mains de Bouddhia.
00:40:15 Les jeunes Algériens n'ont plus de rêve. On leur a volé leur rêve, on leur a volé leur enfance, c'est fini.
00:40:26 J'ai l'impression que c'est l'apocalypse psychologique, c'est collectif.
00:40:31 Une apocalypse psychologique que les jeunes Algériens ont tenté d'exorciser dans les mosquées.
00:40:38 Des mosquées désormais sous haute surveillance.
00:40:40 Impossible d'approcher celle de Kouba, où prêchait le très charismatique Ali Ben Hadj, aujourd'hui emprisonné.
00:40:47 Interdit de se rassembler dans les rues avoisinantes, autrefois envahies de fidèles pour la grande prière du vendredi.
00:40:53 Des fidèles militants du fils qui ont rasé leurs barbes et remis leurs jeans.
00:40:58 Ils ont peur. Aucun n'acceptera de nous parler, de nous raconter cet engagement politico-religieux.
00:41:05 Les explications sont pourtant simples, nous dit Yassir.
00:41:09 Je sais pas, quand on vit à une douzaine de personnes, grand-père, grand-mère, père, mère, cousin du bled,
00:41:18 les frangins chômeurs, les deux frangines, avec les tabous qu'on a ici, la promiscuité que ça implique,
00:41:25 dans une pièce et demie, deux pièces, avec pas d'eau toute la journée,
00:41:32 y a qu'à la mosquée qu'on peut prendre un peu d'oxygène, quoi.
00:41:36 Et forcément, on peut chercher la solution que dans l'irrationnel, parce que rationnellement on voit pas.
00:41:43 Moi, personnellement, je vois pas, quoi. Et ça me fait très peur, quoi.
00:41:48 Parce que j'aime bien les entrecôtes grillées, j'aime bien avoir chaud, être devant ma télé, avoir la paix,
00:41:56 et pas économiser les bouts de chandelles et flipper quand la fin du mois arrive, quoi.
00:42:01 Y a une grande amertume de la part de la jeunesse à l'égard de la nomenclature algérienne.
00:42:06 Et cette amertume, c'est de la haine, c'est une envie de désexterminer, c'est une haine totale, quoi. C'est trop.
00:42:13 C'est trop, c'est ça, le fils. Le fils, c'est pas un programme religieux, c'est pas...
00:42:20 c'est pas une flambée mystique de l'Algérie profonde, hein.
00:42:24 C'est maintenant, on va régler les comptes.
00:42:27 Ok, vous êtes servis, ben...
00:42:30 C'est assez beau. On va régler les comptes, on va vous déculoter.
00:42:36 Qu'est-ce que vous allez faire, vous ?
00:42:38 Moi, personnellement, je vais essayer, dans la mesure du possible, de... de me faire la malle.
00:42:47 La malle, l'exil, pour quelques-uns, peut-être.
00:42:54 Les autres, ils sont 20 millions, restent sans doute l'avenir de l'Algérie,
00:42:59 mais ils se demandent si l'Algérie est bien leur avenir.
00:43:03 Tous ceux qui, comme vous, M. Boudia, viennent de voir ce reportage,
00:43:11 qui sont dépourvus de préjugés, doivent juger que c'est terrible,
00:43:14 pour un leader historique, pour vos compagnons, d'avoir fait la révolution pour aboutir à ça.
00:43:18 Alors, j'ai envie de vous demander, j'imagine que ça compte dans le fait que vous soyez rentrés en Algérie,
00:43:23 mais qu'est-ce que vous comptez faire, pratiquement, réellement, et sur quelle durée,
00:43:27 pour que ces jeunes ne votent pas avec leurs valises, et ne s'en aillent pas de ce pays, car c'est quand même la force vive ?
00:43:32 Ça, c'est vrai. C'est dramatique, ce que vit la jeunesse algérienne,
00:43:37 parce que, depuis l'indépendance, jusqu'à aujourd'hui, jusqu'en 1980, jusqu'à cette époque,
00:43:42 cette jeunesse, dans sa grande majorité, elle a été mise de côté, elle a été exclue.
00:43:47 Je comprends sa révolte. Je comprends sa révolte.
00:43:50 Ce que je voulais dire à ces jeunes, qu'ils y soient un avenir, c'est dans cette Algérie.
00:43:55 Et de deux que, ces gens-là, il faudrait qu'ils apprennent à lutter.
00:44:00 Je vois quelquefois des paradoxes.
00:44:06 Par exemple, au niveau de l'université, il y a une minorité, une infime minorité,
00:44:10 à Babsoir, c'est à peine, si c'est le 20ème, des gens, des troublions, la grande majorité ne dit rien.
00:44:18 Au début du mois de carême, il y a eu une flambée des prix.
00:44:21 J'ai essayé de limiter, je n'avais pas l'expérience, on aurait pu arrêter cette flambée des prix,
00:44:25 parce que derrière, il y a toute une mafia.
00:44:27 Ce sont des habitudes qui ont été prises, il faut le dire honnêtement.
00:44:30 Les mesures n'ont pas été prises pour essayer de voir, parce qu'on a supprimé les mercuriales.
00:44:37 On a laissé les gens faire. Il y a peut-être des complicités qui vont plus loin.
00:44:41 Ça c'est vrai.
00:44:42 Est-ce que ce peuple, est-ce que cette jeunesse comprend-elle que, s'il veut améliorer sa situation, il faut qu'elle lutte ?
00:44:52 Il n'y a pas une autre sortie.
00:44:54 Partir à l'étranger, c'est facile.
00:44:56 Et c'est facile et c'est difficile, parce que pour partir à l'étranger, ils ont des rêves.
00:44:59 Je trouve que nous ne sommes pas loin de l'Europe, que les images viennent souvent,
00:45:05 et que ces gens-là essaient de voir, ils se sentent lésés, sans tenir compte que leur pays est nouvellement indépendant.
00:45:13 Et qu'ils ont été brimés pendant presque 28 ans par un parti unique.
00:45:18 Mais là, franchement, M. le Président, vous avez écouté comme moi les mots qu'ils ont dits.
00:45:22 Il y a un appel. Et l'appel à quoi, dans les mots de cette interview ?
00:45:26 Au fond, c'est un appel à ce que vous fassiez, le ménage. En avez-vous les moyens ?
00:45:30 Pour l'instant, non.
00:45:32 Je les aurai le jour, ou ces jeunes. Et c'est là l'idée qu'on a lancée, le rassemblement patriotique.
00:45:39 Ou on réussit, ou à partir de ce moment-là, ce peuple ne fera rien.
00:45:44 Cette idée vient de loin, on l'a pensé, nous sommes en train de réfléchir à cette question,
00:45:50 pour faire de cette jeunesse, pour lui donner, pour lui dire, tu as le pouvoir.
00:45:54 Essaie de t'organiser. Parce qu'en dehors de ça, il n'y a rien.
00:45:57 Mais si on veut lutter contre les injustices, et les jesuistes qui sont, qui vont, qui sont extra...
00:46:04 Enfin, dans le nombre ne peut pas être chose. Parce qu'il y a l'ancien Moudjahid qui n'a rien,
00:46:08 il y a le chômeur, il y a celui qui a été exclu, celui qu'on a renvoyé de l'école, celui qui n'a pas de logement.
00:46:14 Tout cela, c'est des mécontentements.
00:46:16 Ou ces jeunes vont comprendre qu'avec le pouvoir, qui est ouvert, qui doit dialoguer,
00:46:21 ils sont prêts à dialoguer avec ces gens-là, mais qui se réalisent et qui doivent s'organiser autour de leurs difficultés.
00:46:29 Et à partir de ce moment-là, s'il y a ce dialogue, je crois que c'est un début de solution.
00:46:33 Mais tant que cette base, ces gens-là, il suffit de critiquer, de faire appel à autre chose, on ne peut rien faire.
00:46:41 Et ce... oui ?
00:46:44 Oui, monsieur le Président, je crois que ces jeunes attendent des mesures très concrètes, très vite.
00:46:47 Alors, est-ce que vous êtes prêt à porter le fer ? Il parlait dans le reportage de couper des têtes.
00:46:52 Est-ce que vous êtes prêt à couper des têtes ? Est-ce que la justice algérienne est derrière vous pour remettre de l'ordre ?
00:46:58 J'ai réuni le comité de la magistrature. Je lui ai posé le problème en disant ceci.
00:47:03 On dit beaucoup de choses de la justice et on dit qu'il y a beaucoup de pourriture dans cette justice.
00:47:08 Ils ont été révoltés, ils ont reconnu. C'est vrai.
00:47:11 Parce qu'il s'est créé des conditions en Algérie où s'enrichir, ça donnait à la corruption, au privilège, c'est devenu quelque chose de normal.
00:47:21 Et les exemples viennent d'en haut. Ça c'est sûr. Ça c'est une réalité.
00:47:25 Maintenant, avec cette justice, que peut-on faire ?
00:47:27 Mais j'ai rencontré dans ce corps de juge des gens révoltés autant que celui de la rue.
00:47:32 Et qui sont décidés réellement à faire le ménage. Ça je vous le dis.
00:47:36 Des dossiers, nous allons les préparer. Seulement, je ne voudrais pas que ça soit la chasse aux sorcières.
00:47:42 Je ne voudrais pas que ça soit des règlements de comptes. Ce sera à la demande du temps.
00:47:46 Nous rassemblons des dossiers. Nous voudrions aller dans ce sens. Et nous allons pousser.
00:47:52 Comme il y a eu une révolution de velours dans un autre pays, est-ce que vous êtes en train de préparer pour l'Algérie une sorte de purification de velours ?
00:48:00 C'est-à-dire en sentant, en douceur, mais vraiment profondément ?
00:48:04 Dans un premier temps, il faut parler vérité à ce peuple. Il faut lui dire la vérité. Ce qu'on peut faire, ce qu'on ne peut pas faire.
00:48:10 Parce que j'estime qu'un responsable, sa responsabilité consiste à dire à ce peuple, j'ai pris cette place provisoirement pour ce qui me concerne.
00:48:18 Je viens pour essayer d'assainir. Je vous demande de m'aider. Et d'être à mes côtés. De me dénoncer tous ceux qui sont hors de la loi.
00:48:28 Voilà le problème. Et il n'est pas facile. Parce que, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, le personnel politique a été vraiment usé.
00:48:34 Et tout le monde est critiqué aujourd'hui en Algérie. Bon, il ne faut pas aller dans le sens de la critique, la cérémonie. Il y a autre chose.
00:48:42 Il y a un changement en Algérie. J'ai réuni les universitaires, les syndicalistes, des jeunes, de l'UJI, des femmes.
00:48:52 La nouveauté en Algérie, c'est que tout ce monde-là pose des difficultés. Je le dis, je ne vous promets rien. Mais aidez-moi à trouver des solutions.
00:49:00 Essayez de réfléchir. Et j'ai senti que ces Algériens qui critiquaient un certain temps commencent à poser des problèmes.
00:49:07 Je voudrais travailler avec tous ces gens-là en vue de permettre à l'Algérie de trouver sa voie. Il faut rétablir la confiance.
00:49:19 — M. Boudiaf, quand vous étiez jeune et que vous aviez l'âge des gens qui sont dans ce reportage, vous aviez un idéal.
00:49:24 Qu'est-ce que vous voulez leur dire à eux, leur proposer à eux comme idéal ?
00:49:29 — L'idéal, dans mon temps, c'était quoi ? C'était l'indépendance de l'Algérie. J'ai compris ça à l'âge de 25 ou de 26 ans.
00:49:35 C'était une progression. Moi, je suis venu dans le parti. Bon, il y avait un idéal. La réciprocité était nette.
00:49:42 Mais aujourd'hui, les problèmes d'Algérie sont multipliés par 10. Il y a une démographie galopante. Il y a un retard en technologie.
00:49:51 Il y a un retard de développement. Le socialisme n'a rien donné. Nous avons une économie qui est catastrophée.
00:49:57 Nous avons une société qui est déchirée des pouvoirs politiques qui ne collent pas à la réalité. Voilà.
00:50:05 — Ça, ça fait pas un idéal. — Ce n'est pas facile.
00:50:06 — Ça fait pas un idéal. Ça fait même le contraire. Alors qu'est-ce que vous leur demandez à ces jeunes ?
00:50:09 — À ces jeunes, la seule chose, c'est de dire aux jeunes que vous êtes partie prenante dans cette Algérie.
00:50:14 Il faudrait que vous vous organisiez dans votre sphère la plus consciente. Nous vous donnons toutes les libertés d'eau.
00:50:19 Vous organisez autour du... Et ça ne sera pas quelque chose de monolithique. Nous voudrions que ça soit pluraliste,
00:50:25 que ces jeunes puissent discuter, qu'il y ait un dialogue, parce qu'aujourd'hui, l'Algérie a été déchirée.
00:50:30 Il y a des coupures. Il y a des régions qui ne connaissent rien. En tant que la colonisation, ce n'est pas pour vanter la colonisation,
00:50:36 mais les gens circulaient. Mais l'Algérie a été fussurée. Et ce mécontentement a gagné à un tel moment que les gens ne posent plus leurs problèmes.
00:50:45 Ils insultent.
00:50:46 — Je crois que sur le plan du diagnostic, les Algériens sont totalement d'accord avec vous. Ils attendent de votre part des mesures rapidement.
00:50:53 Alors est-ce que vous avez un calendrier de mesures à proposer, déjà ?
00:50:56 — Mon calendrier, mon grand rêve, c'est de parvenir avec mes amis qui sont autour de moi à lancer ce mouvement patriotique,
00:51:07 parce qu'aujourd'hui, dans l'Algérie, les deux blocs ayant disparu, qu'est-ce qu'il reste ? Il reste la compétition au point de vue économique.
00:51:14 Il faudrait réunir les capitaux. Il faut essayer de refaire démarrer la machine.
00:51:19 — Vous allez faire vibrer les jeunes gens avec des courbes de croissance ?
00:51:22 — S'il vous plaît.
00:51:23 — Vous allez faire vibrer les jeunes générations avec des courbes de croissance économiques, avec des chiffres de balance commerciales ?
00:51:28 — Si on a une rivalité contre le chômage, si on prend en compte ces revendications des jeunes pour la formation, pour un espace culturel,
00:51:40 si on prend l'agriculture au sérieux, et tout cela, ça demande du temps et ça demande des moyens.
00:51:45 Seulement à ces jeunes, je leur dis une chose. Si vous voulez vous en sortir, il faut lutter.
00:51:49 — Alors le fond des choses, M. le Président, c'est quand même, vous l'avez souligné à plusieurs reprises dans cette émission,
00:51:54 le marasme économique, chômage, dépendance alimentaire et industrielle, un très lourd endettement,
00:52:00 puisque les deux tiers des revenus pétroliers y sont consacrés, ne serait-ce qu'au remboursement de la dette.
00:52:04 Alors je vous propose d'abord que nous regardions ensemble un reportage de Christophe Marté et de Bruno Caret,
00:52:08 et nous nous retrouvons avec le Président Bouillaf pour voir quelles sont les solutions qu'il envisage,
00:52:13 et surtout comment il va prendre le problème qui est vraiment très difficile.
00:52:16 [Musique]
00:52:24 — Nous sommes à 30 mètres sous terre, le chantier du métro d'Alger.
00:52:28 Ici, on utilise de l'explosif pour le percement du tunnel.
00:52:35 À plusieurs reprises, ces derniers mois, on a dû fermer le chantier.
00:52:38 L'explosif aurait pu être volé et utilisé à d'autres fins.
00:52:42 Une anecdote qui illustre à quel point l'économie algérienne vit au rythme de la crise politique qui secoue le pays.
00:52:49 Un jour, le chantier manque de ciment. Le lendemain, de sable. Plus souvent encore, d'outils.
00:52:56 Résultat, 4 ans de travaux pour 1,5 km de tunnel, quand il faut 5 fois moins de temps en Europe pour un ouvrage équivalent.
00:53:04 — Ça aurait pu aller plus vite si on avait attaqué avec plusieurs trams.
00:53:10 Mais nous réalisons selon les moyens qu'on a.
00:53:18 — C'est-à-dire que vous auriez pu avoir, par exemple, plus de mécanisation du chantier ?
00:53:21 — Oui, mais il est difficile un peu d'investir sur 1,5 km pour l'entreprise.
00:53:28 — Au chantier, Kamel Lassen est responsable du secteur bétonnage.
00:53:36 Avec 10 000 dinars par mois, l'équivalent de 2 500 francs, il gagne bien sa vie dans un pays où le salaire moyen atteint à peine 1 000 francs par mois.
00:53:45 Cette année encore, les produits alimentaires ont échappé à la libération des prix, reportés, car jugés trop impopulaires en période de ramadan.
00:53:59 Kamel, comme l'immense majorité des Algériens, respecte la tradition. Il souhaite néanmoins que son pays se modernise et encourage l'initiative individuelle.
00:54:08 — Il y a du ménage à faire. C'est-à-dire au niveau des autres entreprises, il y a beaucoup à faire.
00:54:19 Il y a des gens qui sont compétents, qui sont compétents, qui faut...
00:54:25 — Qui faut faire travailler.
00:54:26 — Qui faut faire travailler, qui faut exploiter, quoi. C'est-à-dire c'est des gens qui ont été formés...
00:54:33 C'est-à-dire l'Algérie a investi tout ça sur ces gens-là. Il faut leur ouvrir les portes, quoi.
00:54:39 — C'est-à-dire en quelque sorte, il y a eu des habitudes de prise en charge. L'État prenait tout en charge.
00:54:47 Il n'y avait pas vraiment un choix personnel. Et j'espère que le changement viendra au niveau du citoyen, quoi.
00:54:59 C'est-à-dire par lui-même. C'est-à-dire il y a des mentalités à changer.
00:55:03 Vaste secteur en crise, le logement. On s'entasse dans des maisons construites dans les années 70, plus loin des chantiers permanents, où l'on manque de tout.
00:55:13 Ciment, briques, même l'outillage le plus rudimentaire fait défaut. Une seule pioche pour les ouvriers qui travaillent ici.
00:55:22 La presse dénonce la gabegie, la corruption qui règne dans le bâtiment. Personne ne sait quand ces immeubles de bureaux seront terminés.
00:55:32 À Alger même, plusieurs dizaines de milliers de familles attendent tout simplement un appartement.
00:55:39 Je ne pense pas que ce soit un problème de main-d'oeuvre, ni de savoir-faire. La main-d'oeuvre algérienne, elle est bonne.
00:55:47 La preuve, c'est que quand elle est à l'extérieur, elle est performante. Je prends notamment le cas de l'ouvrier algérien en France, particulièrement.
00:55:59 Moi, je pense que pour répondre en toute partie à ses besoins, il faut mobiliser les parents privés. Il faut intéresser le privé à construire sa maison, quitte à lui proposer des avantages fiscaux, par exemple.
00:56:19 L'EMAC, l'entreprise publique de fabrication de chaussures la plus grande d'Algérie. Ici, 1 400 ouvriers travaillent sur des machines installées il y a près de 30 ans.
00:56:31 Les méthodes de travail sont archaïques et la qualité en pâtit. 6 millions de paires de chaussures sont fabriquées chaque année, mais elles sont boudées par les Algériens.
00:56:46 Difficultés supplémentaires, nous explique le patron de l'usine. Le seul client à l'exportation, LexurSS, a stoppé ses commandes. Alors, les stocks s'entassent.
00:56:55 Une modernisation de toute l'industrie algérienne s'impose. Elle coûterait 100 milliards de francs, 2 ans de revenus pétroliers.
00:57:08 Le chômage, lui, atteint des proportions dramatiques. 1 Algérien sur 3 en âge de travailler sans emploi. Et au ministère de l'Industrie, on n'exclut pas que la situation puisse s'aggraver encore.
00:57:22 Le redressement de l'outil doit, comme je vous le disais tout à l'heure, passer obligatoirement par un toilettage. Bien, ce toilettage peut concerner les actifs, mais peut concerner aussi les travailleurs.
00:57:39 À un moment où les ressources de l'Algérie se font plus rares, eh bien, on a besoin que cet outil soit plus percutant. Pour cela, il y a donc lieu d'assainir économiquement cet outil et de le débarrasser,
00:57:55 enfin, assez brutalement de termes, mais disons de délaguer tout ce qui pourrait consister en branches d'activité, en unités de production économiquement peu viables ou non viables.
00:58:13 Ces images aux couleurs passées, tournées en 1974 à la grande époque du pétrole algérien. Les devises tirées de l'or noir remplissaient à l'époque sans effort les caisses de l'État.
00:58:24 Mais aujourd'hui, le prix du baril a chuté. Les recettes aussi. 13 milliards de dollars en 85, 9 milliards cette année.
00:58:35 Ces recettes arrivent tout juste à couvrir le remboursement de la dette et les importations alimentaires. En Algérie, pratiquement toute la nourriture est achetée à l'étranger.
00:58:44 Les légumes secs, les céréales, le sucre, comme ici en provenance du Brésil.
00:58:56 Un gouvernement qui veut stopper le délabrement du pays en deux ans a une marge de manœuvre très étroite. Car s'il a besoin d'argent frais pour moderniser l'économie,
00:59:06 il sait que la priorité reste de remplir les magasins. Seul moyen de maintenir le calme au sein d'une population de plus en plus désemparée.
00:59:19 - On mesure une fois encore l'ampleur du travail qui attend le gouvernement et vous-même. Très rapidement, d'où peut venir le redémarrage ?
00:59:27 De l'intérieur du pays et dans ces conditions, comment ? Ou bien est-ce qu'il viendra essentiellement, est-ce qu'il dépend essentiellement des prêts financiers internationaux ?
00:59:35 - Moi je crois avant d'en arriver là, il faut dire que l'économie algérienne est malade. On a commencé par une étatisation de toute économie.
00:59:48 L'état s'occupait de tout. Et de là, on est passé directement au libéralisme alors forcené. Et c'est là que l'économie algérienne n'avait pas besoin de ces chocs terribles.
00:59:59 Et c'est ça qui explique la situation. Or, cet Algérie a les moyens de ses développements. Il a des potentialités, il a des matières premières, il y a le gaz, il y a le pétrole.
01:00:07 Bon, ça ne suffit pas, il y a une dette qui tourne lourde. Nous avons une période difficile sur deux ou trois ans. Nous comptons dans cette période-là sur deux éléments.
01:00:16 Sur une meilleure organisation et un estimisme de la situation à l'intérieur. Et sur les aides de nos amis. Et en particulier de l'Europe.
01:00:23 Et dans cette Europe, il y a la France, il y a l'Italie, qui peuvent aider. Aider non seulement pour l'intérêt de l'Algérie, mais pour l'intérêt de tous les bassins méditerranéens.
01:00:33 Parce que si on veut empêcher qu'il y ait une immigration forte, une immigration sauvage, il faudrait essayer de développer ces pays.
01:00:43 C'est dans l'intérêt de tout le monde. C'est pourquoi je dis que l'Europe a des devoirs envers ces pays du Sud qui constituent la culture.
01:00:51 Alors précisément, est-ce que vous êtes satisfait de la manière dont l'Europe vous aide ou va vous aider ou a promis de vous aider ?
01:00:58 Oui, je suis très satisfait et j'ai sous les yeux un appel d'un certain nombre de personnalités françaises qui ont compris le danger.
01:01:07 Et je pense qu'il y a de très grandes chances pour que cette Europe aide l'Algérie. Et en aidant l'Algérie, c'est toute l'Afrique du Nord, qui est l'interlande, qui est le front sud de l'Europe.
01:01:19 Est-ce que vous jugez, M. Boudiaf, l'effort de la France suffisant actuellement ? Ou est-ce qu'on n'est pas très talonnés par des pays comme l'Italie ou le Japon, très franchement ?
01:01:27 Qu'est-ce que vous attendez de la France ?
01:01:28 Les Italiens, il faut dire, les Italiens, la France, mais il reste que quand même les échanges avec la France sont beaucoup plus importants qu'avec l'Italie.
01:01:36 Moi, j'ai dit aux Italiens qui ont pris la responsabilité, c'est un temps où les gens étaient un peu réticents, mais il reste que dans toute cette Europe, la France garde une place de choix.
01:01:47 Vous trouvez qu'elle a des devoirs particuliers avec l'Algérie, la France ?
01:01:51 Oui, nous avons énormément de choses ensemble. Nous avons énormément de choses ensemble. Il y a une histoire commune. Il y a le problème de l'Allemagne. Il y a le problème de l'immigration.
01:01:58 Et tout cela crée des rapports qu'on ne peut pas gommer du jour au lendemain. Il faut qu'il y ait des échanges. Il faudrait que nous dépassions cette atmosphère de passion, ces rendez-vous manqués.
01:02:13 Parce que entre la France et l'Algérie, et quand je dis la France, la France entend. Vous voyez, par exemple, le problème de reprofilage de la dette qui a été pris, piloté par le crédit lyonnais.
01:02:25 Et ça, c'est une marque de confiance. Et le gouvernement français a poussé pour que cette affaire soit résolue dans un minimum de temps.
01:02:34 Je pense qu'avec une meilleure compréhension, avec des rapports beaucoup plus clairs, il est possible réellement de renoncer l'économie nationale.
01:02:41 - Vous avez déjà envisagé une initiative pour rendre ces rapports plus clairs, plus confiants et moins passionnels ?
01:02:46 - Oui. Notre ministre de l'Intérieur étranger a vu dernièrement M. le Président Mitterrand et il a trouvé en lui beaucoup de dispositions et une grande compréhension de la situation qui est en lieu.
01:02:56 - Ça, c'est du travail diplomatique classique. Je veux dire, est-ce que vous-même, vous avez déjà en tête un acte solennel un peu particulier ?
01:03:03 - Nous allons ouvrir. Il y a un code des investissements en Algérie qui est très large. Nous voudrions que des capitaux puissent venir se fructifier en Algérie dans le cadre des partenariats et de la coopération. Et c'est possible.
01:03:16 - Alors, je voudrais terminer la partie, les 25 minutes qui nous restent de cette émission, précisément avec un portage et plusieurs questions que nous avons à vous poser, Bruno Ledreff et moi, sur l'aspect de nos rapports franco-algériens ou algéro-français.
01:03:31 - 800 000 Algériens vivent aujourd'hui en France. C'est un chiffre qu'il faut connaître. C'est une communauté, en réalité, assez atomisée qui s'est peu exprimée aux dernières élections algériennes, puisqu'il paraît qu'on a recensé à peu près 10 000 votants.
01:03:42 - On sent ces personnes très déchirées, très hésitantes et surtout craintives sur l'avenir de leur pays. Regardez ce reportage de Agnès Poirier et Jean-Thomas Ségaldi réalisé, cette fois, en France.
01:03:55 - Islam, religion que le monde entier repousse et blâme, blasphémée par des simples esprits n'ayant ni cœur ni âme. Trop souvent, musulmans et synonyme de Coran. Trop de gens en ce moment l'interprètent mal en en parlant.
01:04:06 - Oui, mauvais traducteurs contre vous, il faut que l'on agisse. Tous dans le même panier, pour le même vice. En effet, Dieu le Père est-il sectaire ? Les hommes sur terre ne sont-ils pas frères ? Ont-ils oublié le chapitre concernant l'enfer ?
01:04:16 - Délateur, je le proclame, ils se font diriger par chétan. Procher le déclin de son règne, ils finiront à droite aux flammes. Par le pouvoir de Dieu sera découvert tout complice, manipulateur de l'humain, force du mal et du vice.
01:04:27 Si Yazid chante l'islam, c'est d'utile pour tous ses amis qui parfois oublient. Yazid, lui, n'oublie pas qu'il a deux pays de chez lui. La France, la banlieue de Paris, d'abord, où il a grandi, où il est devenu musicien, où son groupe de rap, baptisé 93 NTM, s'est formé.
01:04:43 Et puis l'Algérie. Il y est retourné deux ans pour son service militaire. C'est là-bas qu'il a commencé à s'intéresser à l'islam. C'est pour cette autre chez lui qu'il s'inquiète aujourd'hui.
01:04:54 On a eu le FLN juste après les Français. Maintenant, on va voir le fils. Non. Il va où, le pays ? Parce qu'il faut penser à l'avenir du pays. Si le fils, c'était un... S'il avait au moins un... Ce ne sont pas des politiciens, les mecs. Ce sont des religieux. Ça n'a rien à voir. La politique et la religion, il ne faut pas la mélanger. C'est la merde quand tu mélanges les deux parce qu'il y a trop de contradictions.
01:05:18 Chacun sa propre vision de l'Algérie, suivant le village ou le quartier d'où l'on est issu et suivant ce que l'on vit en France. Karim, 24 ans, est au chômage depuis 6 mois. De plus en plus, les images de Babeloued, où vivent ses cousins, et de Garch-Légonès, où il a grandi, se superposent et se confondent.
01:05:35 C'est la haine que les gens en eux-mêmes ne peuvent plus supporter. De ne pas avoir d'avenir, de ne pas voir le bout du tunnel. Tous les jours qu'on paraît, ils se ressemblent. C'est la même chose pour les banlieues en France aussi. On est obligés d'associer les choses. Ce n'est pas religieux.
01:05:47 Mais il y a des gens qui ne croient pas. Juste, ils ont voté pour le fils. C'est pour, comme l'expression, emmerder le gouvernement. C'est pour dire qu'on en a marre. C'est ça le problème. Il est là.
01:05:57 C'est dans l'islam et tout. Même pour tous les nouveaux, les associations, elles veulent des locales, des choses comme ça. Vous faites le tour des banlieues, vous verrez. Les gens où j'habite, moi j'habite à Garch-Légonès et tout. Les musulmans, ils sont sereins et pris. Ils vont prier dans des locales à moto et tout. Ils veulent un terrain, on ne leur donne pas.
01:06:11 Et les gens, ça fait 30 ans qu'ils sont ici. Ça fait 50 ans qu'ils sont venus. La démocratie, le pays moderne, la troisième puissance mondiale, la quatrième, la troisième puissance mondiale économique et tout, la France quand même.
01:06:23 Tu vois au fond dans les banlieues, qu'est-ce qui se passe ? Dans la rue de Lyon, qu'est-ce qui se passe ? C'est le même malaise. C'est le même malaise. Les gens triment pour chercher du travail. Ils les saluent. Tuc de tuc de CVP. Depuis 80, ils ont inventé et tout. Tuc.
01:06:36 Vous passez comme ça. Quand il y a des problèmes de chômage, c'est ça. On invente des stages, on favorise les entreprises pour qu'ils payent moins d'impôts et tout. On case 400 000 à 300 000 personnes. Ça fait baisser la balance du chômage.
01:06:47 C'est juste des beaux parleurs. C'est juste des beaux parleurs. Maintenant, les gens, ils en ont marre. Ils les ont là. Et un jour, je pense que pour moi, vraiment, ça pètera, mais vraiment comme il faut.
01:07:09 À la tombée de la nuit, le premier repas de la journée. Dans la famille Wissi, tout le monde fait le ramadan. Depuis son départ d'Algérie en 62, M. Wissi n'a jamais cessé de travailler. Il est aujourd'hui gardien d'immeuble au Val-Fourré de Montainjoli.
01:07:26 Ses huit enfants ont grandi ici. Tous les ans, il repart dans la maison qu'il s'est fait construire là-bas au pays.
01:07:34 Ici, le fils est né. C'est par la misère. C'est tout. Par le manque de tout. C'est ça. Tous ces jeunes. Tous ces jeunes. Il faut y aller en Algérie pour voir tous ces jeunes qui sont au chômage. Sans rien. Sans rien.
01:07:53 Le gouvernement actuel est actif. Je le vois parce qu'il se déplace partout. Il se débatte pour remettre tout notre pays sur les rails. Parce que vraiment, ils ont du pain sur la planche. Ils ont du boulot.
01:08:08 Ils ont du boulot parce que c'est... Franchement, c'est une catastrophe. C'est vrai. C'est une catastrophe. Et moi, ce que je veux, c'est que tout Algérien ne souffre pas. On a assez souffert déjà et on veut plus souffrir.
01:08:24 Et qu'est-ce qui m'a amené, moi, ici ? Je ne suis pas un réfugié politique. Moi, je suis venu ici comme réfugié économique. C'est tout. Et si le lendemain d'ici, si mon pays repart bien, moi, je repars. Je rentre chez moi.
01:08:39 D'ailleurs, c'est ce qui m'attend parce que à ma retraite, moi, dans 8 ans, moi, si Dieu veut, je rentre chez moi. Mais il ne faudrait pas que je rentre dans un pays où il n'y a rien. Alors, ce n'est pas la peine.
01:09:02 Comme tous les soirs pendant le ramadan, M. Wissi part à la mosquée. Une mosquée dont il est fier. D'interminables négociations ont présidé à son construction.
01:09:12 Les plus âgés du quartier la fréquentent. Les jeunes sont encore peu nombreux à pratiquer, même s'ils affichent de plus en plus nettement leur fierté d'être musulmans.
01:09:21 Une quête d'identité qui passe par l'affirmation de sa culture et de sa religion ou bien le signe d'un durcissement et d'un repli sur soi.
01:09:29 Beaucoup de jeunes beurres découvrent l'Algérie en 88, quand l'armée tire sur des manifestants. Une répression sanglante qui choque la communauté algérienne en France.
01:09:45 Abdel Haïssou est à l'époque rédacteur en chef de Radio Beurre. Il prépare aujourd'hui l'ENA.
01:09:50 Ce que nous avions dit en octobre 88, nous le disons à nouveau. Nous avons besoin, même si nous ne retournerons pas nous installer dans ce pays pour la très grande majorité d'entre nous.
01:10:02 Pour ma part, je n'envisage pas d'aller vivre et travailler en Algérie. Je pense donc que nous avons besoin de ce pays sur une certaine symbolique et en même temps sur une réalité.
01:10:14 La symbolique c'est de penser que la terre dont on est issu, c'est une terre qui va vers une espèce de prospérité économique mais en même temps démocratique.
01:10:33 La journée de la femme, vue de menthe la jolie. Beurettes, femmes immigrées, responsables d'associations ou mères de familles, elles sont venues parler de leurs préoccupations.
01:10:42 Quelle éducation pour les enfants, quel logement, quelle formation et puis quelle place réserve-t-on aux femmes aujourd'hui, quel rôle peuvent-elles jouer ?
01:10:50 Nous voulons surtout montrer en fait à travers la réappropriation à notre culture que nous pouvons être des musulmanes, être des femmes comme les autres, vivre normalement sans tomber dans l'insécurisme.
01:11:01 Vigilantes, ces femmes sentent qu'elles doivent l'être doublement. Quand la société française les rejette parce qu'elles sont d'origine maghrébine, quand certains de leurs frères, de leurs compatriotes veulent les enfermer à la maison parce qu'elles sont femmes.
01:11:15 C'est pas parce qu'on ne croit pas à la religion, on y croit mais c'est pas pour ça qu'on doit mettre un foulard pour cacher tout quoi et pour aller à la mosquée.
01:11:26 Donc on est, si vous voulez, on est musulmans mais on n'accepte pas ce qui se passe en Algérie, on voudrait bien que l'Algérie redevienne comme elle était.
01:11:35 On est retournés plusieurs fois mais depuis que le fissile a commencé on a eu peur, on peut pas y aller. On peut pas y aller à cause des problèmes qu'il y en a là-bas.
01:11:43 On peut pas parce qu'on a peur de venir à la douane, une jeune fille, mes filles qui ont 16 et 17 ans, ils repartent en Algérie, il leur faut le foulard, il leur faut tout ça alors mes filles ont peur, ils ont la crainte de retourner en Algérie.
01:11:54 Ils arrivent pas à retourner là-bas à cause de tout ce qui se passe.
01:12:01 Un intermède d'assistance est là, présent, à l'hôpital Imaüs.
01:12:06 Si l'on surveille l'actualité en Algérie, c'est ici d'un oeil distrait.
01:12:10 Préoccupation majeure des jeunes de cette cité d'Argenteuil, comme partout ailleurs en banlieue, obtenir une salle.
01:12:16 Mohamed vient même de créer une association. Il veut aider les petits à faire leurs devoirs, les plus grands à trouver du travail, mais surtout que le dialogue s'instaure entre les jeunes et les autres habitants de la cité.
01:12:27 Ce matin, l'équipe médicale d'intermède assistance est venue lui prêter main forte.
01:12:31 Ils s'occupent de prévention contre le sida, mais il leur faut d'abord aller à la rencontre des gens, les faire parler d'eux, les mettre en confiance, et alors seulement l'information peut passer.
01:12:48 Face à tous ces combats qu'il faut engager sur le terrain français, l'Algérie semble bien loin.
01:12:53 Et l'idée que les beurres pourraient être sensibles au slogan du fils laisse Mohamed perplexe.
01:13:01 En France, on avait quand même des choses qui qu'on a apprécié quand même le fait justement de côtoyer facilement les individus tels que les relations qu'on pourra avoir avec les femmes, la façon de s'habiller, le comportement qu'on peut avoir sur une plage, l'envie de désirer boire un verre à une terrasse, même de l'alcool.
01:13:26 Tout ça, on l'a vécu. Maintenant, si les beurres se réclament du fils, là, je ne comprends plus. Il y a quelque chose qui m'échappe.
01:13:35 C'est plus une fierté algérienne en se réclamant justement algérien avant tout que du fils.
01:13:41 Le plus important, nous dira Mohamed, c'est que l'Algérie bouge enfin après tout ce temps sous anesthésie, même si ça n'est pas dans le bon sens.
01:13:50 Mais pour beaucoup, c'est une situation impossible à vivre, un impossible choix, un déchirement.
01:13:55 On est un peu coincé entre le marteau et l'enclume. On doit être à la fois vigilant par rapport à ce qui se passe dans nos pays d'origine ou dans le pays de nos parents.
01:14:03 Mais il faut aussi qu'on soit vigilant pour ne pas être récupéré par l'extrême droite ou des personnalités X ou Y qui vont nous manipuler par rapport à ce qui se passe là-bas.
01:14:14 Parce que malheureusement dans ce pays, depuis maintenant 10-15 ans, la communauté algérienne en France est vécue à travers le prisme de ce qui se passe dans les pays d'origine.
01:14:24 À travers l'intégrisme, le terrorisme, la sécurité, la délinquance, etc. On mélange tout, on mélange tout, tout, tout. Et là, nous, on est coincé là-dedans.
01:14:37 Les Algériens de France ne parlent pas d'une seule voix quand ils parlent. Ainsi, aucun membre du FIS peut implanter en France pour l'instant n'a accepté de témoigner.
01:14:46 Pour certains, la démocratie l'a échappé, mais pour d'autres, elle en a pris un sacré coup. Et l'on s'inquiète des atteintes aux droits de l'homme.
01:14:53 Tous sont aux côtés du peuple algérien. Et la vie continue loin de l'Algérie.
01:14:58 Alors, M. Boudiaphe, malgré l'indépendance de l'Algérie, c'est-à-dire 30 ans en ce moment même, est-ce qu'il ne faut pas constater qu'en l'état actuel, les biens de consommation d'une part,
01:15:10 et les images de télévision étrangère, français notamment, d'autre part, donnent secrète de l'envie, mais que d'un autre côté, ça fabrique aussi du rejet,
01:15:19 parce que tout le monde, éloigné de là, n'en a pas les moyens, n'a pas le travail recherché. Est-ce que vous n'êtes pas fondamentalement, dans cette Algérie indépendante, tiraillé des deux côtés ?
01:15:27 C'est vrai, il y a un tiraillement, au point de vue culturel, il y a un tiraillement par l'image, et je pense que, pour ce qui concerne l'immigration, je profite de cette occasion pour saluer tous les militants qui ont été avec moi dans le PRS.
01:15:40 Je connais bien la Fédération de défense pour y être resté, de 52, 53, 54, ils sont revenus souvent après l'indépendance, et j'ai vu cette masse d'obriers, ces Algériens qui sont de l'immigration, que je salue, et à qui je dis ceci.
01:15:54 L'Algérie pense à eux. Il faut dire que, depuis l'indépendance, on ne s'est pas occupé de cette immigration. Un des dossiers, des premiers, que j'ai demandé à voir est le dossier de l'immigration.
01:16:08 L'Algérie va s'en occuper, et je promets à toute l'immigration en France d'être près d'elle et de lui dire que l'Algérie pense à cette immigration et pense à eux, et nous les considérons comme nos fils.
01:16:19 - Ça veut dire quoi, s'en occuper, M. le Président ? - S'en occuper, c'est de voir l'État, c'est de faire qu'avec les autorités françaises, avec les autres immigrations maghrébines, avec les associations qui travaillent dans ce sens,
01:16:32 d'essayer de faire que cette immigration ne se sente pas rejetée. On essaie de lui faire supporter, par exemple, le Front National, qui établit toute sa politique contre l'immigration,
01:16:48 à laquelle l'immigration, peut-être, dans certains endroits, a des attitudes de révolte. Alors, ce que nous voulions faire, c'est que cette immigration comprenne qu'il est dans un pays étranger,
01:16:58 et qu'elle doit, par son attitude, par son comportement, être digne de l'Algérie. Ça, c'est un problème. Le deuxième problème, c'est que cette immigration peut être un trait d'union,
01:17:10 un trait d'union entre les deux cultures, un trait d'union avec la France, et avec la partie saine de la France, celle qui n'est pas raciste, celle qui voit l'avenir de ces gens-là qui vivent chez elle,
01:17:23 comme ses enfants. Nous voudrions que ces gens-là soient respectés dans leur dignité. Et on nous demandera, les Algériens, de se montrer dignes, aussi, des pays d'accueil dans lesquels ils vivent.
01:17:35 Vous parlez d'un trait d'union entre les deux cultures, mais vous n'avez pas l'impression que la culture algérienne a du mal à exister, et que, d'une certaine manière, c'est un échec, ça aussi ?
01:17:44 Oui, c'est un échec, je le dis. Bon, mais il reste, il reste les racines. Nous sommes en Algérie, nous vivons un environnement, et l'Algérie doit s'adapter à un nouvel environnement.
01:17:53 Nous sommes à la fin du XXe siècle, il faut reparler du XXIe siècle.
01:17:57 Vous appelez ça en ambiguïté au modernisme, malgré tout, c'est ça ?
01:18:00 Oui, nous sommes pour le modernisme. Parce que le modernisme veut dire l'avance, c'est là le grand sujet qui se pose à tous les pays musulmans, ce qu'on appelle le tiers-monde, c'est d'opter pour la modernité, ou pour le recul, vers le passé, à partir de ce moment-là. L'obscurantisme.
01:18:16 Et il nous reste un peu moins d'une dizaine de minutes à passer ensemble. Je voudrais très rapidement, Bruno et moi, vous poser quelques rapides questions, si vous me permettez cette expression.
01:18:24 D'abord, on dit dans Alger que vous ne bougez pas beaucoup, que vous ne sortez pas beaucoup. Nous on va essayer de vous faire bouger. Est-ce que vous avez déjà songé à votre premier voyage officiel à l'extérieur des frontières, et pour quel pays serait-il ?
01:18:35 Je ne pense pas sortir, parce que je considère que les obligations que j'ai au pays sont beaucoup plus importantes que les voyages à l'extérieur.
01:18:42 Et qui inviteriez-vous au plus haut niveau dans votre pays, et en premier ?
01:18:45 Je n'ai aucune idée de ce problème. Je vous dis que je suis obnubilé par la situation intérieure du pays. Je voudrais surtout me pencher sur les problèmes du pays avant de penser à l'extérieur.
01:18:57 En Europe, et en France plus particulièrement peut-être, on est inquiet. On dit que l'Algérie travaille à la fabrication d'une bombe atomique. Est-ce que c'est vrai, et avec qui ?
01:19:05 C'est vrai, il n'y en a absolument rien. Et les commissions d'enquête sont passées pour voir que l'Algérie a d'autres chefs fouettés que de faire la bombe atomique.
01:19:14 C'est-à-dire que les relations qui ont été expliquées, ou en tout cas sous-entendues, de la Chine avec votre pays sur ce sujet, c'est inexact ?
01:19:24 Comment inexact ? Il y a...
01:19:26 Non, non, les relations en matière de coopération atomique, c'est inexact.
01:19:29 Comment inexact ? Si, la Chine est là, mais en aucune façon l'Algérie ne pense produire des armes de destruction massive et de faire la bombe atomique.
01:19:39 Si il y a un travail dans ce sens-là, c'est beaucoup plus pour d'autres objectifs que pour un armement ou des choses dans ce domaine-là.
01:19:47 Dans quelle situation vous sentez-vous, M. le Président, par rapport à l'armée, qui est une armée assez... non pas singulière, mais tout de même exerce un rôle original,
01:19:54 quand elle estime que le pouvoir politique franchit les bornes, elle rétablit l'ordre qu'elle souhaite, mais elle ne veut pas exercer le pouvoir, elle rentre dans ses casernes.
01:20:02 Est-ce que vous vous sentez un peu sous surveillance ?
01:20:04 Je ne me sens pas du tout sous surveillance, parce que cette armée, elle vient de jouer toujours un rôle.
01:20:08 Tant que cette société ne se structure pas, tant qu'il n'y a pas de partis représentatifs, cette armée jouera le rôle qu'il jouait.
01:20:15 Et la révolte, dans cette situation, et l'avance difficile, c'est parce qu'on lui fait supporter les erreurs du politique, tels que les événements de 1988, que l'armée n'oublie pas.
01:20:26 L'armée voulait éviter, dans cette Algérie, l'effusion de sang.
01:20:30 Et j'ai pu dire que l'armée algérienne est une armée républicaine, qui n'attend que le rétablissement de la situation pour se rétablir dans la caserne, et ça, j'en suis convaincu.
01:20:41 Vous, en tant qu'ancien combattant, qu'avez-vous pensé en 1988, quand l'armée a tiré sur les manifestants, qui étaient surtout des jeunes ?
01:20:49 C'est un drame, c'est malheureux, mais il y avait une situation dont je n'ai pas vécu.
01:20:53 D'ailleurs, pour le système de contrôles, il faut dire honnêtement quels sont les ressorts derrière tout cela, je ne sais pas.
01:20:59 C'est assez difficile.
01:21:01 Mais il y a un débordement de la rue, le pouvoir appelé, l'armée a la recousse, l'armée a fait son devoir, peut-être malgré elle, et n'oublie pas, notre armée n'est pas...
01:21:12 Et l'Algérie, ce qui est certain, en 1962, nous avons vécu une période très difficile.
01:21:18 Il y avait de l'armement partout dans les wilayahs, et nous ne sommes pas passés à la guerre civile.
01:21:21 Parce qu'il y a un discernement dans le peuple algérien, le peuple algérien n'est pas un peuple sanguinaire.
01:21:25 Il n'aime pas le sang. Et ça, c'est un avantage.
01:21:30 Monsieur le Président, je voudrais vous demander de livrer quelques mots de ce qui fait le fond de votre pensée.
01:21:34 Car vous avez eu quand même un destin extraordinairement étonnant dans ce pays.
01:21:38 Vous avez d'abord lutté pour la libération, vous avez été un des pères fondateurs, vous avez estimé que Messah-li-Khadj n'était pas suffisamment moderniste,
01:21:45 vous avez créé une sorte de mouvement intérieur, vous avez atteint votre but avec vos frères fondateurs,
01:21:51 mais la révolution a mangé ses enfants et a failli vous manger, puisqu'au fond, à part un an et demi que vous avez vécu à l'intérieur, vous avez été très rapidement exilé.
01:21:59 J'ai dit en début de cette émission qu'on était venu vous chercher un peu comme un sauveur.
01:22:03 Que pensez-vous aujourd'hui de ce cycle de 30 ans ? Qu'est-ce que vous avez au fond de votre tête ? Quels sont vos regrets ?
01:22:11 Je n'ai pas de regrets. Je l'ai dit à un ancien ami qui était chef du gouvernement tunisien, Hadi Bekouch,
01:22:17 j'ai dit quand on est militant, on doit avoir ni l'amertume ni la déception.
01:22:21 Parce que nous considérons, personnellement, je considère que ce que je fais est un devoir.
01:22:24 Je fais tout ce que je peux si je ne réussis pas. Mais si je réussis, ça serait très bien, et pas pour moi, mais pour mon peuple.
01:22:32 M. le Président Boudiaphe, je voudrais, Bruno Ledreff et moi, ainsi que toute l'équipe de cette émission,
01:22:37 vous remercier de nous avoir consacré d'abord une heure et demie de temps pour vous adresser à l'opinion française.
01:22:42 Cette émission sera diffusée à la demande des dirigeants de la télévision algérienne en Algérie.
01:22:46 Ce sera une occasion de saluer ce pays qui est voisin et pour lequel vous nous avez permis,
01:22:51 en regardant ce reportage, qui ne vous était pas toujours forcément agréable, mais vous n'avez pas réagi, donc on ne le sait pas,
01:22:56 d'avoir en tout cas une meilleure compréhension et visibilité de ce qui se passe dans ce moment assez dramatique et difficile.
01:23:02 Je vous remercie infiniment. Et pour vous qui nous avez suivis, je vous souhaite une bonne fin de soirée.
01:23:07 Il me reste à vous dire simplement la chose suivante, c'est que la semaine prochaine, la marche du siècle sera consacrée à votre santé,
01:23:12 vous, la santé des Français, c'est-à-dire que nous changeons radicalement de sujet.
01:23:16 Peut-on rendre plus humains les hôpitaux avec plusieurs témoins ou spécialistes médicaux qui seront réunis autour du professeur Claude Jasmin.
01:23:24 Dans un instant, soir 3, puis le programme de votre région et un peu après, un peu après, pardon, 23h30,
01:23:30 vous retrouverez Traverse, l'émission de documents de Christian Franchez-Desperé.
01:23:36 Merci, monsieur le président. Bonne fin de soirée à vous tous.
01:23:38 [Musique]