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Hamida Aman, journaliste et fondatrice de Radio Begum, une radio afghane créée en 2021 "par des femmes et pour des femmes", était mardi 15 août la Grande témoin de la matinale de franceinfo. Elle répondait aux questions d'Agathe Mahuet.

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Transcription
00:00 Il y a deux ans tout juste, l'Afghanistan tombait aux mains des talibans et des milliers
00:04 de personnes tentaient de fuir le pays qui a plongé depuis dans une crise économique
00:08 et humanitaire.
00:09 Un recul immense aussi pour les femmes afghanes.
00:13 Bonjour Amida Aman.
00:14 Bonjour.
00:15 Nous sommes très heureux de vous recevoir ce matin.
00:17 Grand témoin de France Info, vous êtes journaliste, vous avez fondé en 2021 la radio Begum qui
00:22 émet depuis Kaboul.
00:23 On va parler longuement avec vous de cette radio afghane faite par des femmes pour des
00:28 femmes.
00:29 D'abord, quel regard portez-vous sur ces deux années qui ont bouleversé l'Afghanistan ?
00:34 Je dirais que ces deux années auront été des années de dégringolade pour les femmes
00:41 simplement.
00:42 C'est qu'on est arrivé, les talibans sont arrivés au départ avec un message plutôt
00:47 d'apaisement et d'assurance mais les promesses n'ont pas été tenues et là les femmes ont
00:56 touché le fond.
00:57 On le dit tous les six mois mais j'ai l'impression que ce fond, on n'arrive toujours pas à le
01:02 toucher mais j'espère qu'on a touché le fond.
01:04 Et que cette pire empire en tout cas, c'est ce que vous dites, je voudrais vous faire
01:07 écouter des témoignages de ces femmes afghanes qui sont peut-être un peu aussi vos auditrices
01:12 sur la radio Begum.
01:13 Elles racontent le retour en arrière imposé par les talibans.
01:16 C'est un reportage de Sonia Ghezali.
01:18 Ces voix sont celles de militantes féministes afghanes.
01:23 Des voiles sombres couvrant leurs cheveux, des masques sanitaires dissimulant la moitié
01:27 de leur visage.
01:28 Elles marchent dans une rue de Kaboul.
01:30 Ce film alors qu'elles lisent un texte contre le régime taliban qu'elles appellent terroriste.
01:35 Cette vidéo a été publiée sur les réseaux sociaux il y a quelques jours.
01:39 Malgré les risques, les femmes continuent de se mobiliser sous le régime taliban.
01:42 Julia, ancienne enseignante, est l'une de ces voix dissidentes.
01:46 Le 12 août, nous voulions manifester.
01:48 Tôt le matin, l'une de nos amies a été arrêtée par les talibans à son domicile
01:52 et deux autres ont été battues.
01:53 Nous sommes devenues plus agressives.
01:55 Quand d'autres amies ont été arrêtées, nous trouvons en nous encore plus de force
01:59 et d'énergie pour manifester, pour venger nos amies et défendre nos droits et ceux
02:03 de toutes les femmes afghanes.
02:05 Le monde entier doit entendre que les talibans n'ont pas changé et qu'ils sont les mêmes
02:09 qu'il y a 20 ans.
02:10 Depuis deux ans, les droits des femmes ont été continuellement restreints.
02:13 Elles n'ont plus le droit de travailler dans la plupart des secteurs professionnels, ainsi
02:17 que pour des ONG.
02:18 L'accès aux bains publics, aux parcs, aux salles de sport, aux salons de beauté leur
02:21 est interdit.
02:22 Elles doivent porter le voile intégral, être accompagnées d'un homme de leur famille
02:26 pour des trajets de longue distance.
02:27 Les collèges et les universités leur sont aussi interdits.
02:30 Une vie recluse à laquelle Setayeh, âgée de 14 ans, résidente de Kaboul, ne se fait
02:35 pas.
02:36 Parfois quand je sors, je me sens mal à l'aise.
02:39 Je ne me sens pas heureuse.
02:41 En fait, nous ne sommes plus heureuses.
02:43 Nous avons déjà tout perdu dans notre vie.
02:45 J'étais dans une équipe de football, mais je ne peux plus y aller parce que je suis
02:49 une fille.
02:50 Deuxièmement, je ne peux plus aller à l'école.
02:52 Tout le monde a besoin d'aller à l'école et c'est l'endroit que j'aimais le plus dans
02:56 mon pays.
02:57 Mais malheureusement, je ne peux plus y aller.
02:59 Setayeh rêve qu'un pays lui offre l'asile et lui permette de pouvoir retrouver les bains
03:04 de l'école afin de réaliser son rêve de devenir un jour chirurgien.
03:08 Sonia Ghezali pour RFI et France Info dans la région.
03:12 Ami Dahamane, ces femmes que l'on vient d'entendre, c'est pour elles que vous avez fondé cette
03:16 radio Begum il y a deux ans ?
03:18 Tout à fait.
03:19 Ces femmes qu'on vient d'entendre, c'est exactement les profils des auditrices de radio
03:23 Begum.
03:24 Des femmes qui travaillent dans des ONG, dans des organisations privées, dans des entreprises
03:28 privées ou des étudiantes.
03:30 Beaucoup de citadines, généralement, mais aussi des femmes de province nous appellent
03:34 parce que notre radio diffuse largement dans des provinces, même les plus reculées.
03:39 Pas seulement à Kaboul ?
03:40 Non, non, pas seulement à Kaboul.
03:42 C'était important de commencer justement de toucher au maximum les femmes de province
03:47 parce que c'est celles qui sont les plus isolées, celles qui sont les plus oubliées
03:50 aussi et qui sont les plus vulnérables parce que c'est loin, personne n'est là pour vérifier
03:56 ce qui se passe.
03:57 Il faut savoir qu'en Afghanistan, il y a quasiment plus de journalistes qui ont d'autorisation
04:01 et de visa de travail.
04:02 Les diplomates, les ambassades sont totalement fermées.
04:07 Il n'y a quasiment pas de témoins, donc il peut se passer ce qui se passe.
04:13 Forcément, ces femmes-là sont plus vulnérables que les citadines.
04:16 C'est une radio qui émet dans les deux langues officielles de l'Afghanistan, le Dari et le
04:21 Pashto avec de nombreuses émissions.
04:24 Voilà ce que ça donne.
04:25 Vous ne pouvez plus aller à l'école ? Radio Begum vous propose tous les jours des cours
04:32 de la 5ème à la Terminale.
04:33 Beaucoup de vos émissions sont consacrées à l'éducation des filles et des femmes.
04:38 Oui, 6 heures de temps d'antenne sont consacrées à l'éducation, 6 heures quotidiens.
04:43 3 heures en Dari et 3 heures en Pashto.
04:47 On donne des cours de tout ce qui est possible, à part les sciences, tous les cours du niveau
04:56 secondaire et le lycée.
04:57 En revanche, vous ne faites pas de politique sur Radio Begum, n'est-ce pas ?
05:01 On ne fait pas de politique, on se tient éloigné, c'est notre ligne éditoriale.
05:05 C'est ce qui nous maintient.
05:06 Justement, on a en fonction aussi, parce que c'est beaucoup trop...
05:10 Nous sommes en permanence sous écoute, enfin on est contrôlés.
05:13 Toute notre communication est largement filtrée.
05:19 Donc, bien sûr, on a des limites, on ne peut pas s'exprimer.
05:23 Donc, parler politique, ce serait beaucoup trop dangereux pour nous à ce stade.
05:26 Seule façon sans doute de continuer à exister.
05:29 Que vous disent les femmes qui vous contactent ? Elles sont nombreuses à passer à l'antenne
05:32 aussi, chaque jour.
05:33 C'est ça, c'est que nous ne parlons pas de politique, mais il y a tellement d'autres
05:37 problèmes que les femmes rencontrent tous les jours, qui sont bien des années-lumières
05:41 de la politique.
05:42 Donc, c'est ces problèmes-là qu'on aborde.
05:44 Les problèmes de santé, de nutrition pour les enfants, pour elles, mais aussi du soutien
05:52 psychologique.
05:53 On a dû doubler notre temps d'antenne quotidien alloué au soutien psychologique, parce que
05:58 la demande était telle.
05:59 Et il faut répondre à toutes les questions et à tous les appels de ces femmes.
06:07 Vous, vous allez repartir en Afghanistan dans quelques jours, Amida Aman.
06:11 Dans quel état d'esprit ?
06:12 Chaque fois que je repars là-bas, généralement, quand il y a après un énième décret qui
06:20 vient tomber, une énième interdiction, comme c'est le cas actuellement avec les femmes
06:25 qui travaillaient dans les salons de beauté, qui ont été encore à un secteur de plus
06:30 impacté, le moral, à chaque fois, on prend un coup sur le moral.
06:34 Les femmes nous appellent.
06:37 Par exemple, récemment, lors de la fermeture des salons de coiffure, je cite une jeune
06:43 femme qui nous appelait, qui s'appelle Leila, qui était pendant plus de cinq ans qu'elle
06:47 travaillait dans un salon de coiffure du centre de Kaboul.
06:49 C'était la seule personne qui travaillait au sein de sa famille.
06:54 Donc, c'était le seul revenu familial.
06:55 Et là, quelques jours avant la fermeture, elle criait son désespoir.
07:01 Qu'est-ce que je vais devenir ?
07:02 Pour moi, ce n'était pas qu'un travail, c'était aussi une manière de résister,
07:06 c'était une manière de vivre.
07:08 Parce que là, qu'est-ce que je veux dire ?
07:10 Non seulement, on fait tomber les gens de plus en plus dans la précarité financière,
07:15 dans la pauvreté, mais en plus, on leur prend le seul espoir.
07:20 Pour ces femmes, le seul espoir peut-être, c'est de trouver une vie meilleure dans un
07:24 pays voisin et encore de quitter l'Afghanistan.
07:26 Mais vous, vous avez l'espoir encore que la situation puisse s'améliorer pour les femmes
07:30 afghanes ?
07:31 Mais j'espère que la situation va s'améliorer.
07:33 J'espère que ce régime va arriver aussi à un moment, à s'essouffler à force de
07:39 taper sur les femmes et peut-être penser à autre chose.
07:42 Ils le font, mais ça va prendre du temps.
07:44 J'espère, je veux garder espoir vers un avenir meilleur, mais je pense que ça risque de prendre
07:49 beaucoup de temps.
07:50 Et à quel prix vont devenir toutes ces femmes ?
07:52 Combien de femmes vont mourir ?
07:54 Combien de jeunes filles vont perdre tout espoir dans l'avenir ?
07:58 Leur avenir va être gâché.
08:00 Je pense que c'est une situation qui peut encore durer 5 ans, 10 ans.
08:03 Ils ont tout le temps.
08:04 Il ne faut pas oublier qu'on est face à un régime théocratique, donc le temps n'a
08:11 pas d'importance.
08:12 Amida Amman, journaliste fondatrice de cette radio BGM, ça s'écrit B-E-G-U-M.
08:17 Merci beaucoup d'avoir été sur France Info ce matin, notre grand témoin, deux ans après
08:24 que Kaboul soit tombé aux mains des talibans.

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