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En 2020, notre série "Rap Business" retraçait l'ascension incroyable du rap, passé en quelques années du statut de paria au top des ventes.
Dans cette seconde saison, "Rap Business" continue à décrypter le succès de l'industrie du rap français :
-Pourquoi les morceaux de rap, qui comptaient souvent trois couplets dans les années 1990, n'en contiennent désormais plus que deux, voire un seul ?
-Pourquoi les rappeurs sont-ils prêts à perdre beaucoup d'argent pour se produire sur la scène parisienne de l'Accor Arena ?
-Comment expliquer que ces dernières années, près d’un quart des albums de rap les plus vendus était le fruit de rappeurs liés au Congo-Brazzaville ou au Congo-Kinshasa ?

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Musique
Transcription
00:00 M.E.T.K.C.H.O.D. Man
00:02 M.E.T.K.C.H.O.D. Man
00:04 Hey, you, get off my clown !
00:06 En 2023, les États-Unis fêtent les 50 ans du hip-hop.
00:11 50 ans, c'est beaucoup.
00:13 C'est par exemple le premier choc pétrolier.
00:15 En gros, la vie française était une vie de facilité,
00:19 même si les Français ne se rendaient pas toujours compte.
00:21 La mort de Picasso ou la naissance de Sean Paul.
00:24 Quoi, Sean Paul a 50 ans ?
00:26 Oui, oui, mais ne t'égare pas trop.
00:27 Le hip-hop fête donc ses 50 ans.
00:29 Mais il est en pleine forme.
00:31 Le rap est bien installé en tête des ventes,
00:33 surtout en France.
00:34 Et pour ça, il peut compter sur plusieurs points forts,
00:37 comme ses influences multiples
00:38 ou ses stratégies commerciales innovantes.
00:41 C'est ce qu'on va voir dans cette seconde saison de Rap Business.
00:44 Mais pour commencer, arrêtons-nous sur une autre caractéristique
00:47 bluffante du rap,
00:49 sa capacité d'adaptation.
00:51 Avec en particulier un phénomène marquant ces dernières années,
00:54 les morceaux de rap raccourcissent.
00:56 Le premier à avoir mis le doigt sur cette intrigue, c'est Ben.
01:00 C'est moi, mec.
01:01 Ben est Australien.
01:04 Il aime le rap américain et les tableaux Excel.
01:07 C'est succulent.
01:10 Depuis quelques années, Ben a compté plein de choses,
01:13 comme le nombre de fois où Lil Wayne a dit "p*ssy" dans ses morceaux,
01:16 déjà près de 900 fois.
01:17 "P*ssy, p*ssy, p*ssy, p*ssy"
01:19 Ou le nombre de fois où il a dit "p*ssy" en anglais.
01:22 "P*ssy, p*ssy, p*ssy, p*ssy"
01:24 Ou le nombre de jours de retard qu'a eu chaque album de Kanye West.
01:27 Plus de 500 pour The Life of Pablo.
01:29 Et puis en 2018, l'oreille de Ben a été attirée par autre chose.
01:34 Les chansons de hip-hop ont diminué.
01:36 Ben se dit donc…
01:37 Je peux juste compter sur ça.
01:38 Il se penche alors sur les 10 albums de rap les plus vendus chaque année.
01:42 Et là…
01:43 C'était probablement l'analyse la plus pure que j'ai pu faire.
01:46 Il a diminué, diminué, diminué.
01:47 Cette tendance est devenue vraiment overt.
01:51 OK, jusque-là, Ben n'a compté que quelques albums de stars américaines.
01:55 C'est pas forcément représentatif.
01:57 Donc on a voulu aller plus loin.
01:58 Et la bonne nouvelle, c'est qu'en France aussi, il existe un Ben.
02:01 Ou plutôt deux Ben.
02:02 Enfin, il s'appelle pas vraiment Ben, mais…
02:04 Jules et Maxime.
02:06 Je crois que j'ai appuyé sur le micro au moment où j'ai dit ça.
02:09 Jules et Maxime ont créé des algorithmes très malins,
02:12 qui analysent quasiment tout le rap français.
02:14 On a récupéré beaucoup de morceaux, je crois,
02:16 qui sont très bien récits.
02:17 On a fait des moyennes par année.
02:18 Ce que leurs données montrent, c'est que dans les décennies 90 puis 2000,
02:22 un morceau de rap durait en moyenne…
02:24 4 minutes.
02:26 Mais ces dernières années, ça a chuté.
02:29 3 minutes 45, 3 minutes 30, 3 minutes.
02:32 Ça se casse complètement la gueule.
02:34 Concrètement, ça, c'est le schéma classique d'un morceau de rap dans les années 90-2000.
02:39 Trois couplets, c'est pas mal.
02:41 Mais c'est pas tout.
02:42 Il y a des morceaux qui sont très bien récits.
02:44 Mais c'est pas tout.
02:47 Il y a des morceaux qui sont très bien récits.
02:48 Mais c'est pas tout.
02:49 Il y a des morceaux qui sont très bien récits.
02:50 Mais c'est pas tout.
02:51 Il y a des morceaux qui sont très bien récits.
02:52 Mais c'est pas tout.
02:53 Il y a des morceaux qui sont très bien récits.
02:54 Mais c'est pas tout.
02:55 Il y a des morceaux qui sont très bien récits.
02:56 Mais c'est pas tout.
02:57 Il y a des morceaux qui sont très bien récits.
02:58 Mais c'est pas tout.
02:59 Il y a des morceaux qui sont très bien récits.
03:00 Mais c'est pas tout.
03:01 Il y a des morceaux qui sont très bien récits.
03:02 Mais c'est pas tout.
03:03 En 2022, c'est moins de 10%.
03:06 De plus en plus, les morceaux ne contiennent que deux couplets, voire un seul.
03:14 OK, les données sont claires.
03:16 C'est une hécatombe.
03:18 Bon, maintenant, la question c'est...
03:23 Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
03:25 Pourquoi ?
03:26 Comment expliquer que les morceaux de rap se réduisent ?
03:30 En me renseignant, j'ai identifié plusieurs raisons.
03:33 Et je les ai classées en deux groupes.
03:35 Premièrement, plein d'arguments sociologiques, philosophiques, anthropologiques,
03:39 qu'on va résumer avec des images d'arc-en-ciel libres de droit.
03:43 Aujourd'hui, tout va plus vite.
03:45 Les jeunes ne savent plus s'ennuyer.
03:48 Nous sommes noyés sous une profusion d'offres créant une société du zapping permanent.
03:53 Très bien.
03:54 Et deuxièmement, il y a...
03:55 Le streaming, yeah yeah.
03:57 Et cette fois, pour en parler, il y a beaucoup mieux qu'un arc-en-ciel.
04:00 Il y a Sofian Fanen.
04:02 Allez, on lui ajoute quand même un arc-en-ciel, parce qu'il a écrit ce livre. Très utile.
04:07 Je lui ai demandé...
04:08 Comment on explique que le streaming raccourcisse les morceaux ?
04:11 Et il m'a répondu...
04:12 Logique économique, flux permanent, volume d'industrie, démultiplier des revenus, concurrents, parts de marché, algorithmes, etc.
04:18 On fera un schéma.
04:23 Ok, imaginons une plateforme de streaming nommée Spoteaser.
04:27 Avec deux utilisatrices, Doria et Odette, qui paient 10 euros par mois.
04:34 Avec cet abonnement, Doria écoute uniquement Damso.
04:38 Odette, uniquement son petit-fils, Oscar.
04:42 On pourrait donc penser que l'argent de Doria va à Damso, et l'argent d'Odette à Oscar.
04:48 Mais non.
04:49 Leurs sous sont mis dans un pot commun.
04:53 Sauf que Doria écoute Damso en boucle, alors qu'Odette écoute Oscar de temps en temps.
05:00 Au total, Damso cumule donc beaucoup plus d'écoutes, et il récupère l'immense majorité de la somme.
05:07 Le mois suivant, pour gagner plus, il faut donc qu'Oscar génère plus d'écoutes.
05:13 Et surtout qu'il augmente même plus vite que Damso, pour renverser le rapport de force.
05:19 Si ce sont des hamsters dans une roue, il faut mouliner, mouliner, être plus visible que les autres.
05:23 Et l'une des techniques pour faire le plus de stream, c'est de réduire la durée des morceaux.
05:28 Et de démultiplier aussi les nombres de morceaux.
05:31 Comme ça, les gens en écoutent plus dans le temps qu'ils ont à consacrer à la musique.
05:35 Bref, avec le streaming, des morceaux courts, c'est possiblement plus d'écoutes, et donc plus d'argent.
05:46 Alors, entre parenthèses, on parle ici de morceaux plus courts.
05:49 Mais ça, c'est juste un des changements qu'on observe avec le streaming.
05:52 Parce qu'il y en a d'autres. Par exemple, le début des morceaux évolue aussi.
05:56 Il doit être très accrocheur.
05:58 Parce que pour être comptabilisé comme une écoute, il faut qu'un titre soit écouté au moins 30 secondes.
06:05 Virer l'intro, aller directement à la partie efficace qu'on appelle le hook.
06:09 Ce refrain qui va rentrer dans l'oreille, c'est la règle numéro 1.
06:15 "C'est la mort, c'est tout ça"
06:17 "La la la, 22, what the fuck"
06:19 Depuis les années 2010, un morceau a deux fois plus de chances de commencer par son refrain.
06:25 Alors, tous ces changements ne concernent pas uniquement le rap.
06:30 Angèle, Rosalia, Billie Eilish.
06:32 Mais le rap a une longueur d'avance.
06:34 C'est la première musique à défricher le monde du streaming.
06:37 Et en plus, c'est une musique qui a une passion pour le chiffre.
06:39 "Non, franchement, premier détendant, c'est propre, 3 millions de vues, ressors ça toi."
06:44 "Et repose-toi bien."
06:45 Voilà, on a bien compris que le rap changeait.
06:48 "Après, j'avais une petite question encore."
06:50 "Oui, moi aussi. Et une question qui est même primordiale en fait."
06:53 Est-ce que c'est grave ?
06:55 "Bah, je sais pas."
06:56 Eh bien, disons que la disparition du 3ème couplet en particulier génère pas mal de critiques.
07:01 Pour certains, ce serait révélateur de la fin d'une époque dans le rap.
07:05 Une époque où l'écriture était primordiale.
07:08 Je suis allé partager tout ça avec Mehdi Meizi.
07:13 Et il confirme qu'il n'est pas juste question de morceaux plus courts.
07:16 Le fond change aussi.
07:18 "On pourrait parler de la mort du storytelling aussi."
07:19 "Avant, c'était un passage obligé sur un album de rap."
07:22 "Tous les classiques de rap, ça fait 90, ont un storytelling."
07:24 "Les cols du micro d'argent, Opéra, Puccino, Ready to Die, The Biggie."
07:27 "Il y a toujours un moment où tu racontes l'histoire."
07:29 Dans ce cas de figure, souvent, le 3ème couplet, c'est le dénouement de l'histoire.
07:34 "J'ai du y aller, je suis presque à la plage maintenant."
07:36 "Oh merde, j'ai oublié, je ne devrais pas faire ça."
07:39 "Aujourd'hui, c'est un code qui est parti."
07:44 Malgré tout, tous les spécialistes que j'ai rencontrés restent plutôt positifs.
07:48 "Et c'est pas très grave, quoi."
07:50 Certes, le rap se transforme.
07:52 Certes, il perd un couplet.
07:54 Mais il a gagné plein d'autres choses.
07:55 De nouvelles structures, des mélodies, du chant, et l'empreinte à la pop, à l'électro, etc.
08:01 Bref, faire long n'est pas une fin en soi.
08:03 "Parfois, il y a plus d'émotion dans une onomatopée d'adémo
08:06 que dans un couplet de 32 mesures d'un autre rappeur, en fait."
08:09 Enfin, pour l'anecdote,
08:13 même si Kanye West est souvent en retard pour sortir ses albums,
08:16 il est l'un des artistes qui avait amorcé ce mouvement avec beaucoup d'avance,
08:20 il y a 15 ans déjà.
08:21 "Beaucoup de fois, les gens qui écrivent des choses sur papier
08:24 et qui essayent de les mettre sur un track, ça devient très drôle.
08:27 Les chansons de rap, tu ne veux même plus les écouter jusqu'au troisième vers.
08:30 Je fais tout mon possible pour les garder aussi excités."
08:33 Nous sommes le 16 novembre 2019.
08:49 A l'intérieur de la CORE Arena, 16 000 personnes s'impatientent
08:52 lorsque du plafond descend un homme masqué.
08:56 Le rappeur Valck.
09:00 "Un des rappeurs les plus brillants de la scène française."
09:03 Pour le premier concert de sa vie à la CORE Arena, l'ambiance est folle.
09:10 Voici Mehdi Guebry, le manager de Valck.
09:16 Pour lui aussi, ce concert…
09:18 "C'est le frégo !"
09:19 Et puis la fête a pris une autre tournure.
09:22 "Ensuite, quand on a demandé de l'arrêter des comptes,
09:25 on se découvre qu'on s'est bien mis dedans quand même.
09:27 On est en déficit de quasiment un demi-million.
09:31 C'est énormément d'argent."
09:36 Certes, et pour perdre autant d'argent, on pourrait croire que Mehdi a fait n'importe quoi.
09:40 Mais pas du tout. En fait, il est loin d'être le seul à avoir perdu énormément d'argent ici.
09:46 "Il y a des artistes qui se brûlent les ailes en allant à la CORE Hotel Arena."
09:49 Pourtant, les rappeurs sont de plus en plus nombreux à s'y précipiter.
09:52 "Depuis 2015, la programmation rap a été multipliée quasiment par quatre."
09:56 Alors pourquoi ?
09:57 Pourquoi tant d'artistes se ruinent à la CORE Arena ?
10:00 Et pourquoi ils continuent de le faire ?
10:13 Ça, c'est Paris. Tour Eiffel, musée, CORE Arena.
10:16 Qui s'est aussi appelé Persi.
10:18 Puis, CORE Hotel Arena.
10:20 Mais maintenant, c'est CORE Arena. Voilà.
10:22 À sa construction, c'est la plus grande salle française.
10:25 "Eh bien oui, je suis heureux."
10:27 Elle doit alors accueillir du sport.
10:29 "Les forces de la salle sont faites assez compactes.
10:36 Ça vous a l'impression que vous pouvez toucher le spectateur qui est là à 15 mètres."
10:42 "Alors là, on est dans la charpente."
10:44 "Et ça permet de faire quoi ?"
10:45 "D'accrocher tout le matériel des productions.
10:47 On peut accrocher plus de 130 tonnes de matériel au-dessus de la scène."
10:49 Tout ça a donc aussi attiré des artistes.
10:52 Et permis de grands shows.
10:54 Et Nicolas Dupeu, qui dirige aujourd'hui la salle, est très fier de ce lieu.
11:05 "Mythique, mythique, mythique, iconique, mythique et iconique."
11:08 Et il n'est pas le seul.
11:10 S'il y a bien un milieu où cette salle est aussi considérée comme mythique,
11:13 c'est le rap.
11:14 C'est la salle la plus citée dans les textes, devant les Zéniths et l'Olympia.
11:19 "Pendant longtemps, c'était un truc de... un fantasme, tu vois, de faire Bercy."
11:29 Mais pendant longtemps, sauf exception, ça reste juste un fantasme.
11:32 "C'est une salle qui n'était pas vraiment accessible aux rappeurs,
11:34 parce que les rappeurs, soit ne fédéraient pas assez,
11:37 soit on leur ouvrait les portes plus difficilement."
11:39 "Ouais, ouais, ouais, Parisien, Parisienne, Français, Française."
11:42 Tout change dans les années 2010.
11:44 Le rap est en tête des ventes.
11:46 Des artistes de grand public, comme la section d'assaut ou Soprano,
11:49 franchissent le pas.
11:50 Et depuis, les vannes sont ouvertes.
11:52 "Il y a une explosion, on doit être aux alentours de 30-40% de la programmation autour du rap."
11:57 Une très belle histoire, donc.
12:02 Mais n'oublions pas le sujet.
12:03 "C'est énormément d'argent."
12:07 Si on tape 3771350 sur une calculatrice et qu'on la retourne, ça fait Oseille.
12:13 "Et ça tombe super bien, parce que c'est de ça dont on va parler."
12:16 Ce que coûte et ce que rapporte un concert à l'accord Arena.
12:20 Commençons justement par ce que ça rapporte.
12:22 Ça va aller vite.
12:23 "On s'adresse à un public qui est relativement jeune
12:26 et qui n'a pas un pouvoir d'achat illimité."
12:28 "Le prix médian des places doit tourner aux alentours de 45 euros."
12:32 45 fois 16 000 places, environ 700 000 euros.
12:36 Maintenant, passons au coût.
12:38 C'est là que ça se gâte.
12:39 Louer la salle, c'est entre 50 et 70 000 euros par soir.
12:43 Ce à quoi il faut ajouter les décors, le matériel, la promo,
12:46 les dizaines, voire centaines de personnes à rémunérer, etc.
12:49 Bref, faire en sorte que tout ça ait un coût inférieur à ça, c'est compliqué.
12:54 Sauf peut-être pour...
12:56 "Viennais, hein !
12:57 Ceux qui viennent avec une guitare et un tabouret,
13:01 honnêtement, en tout cas dans le rap ou l'urbain,
13:03 pour nous c'est un peu plus délicat."
13:04 C'est plus délicat car ces derniers temps, dans le rap,
13:07 la facture a tendance à grimper.
13:09 C'est ce que m'explique Eric Bellamy,
13:12 qui organise des concerts de rap depuis plus de 20 ans.
13:14 "Le public maintenant qui commence à avoir vu de plus en plus de concerts de rap dans cette salle
13:18 va comparer le show de l'un à l'autre.
13:20 Donc il va falloir essayer de surprendre,
13:21 de plus en plus investir sur la scénographie, sur des effets,
13:24 des choses comme ça, pour tirer son épingle du jeu."
13:26 Par exemple, PNL et ses ponts suspendus entre plusieurs scènes pleines d'écrans géants.
13:30 Ou Leylo, ses décors en feu et sa pluie de fleurs.
13:34 Quant à Valde...
13:36 "On a tout mis.
13:37 Portes-avions, toutes les lumières possibles et inimaginables,
13:39 pyrotechnie, CO2, boule à facettes, confettis, pyrodactyles, dinosaures,
13:43 écrans immenses, antennes paraboliques, canons, énormément d'acteurs."
13:47 Ce qui fait un total.
13:49 "Il y a eu un autre problème, le prosénium était à 12 mètres de haut
13:52 et Valde a le vertige.
13:54 Il s'est rendu compte qu'il ne pouvait pas.
13:56 Il a fallu couper.
13:57 Ça nous a coûté 20 000 euros."
14:00 Ok, ce qui nous fait donc un total de...
14:02 1,2 million d'euros.
14:04 1,2 million de dépenses, moins 700 000 de recettes.
14:09 Et bien...
14:10 Alors dans ce cas de figure, la seule manière de s'en sortir,
14:14 ça peut être de répliquer le concert.
14:16 Et donc, de multiplier les entrées.
14:18 Sans trop faire grimper les coûts.
14:20 Par exemple, les artistes internationaux, qui rejouent ailleurs.
14:25 Ou bien les très gros artistes français.
14:28 Ceux qui peuvent remplir l'accord Arena plusieurs soirs d'affilée.
14:31 Mais pour les autres, ceux qui font ce qu'on appelle un "one shot",
14:35 il est beaucoup plus probable de perdre des sous.
14:37 Depuis, Mehdi et Valde se sont séparés.
14:41 Mehdi cherche désormais à faire carrière dans la confection de dinosaures pour le cinéma.
14:46 Bon, ok, j'arrête, c'est nul.
14:47 "Si on devait le refaire, peut-être qu'on ferait encore plus,
14:50 on perdrait encore plus d'argent."
14:51 Bon, depuis le début, on parle de perdre de l'argent ici.
14:54 Mais la vérité, c'est que cet argent, il n'est pas vraiment perdu.
14:57 Parce que Mehdi et tous les autres savent qu'en dépensant ici,
15:00 ils pourront gagner beaucoup plus ensuite.
15:02 "Concert exceptionnel à l'accord Arena de Paris."
15:05 "Milliers de personnes."
15:06 "Un show incroyable."
15:07 "Concert XXL."
15:08 "Paris, la concentration de tous les médias, et ça résonne partout."
15:11 "C'est un énorme casque que tu coches, en fait tu prends une autre dimension."
15:13 "Ca va être un investissement d'images."
15:15 L'accord Arena, ça place un gros projecteur médiatique sur l'artiste.
15:18 Et ça peut se traduire dans son portefeuille d'au moins trois manières.
15:22 1. Ca peut relancer les streams.
15:25 2. Ca attire des spectateurs dans les concerts suivants.
15:29 Et 3. Ca permet surtout d'ouvrir les portes de salles.
15:33 Les festivals.
15:35 Enfin, celui-là, peut-être pas. Je sais pas. En tout cas...
15:43 "Passer en festival, c'est là vraiment que tu rentabilises et que tu prends beaucoup d'argent."
15:47 Pourquoi ? Eh bien car en festival, pour l'artiste, une grande partie des coûts disparaissent.
15:51 Pas de promos à faire, pas de techniciens à payer, pas de matériel à transporter.
15:55 C'est le festival qui s'en occupe.
15:57 "Tu peux gagner 20 000, 25 000 euros de marge, alors qu'en salle, c'est pas toujours évident de gagner autant d'argent."
16:02 Et alors, passer en festival après un concert complet à l'accord Arena, ça change tout.
16:06 "Ca veut dire que tu ramènes du monde, et donc ça veut dire que tu vas permettre au festival de vendre des billets."
16:11 "Ton prix, il peut passer du simple au double."
16:13 "Tu vas en festival avec un setup beaucoup moins impressionnant, et là tu prends des cachets de super stars."
16:20 Bon, malheureusement, dans le cas de Vald, ça s'est moyennement vérifié.
16:23 Peu de temps après son concert à l'accord Arena, est arrivé le Covid.
16:28 Et donc, plus aucun festival.
16:31 Donc là, vous n'avez toujours pas amorti ce concert de 2019 ?
16:34 "Non, il sera amorti cette année."
16:36 Pas forcément pour très longtemps.
16:38 En novembre 2022, Vald prévoit un nouveau concert à l'accord Arena.
16:45 À l'accord Arena.
16:46 "Est-ce que vous avez déjà entendu ce titre ?"
17:03 Bien sûr que oui, sinon il faut vous remettre en question.
17:05 Ils ont un point en commun, qu'on peut repérer quand on entend cette guitare.
17:08 Ce rythme là derrière.
17:14 Ou ce mot.
17:15 Ça veut dire "policier" en Lingala.
17:19 "Tout ça est lié au Congo."
17:22 Et d'ailleurs, Gims, Ninho, Niska, ont tous des parents congolais.
17:27 Et c'est loin d'être les seuls.
17:28 On pourrait aussi citer Damso, Gradur, Kobalade, ou encore...
17:33 tout cela.
17:34 Prenons les albums de rap les plus vendus.
17:40 Sur les dix dernières années.
17:41 Les rappeurs d'origine congolaise sont souvent derrière un quart de ces albums.
17:47 "Ouais, ça fait beaucoup."
17:50 "Et c'est d'autant plus intriguant quand on ajoute cette autre information."
17:53 Les Congolais ne représentent que 0,2% de la population en France.
17:58 "Alors, on ne dispose pas du chiffre exact pour leurs descendants."
18:01 "Mais on peut quand même dire que l'ensemble est ultra minoritaire dans le pays."
18:05 Donc la question c'est...
18:06 Comment expliquer ce poids si important des rappeurs d'origine congolaise ?
18:11 "Alors, avant de commencer, je précise un truc."
18:17 Le Congo, c'est ici et ici.
18:20 L'un a été colonisé par la France, l'autre par la Belgique.
18:24 Deux pays francophones donc, comme d'autres dans la région.
18:28 Et les deux pays sont concernés par notre sujet.
18:33 Côte d'Ivoire, Cameroun, Tanzanie, Kenya, Zambie.
18:36 Je ne peux pas te dire le nombre de personnes qui m'ont contacté de cette région-là qui disent
18:40 "Comment ça se fait que les Congolais dominent la musique chez nous ?"
18:43 "Comment est-ce qu'ils font ?"
18:44 Voilà Bob White.
18:46 Il est Canadien, en effet.
18:48 Et il a passé 15 ans à étudier la musique congolaise.
18:51 Moi aussi, je lui ai demandé
18:53 "Comment ça se fait que les Congolais se sont autant imposés dans la musique ?"
18:56 Et d'après lui, il a fallu beaucoup plus de temps pour se rendre compte.
18:59 "C'est pour des raisons historiques."
19:01 Disons qu'on peut voir ça comme un potager.
19:04 Au départ, il y a un terreau très fertile, ici.
19:07 D'après Bob, on y trouve notamment
19:09 une tradition ancienne de chant et de danse,
19:12 la religion chrétienne qui encourage la pratique musicale,
19:15 le Lingala, une langue mélodique parlée au Congo,
19:18 et puis ça.
19:19 Un rythme présent dans les musiques anciennes de la région.
19:24 Lors de la traite négrière, de nombreux esclaves sont envoyés en Amérique,
19:27 notamment à Cuba.
19:28 Ils participent à la naissance d'une musique,
19:31 où l'on retrouve ce...
19:32 Cette musique, c'est la rumba cubaine.
19:35 Alors, quant au début du XXe siècle,
19:43 des marins apportent des disques de rumba cubaine au Congo.
19:46 "Ça fait comme une sorte de version de la musique de la rumba cubaine."
19:50 "C'est un peu comme un chant de la rumba cubaine."
19:53 "Une sorte de réaction chimique."
19:55 "C'est un peu comme le retour de l'enfant perdu."
19:58 Des musiciens congolais modifient la recette
20:01 et donnent naissance à la rumba congolaise.
20:03 Bon, mais ensuite, pour que la rumba congolaise pousse très haut,
20:15 il a quand même fallu quelques engrais,
20:17 notamment cet homme, un commerçant grec installé au Congo,
20:21 qui enregistre et diffuse les premiers titres de rumba congolaise
20:24 à la fin des années 40.
20:25 La Radio Nationale, qui relève tout ça loin sur le continent,
20:29 et Mobutu, dictateur en RDC,
20:31 qui en fait un élément de gloire et finance des artistes.
20:34 Au final, la rumba congolaise a été un succès
20:37 durant toute la seconde moitié du XXe siècle.
20:39 En 2021, l'UNESCO l'a même inscrite au patrimoine mondial.
20:43 Et les Congolais, forcément, en sont plutôt fiers.
20:46 Ils ne sont pas fiers, là, ils sont hyper fiers.
20:50 Mais alors, comment est-ce que ça...
20:52 nous amène à ça ?
20:57 Comment est-ce que la diaspora congolaise a-t-elle réussi
21:13 à réinvestir sa culture musicale dans le rap français ?
21:16 Utilisons encore une métaphore.
21:18 Imaginons que le succès de ces rappeurs d'origine congolaise
21:21 soit une chanson.
21:22 Comme toutes les chansons,
21:24 elle est composée de plusieurs pistes distinctes
21:26 qui font que la chanson fonctionne.
21:28 Pour bien analyser chacune de ces pistes,
21:30 on a demandé de l'aide à deux anthropologues,
21:32 Anakou Omo et Lora Shtayl,
21:34 ainsi qu'au beatmaker Danny Sinté,
21:36 qui a notamment composé ça,
21:38 ça,
21:42 ou ça.
21:45 Et avec eux, on a réussi à isoler quatre éléments
21:48 derrière le succès des rappeurs d'origine congolaise.
21:51 Un, pas hyper étonnant,
21:53 la culture musicale congolaise se transmet entre générations.
21:56 La musique, elle incarne un art de vivre.
21:58 Elle est omniprésente.
21:59 Il y a un truc indéniable, c'est que quand j'allais chez mes amis plus jeunes,
22:02 il y avait moins de musique chez eux que chez moi.
22:03 Plusieurs rappeurs ont même pour parents des musiciens renommés,
22:06 comme Gims, Youssoupha ou Ninho.
22:09 Deux, la religion.
22:13 Congo et RDC sont deux pays très majoritairement chrétiens,
22:17 beaucoup plus que d'autres pays d'Afrique francophone.
22:20 Et en Europe, les églises sont toujours des lieux importants
22:23 de rassemblement pour la diaspora.
22:25 L'église, c'est une école de musique.
22:27 Il y a des représentations tous les dimanches, et donc il faut jouer.
22:30 Mon père, il est pasteur et je jouais à l'église le dimanche.
22:32 Et il y en a plein, ouais, qu'on baignait dedans,
22:33 soit dans les chorales, soit à la guitare, soit au piano.
22:35 Trois, le travail de pionniers, comme le groupe Bissonna Bisso,
22:39 mené notamment par des rappeurs franco-congolais.
22:41 À la fin des années 90, ils introduisent dans le rap
22:44 de nouvelles sonorités, de nouvelles références culturelles.
22:47 Et ça cartonne.
22:48 100% Congo, Weston, Croco, Bisso, Bisso, Bissonna Bisso, Bisso.
22:52 Avec eux commence un changement de regard sur l'Afrique,
22:55 sur aussi la musique de leurs parents.
22:57 Tout d'un coup, ça va devenir cool.
22:59 J'avais 9 ans à ce moment-là, c'était le truc le plus marquant.
23:02 Après ça, des générations d'artistes ont beaucoup plus fait appel
23:06 à la culture africaine dans leur musique.
23:08 Quand t'écoutes les sons de Niska, souvent derrière t'entends des
23:10 "bendo de bendo", oui, allez dehors !
23:12 Et ça, c'est des trucs qui sont typiquement congolais.
23:15 Une pratique héritée des Atalakou, ces animateurs qui arrangent la foule
23:18 à côté du DJ ou de l'orchestre.
23:20 Enfin, quatrième point, le rôle de l'image.
23:29 La musique congolaise, ce n'est pas que de la musique.
23:32 C'est un spectacle qu'on regarde, notamment pour ses danses.
23:35 Des fois, je faisais ça barbant, je préférais avoir les dessins animés,
23:37 mais t'avais Kofi Kolomide qui était là devant toi en mode
23:39 "Allez, essaye de danser pareil !"
23:41 Alors, à la fin des années 2000, quand YouTube, Facebook, Instagram ou TikTok
23:46 s'imposent et mettent en valeur l'image...
23:48 La jeunesse d'origine congolaise a un temps d'avance dans le sens
23:51 qu'il y a une culture de la musique en images à travers la danse,
23:55 la chorégraphie, mais aussi à travers l'habillement.
23:57 Alors, chaque artiste a évidemment son propre parcours,
24:04 mais ces quatre pistes expliquent au moins en partie
24:07 pourquoi la culture congolaise s'est si bien mariée au rap français.
24:11 Et désormais, c'est même la bonne santé du rap
24:14 qui donne une nouvelle visibilité aux stars de la rumba congolaise.
24:19 Avant il m'appelait le fils de Tabouleh
24:21 Maintenant pour appeler Tabouleh il dise le père de Youssoupha
24:24 [Musique]
24:28 [Musique]
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24:32 [SILENCE]

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