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00:00 Le football peut-il être un vecteur de contestation politique ?
00:02 Une équipe brésilienne des années 1980 s'est opposée à la dictature en adoptant un modèle
00:07 interne aux antipodes du régime.
00:09 On l'appelait la démocratie corinthienne.
00:10 En 1964, le maréchal Branco prend le pouvoir au Brésil et instaure une dictature militaire.
00:17 Cela entraîne des milliers d'arrestations, d'exil et environ 400 morts.
00:20 Un chiffre qui ne prend probablement pas en compte les victimes autochtones.
00:23 Sauf qu'à la fin des années 70, face à des difficultés économiques, la dictature
00:28 s'assouplit.
00:29 Et l'année 1979 est passée une loi d'amnistie qui amnistie non seulement les personnes qui
00:34 ont commis des crimes mais aussi les dissidents puisque évidemment dans une dictature, les
00:40 personnes qui font la promotion de la démocratie s'opposent à la dictature sont considérées
00:44 comme d'ailleurs la loi.
00:45 Donc eux aussi sont amnistiés.
00:47 C'est dans ce contexte que le sport club Corinthians organise des élections pour
00:51 un nouveau président du club en 1981.
00:53 L'homme d'affaires Valdemar Pires l'emporte.
00:55 Il désigne comme directeur sportif Adilson Montero Alves, un sociologue qui a été emprisonné
00:59 pour dissidence.
01:00 Très vite, ces deux personnes décident de changer l'organisation du club.
01:04 Ils créent, et c'est bien eux qui créent, contrairement à ce qu'on dit souvent, ce
01:07 ne sont pas les joueurs qui créent l'autogestion, ils créent un modèle où toutes les personnes
01:11 du club, et ça va du président jusqu'au jardinier, ont une voix et peuvent décider
01:20 comme les autres en fait.
01:21 La voix du président n'est plus prépondérante.
01:23 Une bonne partie des décisions sont donc prises collectivement.
01:25 C'est le cas pour la désignation de l'entraîneur Ze Maria, mais aussi pour les séances d'entraînement
01:29 ou les repas.
01:30 Les recettes du club sont également distribuées à tous les salariés.
01:33 Cette organisation en autogestion est couronnée de succès.
01:35 Deux titres de champion de l'état de Sao Paulo en 1982 et 1983.
01:39 Lors des matchs, les joueurs expriment leur attachement à la démocratie au travers de
01:43 plusieurs actions.
01:44 Leur maillot pouvait être floqué "Democracia Corintiana", mais aussi encouragé au vote,
01:48 comme lors des élections des gouverneurs le 15 novembre 1982 pour permettre la montée
01:52 de l'opposition.
01:53 Lors de la finale de 1983, ils entrent sur le terrain avec une banderole "Gagner ou perdre,
01:57 mais toujours en démocratie".
01:58 La médiatisation du mouvement, c'est en partie faite par des joueurs stars.
02:02 Le mouvement de la démocratie corintienne est un peu paradoxalement marqué par l'émergence
02:06 ou l'utilisation de figures médiatiques.
02:08 Pourquoi paradoxalement ? C'est un mouvement qui dit "tout le monde est égal, tout le
02:13 monde a un droit de vote, mais dans les médias, il y a des personnalités qui se mettent à
02:18 incarner le mouvement".
02:20 Parmi elles, l'attaquant Walter Casagrande et le latéral gauche Vladimir, mais celui
02:24 qui crève le plus l'écran est sans conteste Socrates.
02:26 C'est le joueur phare du pays, pour dire simple.
02:29 C'est un peu le Zidane brésilien de son époque, le joueur qui met tout le monde d'accord.
02:33 Celui que l'on surnomme le docteur, en raison de son diplôme de médecine, est le capitaine
02:37 de la sélection du Brésil.
02:38 Sa grâce sur le terrain, sa popularité et son côté intellectuel font de lui un parfait
02:42 représentant de l'équipe et de son organisation.
02:44 Socrates n'hésite pas non plus à se montrer en dehors du terrain.
02:47 Il prend notamment la parole lors d'un rassemblement de Direttas Já, un mouvement qui réclame
02:51 des élections présidentielles directes.
02:52 Il lie son destin footballistique à celui de la politique brésilienne.
02:55 "Souhaitez-moi une victoire, je ne vais pas partir de notre pays"
03:01 Mais le congrès n'accepte pas les revendications, et la star brésilienne rejoint le club italien
03:04 de la Fiorentina.
03:05 A partir de 1984, la démocratie corinthienne s'essouffle.
03:09 "Leur porte-parole n'est plus là, elle est partie en Europe.
03:12 Les résultats sont moins bons, après deux victoires en championnat paulistes, le club
03:18 ne gagne pas en 1984, il y a une nouvelle élection et les deux figures qui ont initié
03:25 le mouvement ne sont pas élues, elles sont remplacées par d'autres personnes qui d'ailleurs
03:29 font appel au dernier entraîneur de la période avant la démocratie corinthienne, ce qui
03:34 est un peu un geste en partie symbolique."
03:37 Et la transition démocratique paraît assurée, donc le mouvement perd son rôle d'opposant
03:41 au pouvoir.
03:42 La démocratie corinthienne reste marquante par son aspect inédit et rebelle.
03:45 "Effectivement, il faut bien se dire que faire quelque chose en démocratie directe,
03:49 c'est quand même assez rare dans le football, a fortiori dans un pays qui est une dictature
03:53 où au contraire le système est tout ce qu'il y a de plus hiérarchique en termes de politique."
03:59 La mémoire de cet épisode subsiste en partie à travers la figure légendaire de Socrates.
04:03 D'ailleurs, depuis 2022, la cérémonie du Ballon d'or récupère chaque année les
04:07 footballeuses et footballeurs qui se sont engagés dans des projets caritatifs et sociétaux
04:11 en décernant le prix Socrates.
04:13 "C'est la Corinthienne de mon cœur, et je suis cette religion de janvier à janvier.
04:21 Être corinthien c'est aller au-delà de l'être ou de ne pas être le premier.
04:28 Être corinthien c'est aussi être un peu plus brésilien."
04:34 - Marie-Hélène Lepage.
04:39 [Bruit de tambour]

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