Littérature : à quoi sert la critique ?

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00:00 *7h-9h, les matins d'été, Quentin Laffey*
00:06 Alors que les critiques littéraires préparent déjà la rentrée littéraire, et oui déjà,
00:10 alors qu'ils reçoivent ou ont reçu des centaines de romans à lire, on va s'interroger
00:14 ce matin sur le métier de critique littéraire, sur sa fonction et au-delà, sur la raison
00:19 d'être même de la critique littéraire.
00:21 Pour ce faire, je reçois ce matin trois invités.
00:24 Samuel Baudry, bonjour.
00:25 - Bonjour, merci pour votre invitation.
00:27 - C'est moi qui vous remercie d'être venu depuis Lyon, vous êtes écrivain et maître
00:31 de conférences en littérature britannique des 17ème et 19ème siècles à l'université
00:36 Lumière Lyon 2.
00:37 Vous êtes l'auteur d'un ouvrage qui vient de sortir aux presses universitaires de Lyon
00:41 intitulé « D'où vient la critique littéraire ? ». A vos côtés, Cécile Gilbert, bonjour.
00:45 - Bonjour.
00:46 - Vous êtes écrivain, ancienne critique littéraire, et vous avez fait paraître en 2020 « Roues
00:51 libres » aux éditions Flammarion, un livre qui a reçu le prix de la critique de l'Académie
00:56 française.
00:57 Et enfin, à vos côtés, Gladys Mariva, bonjour.
00:58 - Bonjour.
00:59 - Vous êtes journaliste littéraire pour Le Monde, des livres, le magazine, Lire magazine
01:03 littéraire.
01:04 Merci à tous les trois d'être présents dans les matins d'été de France Culture.
01:08 Et pour commencer, une citation de votre ouvrage Samuel Baudry.
01:12 « La question posée n'est pas pourquoi lire la littérature, mais pourquoi ne pas se contenter
01:16 de la lire ? Pourquoi dans les lycées, dans les universités, dans les journaux, sur Internet,
01:21 ce foisonnant discours, ce travail exigeant, ces conversations enfiévrées ou ces monologues
01:26 anesthésiants en amont et en aval de la lecture même au fond, pourquoi est-ce qu'on ne se
01:31 contente pas de lire ? Pourquoi est-ce qu'on critique ? À quoi sert la critique Samuel
01:35 Baudry ? »
01:36 - On pourrait aussi poser la question différemment.
01:39 À quoi sert la littérature ? La littérature sert précisément à nous fournir un peu
01:44 de quoi discuter, un peu de quoi critiquer.
01:47 Alors sous une forme conversationnelle, c'est par ça qu'on commence et c'est ça qu'on
01:52 apprécie de faire et puis sur des formes un peu plus sophistiquées, universitaires.
01:59 Il semble que dès le départ, dès les premiers textes écrits, la critique était déjà
02:10 là, le discours second, le discours autour de la littérature était déjà là.
02:13 Donc il y a là une nécessité presque impérieuse de devoir parler de ce qu'on a lu.
02:18 - Dès qu'il y a eu la littérature, il y a eu de la critique pour l'entourer, pour
02:21 l'accompagner, pour l'encercler même parfois Samuel Baudry ?
02:24 - En tout cas, si on se penche sur les tout premiers poèmes publiés, les manuscrits
02:34 retrouvés, les tout premiers textes qu'on a retrouvés étaient des commentaires de
02:40 poèmes.
02:41 Alors on avait là une fonction qui était un peu différente de la nôtre.
02:45 C'était une tentative de retrouver le sens religieux, caché, mystérieux des poèmes
02:52 d'Héraclite ou d'Homère.
02:54 Mais en tout cas, les premiers papyrus qu'on a retrouvés en Grèce sont des commentaires
03:01 de poèmes qui expliquent le poème.
03:02 - Et la critique a aussi beaucoup servi dès ses débuts à Alexandrie notamment à sélectionner,
03:08 à faire des choix dans les textes qui circulaient.
03:10 - Alors c'est même de là que vient le terme critique.
03:13 C'est une fonction en effet qui était une des toutes premières.
03:18 Donc sélectionner les textes et sélectionner dans les passages, dans les textes, les éléments
03:22 à garder.
03:23 Et c'est de là que vient un peu notre métier de critique où nous sélectionnons nous-mêmes.
03:27 Alors certains sélectionnent pour des lecteurs sur la plage, d'autres sélectionnent pour
03:32 leurs étudiants, c'est mon cas.
03:33 Et à l'intérieur de ces textes, on sélectionne et on choisit un peu, en tout cas quand on
03:38 est universitaire, on choisit un peu, on propose des lectures, des sens à ses étudiants.
03:43 - Sélectionner, Cécile Gilbert, est-ce que c'est selon vous la fonction première, originelle
03:47 même de la critique littéraire ? Et même si je vais plus loin, sélectionner selon
03:51 quoi ? Selon quels critères ? Est-ce qu'on sélectionne selon ses goûts ? Est-ce qu'on
03:56 sélectionne selon ses analyses ? Est-ce que l'on sélectionne selon même ses compétences
03:59 ?
04:00 - Je pense que le rôle de la critique littéraire aujourd'hui, c'est vraiment d'être un passeur
04:05 de littérature.
04:06 Ce n'est pas du tout d'exercer une fonction de surplomb d'arrogance.
04:12 C'est cheminer, c'est ça le sens de critique pour moi au sens kantien, c'est-à-dire cheminer
04:19 dans la pensée à propos d'objets, de livres, de productions littéraires.
04:24 Mais je dirais qu'aujourd'hui, j'ai l'impression de vivre dans un monde un peu spectral parce
04:30 qu'en fait, pour moi, la critique n'en a presque plus, elle est moribonde.
04:33 Et la littérature aussi.
04:35 Alors vous me direz, mais oui, mais il y a cette surproduction éditoriale.
04:38 Mais justement, parce qu'il y a cette surproduction éditoriale, on peut se demander qui va la
04:42 lire ? Dans quelles proportions ? Qu'est-ce qu'on va en dire ? Qui va en parler ? Etc.
04:50 Donc je pense qu'aujourd'hui, la critique littéraire a surtout un rôle de tri dans
04:54 cette surproduction éditoriale qui est quand même assez phénoménale parce que les lecteurs
04:57 et les lectrices ne s'y retrouvent plus.
05:01 Quand vous arrivez dans une librairie, vous avez des flux tendus de livres.
05:04 Donc il faut avoir une fonction.
05:06 Mais la question, c'est dans quel espace s'exerce cette critique ? C'est-à-dire que
05:12 tout discours métalittéraire, paralittéraire sur la littérature n'est pas forcément
05:16 de la critique.
05:17 Voilà donc c'est ça le cœur du débat, à mon avis.
05:19 - Mais alors justement, entrons pleinement dans ce débat.
05:22 Si tout discours métalittéraire, paralittéraire n'est pas de la critique, qu'est-ce qui définit
05:28 dans son fond le plus profond ? Cécile Gilbert, qu'est-ce qui définit la critique même ? Qu'est-ce
05:33 qui fait qu'on peut différencier un discours sur la littérature, un commentaire, un goût
05:38 exprimé sur la littérature d'une véritable critique littéraire ?
05:42 - Une véritable critique littéraire, elle suppose qu'on soit capable de situer un objet
05:47 littéraire dans l'histoire de cet art qui est la littérature.
05:50 C'est ce qui permet d'évaluer son originalité, en quoi elle est novatrice ou pas, en quoi
05:59 elle est banale ou pas.
06:00 Ça prend en compte des tas de facteurs, des facteurs stylistiques, des facteurs de langue,
06:05 des facteurs… Et ça permet aussi, je pense qu'il faut une grande empathie aussi par
06:09 rapport à l'œuvre des écrivains, parce qu'en fait quand on fait de la critique
06:12 littéraire, il faut pouvoir situer aussi la production, le nouveau livre d'un auteur
06:16 dans son œuvre.
06:17 Enfin vous voyez, ça demande du recul.
06:18 En fait, bon, je pense qu'on ne peut pas définir a priori les critères, mais en fonction
06:26 de la subjectivité des critiques, évidemment, qu'on connaît et qui s'exprime, on peut
06:30 avoir plus ou moins d'acquaintances ou faire plus ou moins confiance à un critique qui
06:35 lui ne pourra pas faire abstraction de sa subjectivité.
06:38 Mais d'un autre côté, la critique n'est pas seulement un jugement de goût.
06:41 Ça n'est pas de dire seulement « j'aime ce livre » ou « je n'aime pas ce livre ».
06:44 Et moi, j'ai l'impression qu'aujourd'hui, il y a beaucoup de discours qu'on entend
06:47 sur la littérature où il y a une sorte de désinvolture par rapport au livre qui consiste
06:51 à dire « moi, ça ne m'a pas parlé, je ne suis pas entré dedans, je trouve ça
06:55 ennuyeux ». Vous voyez, on n'est pas là pour exprimer son ressenti, comme on dit
07:00 aujourd'hui.
07:01 Est-ce que vous êtes d'accord, Gladys Mariva, avec ce qui vient d'être dit ? Vous êtes-vous
07:05 critique littéraire ? Est-ce que la critique aujourd'hui se confond ou se confondrait
07:11 trop souvent avec le jugement de goût ?
07:13 Certainement, parfois, mais en tout cas, quand on travaille, on essaye d'éviter ça.
07:21 Je pense qu'effectivement, ce qui a été dit est assez juste, il s'agit de faire
07:25 un tri, il s'agit de situer une œuvre dans l'œuvre de l'écrivain, donc un texte
07:30 par rapport à tout ce qu'il a produit, par rapport à ce qui est produit en même
07:34 temps, par rapport à ce qui a été produit avant.
07:36 Moi, j'aime bien cette définition de la critique littéraire qui avait été énoncée
07:41 une fois par Sophie Divry, écrivaine et romancière, au Salon du Livre de Paris où je me promenais.
07:47 Elle avait dit « moi, ce que j'attends d'une critique, c'est qu'on me dise
07:51 ce que j'ai fait, comment je l'ai fait et est-ce que ça fonctionne ou pas ».
07:55 Je trouve que c'est vraiment une très bonne manière d'aborder un texte.
07:58 Qu'est-ce qu'il fait ? Qu'est-ce qu'il fait à ce moment-là ? Qu'est-ce qu'il
08:01 fait par rapport au reste de l'œuvre de l'écrivain ? Qu'est-ce qu'il fait
08:03 par rapport à ce qui se passe dans le monde aussi, pourquoi pas ? Comment il le fait ?
08:07 Est-ce qu'il permet de parler de style ? Est-ce qu'il permet de parler de dispositif
08:11 littéraire ? Et puis, est-ce que ça fonctionne ou pas ? Là, il s'agit aussi de parler
08:15 des attentes du lecteur, de tromperie peut-être, de justesse.
08:18 Tout ça entraîne en général l'écriture d'un texte assez satisfaisant pour moi.
08:23 Est-ce que ça résonne en vous et avec votre travail, ce que vient de dire Cécile Gilbert,
08:27 la fonction première du critique littéraire ? C'est aussi d'être un passeur, d'être
08:33 au fond un intermédiaire entre le texte et le lecteur.
08:36 Bien entendu.
08:37 Je pense que de toute façon, depuis le départ, on parle d'une conversation.
08:40 Dès qu'on écrit un texte, pour un écrivain, il y a une volonté de vouloir avoir un texte.
08:45 Il faut avoir un écho de ce qu'on a fait, d'engager une conversation avec un lecteur,
08:48 avec des lecteurs parmi lesquels les critiques.
08:50 Donc bien sûr, il s'agit de passer de la littérature.
08:55 Le critique est un des passeurs de littérature.
08:57 Il y a bien sûr les traducteurs, les éditeurs, les libraires, les gens qui animent les festivals,
09:03 qui les créent.
09:04 Et toutes ces personnes-là sont entièrement dédiées aux livres.
09:09 Samuel Baudry.
09:10 Oui, alors j'aimerais réagir à deux choses qui ont été dites.
09:13 D'abord, c'est intéressant parce que la crainte du surplus de livres, elle a nécessité
09:20 l'importance du critique comme sélectionneur pour garder et proposer les bons livres ou
09:27 trouver, adresser à chaque lecteur son bon livre.
09:30 C'est une crainte qui a déjà existé plusieurs fois, qui a déjà apparu plusieurs fois dans
09:35 l'histoire et en particulier au 18e siècle lors du développement incroyable des livres
09:41 publiés.
09:42 Et c'est là où apparaissent les premières revues avec les premiers critiques littéraires
09:47 au sens où on en parle aujourd'hui.
09:50 Des gens qui lisent les livres et qui les choisissent et qui les adressent aux lecteurs
09:55 et qui tentent de passer les bons livres aux bons lecteurs.
09:59 Avec également cette crainte qu'il y a trop de livres.
10:02 On publie beaucoup trop et beaucoup de choses mauvaises.
10:06 Pour bien comprendre ce que vous dites, Samuel Baudry, vous n'êtes pas d'accord avec
10:09 cette idée que la surproduction littéraire, la surproduction de romans tendrait à diluer
10:14 la fonction de critique littéraire ?
10:16 En tout cas, on observe à plusieurs fois dans l'histoire de la publication et de la critique
10:24 des moments où il se publie beaucoup de livres et il se publie beaucoup de critiques qui
10:28 disent "attention il y a trop de livres et on a besoin de nous pour sélectionner les
10:34 livres".
10:35 La seconde chose sur laquelle je voulais réagir, c'est cette importance.
10:42 Pour moi, il n'y a pas de véritable critique littéraire.
10:45 Il y a toutes sortes de manières d'entrer en contact avec le texte.
10:49 Mais ce qui réunit toutes ces manières d'être, c'est qu'il y a à chaque fois une sorte
10:52 de triangle, de conversation entre le lecteur, le critique et le livre.
10:58 Et le critique, par différents procédés, sous différentes formes, relie ces choses
11:04 entre elles.
11:05 Et ce n'est pas toujours de la même manière, ce n'est pas toujours avec la même fonction,
11:07 mais il y a toujours ce dialogue.
11:09 Le critique n'écrit pas seulement pour lui, mais il écrit pour un lecteur potentiel et
11:12 il lui tente de lui adresser ce livre, mais sous des modalités différentes.
11:16 Cécile Liber, une réaction, je vous ai vu sourire, même rigoler lorsque Samuel Baudry
11:21 expliquait que la surproduction littéraire engendrait nécessairement dans l'histoire
11:26 des réactions de critique.
11:27 Oui, parce que c'est vrai qu'il a tout à fait raison.
11:30 C'est vrai que la critique se développe énormément au 18e siècle à cause d'une
11:35 démultiplication des écrivains et des productions.
11:38 Mais enfin, on ne peut pas comparer avec un système éditorial qui est devenu absolument
11:45 fou, où vous avez à chaque rentrée littéraire 300 livres.
11:48 Et quand on vous dit « ah oui, mais il y en a un peu moins cette année, mais bon,
11:51 il y en a peut-être 20 de moins », vous voyez ce que je veux dire.
11:53 C'est-à-dire que l'introduction du capital dans la production éditoriale a créé une
12:01 véritable industrie.
12:02 Et quand vous savez qu'il y a des auteurs qui sont mornés avant même que la rentrée
12:06 littéraire ait commencé et que les éditeurs en parlent avec un cynisme absolument ahurissant,
12:11 vous vous posez des questions.
12:12 On n'est plus au 18e siècle.
12:14 Dany Smariv, une réaction.
12:16 Et au-delà, est-ce que selon vous, il existe tout de même encore quelques espaces pour
12:19 faire vivre cette critique littéraire ?
12:21 C'était une autre critique de la critique émise par Cécile Gilbert.
12:24 Il n'en existerait presque plus.
12:26 Sur la surproduction éditoriale, c'est vrai qu'on ne peut que la constater de toute
12:32 façon puisqu'on a 500 ou 600 livres à chaque rentrée.
12:36 J'ai une collègue qui prend la peine de compter chaque livre qu'elle reçoit.
12:40 Elle en reçoit 2000 par an.
12:41 Il faut s'imaginer avec 2000 livres par an dans un petit appartement en train d'essayer
12:46 de trouver le Graal.
12:47 Ce n'est pas évident.
12:49 J'ai tendance à dire que ça m'oblige et ça édise mon sens critique.
12:55 Finalement, ça me stimule assez.
12:58 Et puis, je ne peux rien contre ça.
13:00 Je ne peux rien contre le capitalisme dans l'édition.
13:02 Je me concentre sur mon métier.
13:05 Ça me le rend encore plus précieux.
13:07 Et pour ce qui est de l'espace, effectivement, depuis que j'ai commencé à travailler en
13:12 2008, j'ai vu énormément de pages se réduire comme peau de chagrin dans différents magazines
13:18 et journaux.
13:19 J'ai vu des émissions de télé où j'avais avant des chroniques de 15 minutes réduites
13:24 à 8 minutes, puis à 2, puis disparaître, être remplacée par des rediffusions.
13:28 Et je trouve que malgré tout, il y a toujours de l'espace.
13:33 Et c'est quelque chose quand même à souligner.
13:35 Où est-ce qu'il se trouve ces espaces concrètement ?
13:37 Il y a de toute façon toujours des magazines.
13:39 Il y a eu la création de podcasts.
13:41 Il y a eu la création au début des années 2010 de ce qu'on appelait les MOOC, les
13:45 magazines littéraires, qui étaient sous la forme de bouquins.
13:49 C'était la contraction entre magazine et MOOC.
13:51 Là aussi, par exemple, une revue comme Alibi qui était consacrée au polar.
13:56 Elle nous laissait énormément de place.
13:57 Il y a eu la revue Trois couleurs des cinémas MK2 où on a pu aussi faire de très, très
14:02 beaux articles.
14:03 Je trouve que malgré tout, ça se renouvelle.
14:05 Il y a toujours de jeunes gens qui arrivent et qui sont passionnés et qui créent des
14:07 choses.
14:08 Et donc, c'est plutôt bon signe malgré tout.
14:11 - Cécile Guibert ?
14:12 - Oui, je pense que cette question est vraiment fondamentale.
14:14 Elle est au cœur de ce qu'on pourrait appeler la critique et sa possibilité, les conditions
14:21 de possibilité de la critique.
14:22 En fait, la critique suppose du temps et le temps se traduit dans la presse écrite en
14:27 espace et à la radio en temps de parole.
14:30 Et en fait, comme on ne vit plus vraiment dans un monde commun où les médias traditionnels
14:36 qui permettaient de faire de la critique, que ce soit la presse écrite ou les revues
14:39 qui avaient un grand rôle en termes de critique, n'existent plus sous leur forme ancienne
14:44 et qu'elles ont migré dans certains cas sur Internet ou en ligne.
14:48 C'est vrai qu'il y a des revues en ligne où il y a encore des espaces critiques absolument
14:53 fabuleux.
14:54 Mais dans le reste de la presse, c'est vrai que...
14:59 - J'attendais ce mai.
15:00 - Oui, ça se réduit.
15:01 Et en plus, on vit dans un monde où on a tendance à avoir fonctionné selon des systèmes
15:08 d'évaluation assez rapide.
15:09 Au même titre qu'on note une table de restaurant ou un chauffeur de taxi, on donne des étoiles
15:17 à un film, à un livre.
15:19 Et dans la presse écrite, il y a quand même beaucoup moins de place qu'avant.
15:22 - Samuel Baudry, est-ce que dans le temps long de l'histoire, cette réduction des
15:28 espaces dédiés à la critique littéraire, est-ce qu'il est objectivable ? Est-ce qu'il
15:32 est objectifé parce que c'est vrai que c'est un ressenti, quelque chose qu'on lit et qu'on
15:36 entend beaucoup ? Est-ce que c'est vrai, tout simplement ?
15:38 - Objectivable, on peut regarder là où se produisait la critique depuis les origines.
15:46 Donc les espaces, les objets dans lesquels on a la possibilité d'exprimer un commentaire
15:52 sur un livre.
15:53 Alors, elle ne se réduit pas, cette place, mais elle change, elle se transforme.
15:59 Il y a un moment, c'était dans les marges des manuscrits.
16:02 On notait à côté du manuscrit ce qu'on en pensait, comment il fallait le lire.
16:07 Et puis, ce fut des salons, des académies dans lesquelles on parlait, on discutait des
16:13 livres.
16:14 Et puis ensuite, la création de revues, donc on pouvait commenter des livres, des essais
16:18 périodiques.
16:19 Au 19e siècle, des salles de classe dans lesquelles on pouvait commenter des livres,
16:25 des revues, des magazines de plus en plus universitaires et scientifiques.
16:29 Et peut-être que ceux-ci sont en train de changer ou de s'essouffler ces formes, mais
16:36 de nouvelles formes apparaissent.
16:38 On en a dit ici deux, trois choses sur les blogs, sur Internet.
16:46 Alors, on pourra peut-être en parler plus longuement.
16:50 On reviendra évidemment en deuxième partie sur l'impact d'Internet sur la critique
16:54 littéraire.
16:55 Mais c'est à voir comme une transformation des espaces, une modification.
17:01 Moi, je m'observe simplement, mon rôle est d'observer et pas de juger si la critique
17:07 a plus de place ou moins de place.
17:08 Ce que j'observe, c'est qu'elle change de place, elle change d'objet.
17:11 - Cécile Guibert, vous avez dit à l'équipe des Matins de France Culture en préparant
17:14 cette émission que la critique littéraire devait toujours être justifiée.
17:18 Qu'est-ce que vous avez voulu dire par là ? Qu'est-ce que ça veut dire que la critique
17:21 doit systématiquement être justifiée lorsqu'elle existe ?
17:24 - Je n'en ai pas la moindre idée, je ne me souviens absolument pas avoir dit ça à
17:27 l'équipe des Matins de France Culture.
17:28 - C'est un sujet libre, je vous laisse commenter votre propre citation.
17:32 - Justifiée de quel point de vue ?
17:33 - Je ne sais pas, c'était une expression que vous avez employée et qu'on m'a rappelée.
17:37 Est-ce que la critique doit être justifiée pour exister ? En tout cas, est-ce qu'elle
17:41 doit se fonder nécessairement sur des compétences comme vous le laissiez entendre ?
17:44 - Non, non, non, des compétences.
17:46 En fait, s'il vous plaît, il n'y a pas de position a priori qui permettrait d'être
17:50 un meilleur critique que d'autres.
17:51 Il y a des journalistes, dits journalistes.
17:54 En fait, vous savez, en épigraphe de ce rouleau libre que vous avez cité pour me présenter,
18:02 j'ai mis une phrase de Marx qui est "la critique n'est pas la passion de la tête,
18:05 mais la tête de la passion".
18:06 C'est-à-dire qu'en fait, je pense que toute personne passionnée de littérature
18:11 ou qui en a le goût peut devenir critique.
18:13 Ce n'est pas parce qu'on est universitaire, journaliste, critique, soit disant appointé,
18:17 qu'on est un bon critique.
18:18 Ce n'est pas du tout la question.
18:19 Donc, je ne pense pas qu'il y ait des compétences particulières, sinon d'avoir une certaine
18:24 culture littéraire, précisément, au même titre qu'un critique d'art ou cinématographique.
18:29 On suppose chez lui une certaine culture de l'art dont il va parler, puisqu'il faut
18:34 qu'il mette en perspective et situe des œuvres qui surgissent devant ses yeux ou devant son
18:38 jugement.
18:39 Voilà.
18:40 Vous savez, on dit souvent les critiques, en fait, c'est des gens qui sont...
18:46 On ne les aime pas beaucoup, en fait, ils ont une espèce d'image...
18:48 C'est des auteurs frustrés.
18:49 Voilà, des auteurs frustrés.
18:51 Ils n'ont pas réussi à écrire des livres, donc ils critiquent celles des autres.
18:54 Enfin, ça, c'est un truc qui traîne, c'est une sorte de lieu commun qui traîne dans
18:59 toute l'histoire.
19:00 En fait, je pense que c'est pas du...
19:02 Enfin, dans le meilleur des cas, c'est pas du tout ça.
19:04 Le plus grand critique, un des plus grands critiques littéraires français a été Marcel
19:09 Proust, qui était un gigantesque écrivain.
19:11 Donc, vous voyez, c'est lui-même peut-être qui a inventé aussi une forme moderne de
19:14 la critique avec contre Saint-Demeuble.
19:15 - Gladys Marival, le meilleur critique littéraire, c'est le critique le plus passionné et le
19:21 plus à même de transmettre, de s'appuyer dans sa critique sur la culture littéraire ?
19:26 - Oui, je pense qu'il y a effectivement la transmission de la passion, de la connaissance.
19:31 Et puis, il y a la belle écriture aussi.
19:34 Je trouve qu'un bon critique, c'est quelqu'un qui écrit bien.
19:37 C'est pas forcément évident et c'est quelque chose qui se travaille toujours.
19:42 C'est un métier qui met à l'épreuve au quotidien d'améliorer son écriture, de savoir
19:48 trouver les mots justes, d'enrichir.
19:50 Donc oui, un bon critique, c'est un critique qui essaye.
19:55 - La critique peut-être aussi un acte littéraire.
19:58 On va évidemment y revenir.
19:59 Merci beaucoup à tous les trois à poursuivre cette discussion à 8h20 après le journal
20:03 Samuel Baudry.
20:04 Je rappelle que vous êtes écrivain et maître de conférence en littérature britannique.
20:08 Cécile Guibert, vous êtes écrivain également, ancienne critique littéraire.
20:11 Vous nous direz pourquoi ancienne.
20:13 Et Gladys Mariva, vous êtes journaliste littéraire pour Le Monde des Livres, le magazine lire,
20:17 magazine littéraire.
20:18 Vous écoutez France Culture, il est 7h58.
20:21 Et c'est l'heure des grandes traversées de France Culture qui sont évidemment des
20:28 grandes plongées, de grandes immersions même dans la vie, l'existence, les combats, de
20:32 grandes figures de l'histoire.
20:33 Et bien ces grandes traversées, ce sont des séries que vous pouvez retrouver pour une
20:37 centaine d'entre elles sur le site de France Culture et sur l'application Radio France.
20:42 Et à 9h aujourd'hui, vous entendrez le cinquième et dernier épisode de la grande traversée
20:46 consacrée à John Fitzgerald Kennedy.
20:48 Elle est produite par Michel Pomarède et réalisée par Jean-Philippe Navarre.
20:52 Un extrait.
20:53 Nous sommes plutôt sensibles évidemment à ses discours, à ses belles phrases qui
20:59 n'ont pas forcément été inventées par Kennedy mais par ceux qui lui écrivaient
21:04 ses discours.
21:05 C'est tout à fait normal.
21:06 26 juin 1963, Berlin, les relations publiques à leur apogée.
21:11 Ted Sorensen, le ghostwriter de JFK, à son meilleur.
21:14 Beaucoup de gens dans le monde ne comprennent vraiment pas, ou disent ne pas comprendre
21:25 quel est le grand problème entre le monde libre et le monde communiste.
21:31 Qu'ils viennent à Berlin.
21:35 La liberté n'est pas sans présenter des difficultés.
21:48 Et la démocratie n'est pas parfaite.
21:51 Mais nous n'avons jamais eu à ériger un mur pour retenir notre peuple, pour l'empêcher
21:58 de nous quitter.
21:59 Tous les hommes libres, où qu'ils vivent, sont des citoyens berlinois.
22:06 Et c'est pourquoi, en tant qu'hommes libres, je suis fier d'affirmer.
22:13 Et vous êtes à l'écoute de France Culture.
22:26 Nous sommes le vendredi 21 juillet 2023.
22:30 Il est 8h.
22:31 7h-9h, les matins d'été.
22:34 Quentin Laffey.
22:36 Et on poursuit notre discussion sur la raison d'être, les raisons d'être de la critique
22:41 littéraire avec nos trois invités ce matin.
22:43 Samuel Baudry, écrivain et maître de conférences en littérature britannique des 18e et 19e
22:49 siècles à l'université Lumière Lyon 2 et qui vient de faire paraître aux éditions
22:53 des presses universitaires de Lyon.
22:55 D'où vient la critique littéraire ?
22:57 À ses côtés, Cécile Gilbert, écrivain, ancienne critique littéraire, critique littéraire
23:01 encore parfois.
23:02 Elle a publié l'an dernier Roux Libre aux éditions Flammarion, un ouvrage qui a reçu
23:08 le prix de la critique de l'Académie française en 2020.
23:11 Et à ses côtés, Gladys Mariva, journaliste littéraire pour Le Monde des livres, le magazine
23:16 Lire magazine littéraire.
23:18 Gladys Mariva, on vient d'entendre parler de romance, de dark romance.
23:22 Est-ce qu'il existe aussi des espaces pour critiquer, au sens noble du terme, pour avoir
23:27 un avis critique sur cette littérature populaire ?
23:30 Populaire bien sûr au sens où elle reçoit l'assentiment du grand nombre.
23:34 Alors oui, c'est une certitude, en tout cas dans les magazines pour lesquels je travaille,
23:38 notamment Lire magazine littéraire où il y a la volonté de parler de toute la littérature.
23:43 Et donc j'ai une conseillère qui est spécialisée dans la romance et qui traite ces sujets
23:47 avec beaucoup de sérieux puisqu'elle a une connaissance précise de tout son historique
23:51 et de toutes ses branches et ses auteurs.
23:53 Cécile Guibert, c'est vrai que dans le paysage médiatique, même dans la presse écrite,
23:58 on voit assez peu de critiques qui s'intéressent à ces ouvrages dits populaires, à la dark
24:04 romance en particulier, mais même à la littérature populaire en général.
24:08 Comment est-ce qu'on l'explique ? Est-ce que c'est parce que les critiques ne sont
24:11 pas portées vers ces ouvrages ou peut-être que ces ouvrages-là ne méritent pas d'être
24:16 critiqués ?
24:17 Je pense qu'on les verra de plus en plus parce qu'en fait quand on parle de littérature
24:20 aujourd'hui, quand on parle du marché du livre, en fait ce qui porte le marché du
24:24 livre, c'est les mangas et c'est la bande dessinée, la littérature jeunesse, les dark
24:30 romance, etc.
24:31 C'est ça qui porte le marché du livre aujourd'hui.
24:32 Donc forcément on en parlera de plus en plus, mais avant de demander où on va critiquer
24:37 ces ouvrages, moi j'aimerais bien savoir où on les trouve parce qu'en fait je vous
24:40 avoue une chose, un jour, ça va vous faire peut-être rire, mais je me suis inscrite
24:44 sur TikTok pour voir à quoi ressemblaient ces fameuses influenceuses de livres.
24:48 Et en fait je voyais des filles avec des piles de livres de toutes sortes et beaucoup de
24:53 ce type de littérature dark romance et en fait je voyais des noms d'auteurs, des titres
24:59 complètement inconnus et quand je vais dans des librairies, je ne les vois jamais.
25:02 Je ne sais pas où on les trouve à vrai dire.
25:03 Samuel Baudry, une réaction.
25:04 Où est-ce qu'on trouve ces ouvrages de dark romance, mais au-delà ces ouvrages de littérature
25:10 qui intéressent et qui fascinent même sur les réseaux sociaux et sur TikTok ?
25:13 Là, vous avez une transition parfaite pour la révolution post 1960 parce que tous ces
25:24 livres, leurs lecteurs et les discours métal littéraires qu'ils produisent, ils existent
25:30 dans une sorte d'économie de monde parallèle qui en effet, quand on y entre, nous surprend.
25:36 Les meilleures ventes sur TikTok, sur YouTube ou sur Bookstagram, ce n'est pas un seul
25:44 auteur que nous connaissons, nous critiquent habituel.
25:48 Où les trouve-t-il ? En général, là ils ont fait l'effort de les commander en format
25:53 papier pour les montrer sur les images, mais en vérité, personne ne les lit en format
25:57 papier et c'est pour ça que les médiathèques peuvent très bien les ranger dans les endroits
26:02 les plus obscurs et secrets, les rayonnages les plus hauts.
26:05 Ça n'empêchera pas de les lire puisque ce n'est pas sous ce format qu'on les
26:08 lit, on les lit sous format électronique, on les lit sous format électronique sur son
26:13 téléphone, sur sa tablette et immédiatement on les commente également.
26:16 On les commente, on se filme en train de les commenter, on poste ses commentaires, d'autres
26:22 personnes commentent ses commentaires.
26:24 Et ce qui était aussi relevé par la chroniqueuse précédemment, c'est que tout ça est très
26:31 lié à une autre transformation de l'économie de la publication, la fan fiction ou la publication
26:37 à compte d'auteur, on pourrait dire comme Wattpad, des plateformes collaboratives où
26:46 chacun écrit et chacun commente l'écriture de l'autre.
26:49 Vous avez évoqué Samuel Baudry, la révolution des années 60 dans le champ de la critique
26:53 littéraire, il faut nous expliquer de quoi il s'agit.
26:56 C'est constaté par de nombreux sociologues, philosophes et critiques.
27:05 Dans les années 60, il y a une transformation du monde littéraire sous trois aspects.
27:13 Il y a une transformation de ce qu'on appelle la littérature et un élargissement ou un
27:20 déplacement de ce qu'est la littérature.
27:22 Avant, c'était des hommes blancs et puis on découvre que ça peut être plus que ça,
27:29 mieux que ça.
27:30 Et donc, la définition de la littérature change.
27:33 Ça peut être des champs de femmes, ça peut être toutes sortes de choses qu'on n'étudiait
27:39 pas avant.
27:40 Et deuxième changement, on ne parle plus de ces textes de la même manière.
27:46 On n'en fait plus un commentaire sophistiqué, savant.
27:49 On peut en parler d'une manière plus libre, plus personnelle, plus engagée politiquement
27:55 ou psychologiquement ou socialement.
27:57 Troisième changement, il y a un changement technologique.
28:00 Le développement des ordinateurs, d'Internet produit ce qu'on appelle les humanités
28:07 numériques et les humanités numériques débouchent maintenant sur des choses telles
28:13 que la production de livres sur Internet collaborative, voire l'intelligence artificielle.
28:20 Pour bien comprendre votre deuxième point, Samuel Baudry, on parle autrement des textes.
28:24 Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que la critique littéraire en tant que critique
28:27 instituée a été désacralisée ?
28:28 Alors, elle a été désacralisée, mais ça ne veut pas dire qu'elle meurt.
28:32 Ce n'est pas une révolution qui bouleverse et qui transforme et qui interdit de parler
28:36 comme avant.
28:37 Elle continue à subsister dans son coin, mais d'autres formes lui font concurrence.
28:43 Des formes où on n'étudie plus la même chose, plus la rhétorique, plus la stylistique.
28:47 Des formes où on dit plus simplement, plus personnellement ce qu'on ressent à la lecture
28:57 du livre.
28:58 Cécile Ghibert, est-ce que vous avez le sentiment, vous, que la critique littéraire ou la critique
29:01 littéraire en tant qu'institution a été désacralisée ?
29:04 Elle continue même ces dernières années à être désacralisée.
29:07 J'adore cet oxymore de humanité numérique.
29:12 Évidemment que tout est bouleversé.
29:17 On vit quand même dans un monde post-littéraire.
29:19 Encore une fois, on ne peut pas continuer à raisonner et parler comme si il ne s'était
29:26 pas passé quelque chose d'ampleur, qui est précisément ce dont on ne parle jamais.
29:30 À savoir l'attaque que subit le langage sous les coups de boutoir de cette révolution
29:36 numérique, de cette horizontalisation des commentaires métalittéraires et maintenant
29:41 de l'introduction de l'intelligence artificielle dans ce champ de production, de texte.
29:46 Maintenant, un ordinateur vous écrira les quatrièmes de couverture et même les livres.
29:53 On ne peut pas faire comme si tout ça n'existait pas.
29:56 Gladys Mariva, une réaction ?
29:57 Sur Shed.gpt, non, peut-être pas.
30:01 Mais c'est vrai que pour revenir sur la concurrence créée par le fait qu'il y a de plus en
30:05 plus de personnes qui vont donner leur avis sur les livres, y compris des systèmes de
30:09 notation sur des sites internet, c'est vrai que pour suivre le rythme, on va dire, on
30:14 nous demande d'écrire parfois des critiques de plus en plus petites.
30:17 Et là, parfois, il faut refuser.
30:19 Puisqu'effectivement, quand on vous propose d'écrire 500 signes sur un livre de 600
30:23 pages que vous avez aimé, peut-être que vous avez lu tous les livres de cet auteur,
30:27 il faut parfois dire non.
30:29 Qu'est-ce que je pourrais dire en 500 signes ? Ça va me prendre une journée entière
30:33 de réduire et peut-être que Shed.gpt sera mieux que moi.
30:36 Vous refusez-vous parfois d'écrire des critiques lorsque l'espace qui vous est
30:39 accordé est trop réduit, trop petit ?
30:41 Oui.
30:42 Cécile Guibert, vous confirmez, vous nous avez dit pendant la pause que parfois des
30:46 journaux vous proposaient d'écrire des critiques, vous acceptiez, à la condition
30:50 que l'espace serait suffisant ?
30:52 Bien sûr, c'est ce que j'ai dit tout à l'heure sur le temps que ça suppose et
30:56 le déploiement de la pensée que ça suppose.
30:58 Donc évidemment, il n'est pas question d'écrire des nautules qui ne font pas de
31:02 critiques, mais qui sont là pour rendre compte de l'existence d'un livre, puisque
31:05 ces nautules servent à signaler l'existence d'un livre.
31:09 Sinon, il serait complètement invisible et complètement morné, ce qui n'empêche
31:16 pas, puisque en plus, ce serait une autre question, mais qui devrait faire l'objet
31:20 d'un autre débat et d'une autre matinale.
31:23 C'est-à-dire que la visibilité dans le champ médiatique des livres ne garantit absolument
31:28 pas ni leur vente, ni leur lecture.
31:31 Donc, on est encore…
31:33 Mais si vous voulez, en fait, c'est comme si tout était un gigantesque champ de symptômes.
31:37 Par exemple, je vois un symptôme dans le fait qu'aujourd'hui, vous nous avez présenté
31:41 Samuel Baudry et moi comme écrivain.
31:43 C'est très bien, mais si vous voulez, c'est un mot qui est complètement tombé en désuétude.
31:47 Plus personne n'utilise ce mot dans le champ littéraire et dans le milieu littéraire.
31:50 Vous-même, vous ne vous définissez pas comme écrivain ?
31:52 Si, moi, je me définis comme écrivain, mais je vais vous expliquer pourquoi.
31:55 Les éditeurs eux-mêmes, tout le monde parle d'auteur.
31:59 Et vous, d'ailleurs, dans votre livre, monsieur, vous parlez beaucoup d'auteur aussi.
32:03 C'est-à-dire que, en fait, l'auteur, ça ne veut rien dire, l'auteur, étymologiquement,
32:07 c'est celui qui signe quelque chose.
32:08 Donc, tout le monde est auteur.
32:10 Tout le monde est auteur puisque tout le monde signe des contenus aujourd'hui.
32:13 C'est très bien que tout le monde signe des contenus.
32:18 Vous voyez, je ne porte pas un jugement de valeur là-dessus.
32:19 Mais ce que je veux dire, c'est que pour moi, un écrivain, c'est quelque chose qui fait
32:22 quelque chose avec la langue, en fait.
32:25 C'est pour ça que j'ai tendance à dire qu'effectivement, un écrivain, c'est quelqu'un qui ne va pas
32:28 prendre le langage générique qui est l'apanage de tous les êtres humains.
32:32 Il va prendre ce langage et il va en faire autre chose.
32:34 Il va en faire autre chose littérairement.
32:35 Et dans le meilleur des cas, s'il est poète, il va produire une parole.
32:41 Donc, vous voyez, là, on peut rentrer dans des conversations sur ce qu'est le langage,
32:48 ce qu'est la parole, comment le langage est attaqué aujourd'hui.
32:51 Est-ce qu'une parole est audible ?
32:53 Vous voyez, là, on...
32:54 Énormément de questions.
32:55 On va en poser une à Samuel Baudry.
32:57 Pourquoi est-ce que vous utilisez le terme d'auteur dans votre ouvrage et auteur plutôt
33:02 qu'écrivain ? Est-ce que c'est une distinction, selon vous, qui est fondée ?
33:05 Moi, je parle surtout des auteurs critiques.
33:08 Donc, par modestie, je refusais le titre d'écrivain.
33:13 Mais je vous remercie de m'avoir désigné comme ceci.
33:16 Alors, c'est vrai que je partage beaucoup des...
33:21 À titre personnel, je partage beaucoup des éléments de commentaire de ce qui est en
33:27 train de se passer.
33:28 Mais à titre de scientifique plus objectif, on peut voir aussi cette révolution-là qui
33:35 vient d'être décrite un peu comme la fin de la littérature, la fin de la critique.
33:39 C'est aussi la renaissance du lecteur, la renaissance du pouvoir du lecteur et de la
33:43 lectrice.
33:44 Certes, leurs commentaires et leurs étoiles, ce n'est pas du grand style, mais ça leur
33:51 permet aussi de dire, contre les institutions qui leur ont imposé des livres, un type de
33:57 lecture, un type d'œuvre pendant des années, des siècles, ça leur permet de dire non,
34:03 moi ce que j'aime, c'est la dark romance.
34:05 J'y trouve des choses que Shakespeare, que Victor Hugo ne me proposent pas.
34:10 Je peux même vous dire pourquoi, ce que j'y trouve.
34:12 Et j'en achèterai si je veux et j'en écrirai si je veux.
34:16 Et je sais où en trouver, je n'ai pas besoin de vous pour le faire.
34:18 Mais est-ce que c'est quelque chose qui est bien, qui est fondé justement du point
34:22 de vue de la littérature, que chacun, même que cette fonction qu'on évoquait tout
34:27 à l'heure, cette fonction de la critique était aussi de permettre de sélectionner,
34:31 d'orienter le lecteur, se dilue, s'est mis le baudri ?
34:34 Alors, elle se dilue, mais en même temps, ceux qui font ces commentaires sont en général
34:41 dans des réseaux très précis, très pointus.
34:44 Et au fond, je suis sûr qu'il y a des spécialistes de dark romance qui se passent à New York
34:53 dans les années 1950 et ça forme un petit groupe où on peut trouver du soutien et des
35:00 conseils pour lire la meilleure dark romance qui se passe à New York dans les années
35:04 1950.
35:05 Et donc, cette dilution permet aussi une spécialisation dans des micro niches, des choses qu'auparavant
35:10 on ne pouvait pas trouver et pour lesquelles on ne connaissait pas d'autres amateurs.
35:14 Jadis Mariva, la renaissance du pouvoir des lecteurs, c'est l'expression qui vient
35:19 d'être évoquée, cette renaissance, est-ce qu'elle menace les critiques, la fonction
35:23 de critique plus institutionnelle que vous représentez aujourd'hui dans ce studio ?
35:27 Je n'ai pas l'impression, en fait, j'ai plutôt l'impression qu'elle oblige à
35:33 peut-être se déplacer, à descendre un peu de sa tour d'ivoire.
35:35 Moi, ce que je fais beaucoup en dehors des critiques que j'écris dans les journaux,
35:41 j'anime des tables rondes dans des festivals, dans des lieux culturels.
35:45 J'ai aussi une fois organisé un atelier, c'était assez merveilleux, qui s'appelle
35:50 Dark Pantages littéraires où il s'agissait avec plusieurs lecteurs de déchirer un livre
35:55 en plusieurs parties, de lire chacun et de commenter.
35:59 J'ai plutôt l'impression que ça nous oblige à descendre et à rentrer finalement
36:02 dans cette nouvelle arène.
36:04 De toute façon, le métier qu'on fait est extrêmement précaire sur le plan économique.
36:10 On est quand même assez malmené, surtout quand on est pigiste.
36:14 On est formé à s'adapter en permanence.
36:19 Je ne peux pas vraiment être outrée, qu'on me chahute, puisque finalement j'ai accepté
36:26 ça et donc je m'adapte, je découvre et j'essaye de continuer de faire ce que j'aime.
36:31 Je voulais terminer cette discussion avec une citation de la littérature à l'estomac
36:36 de Julien Gracq, apparue en 1950.
36:38 Pour tout dire, on a rarement en France autant parlé de la littérature du moment, en même
36:43 temps qu'on y a si peu cru.
36:45 Est-ce qu'on peut dire la même chose de la critique littéraire ?
36:49 Oui.
36:50 Ce sera votre simple réaction.
36:54 Merci beaucoup pour cette conclusion.
36:57 Je rappelle que vous êtes Samuel Baudry, écrivain, c'est votre statut, et maître
37:00 de conférence en littérature britannique des 18e et 19e siècle à l'université
37:04 Lumière Lyon 2.
37:05 L'auteur « D'où vient la critique littéraire ? » s'est paru aux presses universitaires
37:09 de Lyon.
37:10 Cette année, à vos côtés, un autre écrivain, Cécile Gilbert, ancienne critique littéraire
37:15 qui a publié un ouvrage de critique sans entrave et sans temps mort.
37:18 On cite aussi cet ouvrage qui est paru chez Gallimard en 2009.
37:21 Gladys Marira, journaliste littéraire pour Le Monde des Livres, le magazine Lire magazine
37:26 littéraire.
37:27 Vous écoutez France Culture, il est 8h35.

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