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Pour rendre hommage à Jane Birkin, morte le 16 juillet à l'âge de 76 ans, la journaliste et biographe Véronique Mortaigne, le directeur musical des antennes de Radio France Didier Varrod, et le chanteur Alain Chamfort sont les invités du Grand entretien.

Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien

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Transcription
00:00 « C'est 50 ans qu'on te regarde sans jamais vraiment te cerner ». C'est Lou Doillon
00:04 qui parlait ainsi de sa mère en 2021.
00:05 Et si c'était la phrase qui résumait, finalement, Jane Birkin et sa carrière ?
00:10 Pour essayer de la cerner, justement, cette grande artiste que l'on a perdue hier, deux
00:14 invités au micro d'Inter ce matin.
00:16 Bonjour Véronique Morteigne, vous êtes journaliste, vous signez la longue nécrologie de Birkin
00:21 dans les colonnes du Monde.
00:22 Vous êtes aussi l'autrice de double jeu sur le couple Birkin-Gainsbourg, on va y revenir,
00:26 c'est aux éditions de l'Équateur.
00:27 Et en duplex de La Rochelle, Didier Varro.
00:30 Bonjour Didier.
00:31 Bonjour Alexis.
00:32 Directeur musical des antennes à Radio France, grand connaisseur et proche même, je crois
00:36 on peut le dire, de Jane Birkin.
00:38 J'en appelle aussi, chers auditeurs et auditrices, à vos souvenirs, vos hommages.
00:42 Appelez-nous 01 45 24 7000, écrivez-nous sur l'appli France Inter, racontez-nous votre
00:47 Birkin, on prendra évidemment vos témoignages.
00:50 Alors, moi ce qui me marque dans les réactions, dans les hommages depuis hier, c'est l'éclectisme
00:55 finalement, la diversité de ceux qui aimaient Birkin.
00:57 Ça va de Sheila, Patrick Bruel, Benjamin Biollet, Pierre Richard, on est vraiment dans
01:01 des styles très différents.
01:02 Est-ce que Didier Varro, c'est finalement le reflet de sa carrière, tant musicale que
01:07 cinématographique d'ailleurs ?
01:08 Oui, on peut dire musicale, cinématographique et théâtrale aussi.
01:13 Et puis cette icône aussi qui a imprimé notre mythologie grâce à son attitude.
01:21 C'était une ligne, au Birkin il y avait une ligne, il y avait un style Birkin.
01:24 Et effectivement, ça irrigue tous les pans de la culture française et de tous les modes
01:30 d'expression.
01:31 Et puis Jane était quelqu'un qui n'avait pas de frontières, pas de tabous, qui pouvait
01:36 effectivement très bien faire un duo avec Sheila et puis le lendemain se retrouver avec
01:40 Patrice Chéreau au Théâtre des Amandiers pour jouer la fausse suivante.
01:43 Donc c'était ça Jane Birkin, c'était à la fois un éclectisme et puis cette culture
01:47 anglaise aussi qui n'est pas tout à fait quand même la culture française.
01:50 Quand on parle de tout ça.
01:54 Didier, vous avez consacré un documentaire dont le titre dit tout, Jane Birkin et nous,
01:58 les Français.
01:59 C'est rare que les Français tombent sous le charme d'une Anglaise justement.
02:02 Qu'est-ce qui fait que la mayonnaise est bien montée entre Birkin et le public français ?
02:06 Oui, on aurait d'ailleurs pu faire un film aussi qui s'appelle Jane Birkin et nous
02:11 pour les Anglais, puisqu'il y a aussi un rapport un peu antagoniste.
02:15 Jane n'a pas eu le succès qu'elle aurait aimé avoir finalement en Angleterre.
02:19 Oui, c'est une sorte de miracle que cette adoption se soit faite comme ça, de manière
02:24 aussi spontanée, aussi forte, avec aussi celui qui incarnait la culture française
02:32 dans toute son entièreté, Serge Gainsbourg.
02:34 Oui, c'est une adoption dans une relation franco-anglaise toujours un peu contrariée.
02:39 Et surtout quand on parle de chansons et de pop-musique, puisque pour la perfide Albion,
02:47 la musique anglo-saxonne et la pop-musique, c'est leur territoire premier.
02:51 Ce n'est pas la France.
02:52 La France, c'est la chanson française, issue d'une certaine tradition.
02:54 Et tout d'un coup, avec Jane Birkin et Serge Gainsbourg, je dirais qu'on a obtenu nos
03:02 lettres de noblesse dans la pop-musique.
03:04 Et avec ce tube "Je t'aime moins non plus" qui a été numéro un en Angleterre.
03:09 C'est la première fois qu'une chanson française devenait numéro un en Angleterre.
03:13 Et en même temps un symbole, comme vous l'avez dit tout à l'heure, de la libération sexuelle.
03:17 Il faut quand même se rappeler que "Je t'aime moins non plus", on se le passait sous le
03:20 manteau dans les pays en dictature.
03:22 Le Vatican l'interdisait.
03:24 Ou dans les pochettes de Maria Callas pour pouvoir écouter le disque sereinement.
03:29 Véronique Morteigne, on a du mal à la classer.
03:31 Le terme n'est pas très joli, Jane Birkin.
03:32 Mais à la fois chanteuse populaire, dans le sens noble du terme, de chansons qui restent,
03:38 qui marquent, actrice de cinéma d'auteur aussi.
03:41 C'est tout ça à la fois ?
03:42 C'est-à-dire que ce qui est remarquable chez Jane Birkin, c'est qu'elle a su créer son
03:46 pays.
03:47 Elle a créé un territoire qui n'appartient qu'à elle.
03:50 Elle a imposé qu'on la respecte dans sa différence.
03:53 Et ça c'est très important au jour d'aujourd'hui, si vous voulez, parce qu'elle est la marque
03:57 d'une assimilation à la française.
04:01 Où il y a bien sûr l'Angleterre et bien sûr il y a la France.
04:04 Et puis il y a la Russie.
04:07 Les origines juives de Serge Gainsbourg qui ont été pour elle très importantes.
04:13 Puisqu'elle dit qu'elle est partie dans cette conquête de choses qu'elle ne connaissait
04:18 pas, qui était très différente d'elle.
04:20 Elle avait ce pouvoir de transformer les choses, les gens elles-mêmes.
04:25 Par exemple, elle achète un jour un panier d'osier tressé par une portugaise sur le
04:30 marché de Camden.
04:31 Et puis ça devient le symbole absolu de cette élégance.
04:35 Elle transforme un objet de Chik Birkin qui est vraiment un objet d'une banalité très
04:42 jolie d'ailleurs.
04:43 Mais elle donne du style, elle donne son style à elle-même.
04:46 Elle crée un langage, un créole birkinien.
04:50 On va en parler parce qu'il y a Birkin et les français, puis il y a Birkin et le français.
04:53 Et le français, voilà c'est ça.
04:55 Elle est elle-même sans aucun compromis d'une certaine manière.
04:59 Alors on a envie de l'entendre Véronique Mortin.
05:02 Quel est votre coup de cœur musical chez Jane Birkin ?
05:05 Quelle chanson vous voudriez entendre ce matin ?
05:08 Alors quelle chanson je dois entendre ?
05:10 Vraiment le champ est très large.
05:12 Moi j'aimais beaucoup la chanson qu'avait écrite pour elle Mickey 3D qui essaie de
05:18 la définir et elle répond.
05:21 « Je m'appelle Jane ».
05:22 « Je m'appelle Jane » qui est très belle.
05:25 C'est en duo avec Mickey 3D.
05:27 C'est assez récent.
05:28 Il y a une vingtaine d'années.
05:29 On est en 2004 je crois.
05:30 Exactement.
05:31 Et elle se défend avec humour.
05:33 Oui.
05:34 C'est un peu comme ça.
05:35 Alors, on va écouter une petite chanson.
05:36 Alors, il y a cette voix.
05:55 Les anglais parlent je crois d'une voix « wispy ».
05:58 C'est difficilement traduisible.
06:00 On pourrait parler de voix fine comme une mèche de cheveux, comme une fumée de cigarettes.
06:05 Est-ce que c'était finalement une voix faite pour la chanson de variété Véronique
06:09 Mortel ?
06:10 Elle a été façonnée à l'aune de leur couple aussi Serge et Jane.
06:15 C'est-à-dire qu'ils ont été précurseurs parce qu'ils ont remis au centre des débats
06:20 la question du genre.
06:21 Parce que finalement elle était très androgyne.
06:24 Lui n'était pas très clair non plus sur les questions du masculin et du féminin.
06:29 Et elle dit toujours qu'elle a apporté à Serge sa féminité qu'il avait enfouie
06:35 sous des couches de machisme apparent.
06:38 Et donc la première chose qu'il a voulu faire, lui il n'aimait pas les filles qui
06:43 avaient des gros seins, etc.
06:45 Et la première chose qu'il a voulu faire c'est la transformer en une sorte d'enfant
06:49 de chœur.
06:50 Et c'est comme ça qu'il lui a imposé une certaine manière de chanter très haut.
06:55 On va revenir justement sur sa relation avec Gainsbourg.
06:58 Juste avant, Didier Varro, on parlait de Birkin et la langue française.
07:01 Là aussi c'est tout un chapitre.
07:03 Cette langue qu'elle a dû apprendre, perfectionner, sans jamais quitter son accent.
07:06 L'écrivain Olivier Rollin qui écrivait, elle a un français qui sort de ses gonds.
07:10 Comme si elle avait inventé finalement un peu sa propre langue.
07:13 Oui, comme disait Véronique, c'est un territoire, c'est un pays et c'est donc
07:17 une langue.
07:18 Une langue avec ce français et ses fautes de français imparables qui devenaient un style
07:24 aussi et qui sonnait.
07:26 Tout à l'heure, vous parliez de la voix de Birkin.
07:28 La voix de Birkin, elle est indissociable aussi de cette façon de prononcer, d'avoir
07:34 cette diction sur le français.
07:37 Elle parlait toujours de la difficulté de nos airs et de ce côté un peu guttural quand
07:44 même de la langue française.
07:46 Et le théâtre va être très important pour elle parce que d'apprendre la langue
07:51 de Marie Vau, c'était finalement être adoubé par la France dans toute sa complexité.
07:59 Et je trouve que ça aussi, c'est très beau.
08:01 Et pour revenir quand même à la langue et à la voix de Jane Birkin, la voix de Jane
08:05 Birkin, c'est un son pour moi.
08:06 Depuis que Jane Birkin est entrée en studio avec Serge Gainsbourg, il y a toute une partie
08:13 des chanteuses françaises qui sont sorties de cette tradition de la chanson française
08:20 qu'on déploie finalement avec cette tradition de la chanteuse classique à la piaf, où
08:25 on déploie la langue et la façon de chanter de façon très forte.
08:30 Et elle, effectivement, elle a utilisé aussi cette voix cristalline, cette voix qui était
08:35 celle d'un enfant de chorale, comme disait Serge Gainsbourg, pour en faire un son aussi
08:41 imparable que celui d'une guitare ou d'un clavier.
08:43 Et dans quelle chanson, même question qu'a Véronique Mortaigne, Didier Varro, dans quelle
08:47 chanson vous préférez l'écouter, Jane Birkin ?
08:50 C'était très difficile de choisir, mais on m'a demandé de choisir un titre moins
08:57 connu.
08:58 Et je trouve d'ailleurs le choix de Véronique excellent, le "Moi et le jeu" qui est sur
09:02 l'album "Lost Song".
09:04 Album de 87, l'année où elle ose enfin aller sur scène, je te crois.
09:10 Au Bataclan, absolument.
09:11 * Extrait de "Moi et le jeu" de Jane Birkin *
09:32 Alors on va prendre un premier témoignage au standard.
09:36 Birkin et vous, bonjour Daniel.
09:38 Oui, bonjour.
09:39 Vous nous appelez je crois de Nancy.
09:41 Quel serait votre coup de cœur, votre souvenir de Birkin ?
09:44 Mon coup de cœur, c'est "Fure le bonheur de peur qui ne se sauve".
09:49 "Fure le bonheur".
09:50 Pourquoi ?
09:51 Parce que quelques fois c'est trop.
09:54 Et puis après un moment, c'est terminé et ça fait mal.
09:59 J'avais déjà eu assez mal pour pas avoir envie d'avoir encore plus mal.
10:04 Et je me dis que ce qui est fini peut recommencer après.
10:10 J'ai toujours espoir dans les choses qui peuvent...
10:15 Ça fait écho à des épisodes de votre vie cette chanson ?
10:17 Ah oui, carrément.
10:18 Oui, ça c'est sûr.
10:19 Alors on l'écoute.
10:20 "Fure le bonheur de peur qui ne se sauve".
10:21 Merci beaucoup.
10:22 * Extrait de "Fure le bonheur de peur qui ne se sauve" de Jane Birkin *
10:22 Alors on n'a malheureusement que la musique pour l'instant.
10:50 C'était une version scénique.
10:52 On va entendre bientôt Jane Birkin sur cette chanson.
10:56 Voilà.
10:57 * Extrait de "Fure le bonheur de peur qui ne se sauve" de Jane Birkin *
11:20 Et sur Inter ce matin, Jane Birkin, elle est aussi racontée par ses pères.
11:24 C'est Alain Chanfort qui a accepté de répondre quelques minutes à France Inter.
11:29 Il a chanté avec Birkin en duo.
11:31 Elle lui a aussi écrit une chanson, il nous raconte ce matin au micro de Cécilia Arbonna.
11:35 Je pense qu'elle avait évidemment un rôle beaucoup plus important que celui qu'on voulait
11:42 bienvenue lui prêter pendant ses premières années.
11:44 Parce que Serge avait évidemment...
11:48 Il était charismatique.
11:51 Il savait jouer avec les formules, les mots, la posture.
11:55 Et donc il aimait bien passer pour le Pygmalion, ce qui était en partie.
12:00 Mais je veux dire, il avait affaire à quelqu'un qui avait déjà une forte personnalité malgré
12:04 tout.
12:05 Jane, elle était très singulière.
12:08 Elle avait déjà cette capacité, son humour, cette intelligence.
12:13 C'est une fille assez intelligente, enfin plus qu'intelligente.
12:16 Et Serge a dû vite s'en rendre compte.
12:19 Sur le plan artistique, qu'est-ce que cette femme a apporté, cette jeune fille avec cet
12:24 accent qui a perduré et cette voix très très haute presque jusqu'à la cassure,
12:31 la brisure parfois, ses murmures, son souffle ?
12:35 Oui, ça contribuait vraiment à produire une atmosphère tout à fait particulière
12:41 dans les chansons.
12:42 Comme elle n'avait pas un terme de voix très puissant et très épais.
12:50 Il y avait une fragilité que Serge a très bien su utiliser.
12:55 D'ailleurs, parce qu'en lui faisant monter dans les octaves, plus elle montait, plus
13:00 la fragilité était démontrée.
13:02 Donc ça, il avait très bien su observer l'instrument qu'elle pouvait représenter
13:10 pour lui.
13:11 Et ça désarmait, il y avait quelque chose comme ça d'extrêmement fragile, d'extrêmement
13:17 sur le limite toujours, qui donnait encore plus de force à ce qu'elle exprimait.
13:24 C'était toujours au bord de la rupture.
13:26 J'avais fait un duo avec elle, j'avais eu la chance qu'elle reprenne une de mes chansons
13:30 que j'avais écrite en collaboration avec Serge qui s'appelait "Babylou", dont elle
13:34 avait fait une version elle-même intégralement.
13:38 Et puis les Carpentiers nous avaient réuni dans un spécial pour concentration de cette
13:44 chanson en duo, donc on l'avait fait à cette occasion.
13:47 Elle avait écrit aussi un texte pour moi qui s'appelait "Let me try it again", qui
13:51 était sur mon album "Pose", sur lequel il y avait "Manur et va".
13:56 Justement, c'était une chanson que je collaborais avec Serge à l'époque.
13:59 Et cette musique qu'il avait mise en tête, elle avait un côté un peu californien.
14:04 Lui-même était un peu en manque d'inspiration par rapport à ce que la musique évoquait.
14:11 Et il m'a dit "Je pense que Jane s'en sortira très bien".
14:15 Et elle a fait un très joli texte en anglais.
14:18 Je pense que c'est un des rares textes qu'elle a fait.
14:20 J'étais très fier qu'elle ait accepté d'écrire un texte pour moi, parce que c'était
14:25 un cadeau, une grande première.
14:27 Alain Chanfort au micro de Cécilia Arbona, Véronique Morteigne.
14:34 Alain Chanfort parlait notamment de sa relation avec Gainsbourg.
14:36 Évidemment, on ne peut pas l'éviter, cet amour d'une douzaine d'années.
14:40 Elle en parlait d'une manière assez lucide d'ailleurs, après coup.
14:43 "J'étais ravi d'être l'objet de désir de Serge.
14:45 J'étais cet objet qui voulait bien l'être".
14:48 Ça avait pourtant mal commencé entre eux.
14:49 Ça avait mal commencé parce que lui, il la prenait pour une petite Anglaise et elle
14:54 pour rien du tout, parce qu'elle ne connaissait pas.
14:56 Elle pensait qu'il s'appelait Serge Bourguignon, comme le bœuf.
14:59 Bref, c'était la catastrophe.
15:01 Et petit à petit, ils se sont reconnus.
15:04 Parce que finalement, je reviens sur ce que disait Didier tout à l'heure, ce qu'elle
15:07 aimait chez Gainsbourg, c'est qu'il pouvait, ce qu'elle disait, écouter du Krieg pendant
15:12 la journée et puis discuter avec Jean-Pierre Foucault à 20h à la télévision.
15:17 Qu'il y avait à la fois ce côté érudit populaire qu'elle avait, les deux.
15:22 C'est-à-dire cette capacité à embrasser l'entièreté du spectre.
15:29 C'est pour ça qu'elle est tant honorée aujourd'hui.
15:32 Parce qu'elle parle à beaucoup de monde.
15:35 Elle n'est pas l'artiste d'un clan.
15:37 Les chansons de Serge étaient complexes, elles n'étaient pas du tout évidentes.
15:40 Sa manière de chanter était complexe également et pourtant très populaire.
15:46 Didier Varro, elle a follement aimé Gainsbourg, est-ce qu'elle a aimé aussi Gainsbard ?
15:52 Non, elle n'a pas aimé Gainsbard et c'est d'ailleurs le point de rupture.
15:57 Mais elle a follement aimé Gainsbourg et Gainsbourg l'a aimé follement aussi.
16:02 On parlait de Pygmalion tout à l'heure au sujet de Serge.
16:06 Mais dans les années qui ont suivi la disparition de Serge, on peut dire que Jane Birkin est
16:13 devenu le Pygmalion de Serge Gainsbourg parce qu'elle a eu à cœur de faire découvrir
16:18 ce répertoire qui était encore inconnu, notamment en Angleterre ou dans le monde entier.
16:22 On parlait de l'attachement tout à l'heure de Jane aux racines juives de Serge Gainsbourg.
16:28 Elle a aussi fait une adaptation de son répertoire de façon arabo-andalouse qui montrait d'autres
16:36 racines de cette musique complexe.
16:38 Elle a voulu aussi avec le symphonique tisser ce lien très fort et très organique qu'il
16:44 y avait entre la musique classique, art supérieure s'il en est pour Serge Gainsbourg et la chanson
16:49 art mineur pour les mineurs comme il le disait.
16:51 Donc oui, ce mouvement de balancier entre le Pygmalion et son égérie ou sa muse, il
16:59 est très fascinant parce que même dans les années 70, on a entendu chant fort.
17:02 Par exemple, tout à l'heure, on parlait de Jane, il fait don d'humilité.
17:06 Mais si Gainsbourg a accepté de travailler pour Alain Chantfort, puisque Gainsbourg écrivait
17:14 plutôt pour les femmes et plutôt pour des comédiennes, il n'avait pas envie d'écrire
17:18 pour les mecs.
17:19 Et c'est Jane qui avec son entêtement incroyable a dit tu dois écrire un album pour Alain
17:25 Chantfort, tu dois le faire passer dans un autre territoire que celui dans lequel il
17:29 était.
17:30 Et puis ce costume trois pièces, ces répétos, ces fameuses répétos, cette barbe de trois
17:36 jours, le style Gainsbourg aussi un peu dandy, c'est Jane qui l'a façonné.
17:42 Vous le disiez, qui portait bien après la mort de Gainsbourg ses chansons sur scène
17:47 pendant des décennies.
17:48 Le chanteur Miossek, qui a fait de nombreux duos avec Birkin, raconte par exemple ce matin,
17:53 il dit quand on chantait avec Birkin, on était plus que deux sur scène.
17:56 Il y avait plein de fantômes autour d'elle.
17:58 Gainsbourg évidemment, mais aussi bien d'autres.
18:00 Véronique Morteigne.
18:01 Oui, c'est une famille remarquable que celle de Jane Birkin.
18:06 Il y avait son frère évidemment, et qui était quasiment en gémérité comme Gainsbourg
18:11 était jumeau également.
18:12 Donc il y avait des doubles un petit peu partout.
18:15 Il y avait cette Angleterre du Swing in London qui était extrêmement présente.
18:20 Enfin, il y avait toute une histoire.
18:23 Ce n'était pas juste une voix, une chanson, etc.
18:26 Il y avait une histoire.
18:27 Une histoire de France, une histoire de l'intégration, une histoire de l'Angleterre.
18:32 On retourne au standard.
18:33 Bonjour Anthony.
18:34 Bonjour.
18:35 Vous nous appelez de région parisienne, Sartrouville.
18:37 Et vous voulez revenir sur la langue de Jane Birkin, je crois.
18:41 Voilà un souvenir très personnel.
18:44 J'ai 30 ans.
18:45 Je suis né un an après la mort de Serge Gainsbourg.
18:47 Et mes parents ont beaucoup fait écouter leurs chansons quand j'étais enfant.
18:51 Et en fait, pour moi, Jane Birkin, c'est à la fois le lien avec ma mère qui me faisait
18:54 écouter des chansons, mais surtout avec la langue.
18:56 Et je le dis souvent, j'ai l'impression d'avoir appris le français avec Serge Gainsbourg
19:00 et Jane Birkin.
19:01 Et quand on est enfant et qu'on apprend le français avec cette langue anglaise qui persiste
19:05 dans le français, ça rend les choses…
19:07 Malgré les petites fautes, donc.
19:09 Voilà, malgré les petites fautes.
19:10 Au contraire, ça rend le français beaucoup plus humble quand on est enfant.
19:13 Et je crois même que ça élargit le vocabulaire et ça nous donne tout un travail autour de
19:19 la tonalité, autour de l'accent aussi, qui est intéressant quand on est enfant.
19:22 Il y a un aspect un peu ludique derrière tout ça, malgré le côté subversif des
19:25 chansons.
19:26 Merci beaucoup, Anthony, pour ce témoignage.
19:29 Je voudrais qu'on revienne, Véronique Mortin, Didier Varro, sur ce qui fait aussi l'identité
19:32 de Birkin, dont on parle peut-être un peu moins depuis hier.
19:34 C'est son militantisme, son engagement pour des causes diverses.
19:38 Il y a eu la Birmanie, Médecins du Monde, contre le sida, contre l'homophobie, des
19:42 voyages en Tchétchénie, à Sarajevo…
19:44 C'était indispensable pour elle, Véronique Mortin ?
19:46 Il y a eu déjà le droit à l'avortement, depuis toujours, très tôt, oui, très tôt.
19:52 Elle était comme une antenne, comme ça, et elle percevait les luttes où il fallait
19:57 être.
19:58 Moi, je me souviens d'une interview que j'avais faite avec elle, à propos de Christine
20:03 Taubira, ministre de la Justice, alors, en 2013, qui avait été traité de guenon.
20:09 Dans le mariage pour tous.
20:10 Voilà.
20:11 Et pour elle, c'était épidermique.
20:13 Donc, elle avait immédiatement voulu donner une interview au Monde, tout de suite, pour
20:18 dire « non, mais c'est insupportable, l'homophobie, c'est insupportable ».
20:22 Et c'était, pour elle, viscéral.
20:24 C'était vraiment important.
20:25 C'était quelque chose dans lequel elle était investie totalement et physiquement,
20:30 malgré ses allures fragiles.
20:32 Oui, ce n'était pas de la publicité ou du marketing artistique.
20:36 Didier Varro, on l'a vu souvent en colère, finalement, Jeanne Berkine.
20:40 Bien loin de l'image qu'on avait voulu lui coller à ses débuts de jeune femme ingénue.
20:44 Oui, une femme qui réagissait avec son épiderme dès lors qu'une injustice, tout d'un
20:51 coup, s'imposait.
20:52 Mais ce qui est assez marrant dans cet itinéraire de femmes engagées, femmes citoyennes, c'est
20:58 que quand elle était avec Serge, Serge n'aimait pas trop, finalement, qu'on puisse s'engager.
21:03 Il disait « ce n'est pas la place des artistes de donner leur avis ».
21:06 Et il l'empêchait parce qu'elle avait très envie.
21:09 Elle est dans un milieu aussi où très vite, cette conscience politique s'est fait jour
21:15 puisque son papa était un grand résistant.
21:18 Il a fait passer des résistants de l'Angleterre à la France et il a vraiment, comment dire,
21:24 élevé au grain d'une forme de philosophie politique très, très, très forte dans cette
21:31 Angleterre-là.
21:32 Sa mère chantait sous les bombardements à Londres pour les Anglais.
21:37 Donc, il y avait tout ça chez Jeanne Berkine.
21:39 Et effectivement, dans les années 70, elle avait écrit à Pompidou pour lui demander
21:43 d'abolir la peine de mort.
21:44 Et Serge était rentré dans une colère noire.
21:46 Et puis finalement, il avait corrigé les fautes de français dans la lettre en disant
21:49 « bon, allez, je vais t'aider ».
21:50 Et puis, c'est vrai que quand Serge est parti, alors là, la femme engagée citoyenne
21:56 s'est déployée de façon magnifique et toujours, toujours sur le terrain.
22:01 Elle allait sur le terrain avant de l'ouvrir.
22:02 Et une fois qu'elle avait vu, constaté, vécu, elle pouvait à ce moment-là s'engager
22:07 réellement.
22:08 Merci beaucoup Didier Varro et Véronique Morteigne d'avoir répondu aux questions
22:13 d'Inter ce matin.
22:14 Véronique Morteigne, je rappelle le titre de votre livre « Double jeu » sur le couple
22:18 Berkine-Gainsbourg aux éditions de l'Équateur.
22:20 Merci à tous les deux et bonne journée à vous.

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