• last year
"Mon horloge interne me criait de boire." Baptiste Mulliez a été alcoolique de ses 15 à 24 ans, et il est aujourd'hui patient expert en addictologie. Pour neo, il parle de son combat contre son addiction et livre des conseils pour s'en sortir. ❌

Category

🗞
News
Transcript
00:00 L'alcoolisme c'est quelque chose de très progressif.
00:03 On ne se rend pas forcément compte quand on tombe vraiment dedans.
00:06 Plus jeune, vers l'âge de 20 ans, quand on me disait "c'est quoi un alcoolique ?"
00:08 Je t'aurais répondu que c'est pour les vieux cons.
00:10 C'est un mec de plus vieux qui traîne au PMU toute la journée
00:13 ou un sans-abri qui est au coin de la rue.
00:15 Et donc certainement pas pour moi qui est festif, convivial.
00:20 Je m'appelle Baptiste Mullyer, j'ai souffert d'alcoolisme de mes 15 à 24 ans.
00:23 Aujourd'hui je suis un patient expert en addictologie.
00:26 Je viens vous dire que l'addiction ne discrimine personne.
00:29 La première fois que j'ai été ivre, ça a été à l'âge de 14 ans,
00:32 fin de collège, lors de ma première soirée.
00:34 Mon profil anxieux a refait surface.
00:36 Je suis quelqu'un qui a peur du regard de l'autre,
00:38 qui ne savait pas danser, qui ne savait pas approcher les gens,
00:42 quelques phobies sociales.
00:43 Quand on m'a proposé du rosé dans la rue avant d'arriver en soirée,
00:47 j'ai dit oui et instantanément l'angoisse a disparu.
00:49 Cette première fois, j'ai adoré le fait de planer.
00:53 J'avais besoin de me sentir tellement libre,
00:56 loin de la pression scolaire, loin de la pression familiale.
00:59 J'avais besoin aussi de ressentir une intensité.
01:01 Et l'alcool, au début, m'a apporté ces choses-là.
01:04 Quand je commence à l'âge de 14 ans, c'est uniquement dans des contextes festifs.
01:08 Et puis petit à petit, j'ai envie de boire de plus en plus souvent,
01:12 de plus en plus intensément.
01:13 Avant d'arriver en soirée, c'est devenu un art de vivre pour moi.
01:16 Et si je n'avais pas cette phase,
01:18 il y avait déjà un syndrome de manque ou une angoisse, une frustration.
01:22 Au début, j'ai besoin de très peu pour être bourré 2-3 verres de rosé.
01:25 Ensuite, ça se compte en nombre de bouteilles.
01:27 Au début, j'ai bu pour rechercher cette intensité, cette liberté.
01:30 À la fin, je buvais juste pour être un peu moins mal.
01:32 Il y a eu des signes alarmants, en fait très rapides.
01:35 Aujourd'hui, j'en ai conscience,
01:36 mais à l'époque, j'ai l'impression que c'est la normalité.
01:39 Je pouvais cacher des bouteilles à côté de moi
01:42 pour que personne ne touche à mon alcool.
01:43 Je simulais des envies d'aller aux toilettes
01:45 et j'allais prendre des cuissecs ou des shots
01:48 quand personne ne me regardait.
01:50 Je pouvais créer des disputes, des actes de violence.
01:53 En fait, mon horloge interne me criait de boire,
01:56 me criait de prendre sa dose quotidienne.
01:59 Et c'était ça, ma vie.
02:00 En lendemain de soirée, combien de fois je me suis dit "plus jamais".
02:02 Dans l'addiction, mes promesses ne tiennent pas.
02:04 Je peux me promettre quelque chose un matin,
02:06 ensuite le soir même ou le lendemain.
02:08 L'envie vient, c'est quelque chose qui vient te prendre les tripes,
02:10 quelque chose qui te suffoque.
02:11 Et je ne suis pas plus fort que l'alcool.
02:15 Ensuite, évidemment que l'alcool créait des problèmes,
02:18 notamment ma déscolarisation, ma dépression et autres problématiques.
02:23 Avec mes proches, ça a été très compliqué.
02:25 J'étais dans le déni, j'étais dans la fuite.
02:27 Je préférais boire tout seul en cachette
02:29 que de me confronter à leur regard ou leur parole moralisatrice.
02:32 Ils ont essayé des dizaines de fois de me faire voir que j'étais dépendant.
02:36 J'ai fait des périodes d'arrêt qui duraient 10 jours, 2 semaines.
02:40 Mais je pense que je le faisais essentiellement pour les autres,
02:42 pour leur prouver que je n'étais pas dépendant.
02:44 Dès que je ne buvais pas pendant 10 jours,
02:46 je me disais "mais en fait, tu n'es pas du tout un alcoolique
02:48 parce que tu arrives à ne pas boire tous les jours".
02:50 Un alcoolique, c'est forcément quelqu'un qui boit tous les jours.
02:53 Et là, je recommençais et je devais rattraper le temps perdu.
02:55 Ma dernière prise d'alcool, un 31 mars 2015,
02:59 ça remonte à il y a plus de 8 ans maintenant.
03:00 J'étais arrivé au bout avec des idées noires.
03:03 Je n'arrivais même plus à me nourrir.
03:04 Et c'est ma maman qui s'est assise au pied de mon lit
03:08 et qui m'a parlé des alcooliques anonymes.
03:09 Ça a été une bouée de sauvetage pour moi.
03:11 Cette première fois aux alcooliques anonymes,
03:14 je suis pétrifié, une immense peur.
03:16 Qu'est-ce que je vais trouver de l'autre côté de cette porte ?
03:18 Je me suis assis au dernier rang et j'ai juste écouté.
03:22 Moi qui me sentais tellement différent, si seul.
03:25 Eh bien là, ici, j'avais ma place.
03:28 Et ça part de là.
03:29 Avoir sa place quelque part, pouvoir enlever ses masques.
03:32 Que c'est libérateur, que c'est apaisant.
03:34 Et ça booste, ça donne une énergie pour essayer de passer ces quelques heures
03:38 ou ces quelques jours suivants sans boire.
03:41 Après cette première aux alcooliques anonymes,
03:43 je m'attends à ce que l'abstinence soit une pilule magique.
03:46 Ça a été très difficile au début.
03:48 J'ai eu l'impression de traverser la vie comme une petite mort.
03:52 C'était fade, c'était morose, c'était sans vie.
03:54 C'était dur.
03:55 J'ai dû accepter de tirer un trait sur certaines situations,
03:59 certains lieux, certaines personnes.
04:01 En fait, l'idée c'est de se créer un environnement
04:03 où il est plus simple de ne pas boire.
04:05 Quand j'arrête à l'âge de 24 ans, je suis perdu, je ne me connais pas.
04:08 Je ne sais pas qui je suis, je ne sais pas ce que j'aime,
04:10 je ne sais pas qui j'aime.
04:11 Ça a l'air insurmontable, c'est terrifiant.
04:14 Petit à petit, j'essaye de voir tout ce que j'ai à gagner
04:16 plutôt que tout ce que je perds.
04:18 Et tout ce que j'ai à gagner, c'est l'absence de gueule de bois,
04:21 c'est peut-être de retrouver des liens avec mes véritables amis,
04:24 avec ma maman, mes frères.
04:26 D'être en lien, c'est ça qui m'a sauvé.
04:28 D'essayer d'avoir un peu plus d'amour propre, moi qui me détestais.
04:32 Parce que si j'ai un peu plus d'amour propre,
04:33 j'ai moins de raisons de me détruire.
04:35 Dans l'abstinence, je redécouvre ce que c'est l'amour.
04:38 Je redécouvre ce que c'est de pouvoir être responsable,
04:40 de pouvoir faire attention à quelqu'un d'autre.
04:43 Je retrouve l'envie de lever la tête et d'avancer.
04:46 Et c'est ça qui est beau, c'est ça qui est tellement riche.
04:48 Toutes ces émotions-là, elles me donnent envie de vivre.
04:51 Et je me remercie tous les jours de choisir l'abstinence.
04:55 Je me remercie d'avoir choisi la vie.
04:58 Je suis aussi ici pour dire que l'addiction ne discrimine personne.
05:02 Que bien sûr, ça touche les jeunes.
05:04 Et qu'il peut y avoir énormément de souffrance,
05:06 même quand on est jeune, et de trouver des solutions,
05:09 par exemple l'alcool ou d'autres drogues,
05:11 pour essayer de se soulager.
05:13 Mais comme ces produits sont délétères,
05:14 ça détruit encore davantage.
05:16 Et ensuite, on rentre dans des rouages infernaux.
05:19 J'ai plus de 8 ans d'abstinence aujourd'hui.
05:21 J'ai co-écrit un livre qui s'appelle "D'avoir trop trinqué, ma vie s'est arrêtée",
05:24 qui explique à la fois mon parcours et aussi ma reconstruction.
05:27 Et aujourd'hui, je suis un patient expert en addictologie.
05:29 J'accompagne des personnes qui souffrent d'addiction.
05:31 Je me rends aussi dans des collèges, dans des lycées,
05:34 pour témoigner, pour faire des conférences
05:36 et pour semer des petites graines de sensibilisation.
05:39 Ma vie tourne autour de ce sujet,
05:41 mais c'est comme ça que je tourne la page.
05:43 C'est comme ça que j'ai moins peur d'aller regarder ce qui m'a fait mal.
05:47 J'accepte mon passé, j'accepte qui je suis
05:49 et je suis bien mieux dans ma vie aujourd'hui.
05:52 [Sonnerie]
05:54 Merci.

Recommended