• il y a 2 ans

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00:00 Cette année, le Premier ministre indien Narendra Modi est l'invité d'honneur du 14 juillet.
00:05 Une invitation très controversée étant donné le virage de plus en plus autoritaire qu'a pris l'Inde ces dernières années.
00:10 Alors quels sont les enjeux de la visite du Premier ministre indien ?
00:14 L'Inde de Modi est-elle devenue un partenaire incontournable en dépit de ses atteintes à la démocratie et au droit humain ?
00:21 Pour en discuter, je reçois ce matin une philosophe, Divya Dwivedi. Bonjour.
00:26 Oui, je pense que le comportement du gouvernement indien depuis assez longtemps est bien connu.
00:30 Cette occasion du défilé du 14 juillet, eh bien la présence de l'Inde indique que c'est un partenaire important,
00:38 en effet, dans les affaires internationales, dans les relations commerciales.
00:43 Mais ce n'est pas ce qui est intéressant.
00:45 Ce n'est pas ce qui est intéressant.
00:47 Eh bien la présence de l'Inde indique que c'est un partenaire important, en effet, dans les affaires internationales, dans les relations commerciales.
00:57 Mais le soutien ainsi accordé au gouvernement au pouvoir, le BJP et son organisation maire, la RSS,
01:07 et cet adoubement de la part des pays riches du monde, les Etats-Unis, la France, l'Australie, les Etats-Unis,
01:15 eh bien tout cela ne doit pas nous aveugler sur cette collision de value jamais plus apparente qu'en ce jour du 14 juillet 2023.
01:25 En effet, le 14 juillet commémore un événement qui a vu le renversement de la monarchie
01:32 et une révolution sociale est advenue qui a modifié la structure de la société.
01:39 Une telle révolution n'est jamais arrivée en Inde. Mais cette organisation maire du BJP, le RSS,
01:51 est justement l'organisation qui s'attache à préserver la structure sociale des castes.
01:56 Les castes est un système trimillénaire de discrimination à la naissance, en fonction de la naissance.
02:04 C'est le plus vieux schéma de discrimination dans le monde.
02:07 Donc aujourd'hui, on voit un clash des valeurs et des principes qui devraient régir le monde.
02:14 Et ça indique la fragilité des démocraties tant en Inde qu'en France. Et c'est inquiétant pour l'avenir.
02:22 On va revenir sur ce système de castes, Divya Dwivedi.
02:25 Je rappelle que vous êtes philosophe et autrice indienne, professeur à l'Institut indien de technologie de Delhi.
02:31 Et pour commencer peut-être cette discussion, je voudrais vous demander comment vous qualifiez,
02:35 du point de vue politique, l'idéologie qui soutient le régime, le rapport au pouvoir du Premier ministre indien, Narendra Modi ?
02:43 Modi est l'itération et l'expression la plus récente de cette idéologie qu'on connaît sous le nom d'hindouisme nationaliste.
02:59 C'est l'idéologie d'une organisation qui a été fondée en 1925, le RSS.
03:06 Cette organisation était directement inspirée par l'idéologie nazie en Allemagne et fasciste en Italie.
03:15 Et elle a accompagné plusieurs autres organisations indiennes qui avaient été créées à la même époque à travers tout le continent indien.
03:25 Mais il faut se demander à quoi répondait, à quel besoin répondaient ces organisations ?
03:32 Et elles poursuivent leur programme depuis maintenant plus de 100 ans.
03:36 Qu'est-ce qui les motive ? Quels sont leurs objectifs, ces organisations nationalistes ?
03:44 C'est un peu l'axiome qui nous permet de comprendre l'Inde contemporaine,
03:48 à savoir que le nationalisme hindou est le bras de la suprématie des classes supérieures.
03:57 On peut dire que l'hindouisme, la religion hindoue et toutes les organisations qui le défendent, le promuevent,
04:06 sont toutes des organisations hindoues qui sont main dans la main avec les classes supérieures et qui promuevent le suprématisme hindou.
04:17 Pour bien comprendre ce que vous êtes en train de nous expliquer Divya Duvedi,
04:20 est-ce que au fond l'hindouisme sert beaucoup plus un système de caste, donc les castes supérieurs de la société, beaucoup plus qu'une religion ?
04:33 Vous notez les symboles, le contenu de la doctrine, des pratiques, des rituels,
04:45 et que l'on regarde l'image de l'Inde et de l'hindouisme dans le monde aujourd'hui.
04:51 Personne ne peut se tromper. Tout ce symbolisme est tiré de la culture des classes supérieures et de leur suprématie.
05:00 Ça remonte au Veda et les personnes qui les ont rédigés se dénommaient des Aryens.
05:09 Il faut expliquer ce que sont les Vedas, ces textes millénaires qui fondent l'hindouisme.
05:17 Les Vedas sont des compositions politiques qui prescrivent des rites et des rituels qui donnent la cosmologie et l'ordre social, les lois qui régissent l'ordre social.
05:36 Elles sont dictées par les Vedas. Les Vedas racontent aussi l'histoire des origines.
05:40 Mais ceux qui ont composé ces Vedas avaient migré vers le nord du Pakistan et de l'Inde, tel qu'on les connaît aujourd'hui, vers 1500 avant notre ère.
05:55 Et on connaît ces peuples, ces personnes, uniquement à travers leurs écrits.
06:02 Et surtout, le rite Veda s'apporte une théorie sur l'origine des textes.
06:11 En fait, c'est la base d'une distinction basée sur la couleur et des attributs personnels.
06:18 Les distinctions font que les Brahmins sont la caste supérieure, suivie par les chakryas ou les guerriers,
06:28 et ensuite la classe des travailleurs et des commerçants, les bhanyas.
06:32 Ces trois castes sont celles qu'on appelle les castes supérieures.
06:36 Et elles forment en fait une population minoritaire du sous-continent indien, et ce depuis les 300 dernières années.
06:46 Le reste de la population, on les appelle les chudras, ça veut dire les serviteurs.
06:52 Et la cinquième caste sont les intouchables, les dalits, qui sont considérés comme des intouchables.
07:01 Ce sont des pariahs en fait, ils sont hors caste.
07:04 Et ils continuent de rester des intouchables, même aujourd'hui les dalits.
07:07 Comment est-ce que le Premier ministre indien fait référence, utilise ces textes ?
07:12 Je lisais ce matin une interview de Modi dans le journal Les Echos, qui est un journal économique français.
07:19 Et il faisait référence au Veda, mais il mentionnait plus l'ouverture que suggéraient ces textes,
07:24 l'ouverture sur le monde des textes tolérants, à l'opposé de cette vision hiérarchique que vous mettez en lumière aujourd'hui.
07:35 Rien dans les Vedas qui donne cette hiérarchie.
07:47 Et dans la culture bramanique, rien ne s'oppose non plus à cette hiérarchie.
07:54 Jusqu'au début du XXe siècle, les penseurs de la désobéissance civile, comme Gandhi,
08:01 ont défendu le système de caste et sans équivoque.
08:09 Il n'est pas possible que le monde ignore cet aspect de leurs écrits, qu'ils n'ont pas eux-mêmes cherché à cacher.
08:16 Il en va de même avec le racisme.
08:19 Les fonctions des castes survient en se manifestant et en punissant très sévèrement toute transgression.
08:27 Et on rend publiques ces transgressions, de sorte que personne ne peut obliger son origine sociale et maintenue.
08:33 Et les castes sont maintenus par l'endogamie, à savoir le contrôle de la sexualité des femmes.
08:40 Et les castes organisent aussi la hiérarchie sociale et économique, avec la ségrégation entre les différents métiers.
08:48 C'est vraiment un système d'apartheid, le système de caste.
08:54 Et hormis les messages ésotériques de certains textes anciens,
08:58 eh bien ça ne peut pas nous faire oublier que ces textes contiennent en eux-mêmes la justification du plus ancien racisme qu'on ait vu sur la planète.
09:07 Et la conséquence de ce que vous nous expliquez Divya Dwivedi, elle est aussi très très concrète pour les minorités religieuses en Inde.
09:14 Et je pense notamment aux minorités musulmanes, chrétiennes, sikhs.
09:18 Comment est-ce que c'est aujourd'hui d'être membre de ces minorités en Inde ?
09:27 Avant de répondre à votre question, j'aimerais insister sur un point.
09:33 Le système de caste a été importé dans les pratiques sociales de toutes les religions minoritaires en Inde.
09:42 C'est très triste qu'en dépit de leur doctrine universaliste, leur message de l'islam, de la chrétienté, du sikhisme,
09:51 eh bien ils pratiquent quand même le système des castes avec l'intouchabilité et le fait que les classes inférieures sont des domestiques.
10:02 Tous ces groupes religions reproduisent cela.
10:06 Il y a eu un moment important représenté par l'avènement du colonialisme.
10:13 Il faut bien comprendre que pendant près de 3000 ans, le système de caste a prospéré sans être remis en question,
10:22 y compris avec l'élite musulmane, les empereurs moghols.
10:31 Et quand les moghols ont régné, les classes supérieures ont perdu un petit peu de leurs privilèges français et autres,
10:39 y compris à travers les conversions qui ont eu lieu à l'islam.
10:44 Mais la classe supérieure restait l'élite de la société.
10:50 Par rapport aux musulmans, ils sentaient de la rivalité, de la concurrence, de la jalousie.
10:56 Mais c'est le colonialisme qui a perturbé le système des castes.
11:02 À travers l'éducation des missionnaires, pour la première fois, les castes inférieurs pouvaient recevoir une instruction,
11:09 une éducation dans le système moderne d'éducation, ont appris l'anglais et le message de l'universalisme.
11:16 Et puis le colonialisme a entraîné des changements structurels au niveau des métiers, des professions.
11:24 Par exemple, les intouchables n'étaient plus cantonnés, otages subalternes,
11:29 ils pouvaient être enrôlés dans l'armée, dans d'autres secteurs de l'économie, pour la première fois.
11:34 Et ça a été là la naissance, la graine de la mobilisation, de ce grand mouvement de mobilisation contre les castes.
11:41 Les castes inférieurs ont compris qu'elles pouvaient s'organiser, s'éduquer,
11:46 et des intellectuels ont commencé à s'exprimer pour s'opposer au système de castes.
11:51 Et donc pour la première fois, les classes supérieures voyaient leur suprématie remise en question et possiblement renversée.
12:01 C'est à ce stade qu'elles ont compris qu'elles devaient trouver une nouvelle stratégie pour continuer de diriger la société.
12:12 Et c'est ainsi que la religion hindoue a été inventée pour s'assurer que les classes inférieures
12:19 n'allaient pas remettre en question les castes supérieurs.
12:22 Et c'est l'hindouisme qui perpétue cette notion que les classes inférieures sont des domestiques qui appartiennent à leur maître.
12:35 Et c'est pour ça qu'on a fait des musulmans l'ennemi intérieur et l'envahisseur qui vient de l'extérieur.
12:44 Mais c'est la même logique qui préside au fait que les chrétiens sont considérés comme des ennemis civilisationnels
12:51 et les chrétiens sont presque autant persécutés que les musulmans.
12:54 Alors racontez-nous justement, les musulmans en Inde, ils sont 200 millions, les chrétiens sont eux 35 millions.
13:01 Racontez-nous Divya Dwivedi, comment concrètement ils sont persécutés, comment ils risquent leur vie pour beaucoup d'entre eux au quotidien ?
13:12 Aujourd'hui, la forme la plus visible des persécutions exercées à leur encontre, eh bien, c'est à travers les lois contre la conversion religieuse.
13:29 Mais cela permet à l'Etat de se justifier quand il arrête des musulmans pour excuser le lynchage et le meurtre des musulmans,
13:38 meurtres qui ont lieu souvent parce qu'ils mangent du bœuf et que ça heurte la sensibilité des hindous.
13:48 Mais je vous rappelle que le bœuf est interdit uniquement pour les classes supérieures.
13:52 Donc c'est encore un moyen pour la classe supérieure de se protéger.
13:59 C'est un schéma qu'on voit se développer depuis 2014, depuis l'avènement au pouvoir de Modi.
14:07 Ce combat est un petit peu moins intense.
14:14 On a mis un peu la bétale douce sur la persécution des musulmans.
14:18 Vous savez, depuis la séparation de l'Inde, le transfert par les Britanniques à la classe supérieure indienne,
14:26 il y a eu des pogroms incroyables organisés contre les musulmans à grande échelle,
14:31 une mobilisation de tout le pays contre la destruction d'une mosquée, comme vous le savez,
14:37 qui a conduit à des émeutes et des pogroms à travers tout le pays,
14:42 et qui a aidé à promouvoir cette croyance dans l'hindouisme nationaliste.
14:50 Et selon des journalistes, plus de 2 000 musulmans étaient tués et des milliers déplacés
14:59 dans l'état du Gujarat lorsque Narendra Modi était le gouverneur de cet état.
15:05 Entre 2001 et 2014, c'était sous sa responsabilité que cette oppression massive des musulmans ait eu lieu.
15:15 Ces incidents se sont répétés en 2013 et en 2020 dans la capitale, Delhi,
15:20 où Donald Trump, le président américain, était en visite.
15:25 Donc on dirait que les visites d'état marquent un rythme létal dans ce plan de persécution.
15:31 L'état du Gujarat, il faut le préciser, qui se situe à l'ouest de l'Inde, juste au-dessus de Bombay,
15:37 quel est le rôle aujourd'hui ? Est-ce qu'il est actif ou est-ce qu'il est plutôt indirect ?
15:41 Le rôle du Premier ministre indien, Modi, dans ces persécutions que subissent en Inde
15:48 les musulmans, les chrétiens et les sikhs ?
15:53 Le programme systématique de la RSS, à travers sa branche politique, qui est le BJP,
16:04 a été d'occuper et de s'approprier tous les états de l'Inde,
16:13 en contrôlant les agences qui mènent les enquêtes, l'appareil judiciaire, la police.
16:22 Donc le gouvernement peut demander à la police d'ignorer les violences qui ont lieu,
16:30 même si elles sont massives.
16:33 Mais depuis 2014, la police est souvent l'agent des violences,
16:41 et lorsque les victimes de lynchage veulent se plaindre, elles ne sont pas entendues,
16:49 notamment toutes les persécutions autour du fait de consommer de la viande de bœuf.
16:54 Je vous raconte tout ça pour vous montrer que la question de savoir si Modi joue un rôle direct ou indirect,
17:00 c'est un peu une question cruelle, parce que les conséquences de ces pogroms sont si lourdes,
17:08 qui d'autre peut nous tenir responsable que le chef de l'Etat, le Premier ministre ?
17:14 C'est lui qui a la main. Mais je tiens à ajouter que nous n'avons pas d'institution qui pourrait nous aider
17:23 à mener des enquêtes objectives pour découvrir les preuves, le rôle direct ou indirect.
17:29 Après 20 ans de poursuites judiciaires, tous les leaders, y compris Modi, ont été excusés.
17:38 Enfin, ça a donné lieu à des non-lieux.
17:41 Un mot aussi sur les enseignants, Divya Dwivedi. Je rappelle que vous êtes philosophe et vous avez expliqué
17:48 il y a quelques années qu'être philosophe en Inde, je cite, peut vous faire tuer.
17:53 Qu'est-ce que vous vouliez dire par là ? Est-ce que votre vie est en danger parce que vous enseignez la philosophie,
17:57 parce que vous faites de la philosophie en Inde et dans des universités indiennes ?
18:03 Oui, en effet, on sait depuis Socrate que faire de la philosophie peut vous conduire à être exécuté
18:13 pour par exemple que la religion de l'Etat soit préservée, que la culture dominante de la société soit préservée
18:20 et non pas bouleversée. Mais dans la tradition de la philosophie occidentale, c'est proverbial.
18:26 Oui, en Inde, malheureusement, c'est le cas. Trois philosophes rationalistes qui travaillaient avec le public
18:36 pour faire diminuer l'influence du système des castes et des rituels religieux associés,
18:43 et bien trois de ces philosophes ont été assassinés devant leur maison entre 2013 et 2015.
18:50 C'est donc tout récent. Et l'Inde a été témoin de cet assassinat public fait pour intimider les étudiants,
19:03 les professeurs et les chercheurs, les empêcher de se servir de la philosophie pour aller vers une société égalitaire et éclairée.
19:15 Merci beaucoup, on va poursuivre cette discussion avec vous Divya Dwivedi à partir de 8h20.
19:20 Je rappelle que vous êtes philosophe, autrice indienne, professeur à l'Institut Indien de Technologie de Delhi.
19:26 On parlera de l'Inde à l'international. Et puis je remercie aussi Eva Der pour l'interprétariat de cette discussion.
19:33 Il est 7h58.
19:35 7h-9h, les matins d'été. Quentin Laffey.
19:41 Et l'on poursuit notre discussion sur l'Inde, l'Inde invitée officielle de ce 14 juillet avec Divya Dwivedi,
19:48 philosophe et autrice indienne, professeure à l'Institut Indien de Technologie de Delhi.
19:53 Elle est rejointe dans cette deuxième partie d'émission par Mélissa Levaillant. Bonjour.
19:56 Bonjour.
19:57 Vous êtes docteure en sciences politiques, spécialiste de l'Inde et des enjeux de sécurité en Indo-Pacifique.
20:02 Et pour commencer peut-être une lumière sur l'année 2023 qui marque les 25 ans du partenariat stratégique
20:09 entre la France et l'Inde. Ce partenariat avait été signé en 1998 par Jacques Chirac.
20:17 Est-ce que vous pouvez nous expliquer, Mélissa Levaillant, quel était le contenu de ce texte et de cet accord ?
20:24 Alors l'objectif de cet accord, de ce partenariat stratégique, c'était vraiment d'approfondir les relations,
20:35 de se projeter pour un approfondissement des relations entre la France et l'Inde,
20:39 principalement dans les domaines de la sécurité et de la défense.
20:42 Et donc il y a des partenariats de coopération qui ont été créés dans le domaine du nucléaire civil,
20:47 dans le domaine du spatial, et progressivement en fait ça s'est construit et renforcé dans différents domaines,
20:54 dans le domaine naval, dans le domaine aérien et aussi évidemment ce qui est le plus connu peut-être
20:59 dans le domaine de l'armement avec des exportations importantes d'armement de la France vers l'Inde.
21:05 Quel est l'intérêt pour la France aujourd'hui de nouer un partenariat stratégique avec l'Inde ?
21:10 Quel est l'intérêt au fond même de s'investir du point de vue militaire dans cette zone indo-pacifique ?
21:16 Alors l'Inde, pour la France, c'est vraiment un des partenaires clés dans la zone indo-pacifique.
21:23 Il faut vraiment le recadrer dans le contexte justement de l'émergence de cette stratégie de défense française en indo-pacifique
21:28 qui a été publiée en 2019. Dès 2018, Emmanuel Macron lorsqu'il s'est rendu en Australie parlait d'un axe France-Inde-Australie
21:39 et d'une volonté de renforcer la présence française en indo-pacifique.
21:43 Donc c'est lié au territoire d'outre-mer que possède la France dans la région.
21:47 Mayotte et la Réunion ?
21:48 Oui et puis la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie.
21:51 Le fait que la France a des bases militaires à la Réunion, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française,
21:59 aussi à Djibouti, aux Émirats Arabes Unis.
22:02 Enfin voilà, il y a des intérêts économiques aussi énormes pour la France dans cette région indo-pacifique.
22:07 Et l'Inde est identifiée comme un des partenaires stratégiques majeurs dans la zone et notamment pour coopérer dans l'océan Indien.
22:15 Et ça s'est renforcé d'autant plus dans un contexte post-hocus.
22:20 Donc "hocus", c'est l'an dernier lorsque les Américains, l'Australie et le Royaume-Uni ont annoncé leur alliance militaire.
22:29 Ça a entraîné pour la France la perte du contrat sous-marin de Naval Group avec l'Australie.
22:34 Et au-delà de cette perte de contrat d'armement, ça a vraiment mis un frein à la relation de défense entre la France et l'Australie.
22:41 Et donc pour la France, c'est d'autant plus important de renforcer ce partenariat avec l'Inde
22:48 pour se projeter et pour essayer d'identifier des pistes de coopération futures dans l'océan Indien mais aussi dans le Pacifique.
22:55 Est-ce que l'Inde est aussi pour la France un partenaire d'opportunité, notamment pour s'opposer à l'adversaire de cette zone,
23:03 le grand adversaire qui prend sans doute de plus en plus de place en Indo-Pacifique, à savoir la Chine ?
23:09 Oui, alors évidemment pour la France comme pour l'Inde, l'adoption de stratégies en Indo-Pacifique,
23:13 c'est une réponse à la montée en puissance chinoise et notamment à cette Belt and Road Initiative,
23:17 donc ces routes maritimes et terrestres de la soie que met en place la Chine depuis 2013.
23:23 Ce qui est important, c'est que la France comme l'Inde ont un positionnement assez similaire par rapport à l'Indo-Pacifique
23:33 et leur relation à la Chine, c'est que pour les deux États, elles sont très inquiètes de cette montée en puissance de la Chine,
23:40 de cette rivalité-croissance, la France nomme la Chine comme "rival systémique", c'est le vocabulaire adopté ici par l'Union Européenne,
23:46 mais la France comme l'Inde ne veulent pas non plus s'insérer dans une politique de stratégie offensive à l'égard de la Chine,
23:54 parce que les deux pays n'en ont pas les moyens.
23:56 Donc l'idée pour la France comme pour l'Inde, c'est d'essayer de promouvoir un ordre Indo-Pacifique libre et ouvert, inclusif,
24:03 et d'essayer de trouver des moyens de contraindre la Chine dans ses actions par la promotion de projets concrets,
24:11 par la promotion d'initiatives, en renforçant leur relation avec d'autres pays de l'Indo-Pacifique,
24:16 en leur proposant une alternative à la Chine, mais en essayant le moins possible d'être dans la confrontation avec la Chine,
24:23 ce qui les différencie des États-Unis.
24:25 Quelles annonces devraient être faites par les deux exécutifs français et indiens au cours de cette visite officielle du Premier ministre indien en France à Paris ?
24:35 Quelles annonces devraient être faites du point de vue des ventes d'armes ? Et quel est l'enjeu sous-jacent à ces partenariats ?
24:42 Les indiens ont confirmé hier qu'ils acceptaient l'achat des 26 Rafales marines,
24:49 aussi de 3 sous-marins Scorpène qui viennent compléter les 6 sous-marins Scorpène qui avaient déjà vendu la France à l'Inde.
24:55 Il y aura aussi des partenariats dans le développement conjoint de moteurs d'avions et d'hélicoptères par Safran.
25:01 C'est la poursuite de ces partenariats structurants.
25:04 La France est aujourd'hui le deuxième exportateur d'armes vers l'Inde.
25:08 C'est 20% des importations d'armement de l'Inde derrière la Russie, mais devant les États-Unis.
25:14 C'est quelque chose d'extrêmement important et qui a vocation à s'accroître.
25:18 Au-delà de l'armement, il y a une volonté des deux États de renforcer leur coopération de défense et de sécurité,
25:26 d'aller au-delà de ça, de vraiment renforcer leur coopération sur des domaines de la sécurité maritime,
25:31 de la lutte en tous marines, du renseignement, de la cybersécurité.
25:34 C'est vraiment l'idée qu'après 25 ans de partenariat stratégique, les deux États ont atteint un niveau de confiance
25:42 qui leur permet de se projeter encore plus loin.
25:44 Divya Dwivedi, vous avez évoqué dans la première partie de cette émission l'idéologie du Premier ministre indien,
25:53 en particulier en ce qui concerne la façon de gouverner son pays.
25:57 Mais quelle est sa vision à l'international ?
25:59 Quelle est sa vision stratégique pour le déploiement de l'idéologie indienne à l'international ?
26:06 Je pense que cette vision s'inscrit depuis très longtemps dans l'Inde moderne, mais ça remonte à des temps très anciens.
26:22 Il faut se rappeler que Modi, son gouvernement et le RSS se sont servis de toutes les activités de l'État,
26:29 comme cette visite officielle, pour faire leur campagne au niveau national, pour avoir du poids,
26:36 pour peser sur les élections, et les élections, comme vous le savez, en Inde auront lieu l'an prochain.
26:42 Mais il faut garder l'œil sur la longue durée, car le modèle indien qui est si manifeste dans ses intentions assassines,
26:52 aujourd'hui avec le BGP, le RSS et Modi, c'est un modèle qui a été exporté en Europe au 18e siècle, en fait.
27:02 Ce modèle a été activement promu auprès des pays européens, des philologues.
27:08 Et au moment où les théories raciales, racistes se développaient en Europe,
27:18 il y a eu toute cette inspiration du corpus bramanique, essentiellement raciste, qui a mené à l'équation blanc = arien.
27:27 Et cette doctrine arienne s'est encore développée par Leon Poliakov,
27:39 et Gobineau a inspiré la théorie raciste aux Etats-Unis à travers des textes traduits.
27:47 Et dans l'Allemagne nazie, Gobineau et sa vision des castes et de la suprématie arienne a inspiré Alfred Rosenberg,
27:56 Julius Evola dans l'Italie fasciste et la génération de l'extrême droite en Europe, dont Miguel Serrano.
28:06 Cette idéologie arienne était très vivante aussi sous la plume d'Alain Dubenois, Alexander Gouden, l'ultra-ail, l'ultra-droite.
28:16 La fraternité arienne aux Etats-Unis, les formations d'extrême droite suédoises comme Arctos Media,
28:25 et la fondation hindoue américaine qui mène une campagne pour protéger les castes aux Etats-Unis.
28:37 Et ça s'appelle le Manifeste du Dharma écrit en 2013.
28:44 En fait, ce que je veux dire, c'est qu'à part l'impact à court terme sur le comportement des électeurs,
28:54 et bien que l'Inde se prévale d'apporter un équilibre dans la politique mondiale et d'être à égale distance de la Russie et de la Chine,
29:04 je crois qu'il faut beaucoup s'inquiéter de la connexion internationale entre l'extrême droite indienne
29:11 et les mouvements d'extrême droite en Europe et aux Etats-Unis. Il y a des liens.
29:16 Je m'inquiète de la fragilité de l'état de la démocratie en Inde comme en France, des menaces à la démocratie, et on voit cela dans le monde entier.
29:26 Ce modèle est exporté par Modi à travers le monde et ce modèle indien doit vraiment nous alarmer.
29:33 - Mélissa Levaillant, vous faites la même analyse, ce continuum entre le régime indien et les extrêmes droites autour du monde ?
29:40 - C'est vrai qu'il y a des convergences de points de vue entre l'URSS et les régimes d'extrême droite dans le monde.
29:47 Pour avoir fait plusieurs terrains en Inde, c'est vrai que l'URSS fait souvent référence à l'Allemagne nazie comme une référence normale,
29:55 ce qui est assez choquant d'un point de vue français, évidemment.
30:00 - Et même au-delà ? - Et même au-delà, oui.
30:02 Donc ça, c'est vrai. C'est un point d'attention qu'il faut avoir.
30:06 Et je pense qu'il faut aussi avoir un point d'intention sur les conséquences potentielles.
30:10 Il y a cette dimension stratégique que j'ai mise en avant qui n'est pas seulement liée au BGP.
30:17 - Le BGP, c'est le parti de Modi. - Le parti nationaliste indien hindou.
30:23 Ce n'est pas seulement lié à ce gouvernement-là.
30:25 Je pense que si c'était un gouvernement du Congrès, il y a une très forte continuité dans la politique étrangère de l'Inde.
30:30 Et Emmanuel Macron aurait sans doute reçu de la même façon un chef d'État qui serait originaire du Congrès.
30:38 Donc la réception de l'Inde aujourd'hui par la France, ça s'inscrit vraiment dans cette continuité stratégique
30:46 qui est décorrélée des enjeux de politique intérieure en Inde.
30:51 En revanche, même s'il y a ce contexte stratégique, en effet, il faut être vigilant
30:56 et il faut s'interroger constamment où sont les lignes rouges, jusqu'où est-ce qu'on veut aller avec le partenaire indien
31:01 si jamais tous ces signaux d'alarme s'aggravent et si jamais les conditions du régime démocratique en Inde
31:10 s'aggravent encore plus que ce qu'elles le sont aujourd'hui.
31:12 - Nidhia Dewaidee, le Premier ministre indien avait exprimé lors du dernier G20
31:18 qu'il souhaitait que l'Inde devienne le gourou de la planète.
31:21 Comment est-ce que vous interprétez cette expression, le gourou de la planète ?
31:25 - Je vous fais sourire.
31:27 - Oui, vous avez déjà tiré les conclusions de ce que j'ai dit à propos de la doctrine aryenne
31:33 qui, depuis le 18e siècle, au moins, est un des gourous de l'Europe.
31:40 J'espère que ce n'est pas le gourou dont a besoin l'Europe
31:43 parce que tout l'héritage de la philosophie européenne, de l'état de droit, les droits humains,
31:51 toute la recherche antiraciste qui a été réalisée en Europe,
31:56 eh bien, tout cela doit échapper à l'emprise de cette idéologie si sombre.
32:05 Alors, Modi, là, jouit d'un grand prestige à travers des événements comme celui d'aujourd'hui,
32:11 mais est-ce que le monde, est-ce que la France veut revenir à cette idéologie ?
32:17 Est-ce que la France veut revenir à cette idéologie d'extrême droite ?
32:23 Il faut se rappeler que, très récemment, lorsqu'il était en visite aux Etats-Unis,
32:29 bon, encore une fois, c'était une visite d'Etat,
32:31 et c'est vrai que si ça avait été un Premier ministre du Congrès, du parti du Congrès,
32:35 mais lorsque l'ancien président Barack Obama a fait des remarques critiques
32:40 sur l'état de la démocratie et des droits humains en Inde,
32:43 eh bien, il a fait l'objet d'attaques brutales,
32:46 on l'a accusé d'être un musulman en Inde, c'était à la une de tous les journaux.
32:50 Une réaction à Mélissa Le Vaillant, est-ce que vous êtes d'accord avec ce qui vient d'être dit ?
32:55 Vous-même, comment vous interprétez en tant qu'analyste cette idée
32:58 que l'Inde souhaiterait devenir le gourou du monde ?
33:04 Je doute de la capacité de l'Inde à devenir le gourou du monde.
33:08 Je pense qu'en termes de soft power, justement, Narendra Modi et sa diplomatie,
33:17 il faut remettre aussi dans le contexte de la diplomatie indienne
33:19 qui a un manque de moyens assez flagrant,
33:22 surtout si on compare les moyens entre la Chine et l'Inde.
33:26 Et je pense que le soft power indien de projection de cette culture civilisationnelle,
33:33 justement, trouve ses limites dans la promotion d'un trop fort nationalisme hindou.
33:39 Et je doute de sa capacité à devenir le gourou du monde.
33:43 Merci beaucoup à toutes les deux, Divya Dwivedi.
33:45 Je rappelle que vous êtes philosophe et autrice indienne,
33:48 professeur à l'Institut indien de technologie de Delhi.
33:51 Et Mélissa Le Vaillant, vous êtes docteur en sciences politiques,
33:53 spécialiste de l'Inde et des enjeux de sécurité en Indo-Pacifique.
33:57 Et merci à toutes les trois, puisque vous étiez accompagnée d'Evader,
34:00 qui s'est chargé de la traduction de cette discussion.
34:03 France Culture, il est 8h35.

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