• l’année dernière
Transcription
00:00 Aujourd'hui, je ne suis pas au studio, comme vous pouvez le constater.
00:03 Je suis à Versailles et vous reconnaissez la cour de Marbre.
00:06 Je vous emmène en exclusivité dans les cabinets intérieurs de Marie-Antoinette,
00:10 que l'on va visiter avec la conservatrice Hélène Delalex.
00:14 Bonjour Hélène Delalex.
00:15 Bonjour Végéan Giraud.
00:16 Merci de nous accueillir dans votre boudoir, on peut dire ça comme ça.
00:19 Oui, dans notre ancien cabinet du billard.
00:21 [Musique]
00:31 Dans cette pièce, contrairement à ce à quoi on pourrait s'attendre,
00:34 il n'y a pas de billard.
00:35 C'est une pièce rectangulaire aux murs blancs avec des soirées lyonnaises
00:40 sur deux des murs, des meubles assortis en bois doré.
00:43 C'est absolument somptueux, ce sont des meubles d'époque.
00:46 Oui, absolument.
00:48 Le cabinet est dans un grand état d'authenticité avec à la fois la garniture
00:52 qui avait été posée sur les murs et puis également tout cet ensemble
00:56 de mobilier, à la fois de folio mais aussi de jacob, commandé par la reine.
01:01 Ce qui était ce cabinet du billard, l'une des pièces les plus riches
01:04 de cet étage.
01:06 Un grand billard d'ailleurs en bois des Indes qui faisait presque
01:10 4 mètres sur 2, qui apparaissent parfaitement sur les plans.
01:12 Le billard était vraiment très à la mode.
01:15 Depuis le règne de Louis XIV, la reine aussi, elle avait d'ailleurs
01:18 une queue d'ivoire spécialement tournée pour elle, dont elle conservait
01:23 la petite clé.
01:24 Et effectivement, la particularité de cette pièce, c'est cette tenture
01:27 absolument prodigieuse qui a été placée ici vers 1785-1786.
01:35 Il s'agit de la plus riche tenture jamais produite sous l'Ancien Régime.
01:41 Un grand lampa en soie avec un fond chenillé et à la fois broché,
01:47 puis aussi avec des médaillons brodés qui sont brodés par un point
01:50 très particulier qui donne l'impression que les broderies sont dans le tissu
01:54 lui-même.
01:55 34 couleurs, ce qui est absolument inouï.
01:58 Et presque 100 000 livres livrés par Jean Charton à Soyeuil-Nolier.
02:04 100 000 livres, vous aviez déjà un bon petit château avec un parc
02:07 pour 100 000, donc c'était tout à fait prodigieux.
02:10 Hélène Delalex, je vous laisse nous emmener dans la salle à manger
02:12 des cabinets intérieurs de Marie-Antoinette.
02:14 On découvre ici cette toile dite "Aux Grandes Ananas".
02:27 Alors, l'étude des archives montre qu'il y avait également ici,
02:31 en 1784, une grande Perse de Jouy, comme on dit, une grande indienne,
02:35 motif exotique, fond blanc.
02:37 Et effectivement, le choix s'est imposé vraiment comme une évidence
02:40 parce que cet ananas, en fait, il rassemblait presque de façon
02:44 miraculeuse tous les critères que nous recherchions pour cette pièce.
02:47 À la fois, c'était un lait entier, donc nous avions tout le rapport
02:52 de dessin qui n'avait jamais été posé, donc qui conservait les couleurs
02:55 originales, donc nous n'avons pas dû interpréter des couleurs qui
02:57 auraient vieilli.
02:58 Et c'est des couleurs très vives d'ailleurs qu'on voit ici.
03:00 C'est des couleurs extrêmement vives, près de 22 couleurs dans le lait
03:04 original, donc ça nous situe hiérarchiquement cette toile comme
03:07 une livraison forcément royale.
03:10 C'est une pièce qui a alterné entre pièces de retraite, salle à manger,
03:13 je le disais tout à l'heure, tous les deux ans.
03:15 Et ici, dans un état salle à manger, on se rend compte avec cette table
03:18 livrée par l'ébéniste Riesner, ses chaises Jacob garnies, comme
03:22 c'était l'usage, de la même tenture que les murs.
03:25 Et puis, vous voyez ici un petit rafraîchissoir aussi, qui servait
03:29 à rafraîchir les bouteilles et ça servait aussi de petite table
03:32 de dessert.
03:33 Et la Reine véritablement, elle dînait.
03:37 Ici, dîner, c'est un peu notre déjeuner à nous, c'est-à-dire qu'elle
03:41 était moins soumise aux grands cérémoniales du soir, avec quelques favoris.
03:46 - Alors ici, on est dans les cabinets intérieurs et pas des appartements.
03:49 Quelle est la différence ?
03:50 - C'est tout à fait juste.
03:52 En fait, par praticité, parfois on parle de petits appartements,
03:55 mais tout a un sens à Versailles.
03:57 Vous avez l'appartement, le grand appartement, ensuite l'appartement
04:01 intérieur, le petit appartement et appartement, ça veut dire que vous
04:04 avez une chambre.
04:05 Donc ici, il n'y a pas de chambre.
04:06 Donc, on parle de cabinets et elles sont vécues comme des petites
04:11 pièces de retraite pour la journée.
04:12 Et la Reine allait toujours dormir dans sa grande chambre jusqu'à
04:16 la fin du règne.
04:17 - Alors racontez-nous un petit peu l'histoire des cabinets intérieurs
04:19 de Marie-Antoinette.
04:20 C'est elle qui décide de les aménager ?
04:22 - Alors oui, c'est la première Reine qui étend à ce point ses espaces
04:27 personnels.
04:28 Dès son arrivée à la cour en 70 jusqu'en 1788, auparavant,
04:32 les Reines avaient, pour Marie-Thérèse, deux ou trois petites
04:36 pièces, un oratoire, une bibliothèque.
04:37 Et donc, elle va petit à petit à la fois s'étendre et puis coloniser
04:42 aussi des espaces, puisqu'en fait, à Versailles, les espaces n'étant
04:45 pas extensibles, principalement dans le corps central, eh bien,
04:49 il faut pour cela récupérer des petits espaces, à la fois à ses
04:52 femmes de chambre, au valet de chambre du roi, au propre valet
04:55 d'ailleurs de son fils.
04:56 Ce qui explique aussi un petit peu l'aspect des dalles et labyrinthe
05:00 en fait de ces cabinets.
05:01 Elle n'aménage pas un espace complet, elle fait avec ce qui est là.
05:04 Et les architectes vont rivaliser d'ingéniosité pour essayer de
05:07 symétriser les pièces et former une sorte de, on peut le voir
05:11 aujourd'hui, de canevas tout à fait charmants entre des pièces
05:14 petits écrins et puis des choses très simples, des petits passages,
05:18 des toutes petites pièces simplement peintes en blanc.
05:19 Et ça frappe souvent les visiteurs de voir ces minuscules pièces
05:24 qui sont parfois très simples, qui sont l'endroit véritablement
05:27 où vivait la souveraine.
05:28 - C'est vrai qu'on a l'impression d'un intérieur presque bourgeois
05:31 avec des petites pièces très bien décorées, mais loin des fastes
05:34 de la galerie des glaces, par exemple.
05:36 Et d'ailleurs, ce n'est pas si petit que ça, même si les pièces
05:39 sont des petits modules, parce qu'il y a plein de pièces justement.
05:42 Donc là, on se trouve dans le cabinet du billard.
05:44 Il y a le cabinet de la méridienne, mais il y a aussi la bibliothèque
05:48 qu'on verra tout à l'heure.
05:49 Il y a combien de pièces à peu près ici ?
05:50 - On va dire il y a une vingtaine sur les deux étages.
05:53 Une vingtaine de petites pièces.
05:54 Alors, c'est des toutes petites pièces, mais finalement,
05:56 quand on enfile le collier de perles, ça fait quand même des espaces
05:59 tout à fait conséquents.
06:01 - Ces appartements, on voit bien qu'ils sont retirés des lieux de vie
06:05 de la cour classique.
06:07 On imagine bien qu'on ne peut pas être à 50 courtisans dans ces pièces-là.
06:11 Est-ce que c'est un appartement qui est créé pour être un peu
06:14 à l'ombre des regards, pour être retiré avec ses favoris ?
06:17 - Oui, tout à fait.
06:18 En fait, l'accès à ces cabinets intérieurs,
06:23 est strictement réglementé.
06:24 Alors, évidemment, si le château est depuis toujours largement ouvert
06:27 à tous, eh bien, pas partout.
06:29 Et donc, les différents accès ici sont gardés jour et nuit
06:32 par le personnel de la chambre.
06:33 Et puis, les femmes de chambre, ce qu'on appelle les premières femmes
06:35 de la reine, avaient une liste des très rares favoris
06:39 à pouvoir prétendre y pénétrer.
06:42 Et donc, c'est des petits espaces pour la vie intime de la reine,
06:46 aménagés essentiellement, où elles recevaient essentiellement
06:51 ses enfants, donc sa famille, mais ses enfants,
06:54 et puis vraiment quelques favoris triés sur le volet.
06:57 Et il faut bien imaginer que finalement, ces cabinets intérieurs,
07:02 ça forme presque un monde intérieur à Versailles,
07:04 qui est parallèle au monde officiel et d'apparat du grand appartement,
07:08 et qui est pratiquement ignoré de la cour.
07:10 Il y a un page qui découvre ces petits cabinets
07:13 lorsque la famille royale est partie en 1789,
07:15 qui dit "je découvrais un labyrinthe absolument inconnu de moi".
07:19 Il avait passé presque 30 ans à la cour.
07:21 - Incroyable !
07:23 Et alors justement, on y entre comme on veut
07:25 quand on est Madame de Paulignac, quand on est Monsieur de Fersen,
07:28 ou il faut quand même être appelé par la reine pour pouvoir venir ici ?
07:31 - Non, c'est exclusivement sur invitation de la reine.
07:35 Et donc, comme vous le disiez, certaines personnes s'incouscissent
07:38 du cercle de ses favoris, de sa coterie, comme on disait,
07:42 dont faisait partie évidemment Madame de Paulignac,
07:44 mais aussi le baron de Bézenval et bien évidemment Fersen.
07:47 - On voit que la toile de jouy à l'ananas se prolonge
07:49 dans une toute petite pièce qui est derrière la salle à manger
07:52 avec deux fauteuils, une petite table basse décorée
07:55 avec une porcelaine fleurie.
07:57 C'est quoi cette toute petite pièce ?
07:59 C'est un boudoir pour discuter, pour échanger des confidences ?
08:01 - Oui, exactement, c'est un tout petit boudoir,
08:03 vraiment la plus petite pièce des cabinets de Marie-Antoinette.
08:06 Et elle pouvait ici soit s'isoler,
08:09 soit recevoir un membre de son cercle,
08:12 ou même être avec ses enfants.
08:13 Et on voit qu'est-ce que c'est finalement
08:16 que ces cabinets de Versailles,
08:17 qui ensuite ont influencé toute l'Europe.
08:19 C'est vraiment un univers, parfois tout petit,
08:21 mais d'une extrême harmonie.
08:22 - Évidemment, il a fallu un architecte
08:24 pour aménager ce lieu absolument fabuleux.
08:26 Son nom n'est pas forcément le plus connu de l'histoire,
08:29 c'est Richard Meeck. Vous pouvez nous le présenter ?
08:31 - Oui, alors Richard Meeck, il a la particularité d'être...
08:34 Ça, c'est une grande nouveauté, l'architecte dédié à la Reine,
08:37 sous le curieux titre, d'ailleurs, non pas de premier architecte,
08:41 mais d'intent en général des bâtiments, des jardins de la Reine.
08:46 Et donc c'est avec Meeck qu'elle va notamment remodeler
08:49 complètement le petit Trianon, les jardins,
08:51 "culbuter" tous les jardins, comme disait joliment Mercie d'Argento.
08:56 Et puis c'est lui qui va élaborer le petit théâtre de la Reine à Trianon.
08:59 Et c'est avec lui, vraiment en duo, qu'elle va, à partir de 1779,
09:02 remodeler complètement ses cabinets intérieurs.
09:06 Et donc il forme une sorte de duo, très dévoué,
09:10 évidemment, il exécute tous ses désirs,
09:11 ce qui plaisait beaucoup à Marie-Antoinette,
09:13 et notamment d'Angivilliers, le comte d'Angivilliers,
09:15 le nouveau surintendant des bâtiments du roi,
09:17 eh bien il aura bien du mal, finalement, à asseoir son autorité,
09:20 et même à freiner les dépenses,
09:22 sur ce duo formé par la Reine et son architecte,
09:24 puisqu'en fait, ce qui caractérise la Reine,
09:26 c'est qu'elle prend de plus en plus d'indépendance administrative aussi.
09:28 Elle ne passe plus par les bâtiments du roi,
09:30 ne passe plus par le garde-meuble de la couronne,
09:32 et cette indépendance administrative, eh bien,
09:34 cause beaucoup de troubles, justement, dans l'organisation de la couronne.
09:37 -Hélène de Lalex, on a souvent l'image d'une Marie-Antoinette
09:40 qui ne s'intéresse qu'à la mode, à des frivolités, à son apparence.
09:43 Mais là, on est bien dans une bibliothèque extraordinaire.
09:46 Alors, est-ce qu'elle était une grande lectrice ?
09:48 -Alors, pour être honnête, non,
09:50 malgré les cent péternelles injonctions et supplications, même,
09:54 de sa mère, l'impératrice, qui lui demande de lire,
09:58 comme elle n'a pas confiance, elle lui demande d'ailleurs
09:59 de lui faire des fiches de lecture pour bien montrer qu'elle est en vain.
10:03 Mais son lecteur, l'abbé de Vermont, nous dit qu'en fait,
10:06 elle est très intelligente, très vive, très rapide,
10:09 sauf qu'elle se lasse très vite.
10:10 Donc elle lit, mais pas longtemps, en fait.
10:12 Il faut toujours qu'elle passe d'un sujet à un autre.
10:14 Mais en fait, elle lisait aussi beaucoup ce qui lui plaisait.
10:17 Donc elle lisait beaucoup de poèmes, de romans galants,
10:23 également des pièces de théâtre, et puis surtout beaucoup de musique.
10:26 C'est une très grande passionnée de musique.
10:27 Et donc, elle lisait même des partitions
10:30 qu'elle arrivait parfaitement à déchiffrer.
10:31 -C'est Richard Meeck qui a organisé cette pièce.
10:35 Et il paraît qu'il y a un système très astucieux pour organiser les livres.
10:38 -Oui, alors, cette pièce,
10:39 elle est aussi dans un très grand état d'authenticité,
10:41 parce que vous le voyez, ces petites tablettes, là,
10:44 elles sont reliées par des crémaillères
10:45 pour régler la hauteur des tablettes.
10:47 Et ce sont vraiment les crémaillères d'époque.
10:49 -Il y a un petit détail qui me saute aux yeux,
10:51 c'est que quand on ferme la porte de cette bibliothèque,
10:54 il y a une fausse bibliothèque.
10:56 Qu'est-ce que c'est que cette coquetterie ?
10:58 -Alors, tout Versailles est en porte-feinte.
11:01 Ici, vous avez des portes-feintes avec des fausses reliures.
11:04 Vous avez également des portes-feintes dans les boiseries,
11:06 dans l'éteinture.
11:08 Et ça, évidemment, c'est pour conserver l'absolue symétrie de la pièce
11:13 et ne pas départir une cimaise avec une porte en plein milieu.
11:18 Donc, vous avez la même chose chez le roi.
11:19 Et puis, un petit peu partout,
11:21 vous avez ce qu'on appelle systématiquement
11:23 ces passages dérobés.
11:24 -Est-ce qu'on peut parler d'un style Marie-Antoinette ?
11:26 -Alors, effectivement, Marie-Antoinette a une implication totale
11:29 dans le choix de ses cabinets.
11:31 Et effectivement, quand on regarde un petit peu
11:33 tout cet ensemble de cabinets,
11:35 à la fois à Trianon, mais aussi à Versailles,
11:37 eh bien, ils sont caractéristiques
11:39 de ce qu'on peut appeler le style Marie-Antoinette,
11:41 c'est-à-dire, d'abord, on le voit ici dans les autres pièces,
11:44 un goût pour la clarté, la blancheur.
11:46 C'est l'obsession à la fois du siècle, mais de Marie-Antoinette,
11:48 la clarté, la blancheur.
11:49 Et puis, ces petits cabinets donnent sur des petites courtrices,
11:51 et donc, il fallait absolument apporter de la lumière.
11:54 On voit aussi un vocabulaire décoratif toujours léger,
11:59 avec des motifs féminins qui reviennent,
12:01 comme les nœuds de ruban, comme les perles, comme les médaillons.
12:05 Et puis, également, évidemment, les fleurs,
12:08 qui sont répandues à profusion partout,
12:10 sur les bons, sur les murs, sur le mobilier.
12:13 Vraiment, le XVIIIe siècle, c'est la passion pour les fleurs,
12:16 et parmi lesquelles la rose, le yai, la myrte,
12:19 évidemment, règnent en maître.
12:21 Et puis, à Trianon, ce sera effectivement
12:23 une teinte peut-être plus champêtre,
12:25 d'accorder le dedans avec le dehors.
12:27 En fait, on pourrait dire que partout,
12:29 c'est un art d'un extrême raffinement.
12:31 On le voit bien avec ce style arabesque, de fins entre l'un,
12:34 mais qui se déguise toujours presque de naturel.
12:37 - Exactement, c'est ce qu'on constate ici.
12:38 Il y a quelque chose de déjà très délicat,
12:40 qui est un peu en rupture avec le rococo, le baroque,
12:44 qui prévalait un petit peu avant.
12:46 Et il y a une autre influence aussi, il me semble,
12:48 parce qu'on arrive à la fin du XVIIIe siècle,
12:49 on est en train de redécouvrir Pompéi et Herculanum en Italie,
12:53 de redécouvrir l'Antique.
12:54 Donc, est-ce qu'il y a des petites touches d'Antique ici ?
12:57 - Absolument, elle souscrit complètement à ce retour à l'Antique,
13:00 comme vous dites, et notamment au cabinet doré.
13:02 Nous allons voir tout à l'heure ces nouvelles boiseries
13:04 qui remplacent la teinture qui est ici.
13:07 On retrouve des motifs presque égyptisants aussi,
13:10 avec notamment ces grandes sphinxes,
13:12 qui sont les motifs posés sur ces grandes boiseries.
13:15 Et puis aussi un motif antique,
13:17 qui est la grande Athénienne brûle-parfum,
13:20 et qui forme cet ensemble qui va ensuite donner le nom
13:23 à la pièce de cabinet doré.
13:24 Mais une Antiquité, là aussi, toujours légère,
13:29 presque avec ces petits éléments
13:31 qui sont suspendus comme ça dans ces arabesques.
13:33 - On a une deuxième bibliothèque derrière la première bibliothèque.
13:36 - Exactement, c'est un supplément bibliothèque
13:38 que la Reine fait aménager sur une ancienne pièce des femmes de chambre,
13:42 et qui mène, on le voit,
13:43 à ce qu'on appelle le grand cabinet intérieur de la Reine,
13:46 ensuite on l'appellera le cabinet doré.
13:47 Comme on le disait tout à l'heure, ici auparavant,
13:58 il y avait cette extraordinaire teinture dans laquelle nous étions tout à l'heure,
14:02 remplacée en 1783 par ces boiseries,
14:05 donc de style égyptisant, antiquisant,
14:08 des boiseries dorées réalisées par les frères Rousseau,
14:11 là aussi d'une finesse extraordinaire,
14:12 et qui ont donné ensuite le nom de cabinet doré à cette pièce.
14:16 Et puis juste en haut, Virginie, vous voyez ce fameux portrait d'ananas.
14:21 - Hélène de Lalex, parlons peu, parlons bien.
14:23 Tout ça coûte une fortune.
14:25 Est-ce que Marie-Antoinette vide les caisses de la France
14:27 pour faire ses petits appartements ?
14:29 - Alors effectivement, les dépenses de la Reine
14:30 ont beaucoup marqué l'opinion publique.
14:33 Alors à la fois peut-être pour ses cabinets,
14:35 mais là, effectivement,
14:36 l'opinion publique n'était pas forcément au courant de tout,
14:39 mais aussi dans cette période vraiment de dépenses intensives,
14:42 d'ailleurs que lui reprochait beaucoup sa mère,
14:45 sur les bijoux, les toilettes, évidemment, dont on a beaucoup parlé.
14:49 Et effectivement, elle était très critiquée pour ça.
14:51 Ça a même créé une sorte de fantasme.
14:54 Par exemple, en 1789,
14:56 quand les députés et les avocats visitent Trianon
14:59 après le départ de la famille royale,
15:00 ils s'attendent à voir à Trianon une pièce,
15:02 alors qu'ils ont lu dans les journaux,
15:04 entièrement tapissée de diamants
15:05 avec des saphirs incrustés, des colonnes tortes.
15:07 Et qu'est-ce qu'ils découvrent ?
15:08 Voilà un petit canevas aussi de pièces,
15:12 plutôt l'élégance, je dirais, à la place de la magnificence.
15:16 Mais elle se fait ensuite attaquer tout le temps,
15:19 parce qu'ensuite, quand elle arbore un style beaucoup plus simple,
15:21 à la fin du règne,
15:23 le style des robes simplement en mousseline, à l'anglaise,
15:26 avec des grands rubans,
15:28 là, elle se fait attaquer parce que, justement,
15:29 sa tenue est trop simple.
15:31 Et il y a les Soyeux lyonnais qui l'accusent directement
15:34 de la ruine de leur industrie.
15:35 Ils vont voir Necker, d'ailleurs, pour obtenir que la reine,
15:37 au moins une fois par semaine, porte des Soyeux lyonnaises
15:40 et non pas ses robes à l'anglaise.
15:42 Quoi qu'elle fasse, trop simple, trop riche.
15:44 Elle est soumise à la critique
15:46 parce qu'elle est sur le devant de la scène aussi.
15:48 - Oui, Necker, qui était le ministre de l'Economie,
15:50 et donc, on attendait qu'il fasse rayonner l'industrie française
15:53 et l'industrie de la soie, qui était le fer de lance de Lyon.
15:56 - Tout à fait.
15:57 - Est-ce que Marie-Antoinette est la première reine
15:58 à avoir la main mise sur le décor de son univers ?
16:01 Est-ce qu'elle était plus libre que les autres reines sur ce point ?
16:05 - Oui, tout à fait.
16:06 C'est la première reine déjà à étendre autant ses espaces personnels
16:08 et puis à s'y impliquer autant aussi.
16:11 Donc, elle est une sorte de décoratrice avant l'heure.
16:15 Elle contrôle tout.
16:16 Elle est très exigeante.
16:17 Elle a vraiment un goût très sûr.
16:18 Et puis, aussi, surtout, elle change tout le temps la vie.
16:21 Et donc, on voit même que même dans l'exécution d'un même cabinet,
16:24 eh bien, ordre et contre-ordre se succèdent continuellement
16:28 dans l'exécution d'une même tâche.
16:29 Quand elle est terminée, elle demande 1 000 nouveaux agencements.
16:31 Au point, je trouve, dans les sources,
16:32 que les artisans disent qu'on croit perdre la tête.
16:35 Alors, les artisans perdent la tête, l'historien aussi,
16:38 parce que je vous assure que quand on regarde les archives,
16:40 eh bien, moi, je pensais que tous les 3 ans, ça changeait à peu près.
16:44 Maintenant, tous les 2 ans, j'ai encore découvert,
16:45 il n'y a même pas une semaine, encore un nouvel état.
16:48 Et donc, voilà, elle veut perpétuellement être au goût du jour.
16:51 Et justement, la grande nouveauté de ces toiles de jouy,
16:54 ça va être qu'elles sont d'une production, finalement,
16:56 beaucoup plus rapide que les soirées lyonnaises très riches
16:59 qui sont autour de nous.
17:00 Et donc, ça lui permettait aussi de s'adonner
17:02 à ce goût très changeant, à l'époque,
17:04 qui était diffusé par les journaux de mode.
17:06 Et voilà, tous les 6 mois, il y avait une nouvelle couleur à la mode,
17:09 un nouveau motif à la mode,
17:10 au point, parfois, vraisemblablement, d'en avoir le tournis.
17:12 -Donc, dans la restauration de ces cabinets,
17:14 il a fallu choisir un état, un instant T.
17:17 On ne peut pas montrer toute la diversité
17:19 qu'ils ont connue sous l'époque de Marge Antoinette.
17:21 -C'est vraiment exactement ça.
17:23 Il a fallu choisir, s'arrêter, effectivement, sur un état.
17:26 Et on a choisi l'état 1784. Pourquoi ?
17:29 Parce que c'était le mieux documenté.
17:30 -Donc, ici, c'est le cabinet de la méridienne.
17:33 La méridienne, c'est une sieste, c'est ça ?
17:35 -Oui, alors, la méridienne, ça indique le moment
17:37 où le soleil est à Sanzénie, donc le midi.
17:39 Et puis, ça indique aussi, en fait,
17:41 ce qu'on appelle une méridienne en art décoratif.
17:43 C'est aussi cette sorte d'automane, on pourrait dire, de sofa
17:46 sur laquelle la reine pouvait s'allonger quelques heures
17:51 et qui a donné, du coup, à la mi-journée,
17:53 eh bien, ce nom à la pièce.
17:55 -Et donc, là, on voit une sorte d'alcôve avec ce sofa
17:59 parm et doré dans un tissu spectaculaire.
18:02 Et tout autour, il y a ce qui semble être un miroir
18:05 très piqué, ancien.
18:06 Il est là depuis l'époque de Marie-Antoinette.
18:09 -Oui, tout à fait. C'est ce qu'on appelle une niche de glace.
18:11 Et d'ailleurs, sur les archives,
18:12 les glaces sont qualifiées de extraordinairement grandes,
18:15 ce qui était aussi le prouesse technique.
18:18 Et puis, c'est aussi, en fait, les gens ne le savent pas souvent,
18:20 mais une sorte d'ingéniosité de l'architecte,
18:22 parce que vous voyez ces toutes petites pièces
18:24 extrêmement précieuses, mais qui donnent, finalement,
18:26 sur des cours assez tristes et sombres.
18:28 Et donc, effectivement, on plaçait ici une grande fenêtre,
18:31 là aussi avec, comme on dit, des glaces extraordinairement grandes,
18:35 pile face au miroir pour essayer de renvoyer la lumière
18:38 et ensuite qu'il se reflète sur la blancheur des boiseries.
18:41 -Tout ça, ce sont des restitutions.
18:43 Ce ne sont pas les soirées d'époque.
18:45 -Exactement. Nous avons parfois eu la chance de conserver
18:49 un lait original du XVIIIe siècle
18:51 qui sert de base à ces restitutions textiles.
18:53 Et ça, c'est plus généralement la grande histoire de Versailles
18:56 qui vient depuis les 50 dernières années.
18:58 C'était de retisser les textiles,
19:00 mais dans les mêmes maisons qui les avaient livrées au XVIIIe siècle,
19:04 notamment à Lyon,
19:05 où ils ont encore les archives des commandes de la reine.
19:07 Et ça, c'est des très grandes aventures.
19:09 Ne serait-ce que la toile ici, qui est derrière nous,
19:12 la grande soirée, d'ailleurs, avait été retissée une première fois
19:15 par Eugénie, tout ce qu'on peut dire,
19:17 qui était absolument passionnée, vous le savez, par la reine.
19:20 Et puis ici, elle a été retissée dans les années 1986,
19:23 et on a presque neuf ans de tissage.
19:26 Il a fallu reconstruire, inventer un métier à bras
19:29 pour ce tissage vraiment tout à fait inouï et iconique
19:33 du style Marie-Antoinette.
19:35 - Il est exceptionnel.
19:36 Il faut absolument le voir de ses yeux.
19:38 Et est-ce que le style Marie-Antoinette lui a survécu ?
19:41 Est-ce qu'elle a eu une influence jusqu'au XIXe,
19:43 voire peut-être jusqu'à aujourd'hui ?
19:45 - Force est de reconnaître que si elle était
19:49 une sorte de célébrité à l'époque,
19:52 d'ailleurs, c'est un mot qui apparaît à cette époque,
19:54 où finalement, c'est son goût qui crée la tendance,
19:56 eh bien, aujourd'hui encore, il faut reconnaître
19:58 qu'elle est encore partout présente, en fait,
20:00 et qu'elle continue à inspirer les créateurs.
20:04 On le voit dans les magazines de mode,
20:07 comme ça, qui exaltent encore ce style Marie-Antoinette
20:09 dont nous avons parlé ensemble.
20:11 Elle continue d'inspirer les créateurs
20:14 qui revendiquent son héritage,
20:15 qui admirent son extravagance, aussi son audace,
20:19 et notamment au premier rang desquels Karl Lagerfeld.
20:21 Et puis, les magazines aussi en font une sorte d'icône
20:26 à la fois du chic à la française,
20:30 qu'on peut dire, en tout cas, de l'industrie du luxe à la française.
20:32 Et je dirais, mais même chez les pâtissiers aujourd'hui,
20:34 on peut retrouver du style Marie-Antoinette,
20:37 évidemment, popularisé par le film de Sofia Coppola,
20:39 et au petit fameux "Macaron pastel",
20:41 qui est une liberté de la réalisatrice.
20:44 Mais force est de reconnaître quand même
20:45 qu'elle est encore partout présente aujourd'hui.
20:47 - Pendant combien de temps ces cabinets intérieurs
20:49 ont-ils été fermés, Hélène Delalex ?
20:51 - Écoutez, pendant près de 10 ans,
20:53 puisqu'en fait plusieurs chantiers se sont succédés,
20:55 un chantier qui touchait vraiment la structure du corps central sud,
20:58 donc pendant à peu près 5 années.
21:01 Et puis, suite à ce grand chantier structurel,
21:03 nous avons donc initié ce chantier de restauration
21:06 et de remeublement de ces cabinets.
21:08 Donc, au final, un peu plus de 10 ans.
21:11 - Merci pour cette visite exceptionnelle.
21:12 J'invite vraiment tous nos auditeurs, s'ils passent par Versailles,
21:15 à venir voir les cabinets intérieurs de "La Reine",
21:18 qui sont exceptionnels.
21:19 Et je rappelle qu'ils peuvent aussi se procurer votre livre
21:22 "Marie-Antoinette, la légèreté et la constance",
21:25 qui est paru aux éditions Perrin en partenariat avec la BNF.
21:28 C'est un livre magnifique, avec plein d'archives, des illustrations,
21:32 et qui est en très bonne place dans mes bibliothèques personnelles.
21:34 - Merci beaucoup, Virginie.
21:35 - Et moi, je vous retrouve très bientôt
21:37 sur votre plateforme de podcasts favorite.
21:39 Mais d'ici là, je vais finir mon petit tour.
21:41 [Musique]

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