Il arrive toujours un moment où les titans se combattent entre eux. Les relations entre le maréchal Pétain et son brillant poulain De Gaulle n’échappèrent pas à cette malédiction. Deux grandes figures de l’Histoire qui chacun à un moment de leur vie marquèrent le destin de la France : Pétain en 1917 lorsqu’il prit le commandement des armées françaises et De Gaulle en 1940 en continuant le combat puis en 1944 empêchant le pays de devenir un satellite des États-Unis. Semblables par bien des points, partageant chacun à leur époque une vision moderne de l’armée, l'Histoire va les dresser l'un contre l'autre.
Invité de "Passé-Présent", le général Michel Issaverdens a publié aux éditions Godefroy de Bouillon "Pétain et De Gaulle, une part de vérité", ouvrage dans lequel il réfute le manichéisme de la vérité officielle.
La Revue d'Histoire européenne : bit.ly/42tCcbT
Invité de "Passé-Présent", le général Michel Issaverdens a publié aux éditions Godefroy de Bouillon "Pétain et De Gaulle, une part de vérité", ouvrage dans lequel il réfute le manichéisme de la vérité officielle.
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00:00 Je n'avais pas prévu de m'adresser à nouveau à vous, mais la situation l'exige.
00:04 En effet, la situation financière de TVL reste totalement préoccupante
00:09 si nous ne bouclons pas notre budget avant la mi-juillet,
00:13 et ce n'est actuellement pas le cas.
00:16 Concrètement, malgré votre mobilisation, il nous manque quoi ?
00:19 300 personnes qui envoient un don de 100 euros.
00:23 300 personnes qui envoient un don de 100 euros.
00:25 Voilà l'enjeu. Il n'est pas mince, j'en suis conscient.
00:28 Et pourtant, cela représente 22 minutes de propagande de France Télévisions avec nos impôts.
00:36 Je compte sur vous pour répondre à cet appel à l'aide pour votre télévision, celle de vos idées.
00:41 Retirez-nous cette épine du pied pour nous permettre de repartir d'un bon pas
00:46 pour les prochains mois à l'avance. Merci.
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01:22 [Musique]
01:25 Chers amis téléspectateurs, bonjour et bienvenue dans Passer présent,
01:28 l'émission historique de TVL, présentée en partenariat avec la revue d'Histoire Européenne.
01:35 "Je l'ai trop aimé pour ne point le haïr."
01:38 Cette phrase de Jean Racine tirée d'Hermione illustre bien ce que furent les rapports entre Philippe Pétain et Charles de Gaulle.
01:45 Car il est bien connu qu'il arrive un moment où les titans se combattent entre eux,
01:49 et les relations entre le maréchal Pétain et son brillantissime poulain de Gaulle n'échappèrent pas à cette malédiction.
01:55 Deux grandes figures de l'Histoire qui chacun, à un moment de leur vie, marquèrent le destin de la France.
02:01 Pétain en 1917 lorsqu'il prit le commandement des armées françaises,
02:05 et de Gaulle en 1940 en continuant le combat, puis en 1944 empêchant le pays de devenir un satellite des Etats-Unis.
02:13 Semblable par bien des points, partageant chacun à leur époque une vision moderne de l'armée,
02:18 tous les deux hommes du nord de la France.
02:20 D'un côté un Philippe Pétain profondément ancré dans sa terre familiale,
02:24 sa famille s'y perd dans ses racines les plus lointaines, paysans, petits-bourgeois ou propriétaires.
02:29 Pétain est un officier pauvre qui toute sa vie gardera le sens de l'économie.
02:33 Catholique, il n'est pas calotin comme beaucoup de ses camarades.
02:36 Libre penseur militaire, il est aussi très libertin et cultive le goût des conquêtes.
02:40 Comme il le dira fréquemment, ses deux passions sont l'amour et l'infanterie.
02:44 Charles de Gaulle, lui, est bien né fils d'Henri de Gaulle, professeur reconnu au collège de l'Immaculée Conception de la rue de Vaugirard à Paris.
02:51 Possédant un triple doctorat, sciences, lettres et droits, Henri de Gaulle est un légitimiste convaincu d'une grande piété et sans être bigot.
02:59 Il a été éduqué, formé et intellectuellement nourri par les jésuites et il est père de cinq enfants.
03:04 Son fils, Charles, brillantissime, est doué d'une prodigieuse mémoire qu'il s'emploie sans cesse à travailler.
03:10 Il grandit dans un milieu ultra-traditionaliste qui ne sera pas sans marquer ses idées.
03:15 Philippe Pétain, Charles de Gaulle, Saint-Cyr et leur baillu commun.
03:19 C'est au 33ème régiment d'infanterie que de Gaulle choisira de passer son année de service.
03:23 Ce régiment est commandé par un vieux colonel du nom de Philippe Pétain.
03:28 La destinée va alors les mêler à tout jamais. Ils ont 34 ans d'écart mais une chose les lie profondément, leurs non-conformistes.
03:35 Et c'est cette histoire commune, tourmentée, tumultueuse que nous allons évoquer en compagnie de notre invité, le général Michel Issaverdins.
03:43 Michel Issaverdins, bonjour.
03:45 Bonjour.
03:46 Vous êtes Saint-Cyrien, un cavalier. Vous avez fait votre carrière dans l'arme blindée et vous avez également eu des responsabilités dans le domaine de la maîtrise des armements.
03:57 En gros, vous avez travaillé sur le désarmement et ça vous a amené à effectuer de nombreuses missions en Europe de l'Est,
04:05 beaucoup en URSS à l'époque, puis en Russie et dans le Caucase.
04:09 Je précise que vous êtes également diplômé de Sciences Po et de l'Institut National des Langues Orientales, Langueso, section russe.
04:17 Donc vous parlez russe couramment.
04:19 Et la raison de votre présence sur ce plateau est la reddition d'un livre publié aux éditions Godefroy de Bouillon, Pétain et de Gaulle, "Une part de vérité".
04:30 Alors, je fais votre mini-cd, vous n'êtes pas historien, mais qu'est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?
04:38 Alors, ce qui m'a poussé à écrire ce livre, c'est qu'assez vite, je me suis aperçu que sur cette période, disons entre la première guerre mondiale et la fin de la deuxième guerre mondiale,
04:50 on nous mentait, souvent par omission.
04:53 Et ça m'a pris très jeune, c'était malheureusement il y a des siècles, quand je passais de septième à sixième, c'est pas tout jeune.
05:01 J'ai fermé mon livre d'histoire qui se terminait par une magnifique photo ou image en couleur du général Leclerc arrivant sur la place de l'étoile à la tête d'une armée innombrable dans laquelle il y avait quelques américains.
05:17 J'avais dix ans, j'en ai conclu que c'était lui qui avait gagné la deuxième guerre mondiale, que c'était lui qui avait organisé le débarquement et que les américains avaient envoyé un bataillon symbolique.
05:28 Un ou deux ans après, j'ai appris la vérité et j'ai été choqué. J'ai été choqué, malgré mon jeune âge, qu'on nous mente dans les livres d'histoire.
05:37 Et puis, par la suite, mon père a combattu dans la cinquième DB, l'armée de l'âtre.
05:43 J'ai constaté qu'on parlait beaucoup de la deuxième DB, pour laquelle j'ai beaucoup d'admiration, mais qu'on ne parlait pas beaucoup de l'armée de l'âtre, dont j'ai découvert l'existence à travers mon père uniquement.
05:54 Et puis, j'ai découvert aussi qu'il y avait eu, pendant cette période, un certain général joint, qui avait fait des choses pas mal non plus et dont on ne parlait pas.
06:03 Voilà. Alors, je me suis un peu plongé dans l'histoire de cette période et j'ai été un peu choqué par le manichéisme que j'y ai trouvé.
06:12 Les uns étaient tout blancs et les autres tout noirs.
06:15 – L'histoire, c'est pas ça.
06:16 – J'ai trouvé ça bizarre. Et alors, un jour, dans une librairie, j'ai trouvé un livre préfacé par Chevenemant, un livre d'histoire de Dimitri Casali.
06:26 Et Chevenemant le préfacait en écrivant enfin un livre objectif qui ne plonge pas dans le manichéisme.
06:39 Je l'ai acheté, évidemment, et je suis retombé dans le manichéisme.
06:42 Les uns étaient encore tout noirs et les autres encore tout blancs.
06:45 J'ai écrit à Jean-Pierre Chevenemant, qui m'a répondu, et sur certains points que je lui soulignais, il m'a dit "je vais faire corriger".
06:52 Je n'ai pas été voir. Mais voilà l'origine.
06:55 C'est un peu une colère contre le manichéisme, c'est ça.
07:00 – Alors, dans votre livre, effectivement, l'histoire, il n'y a pas que des bons et des méchants,
07:05 il vous a intitulé votre premier chapitre "De Gaulle, fils spirituel de Philippe Péta".
07:10 Alors, j'ai dit très rapidement qu'il s'était rencontré pendant l'année de service de De Gaulle,
07:16 lorsqu'il était à Saint-Cyr. Il arrive dans le régiment commandé par le colonel Péta.
07:21 Alors, à l'époque, qui est le colonel Péta ? Nous sommes en 1912.
07:26 – 12, oui.
07:27 – Donc, qui est le colonel Péta à l'époque ? Il n'est pas très jeune.
07:30 – Non, il a 56 ans, je crois. Donc, pas loin de la retraite.
07:34 – C'est un poireau, comme on dit à l'époque.
07:36 – Je ne sais pas si on dit ça. Un poireau, pour moi, c'est plutôt un général.
07:39 – Un général, oui.
07:40 – Bref, il commande son régiment et puis il terminera sa carrière juste après, normalement.
07:46 Donc, il n'a pas eu une carrière brillante. Pourquoi ?
07:49 Parce que, malgré des notes très correctes, il était non-conformiste.
07:53 Il s'opposait aux doctrines de l'époque.
07:55 Par exemple, la doctrine de l'époque, c'était "en avant toutes".
07:58 J'attaque, j'attaque, j'attaque et je finirai par avoir un ennemi.
08:01 Et lui, il disait "attendez, le sang des soldats, c'est quand même précieux.
08:06 On ne va pas les faire tuer par bataillon entier en pantalon rouge face aux mitrailleuses allemandes.
08:11 Commençons par bombarder l'ennemi à coup d'artillerie et après on enverra nos soldats".
08:16 Mais ce n'était pas dans la ligne. Donc, il n'était pas très bien vu.
08:19 – Et ça les plaisait ?
08:20 – Oui, parce que ce n'était pas dans la ligne.
08:24 – Mais c'est ce qu'il enseignait ?
08:26 – C'est comme ça qu'il entraînait son régiment.
08:30 Quelquefois, en outrepassant les ordres de son chef,
08:34 donc encore une fois, il n'était pas très bien vu,
08:37 mais du coup, de Gaulle, qui est arrivé dans son régiment,
08:43 a eu beaucoup d'admiration pour ce colonel,
08:45 qui a eu le courage de s'opposer à quelque chose qui était admis par tous,
08:50 mais que lui réfutait.
08:53 Et ça créait des liens entre eux, bien que, comme vous l'ayez dit,
08:57 ils aient une bonne génération de différence.
08:59 – Oui, mais alors, est-ce qu'on sait le regard de l'un sur l'autre ?
09:05 – Ah oui, on sait que de Gaulle avait beaucoup d'admiration pour son colonel,
09:09 et on sait que le colonel avait une admiration, j'allais dire filiale,
09:13 pour ce jeune sous-lieutenant qui débarquait de Saint-Cyr,
09:16 et qui était plein d'entrain.
09:18 – Qui se faisait déjà remarquer.
09:19 – Qui se faisait déjà remarquer par son entrain,
09:21 mais aussi un peu, il faut le dire, par son orgueil.
09:24 Déjà un petit peu.
09:26 – Vous voulez dire que il a très…
09:29 – Il se sentait un peu supérieur aux autres.
09:31 Il l'était peut-être, je ne sais pas,
09:33 mais enfin, pour un jeune sous-lieutenant, c'est un peu désagréable.
09:36 – Alors quel point, ce n'est pas l'image qu'on se fait de Pétain en revanche,
09:39 mais qu'est-ce qu'ils ont comme point commun ?
09:42 – Comme point commun, ils ont qu'il refuse la doctrine officielle de l'époque,
09:48 comme je le disais tout à l'heure, d'attaquer quoi qu'il arrive
09:51 en condamnant des hommes, et des hommes, et des hommes.
09:54 Et eux, ils pensaient qu'il valait mieux utiliser l'artillerie,
09:59 utiliser le terrain en manœuvrant intelligemment,
10:02 au lieu de partir bêtement tout droit face aux mitrailleuses allemandes.
10:05 Donc sur ces deux points-là, ils s'accordaient.
10:09 – Alors la guerre de 14-18 va les séparer,
10:14 et puis, comment dire, propulse Pétain au premier plan,
10:19 tandis que De Gaulle, lui, est capturé,
10:21 et il revient de la guerre, il a un peu le goût amer d'avoir raté la victoire.
10:27 Après la guerre de 14-18, quel est leur chemin respectif ?
10:31 Ils vont se retrouver, mais avant qu'ils ne se retrouvent.
10:33 – Oui, alors, pendant la guerre, si je peux ajouter deux mots sur la guerre,
10:37 j'ai lu à plusieurs reprises que Joffre avait condamné Pétain,
10:42 parce qu'il n'obéissait pas, il avait le petit doigt sur la couture du pantalon,
10:46 en le nommant commandant de la 2ème armée qui en gerbait Verdun.
10:49 – Oui.
10:51 – Moi je trouve que c'est un peu un raisonnement un peu curieux,
10:53 parce que Joffre, quand il voulait punir un général, il ne se gênait pas,
10:55 il l'envoyait à Limoges, il le limoget, alors que là, au contraire,
10:58 il l'a nommé à la tête d'une armée, et pas n'importe laquelle,
11:01 celle qui en gerbait Verdun, où les Allemands marquaient leur effort,
11:05 alors qu'on ne dise pas que c'est une sanction.
11:07 Et ensuite, si vraiment on l'avait sanctionné,
11:09 pourquoi est-ce qu'on lui aurait confié le commandement de toute l'armée française
11:13 au moment le plus difficile, au moment des révoltes,
11:16 et pourquoi on l'aurait nommé maréchal de France,
11:19 si vraiment il avait été mauvais, comme beaucoup le disent.
11:21 – Bien sûr. Et De Gaulle lui fait quel ?
11:23 – De Gaulle lui a été fait prisonnier, dès 1916.
11:26 – Oui.
11:28 – On dit, ça je ne vais pas te voir,
11:30 on dit que les Allemands ne lui ont pas rendu son arme,
11:33 parce qu'il ne s'est pas beaucoup battu, mais ça, j'avoue que je n'en sais rien.
11:35 C'est peut-être de la médisance.
11:37 – Il y a beaucoup de fédiment de légende.
11:39 – Je n'en sais rien.
11:41 – Donc après-guerre, qu'est-ce qu'ils deviennent l'un et l'autre ?
11:43 – Après-guerre, Pétain devient, disons, le patron de l'armée française,
11:46 et il fait venir De Gaulle, dont il se souvient,
11:50 comme une de ses plumes.
11:52 – Oui, c'est courant ça d'avoir des plumes ?
11:54 – Oui, c'est courant, mais aujourd'hui le chef d'état-major des armées,
11:57 il a des plumes. Un certain nombre d'officiers,
11:59 dont j'ai été pendant quelques années,
12:01 sont les plumes du chef d'état-major.
12:03 – D'accord.
12:04 – Tout chef a des plumes.
12:05 – Oui, oui.
12:06 – On dit des nègres aussi.
12:07 – Ne serait-ce que pour une question de…
12:09 – Il a des plumes, et donc, parce qu'il admirait le style de De Gaulle,
12:14 qui écrivait bien, en bon français, etc.,
12:18 et il lui a confié, à lui puis à d'autres, mais en particulier à lui,
12:22 la rédaction d'un livre qui devait s'appeler "Le soldat français".
12:25 – On en reparlera.
12:26 – Voilà.
12:27 – Et donc il se retrouve… donc il le prend, en gros, il le prend sous son aile,
12:32 dans son écurie, comme…
12:33 – Dans son écurie, et non seulement il le prend dans son écurie,
12:36 mais il le pousse, bien que De Gaulle soit d'un grade relativement modeste, capitaine,
12:42 il l'envoie faire des conférences à l'école de guerre,
12:45 ce qui n'est pas très bien vu par les autres.
12:48 – Faire des conférences alors que lui n'a même pas encore fait l'école de guerre.
12:52 – Si, si, après qu'il ait fait l'école de guerre…
12:53 – D'accord, on va parler des histoires de l'école de guerre, c'est important.
12:55 – Bon, je vais peut-être un peu trop…
12:56 – Je crois que… oui.
12:57 Donc est-ce qu'on peut dire déjà que Philippe Pétain voit finalement, en De Gaulle,
13:02 ce qu'il était lui, jeune, dans la manière d'aller contre l'ordre établi finalement ?
13:09 – Alors, sur ce point de vue-là, peut-être, sur d'autres, je ne pense pas,
13:12 parce qu'ils n'ont pas du tout le même tempérament, non, je ne pense pas,
13:15 mais il avait beaucoup d'admiration pour lui.
13:17 – Professionnellement parlant, j'entends.
13:18 – Ah, professionnellement parlant, oui, oui, certainement, oui, oui,
13:21 professionnellement parlant, sans doute, oui.
13:23 – Et il y a toujours, là, de la part de De Gaulle aussi, une grande admiration…
13:26 – Oui, pour une grande vénération.
13:29 – Ils sont sur la même longueur d'onde dans leur vision de l'armée.
13:32 – Oui.
13:33 – D'accord.
13:34 Oui, donc, De Gaulle rentre à l'école de guerre,
13:38 et je crois qu'il y a l'épisode de la mention, à la sortie de l'amphite garnison,
13:43 il a une mention passable.
13:46 – À l'issue de l'école de guerre, il n'est pas très bien noté,
13:49 alors je note quelque part…
13:51 – Je crois que "mention" assez bien…
13:53 – Oui, je ne sais pas si c'est bien,
13:54 enfin on note surtout que c'est son organe qui le dessert.
13:58 – Qui le dessert, et c'est écrit en toutes lettres, dans ses notations.
14:01 Et Pétain a fait corriger ça, ce que je trouve un peu bizarre,
14:05 il a fait corriger ça en mieux, il a remonté ses notes,
14:09 et ensuite il l'a fait désigner comme conférencier à l'école de guerre,
14:14 ce qui a créé des remous.
14:17 – Je crois qu'il y a une anecdote, d'ailleurs, quand il rentre dans l'amphi,
14:19 où Pétain fait passer De Gaulle avant, parce que c'est lui qui est le conférencier.
14:22 – Parce que c'est lui le conférencier, oui.
14:24 – Oui, quelque chose comme ça.
14:26 Mais on peut dire aussi que finalement,
14:30 Pétain continue à aiguillonner la hiérarchie en poussant De Gaulle.
14:33 – Il continue à pousser De Gaulle, oui, bien sûr.
14:35 – Non mais je veux dire, il aiguillonne aussi sa hiérarchie, il se venge mais…
14:39 – Il pousse De Gaulle malgré les avis contraires de ses collaborateurs.
14:43 – Donc il y a une première friction quand même,
14:46 au moment où ils travaillent ensemble sur un livre sur le soldat français,
14:52 et finalement le livre ne va pas sortir tout de suite, ou il est mis…
14:56 qu'est-ce qui se passe à ce moment-là ?
14:57 – Non, il ne va pas sortir tout de suite pour plusieurs raisons.
14:59 D'abord, à un moment, De Gaulle est absent, il est affecté quelque part, je ne sais plus où,
15:02 et un autre prend sa place provisoirement.
15:04 De Gaulle revient, si j'ai bien compris.
15:06 – Je crois qu'il part en Pologne, non ?
15:08 – Alors, il y a eu lieu à la Pologne, oui, c'est vrai.
15:10 Alors c'est peut-être ça.
15:11 – Non, je ne sais plus.
15:12 – Et puis, surtout, Pétain est un peu déçu par le style trop littéraire de De Gaulle,
15:17 pas assez concret.
15:19 Et par exemple, Pétain avait demandé qu'à la fin, il y ait tout un paragraphe
15:23 sur les leçons à tirer de la guerre, et ce paragraphe n'existe pas.
15:27 Et puis, on parle à peine, dans ce livre, à propos de la Première Guerre moderne,
15:32 on parle à peine de Verdun, c'est quand même grave.
15:35 Et puis, on ne parle pas assez des avions, du rôle des avions,
15:39 sur lequel Pétain insiste beaucoup.
15:41 Et donc, Pétain demande à De Gaulle de corriger, et De Gaulle refuse,
15:45 ce qui fait que ça se termine assez mal,
15:47 et du coup, Pétain décide d'arrêter les frais.
15:50 – D'accord.
15:51 – D'arrêter les frais.
15:52 Mais, quelques années plus tard, De Gaulle ayant gardé les archives…
15:56 – On y viendra.
15:57 – Bon.
15:58 – On va suivre chroniquement jusqu'à, si vous voulez, ce qui est vraiment la séparation,
16:01 parce qu'entre-temps, il y a l'apparution du fil de l'épée.
16:05 – Oui.
16:06 – Et là, il y a quand même une…
16:07 enfin, je ne sais pas si on a la dédicace dans le livre, je crois que oui.
16:11 Racontez-nous le fil de l'épée.
16:14 – Alors, le fil de l'épée, c'est dédicacé au maréchal Pétain.
16:18 – J'ai retrouvé la dédicace dans votre livre.
16:21 "Cet essai, monsieur le maréchal, ne saurait être dédié qu'à vous,
16:25 car rien ne montre mieux que votre gloire,
16:28 quelle vertu l'action peut tirer des lumières de la pensée."
16:30 – Il écrit bien.
16:31 – Oui, c'est bien écrit, donc là, je m'imagine que Pétain est plutôt…
16:35 – Ah ben, c'était sans doute une époque où le contact n'était pas rompu,
16:42 et ça montre la vénération réciproque,
16:46 encore une fois, malgré la différence de génération.
16:49 On peut dire qu'effectivement, De Gaulle a été le poulain de Pétain.
16:53 – Alors, en revanche, les relations vont se dégrader totalement en 1938.
16:58 – À peu près à cette époque-là, oui.
17:00 – Là, avec l'apparution du livre "La France et son armée",
17:03 dont le premier livre dont nous parlions à l'instant,
17:07 "Le soldat français" était resté dans les tiroirs.
17:09 – Oui.
17:10 – Qu'est-ce qu'il a fait, de Gaulle ? Qu'est-ce qui s'est passé ?
17:12 – De Gaulle avait gardé ce travail que Pétain avait décidé d'arrêter,
17:17 et il l'a terminé, et il l'a publié sous son propre nom.
17:22 Ce qui est un peu scandaleux, parce que c'était un travail d'état-major.
17:25 Il était une des plumes.
17:27 Normalement, le rédacteur officiel, c'était le maréchal Pétain.
17:31 Moi, comme beaucoup d'officiers, j'ai servi à l'état-major des armées,
17:33 j'ai été une plume pendant quelques années,
17:35 et je n'ai pas été vendre en librairie.
17:37 Je n'ai pas le style de De Gaulle, là, évidemment.
17:40 Mais je n'ai pas été vendre en librairie ce qu'on m'avait demandé
17:43 de rédiger pour le patron, pour le SEMA.
17:45 – Et donc là, c'est pareil, il y a une histoire de dédicaces
17:47 que fait changer Pétain.
17:48 – Oui, alors, De Gaulle avait rédigé une dédicace,
17:51 et Pétain n'était pas très content de cette dédicace.
17:53 Il dit "Bon, allez, je vous accorde, publiez ce livre, d'accord,
17:57 mais changez la dédicace."
17:59 Et De Gaulle a mis une nouvelle dédicace, sans la lui montrer,
18:05 qui était assez sèche, à la limite de la provocation.
18:09 Alors là, ça a été la rupture.
18:11 – Donc là, on peut dire que la rupture est consommée…
18:13 À ce moment-là, on est en 1938,
18:15 et la guerre arrive rapidement, l'année suivante en 1939.
18:18 Et là, est-ce qu'on peut dire que la rupture…
18:20 Il se fréquente un petit peu, quand même, au gouvernement de Paul Reynaud ?
18:23 – Forcément, parce que…
18:25 – Est-ce qu'on sait quels sont les rapports entre les deux hommes,
18:27 à ce moment-là ?
18:28 – Alors, Pétain était à Madrid, a été appelé par Paul Reynaud
18:32 vers la mi-mai, et il remplacera Paul Reynaud vers la mi-juin.
18:37 Et De Gaulle était sous-secrétaire d'État à la Défense.
18:42 En fait, De Gaulle n'a pas eu, vraiment, à ce moment-là,
18:48 de contact direct avec Pétain.
18:50 Il avait plutôt des contacts avec Weygand, qui était ministre de la Défense,
18:53 et les contacts n'étaient pas bons.
18:55 – Avec Weygand non plus ?
18:56 – Non, avec Weygand non plus, les contacts étaient même assez mauvais.
18:59 – Mais ils se retrouvent rarement aux réunions du Conseil ?
19:03 – C'est dit, ils se retrouvent souvent.
19:04 – Oui, avec Pétain ?
19:06 – Oui, mais Pétain…
19:08 – Et les hommes signorent, à ce moment-là ?
19:10 – C'est pas vraiment ça, c'est qu'ils étaient à deux niveaux différents.
19:12 Pétain était au niveau de la politique, il était vice-président du Conseil,
19:19 De Gaulle était sous-secrétaire d'État,
19:21 et puis en plus, ça n'a pas duré très longtemps,
19:24 parce que ça se passait au mois de juin,
19:26 et comme vous le savez, dès le 17 juin, ou soit le 17,
19:31 De Gaulle est parti à Londres, donc en fait ça n'a pas duré longtemps.
19:34 – Vous employez une drôle d'expression,
19:36 en parlant justement du départ de De Gaulle à Londres,
19:39 vous parlez du meurtre du père.
19:41 – Oui, je parle du meurtre du père, c'est surtout à propos des discours de Londres.
19:47 – Oui.
19:48 – Parce qu'en relisant les discours de Londres,
19:50 je me suis aperçu que De Gaulle enfonçait beaucoup,
19:56 envoyait des pics très durs, quelques fois personnalisés,
19:59 contre le maréchal Pétain, en tout cas contre le gouvernement français,
20:02 qui était sous la botte allemande, mais ne condamnait pas les nazis.
20:05 En tout cas, j'ai relu plusieurs discours,
20:07 je n'ai pas trouvé de condamnation des nazis.
20:10 Alors peut-être qu'il y en a-t-il, que je n'ai pas trouvé, c'est possible,
20:13 mais j'ai trouvé qu'on condamnait davantage le gouvernement français,
20:18 qui était déjà dans une situation difficile, que l'ennemi.
20:21 Et j'ai trouvé ça un peu choquant.
20:23 – Alors justement, c'est ce que vous reprenez dans votre livre,
20:26 il y a toute une série d'affirmations faites par De Gaulle.
20:33 – Oui, ou d'autres.
20:34 – Ou d'autres, mais on sent qu'il y a cette espèce de guerre entre les deux hommes,
20:40 toujours par onde ou par voix de presse interposées.
20:43 – Oui, mais la guerre, elle est enclenchée par De Gaulle.
20:46 Pétain, à un moment, a dit "mais qu'est-ce que je lui ai fait ?
20:48 Qu'est-ce qu'il me veut ?
20:49 Pourquoi est-ce qu'il m'attaque comme ça par les ondes ?
20:53 Il n'a pas eu tort de partir.
20:55 Si j'avais son âge, j'aurais sans doute fait la même chose", a dit Pétain.
20:58 – Vous pensez qu'il y a quand même encore une admiration ?
21:00 – Ça ne peut pas se terminer comme ça, brutalement.
21:04 Mais il est horriblement déçu par ces attaques très dures.
21:11 – Alors, une des principales accusations que l'on porte,
21:16 c'est que Pétain a été un des principaux responsables de la défaite de 1940.
21:22 Alors, est-ce que c'est vrai ?
21:24 – Écoutez, Pétain a quitté les affaires en mai 1930,
21:28 donc 10 ans avant 1940.
21:31 Alors quand même, désigner comme responsable quelqu'un
21:35 qui a quitté les affaires 10 ans avant, ce n'est pas très sérieux.
21:38 Si on voulait désigner des responsables, ce serait surtout, à mon avis,
21:42 ceux qui ont refusé de voter les crédits militaires,
21:44 comme Léon Blum par exemple, ou tous ceux qui étaient antimilitaristes
21:48 et qui ne voulaient pas qu'on ait trop de chars,
21:51 parce que ça aurait montré qu'on était offensif,
21:54 alors qu'il fallait donner une image défensive.
21:56 C'est plutôt ces gens-là, à mon avis,
21:58 qui ont empêché l'armée française d'être prête à la guerre.
22:02 – Alors, il y a toujours aussi la question de l'armistice.
22:05 Est-ce que l'armistice était un déshonneur ?
22:07 Et ce qui est très intéressant dans ce chapitre consacré à l'armistice,
22:11 c'est que vous faites vraiment la différence entre armistice, capitulation,
22:15 est-ce qu'il fallait capituler, est-ce que c'est un acte politique, un acte militaire ?
22:18 Alors, est-ce que vous pourriez expliquer à nos téléspectateurs
22:21 qu'il semble que ce sont des nuances,
22:23 enfin on a tendance effectivement à mettre tout dans le même lot,
22:26 mais non, il y a des vraies nuances.
22:28 – Je prendrais un exemple.
22:30 En 1870, le général Bazaine, enfermé dans Metz, a capitulé.
22:35 Ça veut dire, j'arrête, vous avez gagné, je me rends.
22:39 La guerre est finie, vous avez gagné.
22:41 Un général n'a pas le droit de capituler.
22:43 S'il capitule, on doit le fusiller.
22:45 Or, Paul Reynaud était favorable à la capitulation.
22:48 C'était une honte la capitulation.
22:50 Et il a dit au général Wegand, allez mon général, il faut capituler.
22:55 Et Wegand lui a répondu, monsieur le président,
22:57 si je capitule, vous devez me fusiller demain matin.
23:00 Est-ce que vous êtes prêt ?
23:02 Ça l'a fait réfléchir quand même.
23:04 Et le président lui était favorable à l'armistice.
23:06 Armistice, ça vient du latin, dont j'ai oublié le mot exact,
23:09 qui veut dire, Waffenstillstand en allemand,
23:12 arrêt provisoire des combats.
23:15 Arrêt provisoire des combats.
23:17 Si c'est provisoire, ça veut dire qu'on a une arrière-pensée,
23:20 et qu'on pense le reprendre quand on pourra.
23:22 C'est ce qu'a fait, il y a très longtemps, en Russie, face aux Mongols,
23:28 un certain Aleksandr Nevsky,
23:30 qui a dit à ses amis, cousins des différents principes hôtais russes,
23:35 écoutez, ils nous ont écrasés, pour l'instant on ne peut pas grand-chose,
23:38 mais préparons la revanche.
23:40 On en a fait un saint, saint Aleksandr Nevsky.
23:43 Pétain, on l'a condamné, et de Gaulle, depuis Londres,
23:46 a dit qu'il avait capitulé.
23:48 Justement, il a refusé de capituler.
23:50 Il a demandé l'armistice pour ne pas capituler.
23:52 Parce que les armées auraient capitulé, Wegand aurait capitulé...
23:57 Fini. Ça voulait dire on a perdu.
23:59 On a perdu, donc les Allemands, qu'est-ce qu'il n'y aurait pas eu ?
24:01 Les Allemands auraient sans doute envahi tout l'ensemble du pays.
24:03 On va faire du microni, mais...
24:05 Oui, c'est difficile à dire, mais peut-être que les Allemands
24:07 se seraient installés dans l'ensemble du pays, peut-être en Afrique du Nord.
24:10 Alors voilà, ça c'est effectivement...
24:12 Bon, ça, c'est difficile à dire.
24:14 Est-ce qu'on peut dire que l'armistice a sauvé l'Afrique du Nord ?
24:17 Ecoutez, ce n'est pas moi qui le dis, c'est Churchill.
24:19 Churchill a dit, heureusement qu'il y a eu l'armistice,
24:23 ça a sauvé l'Afrique du Nord, d'où on a pu relancer les opérations.
24:27 Alors, il y en a qui nient ce fait, et qui disent
24:32 Hitler n'avait pas l'intention d'aller en Afrique du Nord.
24:35 C'est possible, mais alors je pose la question,
24:37 pourquoi a-t-il demandé plusieurs fois à bénéficier
24:41 de différents aérodromes en Afrique du Nord, ce que Pétain a refusé ?
24:46 On oublie de le dire.
24:48 Pourquoi a-t-il demandé à bénéficier de l'utilisation de la voie ferrée
24:53 qui allait du Maroc à la Tunisie, ce que Pétain a refusé,
24:57 qu'on oublie de dire, c'est qu'il avait une idée derrière la tête quand même.
25:01 Vous pensez qu'il pensait préparer éventuellement une branche à retour ?
25:07 Ecoutez, il y a ça, il y a le fait qu'il ait demandé des possibilités
25:14 en Afrique du Nord, et il y a le fait qu'il a demandé à l'Espagne,
25:19 à Franco, la possibilité de passer par l'Espagne.
25:23 Donc ça aussi, ça fait beaucoup de raisons, à mon avis,
25:26 qui font qu'il pensait à l'Afrique du Nord.
25:28 Or, Franco a refusé qu'il passe par l'Espagne.
25:31 Et savez-vous pourquoi ?
25:33 Parce que huit jours avant de recevoir Hitler, de rencontrer Hitler,
25:37 il a rencontré Pétain.
25:39 Et Pétain lui dit "écoutez Franco, surtout, je sais par l'ambassadeur du Japon
25:45 qui va vous demander de laisser passer ses forces allemandes chez vous.
25:49 Surtout ne le laissez pas passer parce qu'elles iraient immédiatement au Maroc."
25:53 Et Franco a refusé.
25:55 Alors autre reproche, ou contre-vérité, Pétain aurait mis fin à la République.
26:03 Qu'en connaît-il de la République au moment du vote du 10 juillet ?
26:08 D'abord, la Troisième République était déliquescente.
26:11 Oui, mais en termes de droit ?
26:14 En termes de droit, l'Assemblée nationale, c'est-à-dire le Sénat et les députés,
26:19 se sont réunis et lui ont accordé les pleins pouvoirs.
26:22 Comme l'ont dit des historiens que je ne suis pas,
26:26 et des spécialistes du droit que je ne suis pas,
26:28 il n'y a rien de plus démocratique.
26:30 Il n'y a pas eu de putsch.
26:32 Il n'y a pas eu de putsch.
26:34 Alors on fait, les 80 députés ou sénateurs qui se sont opposés à cette décision,
26:40 on en fait des héros.
26:42 La démocratie, c'était des minoritaires.
26:45 Et les majoritaires ont raison par définition.
26:48 Mais est-ce qu'on peut dire que Pétain a mis fin à la République ?
26:52 Est-ce que la République est abolie à ce moment-là ?
26:54 On a appelé ça l'État français.
26:56 Et pourquoi ?
26:57 Pourquoi ? Ce n'est pas Pétain qui l'a inventé.
26:59 C'est dans le texte voté par les députés, que je ne connais pas par cœur,
27:02 mais que je mets dans mon livre.
27:04 Donc on donne la confiance au maréchal Pétain à l'État de diriger l'État français.
27:08 Donc on met fin aux fonctions du Président de la République.
27:11 C'est comme ça que l'a compris Albert Lebrun.
27:13 Est-ce qu'on met fin à la République ? J'en sais rien.
27:16 Enfin, on met fin à son organisation telle qu'elle était jusque-là.
27:19 Mais il ne faut pas oublier qu'on donnait les pleins pouvoirs à Pétain
27:22 en vue de rédiger une nouvelle Constitution.
27:25 Or, cette nouvelle Constitution, elle a été prête fin 1943, début 1944.
27:30 Et, curieusement, je trouve que la...
27:33 Je l'ai lue plusieurs fois.
27:35 Je trouve que la Constitution de la Ve République
27:37 ressemble furieusement au projet de Constitution du maréchal Pétain.
27:41 Mais ça, je ne sais pas si je devrais...
27:43 – Et c'est en annexe dans le livre, nos lecteurs, nos téléspectateurs.
27:46 – En particulier, donner le droit de vote aux femmes,
27:49 et mettre en place un Premier ministre.
27:53 Vous voyez ?
27:54 Donc il y a un Premier ministre depuis la Ve République,
27:56 mais Pétain avait déjà prévu, dans son projet de Constitution,
27:58 la mise en place d'un Premier ministre.
28:00 Donc je suppose que les rédacteurs de la Constitution de la Ve République
28:06 ont dû, en partie, s'inspirer de ce projet.
28:09 – Sans tête, sans tête.
28:11 Autre chose que de Gaulle a pu reprocher à Pétain,
28:14 c'est d'avoir livré aux Allemands des bases en Syrie.
28:18 Qu'est-ce qu'il en a exactement ?
28:20 – Alors, d'abord, il faut savoir que Pétain ne dirigeait pas un pays en paix,
28:24 tranquille, avec une Allemagne à mie à côté.
28:27 Il vivait dans une situation épouvantable,
28:29 avec un chantage de tous les jours, en particulier sur les prisonniers.
28:33 "Monsieur le maréchal, vous ne voulez pas ?
28:35 Eh bien, les prisonniers n'auront rien à bouffer pendant huit jours."
28:38 Qu'est-ce que vous voulez qu'ils fassent ?
28:40 Qu'est-ce que j'aurais fait à sa place ? Je n'en sais rien.
28:42 À un moment, donc, chantage aux aérodromes de Syrie.
28:47 De quoi s'agissait-il ?
28:49 Les Allemands ont exigé d'avoir la possibilité de faire une pause
28:53 pour leurs avions en Syrie, qui allaient combattre en Irak.
28:55 Évidemment, les Français ont dit non, bien sûr.
28:58 Il y a eu un Conseil des ministres dramatique,
29:00 où on a appelé Weygand, et Weygand a dit
29:03 "Il n'est pas question d'accepter une chose pareille."
29:06 Et les ministres au-dessous de la table ont dit
29:08 "Bien sûr qu'on ne peut pas, mais si on refuse,
29:10 les Allemands se serviront d'eux-mêmes, donc ce sera encore pire."
29:14 Et donc la solution, c'était de dire "Bon écoutez, on est un peu coincés,
29:17 on va mettre la barre très haut en exigeant des contreparties."
29:20 On a exigé beaucoup de contreparties,
29:22 je vais mettre dans mon livre, je ne sais plus par cœur.
29:25 Et Pétain a exigé que, bon d'accord, mais que des avions de transport
29:29 et en nombre limité. Ce qui s'est fait.
29:33 Et le mai, ça s'appelait les accords de Paris.
29:39 Ou les accords de Paris, je crois, je me trompe peut-être.
29:43 Eh bien, il faut savoir que, au moment où il a fallu les ratifier,
29:47 Pétain a refusé de les ratifier. Il a refusé de les ratifier.
29:51 Et il y a eu des représailles terribles de la part des Allemands,
29:53 en particulier sur notre économie.
29:56 Et alors, en contrepartie de cette affaire,
29:59 le général de Gaulle a envoyé des Français et des Anglais
30:02 combattre en Syrie les Français qui y étaient.
30:05 Mais il est arrivé au moment où pratiquement il n'y avait plus d'avions allemands.
30:08 Moi, je trouve que c'est un peu scandaleux d'envoyer des soldats français
30:13 tirer sur d'autres soldats français.
30:15 – D'ailleurs, vous parliez de de Gaulle et vous parliez de soldats français
30:19 qui se battent entre eux, c'est ce qu'on voit un peu plus tard en novembre 1942
30:22 avec le débarquement en Afrique du Nord, où là vraiment on peut dire
30:25 que de nouveau les deux hommes vont s'affronter presque par armée interposée,
30:30 c'est peut-être un peu fort.
30:32 – Oui, on va dire ça comme ça.
30:34 Si vous voulez, on a reproché à Pétain d'avoir fait tirer sur les Américains
30:38 qui y débarquaient. Mais là encore, la France n'était pas en paix
30:42 dans un pays tranquille. La France était sous la pression nazie,
30:45 surtout, elle poussait, on sentait qu'ils avaient envie d'intervenir en zone libre.
30:52 Et on savait très bien que si on ne défendait pas nos frontières,
30:58 les Allemands l'avaient dit, ils le feront à notre place.
31:01 Donc si on ne se défendait pas, les Allemands viendraient en Afrique du Nord.
31:04 On était "condamnés" à se battre. Mais Pétain avait dit,
31:07 en apprenant que les Américains arrivaient, s'ils viennent,
31:11 je ne sais plus les termes exacts, mais s'ils viennent avec 100 hommes,
31:14 il faut évidemment les rejeter, parce que les Allemands en prendent prétexte
31:18 pour venir en Afrique du Nord, mais s'ils viennent avec une armée,
31:21 il faut les accueillir à bras ouverts, parce que là, ça veut dire,
31:23 c'est le début de la revanche. Et donc, quand on a vu,
31:27 parce qu'on n'avait pas été mis dans le secret des affaires, bien entendu,
31:31 donc on ne savait pas quel était le nombre d'Américains qui débarquaient.
31:35 Quand on a vu que c'était du sérieux, à ce moment-là, Pétain a dit,
31:39 bon, là c'est vraiment du sérieux, on se met de…
31:41 – Donc là, il joue un double jeu, Pétain ?
31:44 – D'un côté, il était obligé, si c'était une petite affaire,
31:47 de se méfier des Allemands.
31:49 – Est-ce qu'il donne des assurances aux Allemands, tout en… officieusement ?
31:52 – Oui, alors, il… officiellement, il proteste, par les ondes,
31:56 pour que les Allemands l'entendent, mais il dit aux représentants américains
32:00 à Vichy, il s'en frotte les mains, il s'en félicite.
32:04 Et, ce que beaucoup de gaullistes refusent d'admettre,
32:07 il a envoyé un message par le câble de la marine à Darland,
32:11 qui était en Afrique du Nord, en lui disant, allez-y, je vous approuve
32:15 de reprendre le combat avec les Américains.
32:17 Beaucoup de gens disent que ce message n'a pas… est une invention.
32:21 Eh bien, je suis désolé, mais j'ai relu tous les actes du procès,
32:25 et au moment du procès, un certain capitaine de vaisseau, Archambault,
32:28 qui a envoyé lui-même le câble, est arrivé au procès
32:31 en montrant le double de ce qu'il a envoyé en Afrique du Nord,
32:34 en disant, regardez, c'est bien moi qui l'ai envoyé,
32:36 j'ai envoyé le câble de Pétain approuvant la reprise du combat auprès des Alliés.
32:41 Et un certain général, Juin, a témoigné par écrit,
32:44 parce qu'on l'a interdit de témoigner oralement au procès,
32:47 a témoigné par écrit, ce message a bien été reçu par nous en Afrique du Nord,
32:51 et il nous a libérés la conscience.
32:54 – Et alors, il y a un autre point d'ailleurs,
32:57 puisqu'on parle de reprendre le combat ou d'esprit de revanche,
33:00 il y a un fait peu connu, c'est finalement la création de réseaux de résistance
33:04 qui sont financés, voire organisés, par le gouvernement.
33:10 – Oui, alors là, je n'ai pas tous les détails,
33:12 parce que c'est un sujet que je n'ai pas tellement approfondi,
33:14 mais ce que je sais, c'est que par exemple,
33:17 il a aidé le docteur Dungler et son successeur,
33:21 dont le nom m'échappe, que j'ai dans le livre,
33:23 qui ont créé un réseau de résistance en Alsace, très fortement,
33:27 d'ailleurs le docteur Barreis a témoigné aussi en disant,
33:32 c'est Pétain qui m'a sauvé.
33:35 Et puis on a créé l'organisation de résistance de l'armée,
33:40 et puis j'en oublie un autre, et à la tête de ces organismes,
33:45 il y avait souvent des généraux qui ont fini en camp de concentration,
33:48 je pense à Delestrin, je pense à des gens comme ça, voyez ?
33:51 Donc là encore…
33:52 – Mais ce sont des organisations qui au moment de l'invasion de la zone libre,
33:56 ont réagi ou se sont mises en… ?
33:58 – Oui, ont réagi, ont rejoint le maquillage en gros.
34:02 – D'accord.
34:03 – Et donc là encore, pas de manichéisme, c'est trop simple le manichéisme,
34:07 les uns n'étaient pas tout blancs, les autres tout noirs,
34:09 la situation était horriblement compliquée.
34:12 – Ça oui, j'imagine.
34:14 D'ailleurs, à propos du débarquement en Afrique du Nord,
34:17 il y a une confidence de Charles de Gaulle au colonel Rémy.
34:20 – Oui.
34:21 – Finalement, ce que vous pouvez redouter de Gaulle à ce moment-là,
34:23 c'est quoi ? C'est que Pétain aille en Afrique du Nord ?
34:25 – Oui, beaucoup souhaitaient, beaucoup des proches de Pétain,
34:28 et un avion était prêt d'ailleurs pour l'emmener,
34:30 lui disaient "Allez en Afrique du Nord".
34:33 Lui a dit non, pourquoi ?
34:34 Alors on dit, certains ont des bêtises,
34:36 on dit non parce qu'il n'aimait pas l'avion, ça c'est une bêtise.
34:39 Il est allé en avion au Maroc, ça c'est libre.
34:43 Simplement, il avait promis au peuple français
34:45 de rester au milieu de lui malgré les épreuves,
34:48 et de faire ce qu'il pouvait pour sauver ce qu'il pouvait.
34:54 Quand on compare avec ce qui s'est passé dans d'autres pays
34:57 dont les dirigeants étaient partis en Grande-Bretagne,
34:59 je pense aux Pays-Bas par exemple,
35:01 son présence a quand même été assez bénéfique finalement.
35:04 Donc il s'est sacrifié, il s'est vraiment sacrifié.
35:07 Bien sûr, il aurait pu partir en Afrique du Nord,
35:09 et il serait revenu au réel et de la gloire,
35:11 mais c'est pas ça qu'il cherchait.
35:12 Il cherchait à protéger le peuple français.
35:14 – Mais là, c'est ce que dit De Gaulle,
35:16 s'il était parti, il serait revenu sur un cheval blanc.
35:20 Alors on va parler un peu de De Gaulle maintenant,
35:23 parce qu'on s'aperçoit qu'avec De Gaulle,
35:24 il n'y a pas que Pétain qui en prend pour son grade.
35:28 Il y a, vous en avez parlé,
35:31 j'aimerais que vous détailliez la façon dont Juin, Delattre,
35:34 Végan ou Giroud sont traités par De Gaulle.
35:36 Ça nous éclaire bien sur le personnage.
35:38 – Oui, là aussi, ça m'a pas mal choqué.
35:41 Commençons par Juin par exemple, qui est son camarade de promotion.
35:44 Ils se tutoyaient puisqu'ils étaient camarades de promotion.
35:47 Eh bien, Juin qui a fait quand même des choses formidables en Italie,
35:50 d'abord en Tunisie.
35:53 J'ai lu un jour dans une revue que les troupes françaises
35:57 qui se sont battues en Tunisie contre les Allemands,
36:00 dans le cadre de la coalition alliée, étaient commandées par Leclerc.
36:04 C'est aberrant. Leclerc était en Tunisie, oui,
36:06 mais à la tête d'une toute petite phalange,
36:12 qui veut peut-être 500 hommes, je ne sais pas,
36:14 et qui refusait de se mettre sous les ordres de Juin.
36:17 Juin commandait la valeur d'un corps d'armée, disons,
36:20 et il s'est très bien battu.
36:23 Les Américains l'ont reconnu.
36:25 Et ensuite, il a commandé le corps expéditionnaire français en Italie,
36:29 qui a fait l'admiration aussi des Américains.
36:32 Et puis, on l'a nommé à un poste un peu honorifique,
36:36 et c'est Delattre qui a pris la suite de ses forces
36:39 pour remonter le Rhin, le Rhône d'abord,
36:44 les Vosges, puis le Rhin, et puis jusqu'à Bach-Tusgadan.
36:49 Et alors, parmi les trois maréchaux, Juin, Delattre, Leclerc,
36:56 Delattre et Leclerc sont faits compagnons de la libération, et pas Juin.
36:59 Je me demande pourquoi. Je pose la question et je n'ai jamais eu de réponse.
37:02 – Et Weygand, Weygand aussi subit pas mal de...
37:06 – Weygand, l'attitude du général de Wolfenstein est scandaleuse.
37:11 Il a été prisonnier en Allemagne, les Américains, ou en Autriche.
37:19 Les Américains l'ont libéré,
37:21 et Delattre qui commandait les forces en Allemagne,
37:25 la guerre se terminait, a su de De Gaulle l'ordre de s'emparer de Weygand
37:30 et de l'envoyer en France pour qu'il soit mis en procès.
37:35 – Sous quel chef d'occupation ? Qu'est-ce qu'on pouvait lui reprocher ?
37:38 – D'occupation, je ne sais pas très bien, sous quel chef d'occupation, je ne sais pas.
37:43 Delattre, très gêné, parce qu'il avait beaucoup d'admiration pour son ancien chef,
37:47 vient lui dire à 2h du matin, au mot général,
37:50 "Voilà, regardez, j'ai l'ordre de vous envoyer à Paris".
37:54 Alors il met quand même une voiture à sa disposition, avec du personnel, etc.
37:58 Et quand Weygand arrive à Paris, il n'a pas le droit d'aller changer le sélui, on lui refuse,
38:03 et il est envoyé au quai des Enfèvres comme un vulgaire bandit.
38:07 C'est une honte.
38:08 Ensuite on l'a accusé de tas de choses qui étaient totalement fausses.
38:11 Et à l'issue de son procès, il a été blanchi totalement.
38:16 Il a été blanchi totalement.
38:18 Mais pendant ce temps-là, en attendant, il a vécu comme un pestiféré.
38:21 Et je me rappelle que, au moment où il est mort, au moment de ses obsèques,
38:26 j'habitais Rennes, et il est mort à Paris,
38:30 et il devait être inhumé en Bretagne, au fond de la Bretagne, à Morlaix.
38:35 Comme c'était en longue itinéraire, il fallait que le convoi mortuaire fasse une pause quelque part.
38:40 Eh bien les préfets ont reçu l'ordre de ne rien faire.
38:43 La France n'a rien fait.
38:44 Et ce sont des Américains qui ont prêté un cimetière militaire américain à Saint-James, près d'Avranches,
38:50 pour que le corps de Weygand puisse reposer une nuit avant de reprendre la route.
38:56 Et plusieurs officiers de réserve ou anciens ont remis leurs vieilles tenues
39:02 et sont allés veiller le corps de Weygand dans ce cimetière militaire américain,
39:05 parce qu'ils n'avaient pas le droit de faire une pause dans un cimetière militaire français.
39:10 C'est quand même une honte.
39:11 – On se dit que finalement, tout ce qu'il pouvait faire de l'ombre à De Gaulle…
39:15 – Pourtant, personne n'était aussi anti-allemand que Weygand.
39:18 – Que Weygand, oui.
39:19 – Quand même, on n'a rien à lui reprocher.
39:22 – Alors, on arrive au terme de notre émission.
39:27 Est-ce qu'on peut dire, juste à la fin de la guerre,
39:30 est-ce qu'on peut dire que Pétain aurait pensé à une transmission de pouvoir plus ou moins officielle ?
39:33 – Oui.
39:34 – Il a envoyé l'amiral Aufan, il me semble.
39:37 – Oui, il a envoyé l'amiral Aufan auprès du général De Gaulle,
39:41 parce qu'il voulait que les Français se réconcilient.
39:44 Il avait préparé un discours de réconciliation
39:47 et De Gaulle n'a pas voulu recevoir l'amiral Aufan.
39:50 Il a dit "mais on ne va pas rétablir la République,
39:53 elle n'a jamais été remise en cause puisque je la représente".
39:56 Et donc, quand on a interrogé Churchill sur ce sujet,
40:00 il a dit "moi, à la place de De Gaulle, j'aurais dit à Pétain
40:04 "venez descendre avec moi à l'Échamps-Élysée".
40:06 – Ça c'est Churchill qui a dit ça.
40:09 – Pour réconcilier les Français.
40:11 – Alors, on va passer sur le procès.
40:15 Il y a juste une anecdote aussi, c'est que Pétain est condamné à…
40:21 comment dire…
40:23 De Gaulle ne veut pas que la peine de mort soit commuée en détention.
40:28 – Oui, il envoie son chef de cabinet, Gaston Palevski,
40:34 alors quand même, normalement le juré, il est indépendant,
40:37 demander qu'on vote la peine de mort
40:41 et que lui la commuerait en détention perpétuitée.
40:44 – Donc il veut lui avoir…
40:46 – Pouvoir jouer un rôle.
40:48 – Il veut avoir la main sur les derniers instants du procès.
40:52 Et après la guerre, après la mort de Pétain,
40:56 est-ce que De Gaulle va être obligé, parce qu'il y a des fois,
40:58 quand on va, par exemple, je pense à Duaumont,
41:01 quand on va construire en 1966, il y a un discours de De Gaulle à Duaumont,
41:06 il est obligé de parler de Pétain, comment il s'en sort à ce moment-là ?
41:09 – Il est obligé de reconnaître que Pétain a été un grand chef en 1916 à Verdun,
41:12 on ne peut pas nier ça.
41:14 Et donc il a son discours traditionnel, qu'on peut comprendre,
41:18 où il dit "Pétain a été un grand chef en 1916,
41:21 mais la vieillesse est un naufrage", vous connaissez la phrase.
41:24 Et donc ça a conduit à des désastres.
41:26 Moi j'étais présent à Verdun à ce moment-là, j'étais à Saint-Cyr,
41:33 et je voudrais dire à ce sujet que nous souhaitions,
41:36 nous étions quelques-uns à souhaiter,
41:38 nous avons, chaque promotion de Saint-Cyr porte un nom,
41:41 et nous souhaitions nous appeler "50e de Verdun" bien entendu,
41:45 mais ça nous a été refusé.
41:47 Alors nous portons un nom prestigieux, bien sûr, "Colonel de Rian",
41:51 mais vous voyez jusqu'où va la mesquinerie.
41:54 – D'ailleurs je crois qu'on a réussi l'exploit en 2016,
41:57 pour le centenaire, de ne pas citer le nom de Pétain.
42:02 – Avant de terminer, je voudrais juste ajouter une petite chose.
42:05 – Allez-y, très rapidement.
42:06 – Très rapidement, sur les phares des chars,
42:08 on dit que De Gaulle est l'homme des chars,
42:11 je suis désolé, c'est faux.
42:13 Qui est-ce qui a introduit les chars dans l'armée française ?
42:16 Je suis désolé de le dire, mais c'est Pétain,
42:18 pendant la première guerre mondiale,
42:19 quand on lui reprochait de ne pas attaquer tout de suite,
42:21 il disait "attendez, j'attends d'avoir un certain nombre de chars,
42:23 en nombre suffisant", et c'est ce qu'il a fait,
42:26 et il a envoyé les armées françaises à la victoire.
42:29 C'est pareil pour les avions, il a été le premier à dire
42:32 "je veux une coopération entre les chars et les avions",
42:35 et dans les livres de De Gaulle ça n'apparaissait pas.
42:37 Si, ça apparaît dans les éditions postérieures,
42:40 où ça a été ajouté, mais ça n'apparaissait pas
42:43 dans les éditions d'entre les deux guerres,
42:46 cette histoire de coopération chars-avions.
42:48 Alors qu'on crédite ça à De Gaulle, mais c'est faux.
42:52 – Écoutez, Michel Issaverens, merci pour toutes ces mises au point,
42:56 toutes ces précisions, ce rétablissement de vérité
42:59 que nos téléspectateurs vont pouvoir trouver
43:01 dans votre livre "Pétain et De Gaulle"
43:03 paru aux éditions Godefroy de Bouillon.
43:06 Je vous recommande également un hors-série,
43:09 il reste des exemplaires disponibles de la revue d'histoire européenne sur De Gaulle,
43:14 De Gaulle, une histoire incorrecte.
43:17 Nous allons maintenant retrouver Christopher Lanne et sa petite histoire.
43:21 Avant, n'oubliez pas de cliquer sur le pouce levé sous la vidéo
43:25 et de vous abonner à notre chaîne YouTube.
43:28 À bientôt.
43:29 [Générique]
43:44 Le 21 février 1916, l'Allemagne déclenche une attaque aussi massive que brutale sur Verdun
43:49 avec pour but de percer le front français.
43:51 Dans la panique, le grand quartier général envoie le général Pétain
43:55 pour rétablir la situation.
43:57 Et avec sa vision défensive, pragmatique, économe de la vie des hommes
44:02 et favorable à l'artillerie, il parviendra à tenir ses positions coûte que coûte
44:06 tout en gagnant le cœur des poilus.
44:08 Malgré tout, en mai, Joffre le remplace par le général Nivelle,
44:12 accompagné de Mangin, favorable tout comme lui à la stratégie
44:15 de l'offensive à outrance très coûteuse en vie humaine.
44:18 Et si la bataille de Verdun se soldera finalement par une victoire française,
44:22 la paternité de celle-ci a toujours fait débat
44:25 qui de Pétain ou de Nivelle peut être désigné comme le grand vainqueur de Verdun ?
44:30 Avant que la bataille de Verdun n'éclate et avant même que la guerre n'éclate,
44:48 Pétain était encore presque un inconnu auprès des hommes.
44:51 A 58 ans, à deux pas de la retraite, il avait derrière lui une carrière honorable
44:56 dont je vous passe les détails car ça n'est pas le sujet.
44:58 Quand la première guerre mondiale éclate, le colonel Pétain met en pratique
45:01 les théories qu'il a lui-même enseignées à l'école de guerre
45:04 et je reviendrai là-dessus, et il enchaîne les succès
45:07 alors même, je le rappelle, que l'été 1914 est une vraie catastrophe pour la France
45:12 avec la percée allemande avant la fameuse contre-offensive de la Marne.
45:16 Pétain couvre avec succès la retraite du général L'Enrezac en Belgique
45:20 avant de participer lui-même à la bataille de la Marne
45:23 et il est même le seul à réussir une percée du front allemand en Artois le 9 mai 1915.
45:28 C'est ainsi qu'il gravit les échelons jusqu'au grade de général de la 2ème armée
45:33 à la fois grâce à ses exploits mais aussi et surtout grâce aux déroutes des autres.
45:38 Le 21 février 1916, l'armée allemande lance une attaque frontale
45:41 d'une violence inouïe sur Verdun et rapidement dans l'état-major, c'est la panique.
45:47 Dans les premiers jours, c'est Castelnau qui tient le choc
45:50 et il faut bien insister sur son rôle capital dans les premiers instants de cette bataille de Verdun.
45:55 Car c'est bien Edouard de Castelnau qui, après des exploits dans la Marne,
45:59 près de Nancy et en Champagne, sera le premier défenseur de Verdun,
46:04 le premier aussi à prendre très au sérieux l'attaque allemande.
46:07 Tout comme Pétain dont il est proche, ce catholique et royaliste fervent,
46:11 non seulement il est hostile à la doctrine de l'offensive à outrance,
46:15 mais il est également convaincu que l'attaque allemande sur Verdun n'est pas une diversion,
46:19 loin de là ce que pensent Joffre et l'état-major.
46:22 Du 20 au 26 février, il prend des mesures qui s'avèreront décisives pour la suite,
46:27 il fait évacuer les civils, il fait venir des renforts conséquents des Vosges,
46:31 dont beaucoup d'artillerie, et surtout il convainc les généraux
46:35 de ne pas céder la rive droite de la Meuse à tout prix.
46:38 Et puis enfin, c'est lui qui impose Pétain à Joffre.
46:42 Voilà maintenant qu'on a rendu à Castelnau ce qui appartient à Castelnau,
46:46 parlons de Pétain et de son rôle dans la bataille et dans la victoire.
46:50 Dès son arrivée à Souilly le 25 février au soir, Pétain, bien qu'atteint d'une double pneumonie,
46:55 fait prendre tout un tas de mesures pour une bataille dont il pense d'instinct qu'elle sera longue.
47:00 Bien aidé par ses proches collaborateurs, il faut le dire, mais par son pragmatisme,
47:04 son sens de l'organisation et son charisme froid, il fait armer l'effort,
47:09 et aussi il s'évertue à assurer avant toute chose le ravitaillement,
47:13 avec la fameuse voie sacrée, vous savez, et aussi il met en branle tout un système d'ambulance
47:18 pour soigner les blessés. Concrètement, Pétain s'ancre dans un système défensif,
47:23 c'est d'ailleurs ce qu'on lui reprochera, on parlera de défaitisme,
47:26 mais ce que Pétain veut avant tout, c'est briser, contenir l'attaque allemande
47:31 qu'il estime massive et préserver la vie de ses hommes.
47:34 La doctrine de Pétain à ce moment-là, c'est d'opposer à l'offensive à outrance des Joffres
47:40 et autres gradés de l'état-major la prépondérance du feu, c'est-à-dire privilégier l'artillerie
47:46 et l'aviation de reconnaissance qui vont ensemble au sacrifice d'une marée humaine
47:51 pour gagner quelques mètres. L'artillerie conquiert, l'infanterie occupe,
47:55 voilà la pensée de Pétain, et en cela il tout l'oppose à Joffres et à l'état-major
48:01 qui non seulement ne jurent que par l'offensive à outrance très coûteuse en vie humaine,
48:06 pas dès l'heure, ça il faut le dire, mais en plus ils estiment que Verdun
48:10 est une diversion allemande et qu'il ne faut pas se concentrer là-dessus.
48:13 Pourquoi pensent-ils cela ? J'ai envie de dire par idéologie autant que par querelle d'égo,
48:18 je vous explique, parce que de leur côté, ce qu'ils préparent, c'est non pas la bataille de Verdun,
48:23 mais l'offensive de la Somme avec les alliés de l'Entente.
48:27 Donc on a d'un côté le camp de l'offensive à outrance et de la coopération avec Joffres et les Anglais,
48:33 et de l'autre on a le camp de la France seule face à l'ennemi pour tenir le front coûte que coûte,
48:38 voilà deux visions qui s'opposent.
48:40 Bref, au début, Joffres accepte plus ou moins les incessantes demandes de renforts et de matériel de Pétain,
48:46 mais il va très vite s'agacer et surtout ne pas comprendre pourquoi Pétain reste sur la défensive.
48:52 Car sur place, Pétain en est convaincu, c'est le gros de l'armée allemande qui tente de percer le front
48:58 et de foncer jusqu'à Paris, et pour lui, l'avenir de la France se joue ici,
49:03 non pas dans la Somme, mais à Verdun, c'est ici qu'il faut tenir pour user l'ennemi.
49:08 Alors, toujours soucieux de la vie de ses soldats, il n'ordonne pas d'attaque stupide vouée à l'échec,
49:14 et il met tout en œuvre pour protéger ses hommes, les soigner, les ravitailler, les faire relever régulièrement,
49:21 pour le moral, c'est la fameuse Noria, et les faire tenir bon avec l'aide de l'artillerie et de l'aviation.
49:27 Au passage, je précise que Joffres, de son côté, disait que l'aviation militaire ne servait à rien.
49:32 Je le cite "Tout ça, voyez-vous, c'est du sport, mais pour l'armée, c'est zéro." Quel visionnaire !
49:37 Enfin, voilà la situation, mais malgré tout, Joffres s'impatiente. Il faut des résultats, voyez,
49:42 et en plus de ça, les pertes s'aggravent, pas à cause de Pétain, mais à cause des assauts allemands qui redoublent d'intensité.
49:49 Pétain tient bon, il harangue ses hommes avec le 9 avril le célèbre "courage, on les aura", et ça marche.
49:56 L'attaque allemande vient se briser sur les positions françaises, et l'offensive s'enlise.
50:00 Malheureusement, ça ne suffira pas, Joffres est exaspéré par la durée et le coût de cette bataille,
50:06 il veut en finir pour passer à autre chose, à l'attaque de la Somme qu'il prépare avec les Britanniques.
50:11 Et donc, il finit par désapprouver le plan de Pétain. Le 1er mai, Pétain est écarté, gentiment écarté,
50:17 on lui refile le commandement du groupe armé centre, 800 000 hommes, mais ce n'est plus lui qui commandera directement Verdun.
50:24 À sa place, Joffres place le général Nivelle, secondé par Mangin, avec pour mot d'ordre d'attaquer, d'attaquer, et encore d'attaquer.
50:32 Ainsi, malgré les supplications de Pétain, c'est la stratégie de l'offensive à outrance qui va se mettre en place.
50:38 De mai à juillet, Nivelle et Mangin vont lancer une chier d'attaques tout aussi meurtrières et inutiles les unes que les autres.
50:45 La situation ne se débloquera qu'en septembre, mais pas grâce à eux. Elle se débloquera grâce à l'offensive lancée sur la Somme
50:54 et aussi la reprise des opérations en Russie, qui va forcément dégarnir le front allemand et décourager le moral des soldats.
51:02 C'est ça qui va permettre à Nivelle et Mangin de reprendre le dessus et entre autres de reprendre le fort de Douaumont le 25 octobre.
51:10 C'est ça, c'est la reprise des hostilités sur le front russe et le lancement de l'offensive dans la Somme.
51:15 Ce n'est pas leur stratégie de mort à tout va.
51:18 Alors je sais, Napoléon disait lui-même qu'il faut regarder le champ de bataille d'un œil sec, mais là tout de même c'est délirant.
51:25 Au final, sur le moment, la gloire de la victoire de Verdun va revenir à Nivelle et à Mangin.
51:30 Alors quand je dis la gloire, c'est celle des journaux et de l'état-major, car du côté dépoilu, Nivelle et Mangin,
51:37 on les surnomme le massacreur et le mangeur d'hommes. Voilà leur petit nom.
51:41 La vapeur va s'inverser après le massacre du chemin des dames.
51:45 100 000 soldats français mis hors de combat en une semaine.
51:48 Voilà où a mené l'offensive à outrance de Nivelle.
51:51 Nivelle va donc après ça, voir sa cote de popularité si on peut dire, s'effondrer.
51:57 Et on va ressortir Pétain des placards médiatiques pour le remettre devant le feu des projecteurs.
52:02 Dans l'entre-deux-guerres aussi, c'est Pétain qui est mis en avant comme le vainqueur de Verdun.
52:06 Comme le dit Jean-Yves Le Naur d'ailleurs, et là-dessus, il a raison, la République avait besoin d'un sauveur.
52:12 Tout comme avant Verdun, elle se cherchait un leader autre que Joffre.
52:16 Oui, tout ça, c'est vrai.
52:17 On a d'ailleurs de très belles lignes dans la presse, notamment celle de Maurice Barès dans l'Echo de Paris, en avril 1916.
52:24 Je cite "Puissance matérielle, cet homme ouvre ou contient le robinet de sang.
52:29 Puissance spirituelle, il distribue la foi, l'espérance, l'énergie.
52:34 Enfin, il tient dans ses mains le volant des destinées françaises."
52:38 Et c'est vrai également, le Naur le dit aussi, que sans Castelnau, sans ces quatre jours décisifs,
52:44 la bataille de Verdun aurait eu un tout autre dénouement.
52:48 Oui, ça c'est indiscutable.
52:50 Mais de là à faire de Nivelle le grand vainqueur de Verdun et Pétain un imposteur,
52:55 ce que fait Jean-Yves Le Naur, là, c'est mon point de vue, que je n'érige pas en vérité absolue,
53:01 mais c'est là où mon point de vue diverge catégoriquement.
53:04 C'est l'éternel débat, éternel, mais pour mon esprit, il est réglé,
53:09 l'éternel débat entre l'offensive à outrance et le pragmatisme défensif,
53:13 entre la stratégie de la marée humaine et l'économie de la vie des hommes au profit de l'artillerie.
53:19 C'est la vision de l'état-major et Joffre contre celle de Pétain.
53:23 Et pour moi, désolé, mais quoi qu'on en dise, c'est bien Pétain, grâce aussi au travail préliminaire de Castelnau,
53:28 qui a tenu bon, qui a tout fait pour préserver la vie des poilus, leur améliorer l'existence,
53:33 et qui a vu sa stratégie payée face à la violence des attaques allemandes,
53:38 peu importe les intérêts de propagande de telle ou telle période.
53:42 Et excusez-moi encore, mais moi, quand on le traite d'imposteur, de défaitiste,
53:46 quand on ressort l'histoire de sa maîtresse, etc., tout ce qu'on veut, moi, comme l'écrit Marc Féraud,
53:53 j'estime qu'il existe deux traditions de la victoire de Verdun.
53:56 Je vous cite Marc Féraud, "Celle des chefs militaires et politiques qui la mettent au crédit de Nivelle,
54:01 et celle des combattants qui ne connaissent que Pétain."
54:04 Alors moi, je ne sais pas vous, mais moi, entre ces deux-là, j'ai vite fait mon choix.
54:08 Et puis le traiter de défaitiste uniquement parce qu'il se souciait prioritairement de la vie de ses hommes,
54:13 désolé, mais je trouve ça bas, et pas tellement altruiste.
54:16 Et qu'on ressorte sa phrase quand il dit "j'attends les Américains et les chars" en 1917,
54:22 ok, là, il attend sur l'Américain, donc oui, peut-être une position attentiste,
54:27 mais à aucun moment, c'est pour leur laisser la victoire.
54:29 Il attend les Américains et les chars pour éviter des sacrifices inutiles,
54:33 puisqu'ils arrivent, alors attendons-les, et surtout, c'est lui qui préparait l'invasion de l'Allemagne
54:39 et l'entrée de l'armée française à Berlin,
54:41 pendant que les autres de l'état-major faisaient signer l'armistice dans le même temps,
54:45 bien trop tôt, et sous la pression des Britanniques et des Américains.
54:49 Un Pétain qui veut que l'armée française entre à Berlin,
54:52 et les autres qui négocient avec l'entente et qui font signer l'armistice,
54:55 là aussi, il y aurait beaucoup de choses à dire.
54:56 Je terminerai cet épisode en laissant le mot de la fin à De Gaulle,
55:00 oui, oui, à De Gaulle, pour finir un épisode sur Pétain, je sais.
55:03 Alors je cite son discours du 29 mai 1966, au cinquantenaire de Verdun.
55:09 "Si par malheur, en d'autres temps, dans l'extrême hiver de sa vie,
55:13 et au milieu d'événements excessifs, l'usure de l'âge mena le maréchal Pétain
55:17 à des défaillances condamnables, la gloire que, vingt-cinq ans plus tôt,
55:21 il avait acquise à Verdun, puis gardée en conduisant ensuite l'armée française à la victoire,
55:26 ne saurait être contestée, ni méconnue, par la patrie."
55:30 [Musique]
55:40 [Générique]