Depuis quelques années, la psychologie sociale, les sciences cognitives et plus généralement les sciences comportementales se sont particulièrement intéressées aux ressentis et aux comportements dans les transports publics. Dans quel état d'esprit sommes-nous quand nous partageons ces situations quotidiennes de mobilité ? Comment réagissons-nous aux incertitudes, aux perturbations, aux événements imprévus qui arrivent sans cesse dans les transports ? Comment les environnements peuvent influencer nos décisions et nos comportements ? Cette conférence vous propose de découvrir les travaux de chercheurs qui ont exploré nos comportements dans les situations de foules, et leur travail avec des professionnels du transport pour expérimenter de nouvelles façons d'améliorer l'expérience du transport public. Nicolas Fieulaine, sociologue, maître de conférences en psychologie sociale, université de Lyon. Séance enregistrée à la Cité des sciences et de l'industrie le 13 juin 2023.
Category
🗞
NewsTranscription
00:00:00 [...]
00:00:04 -Merci de cette invitation à venir prolonger l'exposition
00:00:09 sur laquelle j'avais eu l'occasion de travailler
00:00:11 dans le cadre du Conseil scientifique,
00:00:13 qui a accompagné la conception de la scénographie
00:00:16 que vous avez peut-être vue.
00:00:19 Effectivement, je vais parler aujourd'hui
00:00:22 pas tant des foules que du groupe,
00:00:25 mais on verra que les deux ont quelque chose à voir entre elles.
00:00:30 Et surtout, je vais essayer de vous raconter
00:00:33 comment s'est passée cette descente,
00:00:35 je ne dirais pas descente aux enfers, bien sûr,
00:00:37 mais descente dans le métro.
00:00:39 Comment une équipe en psychologie sociale, et moi en particulier,
00:00:43 on en est venu petit à petit à prendre ces lieux du quotidien
00:00:48 comme espaces d'expérimentation, comme espaces d'études,
00:00:52 pour aller étudier, observer, explorer ce qui se passe dans nos têtes,
00:00:57 dans nos comportements, tout seuls, mais aussi en groupe,
00:01:01 parce qu'on est rarement seuls dans les transports en commun,
00:01:04 d'où leur nom.
00:01:05 Qu'est-ce qui se passe dans notre tête
00:01:07 et qu'est-ce que ces transports en commun nous font faire
00:01:10 et qu'est-ce qu'ils nous font vivre ?
00:01:12 C'est des recherches qui ont à la fois articulé
00:01:16 des recherches fondamentales
00:01:18 en essayant de proposer des modes de compréhension
00:01:21 sur l'expérience dans les transports publics.
00:01:23 Vous verrez, j'y reviendrai, comment on peut essayer de décrire
00:01:26 cette expérience qui est psychologique et sociale à la fois,
00:01:29 et aussi essayer d'encore mieux comprendre en expérimentant.
00:01:33 Si on pense avoir compris comment ça fonctionne,
00:01:36 ça veut dire que si on change quelque chose,
00:01:38 on doit pouvoir en produire et en observer des effets.
00:01:41 C'est le risque qu'on a pris avec des partenaires
00:01:45 qui étaient des partenaires professionnels du transport,
00:01:48 la SNCF en particulier.
00:01:50 On a réussi à emmener dans un certain nombre d'expérimentations
00:01:53 qui permettaient d'essayer d'améliorer l'expérience et le quotidien
00:01:59 des usagers des transports publics.
00:02:02 Je vais parler de psychologie, bien sûr, beaucoup,
00:02:07 de psychologie sociale en particulier,
00:02:10 sur un sujet qui est un sujet parmi d'autres,
00:02:13 qu'on traite en psychologie sociale,
00:02:16 et qui, parfois, paraît un peu iconoclaste ou bizarre.
00:02:21 Pourquoi des psychologues s'intéresseraient-ils
00:02:24 aux transports publics ?
00:02:25 Quand j'ai eu l'occasion d'emmener mes étudiants
00:02:29 en master de psychologie au Salon des transports publics,
00:02:32 ils n'étaient pas très emballés par la visite.
00:02:34 Ils se demandaient ce qu'ils allaient faire là.
00:02:36 Je reviendrai sur l'enjeu des transports publics aujourd'hui
00:02:40 et pourquoi ça peut être plus intéressant que ce qu'on croit.
00:02:44 Je décrirai comment on a pu essayer de comprendre
00:02:47 ce qui compose nos expériences de mobilité,
00:02:50 ce qui produit ces expériences,
00:02:53 mais aussi ce qui produit les comportements,
00:02:55 comment on agit dans les espaces des transports en commun,
00:02:58 comment ces espaces nous font agir d'une certaine façon,
00:03:01 qui, parfois, est un peu contraire à ce qu'on souhaiterait,
00:03:03 à nos intentions ou à nos intérêts.
00:03:06 Ensuite, je donnerai un certain nombre d'exemples
00:03:09 autour d'expérimentations qu'on a menées dans les gares,
00:03:13 sur les réseaux de transport,
00:03:15 pour essayer de résoudre un certain nombre de problématiques
00:03:18 sous l'angle de la psychologie, de l'expérience et des comportements.
00:03:23 C'est un peu un cheminement.
00:03:26 La prise de conscience des enjeux liés aux transports publics
00:03:30 a été progressive,
00:03:32 parce que, petit à petit, on a découvert
00:03:34 tout ce qui se vivait dans ces lieux-là.
00:03:36 Merci beaucoup.
00:03:38 Toutes les questions assez fondamentales qu'il y avait
00:03:42 et l'intérêt qu'il pouvait y avoir,
00:03:44 à essayer de renouer quelque chose dans notre rapport au transport public,
00:03:47 à la fois parce qu'il était urgent
00:03:50 que les opérateurs des transports publics
00:03:53 se penchent sur la part humaine des usagers
00:03:57 et sur le fait qu'on ne fait pas que transporter des masses d'un point A à un point B.
00:04:01 On a affaire à des humains qui vivent des choses,
00:04:04 qui ont des émotions, des capacités différentes,
00:04:06 qui se rencontrent les uns les autres,
00:04:08 qui vivent des choses, tout simplement, d'une part.
00:04:11 Et d'autre part, ce sujet des transports publics
00:04:14 est un sujet pleinement social.
00:04:15 Ces espaces sont complètement sociaux
00:04:18 et permettent d'avoir une sorte de loupe ou un microscope
00:04:23 sur tout un tas de processus sociaux qui sont très intéressants à étudier.
00:04:27 Sur ces enjeux, les lieux de transports publics,
00:04:31 pour ceux qui les fréquentent assidûment,
00:04:33 mais aussi pour ceux qui les fréquentent au moment de leur loisir,
00:04:37 ce sont des lieux extrêmement quotidiens, qu'on traverse toujours.
00:04:41 On passe devant un abribus, on va passer par une station de métro,
00:04:45 on va emprunter des gares et des RER.
00:04:48 Ça représente une pratique qui est extrêmement massive,
00:04:52 plus à certains endroits qu'à d'autres.
00:04:55 On est à 100 milliards de kilomètres voyageurs par an,
00:04:58 4 millions de personnes sont déplacées par jour
00:05:00 par le biais des transports ferrés en particulier,
00:05:03 3 000 gares qui, sur tout le territoire, opèrent ces...
00:05:10 ces cheminements en train.
00:05:13 Il y a un aspect quantitatif.
00:05:15 On a tous, en mémoire, un trajet qui utilise le train, le métro, le bus,
00:05:20 les transports publics, d'une certaine façon.
00:05:23 Ces images sont profondément ancrées dans l'histoire.
00:05:26 Les gares font partie de l'imaginaire,
00:05:29 elles font partie des bâtiments qu'on place quand on joue au Playmobil,
00:05:33 quand on doit dessiner une ville de manière inévitable.
00:05:37 On va placer la gare et on va dessiner le chemin de fer.
00:05:41 Il y a des images qui sont inscrites très profondément.
00:05:44 On a un certain modèle de ce que doit être une gare,
00:05:46 un voyage en train,
00:05:48 ce que peut être une station de métro et un trajet en métro,
00:05:52 peut-être un peu moins parce que c'est plus nouveau,
00:05:54 ce que peut être un déplacement sur les réseaux de bus ou tramways.
00:05:59 Je m'arrêterai sur le réseau ferré,
00:06:03 car on a davantage travaillé sur ce réseau-là,
00:06:06 parfois dans des gares de province
00:06:08 et dans le réseau assez dense des gares parisiennes.
00:06:13 Ce dont on se rend compte assez vite
00:06:16 quand on travaille sur l'enjeu des gares et des transports en commun,
00:06:19 c'est qu'il y a un attachement extrêmement fort.
00:06:22 Ça a marqué l'entrée dans une modernité,
00:06:24 dans la société industrielle,
00:06:26 ces images des Frères Lumière sur un train entrant en gare.
00:06:29 On sait que ça a marqué les esprits, réduit les distances,
00:06:33 que ça a permis des mobilités qui n'existaient pas.
00:06:36 Ça a eu un effet sur l'histoire et ça aura encore des effets sur l'histoire
00:06:40 et peut-être sur le futur de nos sociétés,
00:06:43 car il y a un enjeu à réduire les émissions carbones liées au transport.
00:06:48 Il se pourrait que les transports publics, et les gares en particulier,
00:06:52 retrouvent une position assez centrale
00:06:55 dans le développement des territoires
00:06:57 et dans l'organisation de notre vie sociale.
00:07:00 Tout ça ne va pas sans des enjeux beaucoup plus concrets,
00:07:04 plus directs, plus matériels,
00:07:07 qui est que derrière, il y a des personnes qui opèrent un réseau,
00:07:10 qui essayent de l'organiser, de le faire fonctionner correctement.
00:07:13 Il y a un nombre de métiers absolument inimaginables
00:07:17 qui permettent de faire fonctionner les réseaux de transports nationaux ou locaux.
00:07:21 Ce sont des systèmes complexes, extrêmement complexes.
00:07:24 Quand on en prend la mesure et qu'on n'est pas un professionnel du secteur,
00:07:29 c'est assez surprenant à quel point les réseaux peuvent être complexes
00:07:33 et à quel point un grain de sable peut, à un moment donné,
00:07:36 dérégler une machine toute entière.
00:07:39 Ce sont des lieux très quotidiens qu'on traverse tous les jours
00:07:43 et qu'on traverse accompagnés de beaucoup de monde.
00:07:47 Par exemple, sur le réseau transilien, c'est 3 millions de voyageurs par jour.
00:07:51 Ça représente 70 % du trafic SNCF sur seulement 2 % du territoire,
00:07:57 donc un aspect extrêmement dense
00:07:59 dans l'utilisation du réseau de trains et de transports publics.
00:08:03 Ça concerne, ces transports en commun, sur l'île de France,
00:08:06 un territoire de 12 millions d'habitants.
00:08:09 Ce sont des habitants qui ont des profils extrêmement divers
00:08:13 et qui se croisent dans des lieux très concentrés.
00:08:16 La gare du Nord, c'est 200 millions de voyageurs qui passent par là par an.
00:08:20 Ça fait ce croisé du monde et des gens très différents,
00:08:24 des usagers qui ont des origines et des destinations,
00:08:27 comme on dit dans le langage du transport,
00:08:30 des OD, des origines d'hostination, des trajets,
00:08:33 qui les mènent d'un point à un autre, qui peuvent être très différents.
00:08:37 La Grande Couronne, le cœur de Paris,
00:08:41 avec des profils et des types de populations extrêmement différents
00:08:48 et qui, parfois, ne se croisent plus que dans les gares.
00:08:51 Tout simplement parce que la ségrégation urbaine aidant,
00:08:54 les frontières qui se sont tracées entre des quartiers
00:08:57 qui sont un peu fermés sur eux-mêmes,
00:08:59 amènent à ce que, seulement dans les gares,
00:09:02 on croise un certain nombre de personnes,
00:09:04 ce qui peut produire, pour certains, un inconfort,
00:09:07 pour d'autres, un réjouissement.
00:09:09 Ça va être vécu différemment selon les personnes
00:09:11 et peut-être aussi, on le verra, selon les moments.
00:09:14 Un autre enjeu aussi,
00:09:16 qui a à voir avec cette question de la mixité sociale
00:09:21 et du mélange social qui se produit dans les gares et dans les transports,
00:09:25 c'est que tous ces réseaux ont un rôle assez majeur
00:09:29 d'accès à l'emploi, aux loisirs, à la santé.
00:09:31 Quand on étudie les facteurs qui conduisent des personnes
00:09:34 à recourir aux soins suffisamment tôt,
00:09:37 par exemple pour des pratiques de prévention, des examens, etc.,
00:09:40 on se rend compte que les transports jouent un rôle fondamental,
00:09:44 que l'accès à l'emploi est très déterminé par les transports
00:09:47 et qu'aujourd'hui, la problématique de recherche d'emploi
00:09:51 est très liée aux capacités de mobilité,
00:09:53 et ça constitue un vrai frein.
00:09:56 Mais c'est aussi la question de l'accès aux loisirs et à la culture.
00:09:59 On sait que le réseau qui permet de conduire vers des zones denses
00:10:03 jusqu'au bout de la nuit,
00:10:05 ce sont des conditions pour arriver à accéder à la culture.
00:10:11 -Dernier type d'enjeu autour des transports publics,
00:10:16 et il est assez évident aujourd'hui, il ne l'était pas tant que ça,
00:10:20 c'est que le transport reste le premier secteur émetteur.
00:10:23 On a eu une chute des émissions liées au transport
00:10:26 pendant la crise du Covid.
00:10:28 C'est remonté, parfois au-dessus du niveau
00:10:32 qui était celui d'avant la crise du Covid.
00:10:35 On se rend compte que la part de la voiture
00:10:37 dans les émissions de gaz à effet de serre,
00:10:40 reste stable, avec parfois un peu moins de véhicules,
00:10:43 mais des véhicules qui font des trajets plus longs,
00:10:45 qu'il y a eu un faible report vers les transports en commun
00:10:50 depuis quelques années,
00:10:52 et qu'on assiste plutôt à un report
00:10:54 qui amène des transports en commun vers les vélos,
00:10:57 pour les zones les plus denses.
00:10:59 Et pourtant, les transports pourraient jouer un rôle extrêmement fort.
00:11:04 On le sait, les pratiques de mobilité sont au cœur de la transition,
00:11:08 la transition écologique,
00:11:09 la réduction de notre impact sur les écosystèmes.
00:11:12 Il y a plein de leviers pour ça.
00:11:13 Il y a de créer les infrastructures voulues,
00:11:16 la question de réduire le plus possible les mobilités
00:11:20 en créant des villes un peu plus denses
00:11:22 ou en rapprochant les personnes de leur lieu de travail
00:11:25 ou en favorisant le télétravail,
00:11:26 même si on sait que ça n'a pas tout à fait l'impact qu'on espérait.
00:11:30 Le report des véhicules individuels et des voitures
00:11:33 vers les transports en commun, dès que c'est possible,
00:11:35 dès que c'est faisable.
00:11:37 Et puis, même si c'est plus discuté,
00:11:39 la question de l'électrification des véhicules,
00:11:41 qui constitue aussi une solution
00:11:43 pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
00:11:46 Après, les analyses montrent
00:11:48 qu'autour du cycle de vie des véhicules électriques,
00:11:51 on n'est pas encore sur quelque chose de parfaitement vertueux.
00:11:55 Étant donné l'intérêt que porte la population
00:12:00 à ces questions de transition,
00:12:02 il y a des attentes fortes vis-à-vis des transports.
00:12:05 Ça ressort, donnez-nous les moyens de changer nos habitudes,
00:12:08 aidez-nous à changer nos habitudes
00:12:10 en produisant une infrastructure et un service
00:12:12 qui nous permettent de nous en saisir,
00:12:14 qui nous donnent envie de nous en saisir.
00:12:15 C'est aussi un enjeu,
00:12:17 quand on travaille sur le transport public,
00:12:18 même de manière indirecte,
00:12:20 on se rend vite compte qu'on commence à être au cœur
00:12:22 et à un endroit important des sujets de transition,
00:12:25 parce que ça peut les faciliter, les accélérer.
00:12:27 Et prendre en compte les enjeux humains,
00:12:30 c'est aussi se poser la question
00:12:31 de ce qui fait que le transport public paraît accessible ou pas.
00:12:34 Qu'est-ce qui fait qu'on se sent capable d'y recourir ou pas ?
00:12:38 Qu'est-ce qui fait qu'il est attractif,
00:12:40 qu'il donne envie de partir en courant et d'y échapper le plus possible ?
00:12:45 On a des stratégies de contournement du transport public
00:12:48 à certains endroits.
00:12:50 Donc, la question de ce qu'en quoi ce transport public
00:12:54 peut devenir plus accessible et plus attractif,
00:12:57 ça renvoie à des choses qui sont en psychologie sociale,
00:13:01 quand on s'intéresse à comment les personnes et les groupes
00:13:05 peuvent être amenés à changer leur comportement, leurs habitudes.
00:13:09 On se rend compte que ces deux conditions-là sont assez majeures.
00:13:12 Avec d'autres, on a des modèles scientifiques assez récents
00:13:16 qui résument un peu les travaux de recherche
00:13:20 et qui nous expliquent et permettent de synthétiser un peu les travaux
00:13:25 pour essayer de comprendre ce qui fait qu'à un moment donné,
00:13:28 malgré les bonnes intentions, etc.,
00:13:30 on passe ou pas à l'action.
00:13:32 Qu'est-ce qui fait qu'à un moment, on va changer nos pratiques de transport,
00:13:35 par exemple nos pratiques alimentaires,
00:13:38 nos pratiques de consommation,
00:13:41 pour aller vers des objectifs qui nous paraissent importants et intéressants,
00:13:46 qui sont ceux de la transition écologique
00:13:49 ou de la préservation de nos écosystèmes.
00:13:52 C'est là où je dis que l'accessibilité et l'attractivité des transports publics
00:13:56 sont majeures, car ça va venir jouer sur au moins deux des facteurs
00:14:00 qui influencent de manière majeure les comportements,
00:14:03 que sont la motivation,
00:14:05 le fait qu'il ne suffit pas de pouvoir,
00:14:08 il faut vouloir et être suffisamment motivé à réaliser un comportement.
00:14:13 Et en même temps, ce comportement,
00:14:15 il ne suffit pas d'être motivé pour le réaliser,
00:14:17 il faut en avoir les capacités.
00:14:19 C'est là que vous voyez ce rapport entre les capacités et la motivation,
00:14:24 qui, si on y ajoute l'opportunité,
00:14:26 le fait qu'à un moment donné, le comportement est accessible,
00:14:30 peuvent permettre de changer les comportements.
00:14:33 Quand on se pose la question du transport public,
00:14:36 on se rend vite compte que la capacité que peuvent ressentir des usagers
00:14:39 à utiliser les transports publics,
00:14:41 la motivation qu'ils peuvent avoir à l'utiliser,
00:14:44 se construit dans la conception du transport public.
00:14:48 C'est au transport public d'essayer de se transformer
00:14:51 pour créer cette accessibilité et cette capacité perçue.
00:14:55 On voit qu'il y a des publics qui sont découragés d'utiliser
00:15:00 les transports publics, c'est trop loin, trop inconfortable,
00:15:02 trop dangereux, et que ça crée des inégalités.
00:15:05 Inégalités d'accès à l'emploi, à la culture, à la santé,
00:15:09 inégalités dans les temps de transport et dans les temps de déplacement,
00:15:13 qui renforcent des inégalités sociales déjà existantes.
00:15:17 Quand on travaille sur le sujet des transports publics,
00:15:19 sur les relations entre les gens, sur le sujet du quotidien de chacun,
00:15:25 ce qui se passe dans son quotidien, à quel point ça crée des états d'esprit,
00:15:29 et on travaille sur des enjeux assez généraux,
00:15:31 qui peuvent être ceux de la transformation ou de la transition écologique.
00:15:36 Ce qui nous a intéressés dans le travail sur les transports publics,
00:15:43 c'était d'essayer de comprendre ce qui se passait
00:15:46 dans la tête des usagers des transports publics.
00:15:48 Jusque-là, la question qu'on nous a posée,
00:15:51 la question par laquelle on est rentré dans cette étude des transports publics,
00:15:54 c'était "Qu'est-ce qui fait la satisfaction ?"
00:15:57 Il y a beaucoup d'opérateurs des transports publics
00:16:00 qui ont les yeux rivés sur des indicateurs de satisfaction,
00:16:04 mesurés de plein de façons différentes.
00:16:08 Et assez vite, en tant que psychologue, on en est venu à dire
00:16:11 que la satisfaction a un sens très relatif, ça cache plein de choses.
00:16:15 C'est quelque chose qui vous permet peut-être de valider les opérations
00:16:19 que vous menez, mais qui ne permet pas de comprendre
00:16:23 ce qui se passe dans les états d'esprit, dans les expériences,
00:16:27 dans les comportements des usagers et des voyageurs.
00:16:30 On peut être satisfait, en moyenne, à la fin d'un trajet,
00:16:34 ou être pas satisfait du tout, mais avoir vécu des choses complexes,
00:16:38 cette senti en sécurité, en insécurité,
00:16:40 attaché aux autres, séparé des autres,
00:16:43 avoir vécu un temps qui était un peu magique,
00:16:46 parce qu'un petit garçon racontait la poésie ou récitait la poésie
00:16:51 qu'il aurait dû réviser,
00:16:55 parce que quelqu'un se met à aider quelqu'un d'autre.
00:16:57 Plein de choses peuvent être positives ou négatives.
00:17:00 La satisfaction ne permet pas de saisir tout ça.
00:17:03 On voulait comprendre davantage ça,
00:17:06 ce qui produit les comportements de mobilité,
00:17:08 ce qui fait qu'on agit d'une façon plutôt que d'une autre.
00:17:11 On a parfois des comportements un peu irrationnels.
00:17:14 Si vous prenez les transports publics, il y a des gens qui bloquent les portes,
00:17:18 qui bousculent les autres,
00:17:20 qui jettent leurs déchets par terre, etc.
00:17:24 Il y a tout un tas de comportements
00:17:27 qui ne correspondent pas forcément à un manque d'information ou d'éducation,
00:17:32 mais qui peuvent s'expliquer par les lieux, par le contexte.
00:17:35 Là encore, les opérateurs des transports publics ont leur rôle à jouer.
00:17:40 On s'est donc dit que si on veut comprendre tout ça,
00:17:44 il faut comprendre les deux volets, le comportement,
00:17:47 ce qu'on fait concrètement, ce qui fait qu'on tient la porte,
00:17:50 ce qui fait qu'on signale à quelqu'un qu'il oublie son bagage,
00:17:53 ce qu'on fait, qu'on fait attention aux autres,
00:17:56 ce qui fait qu'on prend soin des lieux, plus ou moins, etc.
00:18:02 Mais aussi l'expérience, les ressentis, les émotions,
00:18:05 ce qui fonde notre rapport au transport public.
00:18:08 On a voulu étudier les deux, et vous verrez pourquoi.
00:18:11 C'est parce que comportement est quelque chose d'un peu réducteur,
00:18:15 l'expérience permet de le comprendre de manière plus pleine.
00:18:18 Puis, puisque c'est notre discipline,
00:18:21 on a voulu prendre en compte ces aspects psychologiques,
00:18:23 poser des questions subjectives,
00:18:25 creuser un peu ce qui se passe dans la façon dont on perçoit,
00:18:30 dont on se souvient, dont on ressent dans ces espaces-là,
00:18:33 de manière plus fine,
00:18:34 en s'approchant de choses de l'ordre du récit,
00:18:38 du récit subjectif,
00:18:39 essayer de comprendre ce que les personnes vont raconter
00:18:42 par rapport à leur expérience dans les transports en commun,
00:18:45 pour les faire sortir du quotidien.
00:18:48 Le quotidien, sa force, c'est qu'on en a l'habitude.
00:18:51 Son défaut, c'est qu'on ne sait pas trop l'exprimer.
00:18:54 Quand on demande à des gens de parler de leur trajet quotidien,
00:18:57 ils n'ont pas grand-chose à dire, sauf quand il n'est plus quotidien,
00:19:00 quand il s'est passé quelque chose d'exceptionnel.
00:19:03 Il y avait un enjeu à essayer d'aller chercher comment on arrive
00:19:06 à voir émerger à quoi correspond l'expérience du quotidien,
00:19:12 qui est difficile à verbaliser.
00:19:14 À partir du moment où on raconte le quotidien,
00:19:17 on n'en a plus le quotidien.
00:19:19 C'était une approche psychosociale.
00:19:22 La psychologie sociale, c'est une science des groupes,
00:19:26 qui est née beaucoup avec l'étude des foules,
00:19:29 des groupes ensuite, et puis des sociétés.
00:19:34 C'est l'idée qu'on peut faire l'hypothèse
00:19:38 qu'il existe une pensée partagée.
00:19:40 Il y a des choses qui nous font penser en commun,
00:19:42 on va penser ensemble, et pas tout seul.
00:19:45 Ça remet en cause les frontières entre l'individuel et le collectif.
00:19:48 Freud lui-même disait que tout ce qui est psychologique
00:19:53 est immédiatement social.
00:19:55 On ne pense jamais tout seul, on pense toujours avec les autres.
00:19:58 On est peuplé d'autres personnes qui nous aident à savoir
00:20:02 ce qui est bon, ce qui n'est pas bon, ce qu'on doit dire ou pas dire,
00:20:06 ce qu'on peut penser ou ce qu'il est plus difficile de penser,
00:20:09 pour le meilleur comme pour le pire.
00:20:12 On s'intéresse beaucoup à cette psychologie, mais dans des contextes.
00:20:16 Quand on est en lien avec les autres,
00:20:19 quand on est situé dans des endroits particuliers,
00:20:22 quand on vit à un moment de sa vie particulière,
00:20:25 c'est cette psychologie qui s'intéresse aussi à l'environnement.
00:20:28 Pas simplement à ce qui se passe dans la tête,
00:20:31 mais à comment ce qui se passe dans la tête interagit et est influencé
00:20:34 par ce qui se passe dehors.
00:20:36 On étudie beaucoup les mécanismes d'influence.
00:20:38 L'analyse des foules a permis de commencer ces travaux-là
00:20:43 en se posant la question des rapports qu'il y avait
00:20:46 entre ce qu'on pensait à un moment et le fait d'être en présence des autres.
00:20:50 Quelle est la différence entre ce qu'on pense tout seul
00:20:53 et ce qu'on pense en présence des autres ?
00:20:55 Entre ce qu'on fait tout seul et ce qu'on fait en présence des autres ?
00:20:59 Petit à petit, on est venu à étudier des modes de pensée complexes,
00:21:02 des représentations, des croyances, des valeurs partagées.
00:21:06 La psychologie sociale, c'est cet aspect collectif
00:21:09 et cette part collective de nos modes de pensée individuels
00:21:12 qui font qu'on va parler de sa vie à quelqu'un d'autre
00:21:15 et que ça va lui parler,
00:21:16 parce qu'on va utiliser des mots qu'il comprend
00:21:19 sans avoir besoin de demander leur explication,
00:21:21 parce qu'on va pouvoir partager des émotions,
00:21:23 parce qu'on va pouvoir influencer les autres
00:21:26 dans leur manière de faire avec nous ou avec les autres.
00:21:30 Et puis, c'est toute la communication,
00:21:32 qui est autre qu'entre les individus.
00:21:34 Les représentations qu'on prend, les images qu'on voit,
00:21:37 qui vont venir, petit à petit, créer des modes de pensée.
00:21:40 Ça, c'est une part qui paraît plus rationnelle, plus réfléchie.
00:21:46 On prend aussi en compte tout l'ensemble des automatismes psychologiques.
00:21:51 La psychologie repose sur un organe, le cerveau.
00:21:53 Ce cerveau a ses limites, c'est un organe comme les autres.
00:21:56 On ne peut pas tout faire avec.
00:21:58 Il y a des moments où on atteint ses limites,
00:22:00 où on doit faire avec la façon dont il est conçu,
00:22:03 l'évolution de cet organe-là,
00:22:07 les ressources qu'on peut avoir pour le faire fonctionner.
00:22:10 C'est comme une voiture, quand ça n'a plus d'essence,
00:22:13 ça ne marche plus.
00:22:14 Le cerveau, c'est un peu pareil,
00:22:17 sachant qu'on ne pense pas qu'avec notre cerveau,
00:22:20 on pense avec l'ensemble du corps.
00:22:23 On s'intéresse aussi à ces mécaniques automatiques,
00:22:26 ces choses qui sont en-dessous de notre conscience
00:22:28 et qui vont venir jouer sur la façon dont on se comporte,
00:22:32 sur la façon dont on pense, sur la façon dont on réagit à des situations.
00:22:36 Tout ça n'a pas été simple.
00:22:39 Les recherches en psychologie,
00:22:41 ce sont 150 ans de travaux qui ont évolué très vite,
00:22:44 qui étaient une psychologie où il suffisait d'expliquer ce qu'on pensait
00:22:49 et ça faisait office de science,
00:22:51 à aujourd'hui une psychologie expérimentale,
00:22:55 une psychologie quantitative,
00:22:57 qui produit à la fois des sondages ou des études
00:23:01 sur des grands échantillons, des expérimentations en laboratoire,
00:23:05 des approches qualitatives très approfondies.
00:23:07 C'est une science très complexe.
00:23:09 Souvent, on rentre dedans par des choses un peu simples
00:23:13 et on se rend compte que derrière, il y a une complexité extrêmement forte.
00:23:18 On devait appliquer, ou en tout cas transférer ces données
00:23:22 et ces connaissances scientifiques complexes
00:23:24 à des environnements qui sont eux-mêmes complexes.
00:23:26 Comment retrouver ces éléments ou ces mécanismes un peu purs
00:23:31 qu'on voit dans les laboratoires,
00:23:33 dans ce qui est une gare complète, avec sa complexité,
00:23:37 avec les nombreuses personnes qui la traversent,
00:23:39 et avec tout ce qui peut s'y passer ?
00:23:42 Ça a été un vrai défi, et ça a été le doute préliminaire.
00:23:47 D'abord, je me suis dit que ce n'était pas possible.
00:23:50 On peut, avec un exercice intellectuel,
00:23:56 par analogie, se dire ce qui peut se passer dans ces espaces,
00:24:01 peut ressembler à des choses qu'on peut observer
00:24:03 dans le cadre des constructions théoriques en psychologie.
00:24:07 Mais j'ai quand même eu envie d'aller voir, d'essayer,
00:24:10 de me dire que si les théories en psychologie décrivent le monde,
00:24:14 elles doivent aussi pouvoir décrire le monde quotidien,
00:24:16 le monde des transports.
00:24:19 On doit pouvoir les utiliser.
00:24:21 Ça a été un peu le défi qui n'a pas toujours été facile,
00:24:26 qui a été grandement facilité par les liens qui se sont noués
00:24:32 entre les opérateurs des transports et ces programmes de recherche,
00:24:35 liens étroits, qui consistaient à se poser ensemble des questions,
00:24:40 à se demander ensemble ce qui posait problème
00:24:42 et ce qui méritait d'être étudié,
00:24:44 à poser des protocoles de recherche,
00:24:46 à se donner les moyens d'expérimenter.
00:24:49 Tout ça n'a pas été sans difficulté.
00:24:55 C'est le fruit d'une histoire aujourd'hui de huit ans,
00:24:58 de huit ans de travail autour de ces sujets-là,
00:25:01 qui ont commencé par une étude
00:25:04 qu'avait commandée SNCF Transilien, sur le réseau RER en particulier,
00:25:11 une étude plutôt qualitative
00:25:13 qui avait pour but de réenchanter l'expérience du RER.
00:25:16 Autant dire que c'était assez ambitieux comme projet.
00:25:20 Mais l'idée, c'était de se dire,
00:25:23 est-ce qu'on doit absolument concevoir cette expérience
00:25:27 comme la moins pire possible
00:25:29 ou est-ce qu'on peut la regarder autrement ?
00:25:32 Ils avaient fait appel à un prestataire à cette époque-là.
00:25:37 J'étais intervenu pour conseiller, regarder ce qui se passait,
00:25:41 voir ce que produisaient ces données-là
00:25:44 et proposer un certain nombre de méthodologies.
00:25:48 On a eu un travail d'immersion dans les parcours d'usage
00:25:53 et on a fait ce qu'on appelle du "shadowing".
00:25:56 On a suivi des usagers des transports
00:25:58 pour voir à quel moment ils regardaient où, dans quelle direction,
00:26:02 à quel moment ils hésitaient,
00:26:04 à quel moment ils avaient l'air confiants dans leur parcours,
00:26:07 essayer de discerner les émotions ressenties.
00:26:10 On a distribué à des passagers et à des usagers des carnets de bord
00:26:14 qui leur permettaient, au jour le jour, de prendre des photos d'une part
00:26:17 et de noter leurs ressentis d'autre part au fur et à mesure de leur trajet,
00:26:22 d'avoir accès à ces émotions, très négatives à des moments,
00:26:25 plutôt positives à d'autres, neutres à d'autres moments, etc.
00:26:30 Et jouer aussi sur ce qu'on aime beaucoup étudier en psychologie sociale,
00:26:36 les interactions sociales.
00:26:38 Il faut que les gens discutent entre eux, qu'ils polémiquent,
00:26:42 qu'il y ait du discensus, qu'ils se disputent
00:26:45 pour qu'on voit sortir des éléments qui ne sortent pas tout seuls.
00:26:48 Parler du quotidien, je le disais, ça ne se fait pas,
00:26:51 c'est difficile, c'est comme expliquer comment on fait du vélo.
00:26:54 Pour que ça sorte, il faut créer de la conflictualité
00:26:57 dans quelque chose qui est très quotidien.
00:26:59 Un autre voit un quelque chose de parfaitement quotidien
00:27:02 qu'il n'a jamais posé question, il le voit ou elle le voit,
00:27:05 d'une manière différente.
00:27:06 Tout à coup, je me retrouve à devoir argumenter
00:27:08 quelque chose qui était une parfaite évidence pour moi.
00:27:11 On voit les gens produire du discours, littéralement.
00:27:14 Ce n'est pas du discours qui existait déjà,
00:27:16 c'est un discours qui s'invente dans l'interaction avec les autres.
00:27:20 Observation, on regarde les comportements, les usages,
00:27:24 en essayant de les déranger les moins possible.
00:27:26 L'avantage d'une gare, c'est qu'on se fait discret,
00:27:29 sauf quand on s'arrête et qu'on regarde tout le monde.
00:27:32 Il y a peu de gens qui regardent les gares.
00:27:34 Des carnets pour étudier ses ressentis et ses récits au quotidien,
00:27:40 et les focus group pour jouer un peu sur ce discensus, cette confrontation.
00:27:46 Ça, c'était il y a sept à huit ans.
00:27:48 On est en train de reproduire la même étude,
00:27:51 à une ampleur beaucoup plus grande en ce moment,
00:27:54 sur le réseau transilien, pour voir, au bout de sept ans,
00:27:59 ce qui a bougé, ce qui est devenu,
00:28:01 quelles sont les problématiques qui se posent.
00:28:03 Ça a amené à des données très riches
00:28:06 qui démontrent que l'expérience est complexe.
00:28:10 Ça a aussi montré qu'il y avait plein de leviers
00:28:12 pour améliorer cette expérience, les environnements.
00:28:15 Et surtout pour dire qu'il y a une façon de regarder les environnements
00:28:19 qui peut nous permettre de comprendre mieux ce qui se passe,
00:28:22 les comportements,
00:28:24 ce qui fait l'attractivité ou pas des transports publics.
00:28:27 C'était un peu compliqué.
00:28:30 Je n'avais pas forcément une grande habitude
00:28:32 d'interagir avec des professionnels.
00:28:35 J'avais expliqué et dit ça avec beaucoup d'enthousiasme,
00:28:38 sans vraiment me faire comprendre, je crois, parce que c'était théorique.
00:28:43 Jusqu'au jour où j'ai montré l'image à droite,
00:28:46 qui est apparue parce que c'était quelque chose d'un peu en vogue à ce moment-là,
00:28:54 même s'il était un peu moins qu'à une période quelques années après.
00:28:59 On avait fait une expérimentation un peu avant,
00:29:03 en accompagnement d'une association qui s'appelait PEPS,
00:29:07 qui avait travaillé sur l'encouragement à l'activité physique
00:29:11 en utilisant une approche radicalement différente,
00:29:14 en ne passant pas par l'information, la sensibilisation, etc.,
00:29:20 mais en se disant qu'on allait utiliser les environnements de vie,
00:29:23 les environnements quotidiens,
00:29:25 pour créer des invitations à être actifs,
00:29:29 à prendre les escaliers plutôt que les escalators.
00:29:31 On avait installé cette peinture-là, qui avait été conçue par les habitants.
00:29:36 Ils ont choisi le décor, etc.
00:29:39 Ça avait multiplié par trois l'usage des escaliers par rapport aux escalators.
00:29:46 Ça s'appelle du "nudge" dans le vocabulaire anglo-saxon.
00:29:52 Ça a ses limites, ça a son intérêt.
00:29:55 En tout cas, ça a percuté tout de suite.
00:29:57 Ça a eu un effet de révélation assez fort,
00:30:00 qui a fait que très vite après, les sujets ont été portés très haut
00:30:04 chez l'opérateur, à la SNCF, en disant que là,
00:30:08 on ressent qu'il y a quelque chose qui peut nous amener
00:30:11 à construire différemment nos environnements de transport,
00:30:14 à traiter différemment et à regarder différemment les usagers.
00:30:17 Ce qui nous paraissait intéressant,
00:30:19 et ce qui me paraissait intéressant dans cette démonstration,
00:30:22 c'était pas tant de dire qu'on peut faire prendre l'escalier,
00:30:25 que de dire, regardez ce que sont vos espaces par défaut,
00:30:29 quand on ne s'en occupe pas.
00:30:31 Qu'est-ce qu'ils produisent ? À quoi ils invitent ?
00:30:34 Ils invitent à tous se précipiter sur l'escalator,
00:30:37 faire la file sur l'escalator, attendre devant l'escalator,
00:30:41 en ignorant superbement les escaliers,
00:30:44 parce que c'est l'architecture que vous avez produite,
00:30:47 vous, responsable des lieux de transport.
00:30:49 Vous avez mis un escalator éclairé, qui bouge,
00:30:52 qui est relativement propre, car il se nettoie tout seul,
00:30:56 et sur lequel il y a beaucoup de monde.
00:30:58 À côté, il y a un escalier statique, plus sombre, sans personne, plus sale.
00:31:02 N'importe quel cerveau, normalement constitué,
00:31:06 surtout s'il a autre chose à faire, ne se pose pas la question,
00:31:09 et se dirige vers l'escalator plutôt que l'escalier.
00:31:13 L'idée, c'était de se dire qu'on peut reconfigurer ces choix-là,
00:31:17 retravailler autrement les environnements
00:31:19 pour qu'ils soient un peu moins influents,
00:31:22 dans un sens que, la plupart du temps, les gens ne souhaitent pas,
00:31:27 ou n'ont pas, ou n'est pas dans le bénéfice du confort
00:31:31 ou de l'accessibilité des transports en commun.
00:31:34 Ça a débouché sur un programme de recherche,
00:31:37 "Expérience Hangar",
00:31:39 qui essayait de comprendre les interactions entre les humains et leur milieu.
00:31:43 L'idée de départ, c'était de se dire que l'humain prend de l'information,
00:31:49 et les réseaux de transport passent beaucoup de temps à donner de l'information,
00:31:53 sonore, visuelle, etc.
00:31:56 Mais on avait envie de dire que l'humain est aussi sensible.
00:31:59 Il est sensible à son environnement,
00:32:02 il est touché par les lieux dans lesquels il est, il est poreux,
00:32:05 c'est un peu une éponge, et il prend plein d'indices au-delà des informations.
00:32:09 Il ne s'arrête pas qu'aux informations explicites,
00:32:11 il décode son environnement de manière très rapide.
00:32:14 La frontière qu'on fait entre le moi et le milieu n'est pas si nette que ça.
00:32:20 Quand on étudie ce qu'on appelle le champ psychologique,
00:32:25 on se rend compte que notre psychologie, notre façon de réfléchir,
00:32:29 notre perception, nos représentations,
00:32:30 intègrent une partie du milieu et de l'environnement dans lequel on est.
00:32:34 Il n'y a pas tellement la frontière entre le moi et le milieu dans lequel je suis.
00:32:38 Il y a des allers-retours, des échanges permanents.
00:32:41 Évidemment, on n'est pas dans une enveloppe qui est hermétique.
00:32:45 L'idée, c'était de comprendre ces échanges, les états d'esprit,
00:32:48 pour comprendre d'où venaient les comportements,
00:32:51 ce qu'on ressent dans les transports publics,
00:32:53 et en continuant à utiliser des méthodes,
00:32:56 qui étaient des méthodes mixtes, croisées des observations,
00:32:59 où on prend des notes, parfois on compte combien font ci, ça,
00:33:04 des entretiens où on prend le temps, et surtout, on laisse le temps,
00:33:08 à des usagers d'exprimer en guidant l'entretien,
00:33:11 comme on sait le faire en psychologie, avec l'arme fatale du "hum hum hum hum",
00:33:15 qui permet de faire parler, faire parler,
00:33:17 et qui fait qu'au bout d'un moment, on a accès à des choses plus profondes.
00:33:21 Des questionnaires qui permettent de mesurer plus précisément
00:33:24 où on en est dans des grands échantillons, et des expérimentations.
00:33:28 Ces expérimentations répondaient à l'objectif de se dire
00:33:33 qu'on ne comprendra jamais bien ce qui se passe
00:33:35 si on ne change pas un tout petit peu les situations.
00:33:39 Il faut intervenir dans les situations
00:33:42 pour en révéler la nature profonde.
00:33:45 C'est d'inspiration philosophique, dans le domaine de la phénoménologie,
00:33:49 la réalité ne va se présenter
00:33:52 que si on renoue ce contact direct avec la réalité,
00:33:55 donc on met en cause les attendus.
00:33:57 Philosophique et artistique, autour du situationnisme
00:34:01 et de sa capacité à problématiser notre rapport au quotidien par la situation.
00:34:06 Et puis, aussi, des travaux fondateurs en psychologie sociale,
00:34:12 en particulier des travaux de Kirt Lewin, par exemple,
00:34:15 à qui on a fait dire, si vous voulez réellement comprendre une situation,
00:34:20 essayez de la changer, puisque pour lui,
00:34:22 aller perturber un peu un ordre était la seule façon d'arriver
00:34:27 à faire apparaître les points de tension, l'organisation sous-jacente, etc.
00:34:32 Tout ça, on l'a fait.
00:34:35 Vous verrez ce que ça a pu donner
00:34:37 dans la façon qu'on a aujourd'hui de comprendre l'expérience.
00:34:41 Je vais prendre un trajet, je l'ai déjà fait dans un article,
00:34:45 mais je vais continuer sur cette lancée, sur l'histoire de Camille.
00:34:49 Camille, pour essayer de mettre un peu en récit le quotidien,
00:34:54 se dirige vers la gare,
00:34:56 et doit à la fois trouver la gare, l'entrée, s'orienter,
00:35:00 qui utilise éventuellement un tunnel,
00:35:02 qui la plonge dans un environnement
00:35:05 que presque que les situations de mobilité génèrent,
00:35:08 à part quand on descend dans sa cave, on se retrouve en souterrain,
00:35:11 mais en présence d'autres qu'on ne connaît pas,
00:35:13 avec une orientation qui est parfois parfaitement familière
00:35:17 et parfois inconnue, ça produit des expériences spécifiques.
00:35:21 On se retrouve dans un espace qui nécessite, à un moment donné,
00:35:24 de se montrer, de se signaler, par la validation,
00:35:28 par le contrôle des titres de transport.
00:35:31 On se rend compte qu'on est dans un espace régulé,
00:35:33 dont l'accès est en partie limité, si on veut accéder au transport.
00:35:38 Après, il y a tout ce qui se joue à bord, trouver son train,
00:35:42 choisir la voiture dans laquelle on monte,
00:35:45 choisir le siège sur lequel on s'assoit,
00:35:48 attendre, faire quelque chose pendant qu'on se déplace,
00:35:53 regarder le paysage, regarder son téléphone,
00:35:55 discuter avec les autres, s'assurer qu'on arrive au bon endroit,
00:35:59 travailler, etc.
00:36:00 Et puis l'arrivée, qui demande à rejouer le même processus,
00:36:04 mais en sens inverse, trouver la sortie, etc.
00:36:06 C'est fou, le nombre de décisions, de questions, d'hésitations,
00:36:11 de choix qui peuvent être faits dans un parcours.
00:36:14 Quand on a suivi les parcours,
00:36:16 on s'est dit qu'on allait poser chaque moment de choix.
00:36:19 On a vite renoncé, il y en avait tellement.
00:36:21 Quand on prenait les choix automatiques,
00:36:23 dont on peut questionner la dimension de choix,
00:36:26 mais qui étaient toutes ces décisions de prendre à droite, à gauche,
00:36:29 de monter dans tel wagon par la force de l'habitude,
00:36:32 ou emporté par la foule.
00:36:33 Dans tout ça se joue un certain nombre d'enjeux forts,
00:36:37 des enjeux d'orientation dans des espaces complexes,
00:36:42 de trouver la bonne voie, quand on ne connaît pas ou quand c'est perturbé.
00:36:46 On s'est rendu compte qu'on a à peu près le même profil
00:36:49 entre un touriste ou un habitant de Lyon comme moi,
00:36:54 qui arrive pour la première fois sur le réseau parisien
00:36:57 dans une gare RER parisienne,
00:36:59 que quelqu'un très habitué à un trajet
00:37:02 et qui, tout à coup, a à prendre un trajet différent.
00:37:04 On se rend compte qu'on trouve à peu près les mêmes stratégies,
00:37:07 les mêmes questionnements, même si il y a une lecture plus facile,
00:37:10 des plans, du réseau, etc.
00:37:12 Toutes ces situations de foule où on se retrouve mêlé aux autres
00:37:15 pour plein de raisons,
00:37:17 parce qu'on prend le même chemin, se met au même endroit,
00:37:20 parce qu'il n'y a pas assez de place, trop de monde au même moment, etc.
00:37:24 On s'est bien rendu compte qu'il y avait un lien
00:37:27 entre ce que les gens font et ce que les gens vivent.
00:37:30 On avait une interaction entre les deux très forte
00:37:33 et qui tenait à la proposition que fait l'infrastructure
00:37:36 en termes d'information, de design des lieux, de services.
00:37:42 Qu'est-ce que ça propose ?
00:37:43 On avait bien la possibilité, à un moment donné,
00:37:46 de mettre en responsabilité les opérateurs de transport
00:37:49 en disant qu'il y a une part qui vous appartient.
00:37:52 Il y a une part qui vous appartient au-delà de la part technique,
00:37:55 de l'idée de faire rouler des trains, qui est essentiel,
00:37:58 qui est la base dans des conditions de sécurité
00:38:01 qui répondent aux besoins de transport.
00:38:03 Il y a une part humaine,
00:38:05 comprendre comment se construit cette expérience,
00:38:08 comprendre comment se construisent ces comportements
00:38:11 pour essayer de résoudre un certain nombre de problématiques.
00:38:15 Quand on a creusé ça et commencé à faire l'expérience,
00:38:20 qu'on connaissait déjà en pratique,
00:38:22 mais qu'on a étudiée en théorie, de toutes les perturbations,
00:38:25 les moments où ça ne se passe pas comme on attendrait,
00:38:28 toutes les problématiques qui peuvent se poser
00:38:31 parce qu'on est irrité, énervé,
00:38:33 parce qu'il y a plein de gens sur l'escalator et qu'on veut aller vite,
00:38:37 qu'on a été perdu alors qu'il nous aurait suffi de nous indiquer la bonne voie,
00:38:40 que le train va être en retard parce qu'il y a des gens qui bloquent les portes,
00:38:45 que finalement, on n'aura jamais son train et on ne partira jamais,
00:38:49 ou presque, parce qu'un bagage a été oublié en gare,
00:38:53 ou qu'on est dans des espaces qui peuvent être, à des moments,
00:38:56 dans des états problématiques,
00:38:58 parce qu'il y a des déchets partout par terre,
00:39:01 où on se sent obligé de courir alors qu'il aurait suffi de nous dire
00:39:05 qu'on avait le temps et qu'on aurait pris notre temps.
00:39:08 On a qu'une envie, c'est de pouvoir éventuellement prendre notre temps.
00:39:12 Et toutes ces pratiques-là,
00:39:13 quand on essaie d'aller trouver ce qui, au-delà de la technique,
00:39:17 relève et est absolument nécessaire de l'optimisation du réseau,
00:39:20 des moyens qu'on met dans les transports publics,
00:39:23 il y a aussi des pratiques qui mettent en difficulté le réseau,
00:39:26 qui peuvent mettre en danger les usagers quand il y a de la traversée de voie,
00:39:30 du blocage de porte, qui produisent de l'inconfort pour tout le monde
00:39:33 et qui réduisent l'accessibilité,
00:39:36 puisqu'une fois qu'un train est bloqué, il faut trouver des alternatives.
00:39:40 N'importe quelle personne limitée en termes de mobilité
00:39:43 allait trouver une alternative, c'est compliqué.
00:39:45 Et en termes d'attractivité,
00:39:47 puisqu'on anticipe qu'il y aura du retard et des perturbations,
00:39:51 ça pose un certain nombre de problèmes d'attractivité.
00:39:58 On s'est rendu compte aussi
00:40:00 qu'on avait des comportements qui étaient complètement emportés
00:40:03 par la situation.
00:40:04 J'ai à plusieurs reprises interrogé des gens qui bloquaient les portes.
00:40:08 Ces gens qui se précipitent, qui arrivent à rentrer,
00:40:12 qui sont plutôt fiers d'eux quand ils ne lèvent pas les yeux,
00:40:15 et quand ils le font et qu'on les regarde,
00:40:17 ils se sentent un peu honteux ou gênés pour certains.
00:40:22 J'en ai interrogé un certain nombre qui ont pu dire
00:40:25 qu'il n'y avait pas une urgence vitale,
00:40:28 qu'il y avait un train qui arrivait vite,
00:40:30 mais tout le monde courait, s'est précipité.
00:40:33 Moi, je me suis précipité aussi.
00:40:36 Ça montre quelque chose.
00:40:38 En tant qu'humain, on est rationnel, on fait des choix,
00:40:42 on a des valeurs auxquelles on tient,
00:40:45 mais on est aussi emporté par les situations.
00:40:49 C'est une leçon de la psychologie sociale depuis très longtemps.
00:40:52 Il y a les personnes qui ont leur poids dans ce qui se passe,
00:40:57 et les situations qui activent, qui produisent des choses
00:41:00 et qui ont leur poids aussi.
00:41:02 Tout comportement, c'est le résultat de l'interaction entre une personne
00:41:05 et la situation, il faut comprendre les deux.
00:41:08 Il faut avoir une symétrie d'attention
00:41:10 en se demandant ce qui tient aux personnes,
00:41:12 aux situations ou aux lieux,
00:41:15 et surtout à l'interaction entre les deux.
00:41:17 On s'est rendu compte comme ça qu'en fait, des couloirs faisaient courir,
00:41:22 qu'on s'est rendu compte que des sièges rendaient égoïstes,
00:41:25 qu'on s'est rendu compte que des informations temporelles
00:41:28 rendaient pressés ou donnaient le sentiment d'être pressés.
00:41:31 Là, on est bien à l'interaction des lieux et des personnes,
00:41:34 et on est bien à la notion d'expérience.
00:41:36 C'est exactement ça,
00:41:39 les moments où se produit une interaction dynamique
00:41:43 entre une personne et son environnement.
00:41:45 Je regarde quelque chose, ça a une influence sur moi,
00:41:48 je fais quelque chose, ça aura une influence sur l'environnement.
00:41:51 Il y avait eu des travaux intéressants,
00:41:54 récents à l'époque, sur l'approche de l'expérience en gare,
00:41:57 qui montraient qu'on pouvait essayer de faire des choses,
00:42:01 de mener des expérimentations
00:42:04 pour améliorer ses comportements et ses expériences.
00:42:08 Cette expérience-là, on a essayé de la décrire,
00:42:12 mais en tenant compte des automatismes, des limites du cerveau
00:42:16 et de notre fonctionnement cognitif.
00:42:18 On s'est rendu compte que si on est bien surchargé mentalement,
00:42:23 c'est bien dans les transports, en particulier quand on cherche son chemin.
00:42:26 On a mené des études avec des profils de charge mentale
00:42:29 selon les moments, etc.
00:42:31 On se rend compte que sur les trains grande ligne,
00:42:34 ce n'est pas pareil que sur le réseau dense.
00:42:37 Les moments de stress et de charge mentale ne sont pas les mêmes.
00:42:40 Ce sont des choses publiées et intéressantes
00:42:44 sur ces courbes en termes de charge mentale.
00:42:47 On était capables de repérer des moments dans le parcours
00:42:50 qui étaient particulièrement sensibles et critiques
00:42:53 car la charge mentale était à son maximum.
00:42:55 C'était des moments où il y avait des choses à décider.
00:42:58 L'un va avec l'autre.
00:43:00 Alors que des décisions, des informations,
00:43:03 auraient pu être prises juste avant ou juste après
00:43:06 pour s'adapter à cette charge mentale.
00:43:09 Il y avait une façon de prendre soin des usagers,
00:43:15 de prendre soin des humains qui utilisent les transports publics.
00:43:18 Le but minimal, c'était de se dire, prenons en compte
00:43:21 ces parcours de charge mentale et de charge cognitive
00:43:24 pour essayer de produire de l'information,
00:43:26 des choix au bon moment,
00:43:28 des décisions au moment où les personnes ne sont pas surchargées.
00:43:32 D'autant qu'on s'est rendu compte que cette charge mentale
00:43:35 démultipliait le risque d'activer des automatismes psychologiques.
00:43:39 Des choses qui nous emmènent et nous font décider
00:43:42 sans qu'on s'en rende compte,
00:43:44 parce que c'est issu de notre évolution, des normes sociales,
00:43:47 tout ce qu'on appelle le système 1 des modes de pensée,
00:43:51 dans une métaphore proposée par Daniel Kahneman,
00:43:54 qui constitue des formes d'automatismes psychologiques,
00:43:57 des raccourcis qu'on prend dans la prise de décision.
00:44:00 Par exemple, on va avoir tendance à privilégier
00:44:04 les conséquences immédiates d'un comportement
00:44:07 par rapport à ses conséquences à long terme.
00:44:09 On va se dire, je vais bloquer les portes pour prendre mon train,
00:44:12 et je ne pense pas au retard que ça va provoquer sur le réseau.
00:44:17 Un certain nombre de décisions sont prises de cette forme-là.
00:44:20 De la même façon, la version à la perte,
00:44:22 on se rend bien compte que les gens sont très sensibles
00:44:25 au temps qu'ils perdent dans une expérience de transport et de mobilité.
00:44:29 Ils sont hypersensibles.
00:44:30 Le temps gagné n'a aucune importance.
00:44:32 Ils jouent très peu.
00:44:34 La satisfaction à avoir gagné cinq minutes
00:44:37 ne vaudra jamais l'insatisfaction à en avoir perdu cinq.
00:44:41 On connaît ça en psychologie.
00:44:43 C'est un mécanisme cognitif et psychologique très basique et universel.
00:44:50 On est plus sensibles à ce qu'on perd qu'à ce qu'on gagne.
00:44:52 On a toujours l'impression
00:44:54 que les files d'attente d'à côté sont plus rapides que la nôtre.
00:44:57 Tout le monde a la même impression.
00:44:59 On est très sensibles au moment où on est doublé.
00:45:02 On oublie de noter les moments où on double les autres.
00:45:05 C'est des automatismes, la force de la norme sociale.
00:45:08 Le nombre de fois où on a observé des gens
00:45:12 qui cherchaient leur trajet, leur chemin,
00:45:15 et qui, au mépris de toute la signalétique qui montrait leur destination,
00:45:19 ont considéré que la meilleure preuve et la meilleure information
00:45:23 c'est ce que faisaient les autres.
00:45:24 C'était la bonne chose à faire.
00:45:27 Il s'avère qu'à plein de moments, c'est exact,
00:45:29 et il y a des moments où ça trompe.
00:45:32 Ce qu'on appelle l'option par défaut,
00:45:34 ce qui se présente comme une évidence, ce qui nous évite de choisir,
00:45:38 c'est la grande entrée plutôt que la petite,
00:45:42 car elle nous évite d'avoir à trop réfléchir à notre décision.
00:45:45 Il y a à la fois ce côté comportement,
00:45:49 ce qu'on fait, les actions qu'on met en œuvre,
00:45:52 qui sont amenées par des ressentis, des interactions avec l'environnement,
00:45:57 et puis appuyées sur une part de notre fonctionnement cognitif
00:46:01 qui nous échappe un peu
00:46:02 et qui fait qu'on ne peut pas tout faire avec notre esprit.
00:46:06 Il y a un univers social qui produit un sens commun,
00:46:10 des façons de penser partagées,
00:46:12 et les limites des capacités de notre cerveau.
00:46:15 Je passerai rapidement là-dessus,
00:46:17 mais il y a des concepts qui permettent de penser tout ça.
00:46:20 Par exemple, le concept d'affordance,
00:46:23 proposé par Gibson à la fin des années 1970,
00:46:26 et un peu avant par d'autres auteurs, Kurt Lewin en particulier.
00:46:30 L'affordance, c'est la capacité qu'a une situation
00:46:34 à produire un usage ou à inviter à un usage.
00:46:38 C'est la branche qui invite l'oiseau.
00:46:40 Qu'est-ce qui fait qu'un oiseau choisit une branche ?
00:46:43 Ça tient à l'oiseau, à la branche.
00:46:45 On voit rarement des oiseaux se casser la figure
00:46:47 parce qu'ils se sont trompés de branche.
00:46:50 Ils arrivent à choisir des branches adéquates à ce qu'ils ont à faire,
00:46:53 à la façon dont ils vont se poser, à leur poids, etc.
00:46:56 C'est parce que la branche envoie des signaux, les bons,
00:46:59 et que l'oiseau sait décrypter ces signaux-là.
00:47:03 C'est ce qu'on appelle l'affordance.
00:47:06 C'est autant à la branche qu'à l'oiseau.
00:47:07 Il faut l'interaction entre les deux.
00:47:10 C'est le résultat du mélange entre les deux.
00:47:12 L'affordance parle de ce mélange entre les deux.
00:47:14 C'est aussi tous les travaux en psychologie
00:47:18 sur cette interaction entre la personne et l'environnement,
00:47:21 qui avait été résumée par une équation B=F(PE),
00:47:26 qui veut dire que le comportement est une fonction de l'interaction
00:47:30 entre la personne et l'environnement,
00:47:33 et c'était tout au long des expérimentations
00:47:35 quelque chose qui nous revenait toujours à l'esprit,
00:47:38 les fois où on avait tendance à trop s'appuyer sur l'un et à oublier l'autre,
00:47:42 la symétrie de l'attention entre les personnes et leur environnement.
00:47:46 On s'est basé aussi sur des travaux qui pointaient déjà largement
00:47:52 vers le fait que le comportement et l'expérience humaine
00:47:55 se construisent autour d'un système où intervient l'espace, le temps, etc.
00:48:00 Le programme d'études qu'on voulait conduire devait nous aider à comprendre
00:48:05 comment tout ça se produisait au niveau psychologique.
00:48:09 Qu'est-ce que ça nous a conduit à mettre en évidence ?
00:48:13 La première chose, c'est qu'on a compris comment se construisait
00:48:17 ou sur quoi reposait une grande partie de l'expérience de mobilité
00:48:21 dans les transports.
00:48:23 Elle se construit autour de cinq paramètres
00:48:26 qui eux-mêmes ont leur complexité,
00:48:28 de manière assez simple et schématique.
00:48:32 Cinq paramètres, le temps, à quel point je prévois,
00:48:35 la sensation de durée que je peux avoir dans mon expérience de mobilité,
00:48:42 et la pression temporelle que je ressens.
00:48:44 Le rapport au temps est un sujet un peu caché,
00:48:47 mais qui détermine, dans le domaine des transports
00:48:50 et de l'économie des transports, le temps a une valeur.
00:48:53 On peut calculer la valeur du temps.
00:48:56 Par exemple, quand un système de VTC vous propose soit d'attendre,
00:49:01 soit de payer un peu plus cher,
00:49:03 ça lui permet de calculer combien vaut la minute d'attente.
00:49:06 Il voit votre arbitrage.
00:49:08 Je dois attendre un quart d'heure, je préfère payer plus cher ?
00:49:11 À quel moment vous acceptez de payer plus cher ?
00:49:14 On a des tas de données sur la valeur du temps d'attente.
00:49:17 C'est l'aspect économique, très étudié dans les transports.
00:49:21 Il y a aussi l'anticipation, la pression, les rythmes temporels.
00:49:25 Il y a la question de l'espace.
00:49:26 À quel point un espace est visiblement accessible ou pas ?
00:49:30 À quel point il est lisible et compréhensible ?
00:49:33 À quel point il paraît ouvert ou fermé ?
00:49:35 C'est simple.
00:49:37 Un espace fermé, c'est un tunnel, un espace ouvert, une grande gare.
00:49:40 Or, ce n'est pas si simple.
00:49:42 On a des expériences de clôture et de sentiments d'enfermement
00:49:45 dans des espaces très grands,
00:49:47 et on a des expériences d'ouverture dans des espaces étroits.
00:49:50 Ça ne tient pas qu'aux espaces eux-mêmes,
00:49:53 mais ça accompagne le son, les images, la couleur, etc.
00:49:57 Le "soi", comment on se sent traité
00:50:00 dans son expérience de transport et de mobilité, son identité,
00:50:03 "on me prend pour qui".
00:50:05 On sait que quand on laisse les gens produire des métaphores
00:50:08 sur les transports publics,
00:50:09 le fourgon à bestiaux arrive, ou la bétaillère,
00:50:12 ça ne parle pas que des trains,
00:50:14 mais aussi de comment on se sent traité dans son identité sociale,
00:50:18 l'estime qu'on a, l'impression qu'on nous porte,
00:50:20 ou le statut qu'on nous donne.
00:50:22 Certains peuvent se sentir plus méprisés
00:50:25 parce que leurs espaces de transport sont plus dégradés,
00:50:28 les conditions sont plus dégradées que d'autres.
00:50:30 Ça touche, parce que c'est parfaitement quotidien,
00:50:33 à l'identité sociale, à l'estime de soi,
00:50:36 au statut subjectif qu'on pense avoir.
00:50:39 Le rapport aux autres, la distance qu'on a aux autres,
00:50:42 la confiance qu'on a envers les autres,
00:50:44 on l'a vu, il y a eu l'épisode du Covid, on en parlait juste avant,
00:50:48 qui, soudainement, pour certains, a rétabli ou créé une distance
00:50:52 avec les autres, une méfiance par rapport à la présence des autres.
00:50:55 On touchait la barre sans se poser de questions,
00:50:57 et tout à coup, on se met à ressentir une gêne,
00:51:00 voire un dégoût, à toucher ce que les autres ont touché.
00:51:04 Un rapport social particulier, différent, qui n'est pas le même.
00:51:08 Les autres, c'est ceux qui peuvent jeter des déchets par terre,
00:51:11 volontairement ou involontairement.
00:51:13 On se rend compte que ça construit des images
00:51:16 de l'environnement de transport et des normes sociales.
00:51:19 Si tout le monde le fait, je le fais aussi.
00:51:21 Si ça pose de problèmes à personne, je le fais aussi.
00:51:24 Sur ces sujets-là, il nous est arrivé d'expérimenter les normes,
00:51:27 d'essayer de faire des choses pour voir jusqu'où les gens seraient prêts.
00:51:31 Il nous est arrivé de faire tomber des déchets, presque volontairement,
00:51:35 devant tout le monde, pour voir si les gens réagissaient ou pas,
00:51:39 ou si le comportement s'était normalisé.
00:51:41 Ensuite, pour poser des questions, expliquer ce qu'on avait fait.
00:51:44 Les normes, c'est comme le quotidien,
00:51:47 on ne les voit que quand elles sont dérangées.
00:51:49 C'est là qu'elles apparaissent.
00:51:51 "Non, vous n'avez pas le droit de le faire."
00:51:53 Ou alors, que les regards réprobateurs apparaissent.
00:51:56 Le rapport aux autres, c'est ça.
00:51:58 Et le rapport au contrôle, c'est-à-dire à quel point,
00:52:01 dans ces expériences de transport, on a le sentiment d'avoir le choix,
00:52:04 on se sent compétent, capable de prendre un autre trajet,
00:52:09 de faire un détour, un autre choix,
00:52:11 de s'emparer d'une autre offre, de faire de l'intermodalité,
00:52:14 d'essayer le vélo, etc.
00:52:16 Et puis, la participation, à quel point on nous demande notre avis.
00:52:19 Il fut un temps où on proposait aux espaces de transport
00:52:23 de laisser des marges d'aménagement,
00:52:26 de permettre aux usagers des espaces de reconfigurer dans certaines limites,
00:52:31 de prendre une part active dans la conception des espaces.
00:52:36 Ça pointe à la fois vers une manière de comprendre ce qui se passe,
00:52:40 de comprendre l'expérience,
00:52:41 et ça nous a permis de comprendre que si on simplifiait les choses,
00:52:46 on avait deux profils différents, en vert et en rouge,
00:52:49 qui rejoignent les travaux de Van Hagen en 2014,
00:52:52 mais qui ont été retravaillés différemment.
00:52:54 Ce qu'on pourrait appeler les voyageurs pendulaires,
00:52:57 ceux qui sont au quotidien, qui prennent les transports tous les jours,
00:53:01 et ce qu'on pourrait appeler les voyageurs loisirs.
00:53:03 On se rend compte que l'Ouest, qui est un peu le plaisir, le loisir,
00:53:08 est dans un état d'esprit très différent de ceux qui sont dans un rapport quotidien
00:53:13 sur chacune de ces dimensions.
00:53:15 Celui qui est dans son urgence du quotidien
00:53:19 est plutôt en rapport avec des espaces fermés,
00:53:22 dans lesquels, plus ça ressemble à un tunnel qui lui permet d'aller droit
00:53:25 sans trop prendre de décision, mieux c'est.
00:53:28 Plus le temps est rapide, mieux c'est,
00:53:30 parce que ça correspond à son urgence, etc.
00:53:33 Là où, par ailleurs, quelqu'un qui est dans un mode loisir
00:53:36 va attendre à ce qu'on ne le bouscule pas trop,
00:53:39 à ce que l'espace soit ouvert et lui propose des choix,
00:53:41 va attendre d'être considéré, etc.
00:53:44 C'est fou à quelle vitesse une même personne bascule de l'un à l'autre.
00:53:49 C'est absolument incroyable.
00:53:51 Prenez l'exemple qui m'avait beaucoup marqué,
00:53:54 de cet enfant qui répétait sa poésie dans le RER,
00:53:57 où ça a fait lever la tête à des gens, ils se sont regardés, ils ont souri,
00:54:01 et tout à coup, tout a changé.
00:54:03 La temporalité, le rapport à la place qu'on a, etc.
00:54:07 Ça a montré un basculement d'expérience qu'ensuite, les gens ont raconté.
00:54:11 Dans les faux conclusions, on dit que c'est vrai qu'il y a des fois,
00:54:14 il se passe un truc, on est bien, on rigole avec les gens,
00:54:18 et tout à coup, on se retrouve dans la gare,
00:54:21 on se recommence à se bousculer, etc.
00:54:23 On ne comprend pas pourquoi.
00:54:25 Ce modèle-là, on l'a validé.
00:54:28 Je passerai sur les résultats scientifiques,
00:54:30 autour de grands échantillons pour montrer la différence,
00:54:33 le rôle que ça a dans la façon dont ça peut générer du stress,
00:54:37 des sentiments de sécurité.
00:54:40 C'est aussi lié à l'attractivité et la fréquentation des transports publics.
00:54:47 Ce n'est pas qu'une pure expérience, ça détermine en partie les comportements.
00:54:51 On a commencé à se dire, si on reprend ce modèle-là,
00:54:55 avec ses différentes dimensions, qu'est-ce qu'on peut faire ?
00:54:58 On a repensé à cette expérience.
00:55:00 On s'est dit que ce qu'on est en train de faire,
00:55:03 c'est d'ouvrir l'espace des choix.
00:55:05 On travaille sur cette dimension de l'espace
00:55:09 et on peut commencer à travailler sur ce paramètre-là, tester.
00:55:12 Si on change le rapport à l'espace,
00:55:14 est-ce qu'on va avoir des changements d'expérience
00:55:19 et des changements de comportement ?
00:55:21 On avait fait cette expérience et on s'était rendu compte
00:55:24 que ça avait augmenté la fréquentation de l'escalier.
00:55:28 C'était retombé, car l'effet de surprise n'y joue plus.
00:55:32 Ce qui avait été intéressant, c'est qu'on s'était dit,
00:55:36 est-ce que c'est l'ouverture des choix qui est importante ?
00:55:39 Ou est-ce que c'est simplement le fait que les gens fassent différemment
00:55:43 et fassent quelque chose qui peut être perçu comme bon pour leur santé ?
00:55:47 On s'est dit qu'il y a une solution très simple
00:55:49 pour que les gens prennent plus les escaliers,
00:55:52 c'est que l'escalator en panne, c'est un escalier.
00:55:55 Sur ce réseau-là, on a mis l'escalator en panne, quelques fois,
00:55:59 pas trop longtemps, en fléchant bien vers les ascenseurs, etc.
00:56:03 Pour demander aux gens, "Il se passe ça, qu'en pensez-vous ?"
00:56:07 Pour voir quel impact ça avait sur la fréquentation des escaliers.
00:56:11 La fréquentation était très importante.
00:56:13 Ce qui était intéressant, c'est que dès que les personnes n'avaient pas le choix,
00:56:18 toute l'expérience était dégradée.
00:56:21 On trouvait que c'était moins intéressant de prendre l'escalier,
00:56:25 on jugeait que c'était moins bon pour la santé,
00:56:28 on trouvait même la peinture moins jolie
00:56:30 à partir du moment où on n'avait pas le choix.
00:56:33 On s'est rendu compte
00:56:35 que cette dimension d'ouverture d'espace des choix était importante.
00:56:39 Comme vous le voyez, l'effet retombe,
00:56:41 parce que cette peinture s'use et est pénible à voir.
00:56:45 Si tous les escaliers étaient comme ça,
00:56:47 l'espace public ressemblerait à un arbre de Noël.
00:56:50 On a fait une deuxième expérimentation,
00:56:53 à Lyon, cette fois à la station Pardieu,
00:56:58 où on a redesigné l'espace pour répondre à plusieurs hypothèses.
00:57:03 Première hypothèse,
00:57:04 on peut arriver à inscrire dans les rituels de nouveaux réflexes par l'espace.
00:57:11 On a tracé une ligne qui partait du quai,
00:57:14 qui montait sur un mur pour éviter d'avoir un effet d'habituation trop fort,
00:57:19 qui permet de surprendre un peu,
00:57:22 et qui, à l'arrivée, devant le choix entre l'escalator et l'escalier,
00:57:26 proposait l'option de l'escalier,
00:57:28 qui devait en principe être plus prégnante et plus intéressante
00:57:34 au moment où il y a beaucoup de monde sur l'escalator.
00:57:36 L'idée, ce n'est pas à tout moment que les gens doivent prendre l'escalier,
00:57:40 mais qu'au moment où il y a la queue devant l'escalator,
00:57:43 l'apparition et l'ouverture de l'espace des choix est importante.
00:57:47 Effectivement, parce que c'est plus léger,
00:57:49 parce que ça ne fonctionne pas de la même façon,
00:57:52 c'est un effet qui augmente dans le temps plutôt que de se réduire,
00:57:56 c'est un effet qui marche encore mieux et qui est encore plus fort
00:58:00 au moment où il y a davantage de personnes qu'il y en a peu.
00:58:04 Ce qui fait que le dispositif est toujours là.
00:58:06 Il a été extrêmement bien accueilli,
00:58:08 tout le monde a compris très exactement quel était l'objectif.
00:58:11 Il y a eu des petits sujets sur certains slogans
00:58:15 qui avaient été peints sur les marches.
00:58:17 Ce n'était pas tout à fait ça,
00:58:20 c'était presque "quand on veut, on peut", quelque chose comme ça.
00:58:22 À raison, bien sûr, des associations de personnes à mobilité réduite
00:58:27 nous ont dit que c'était insupportable de voir ça.
00:58:30 Ce n'est pas "quand on veut, on peut".
00:58:32 Quand j'arrive avec mon fauteuil en bas de l'escalier,
00:58:35 ne me dites pas "quand on veut, on peut" ou "un petit effort", etc.
00:58:38 Ça a aussi pointé vers la nécessité de faire attention au sens qu'on produit
00:58:44 et au fait qu'à force de vouloir ouvrir l'accessibilité,
00:58:48 il ne faut pas faire comme si tout était possible pour tout le monde.
00:58:50 De la même façon, on avait créé une signalétique simple et visible
00:58:54 qui permettait de réduire de manière très significative
00:58:58 l'hésitation à la sortie du métro,
00:59:01 qui permettait à tout le monde de sortir alors que les gens restaient bloqués,
00:59:05 ce qui évitait un certain nombre de bagarres et de tensions
00:59:08 à la sortie des rames.
00:59:10 Toujours sur l'espace,
00:59:13 vous verrez si vous allez à Strasbourg,
00:59:15 cette grande fresque sur la verrière de la gare de Strasbourg.
00:59:20 C'était censé être expérimental, ça reste là.
00:59:23 C'est tellement usé qu'on ne voit plus que les ronds,
00:59:26 donc on n'y comprend plus grand-chose.
00:59:29 C'est une expérimentation qu'on avait menée pour essayer de rattraper...
00:59:35 Je ne sais pas si vous connaissez la gare de Strasbourg,
00:59:38 mais c'était très structurée autour d'une grande entrée
00:59:41 et deux halls de chaque côté.
00:59:43 Pour l'agrandir, comme dans beaucoup de gares,
00:59:46 on a créé une verrière en avant, mais très homogène, très lisse,
00:59:49 pour suggérer la grande vitesse.
00:59:52 C'était l'époque du TGV, de la grande vitesse,
00:59:55 donc on a construit des gares de grande vitesse, très linéaires.
00:59:59 Les gens étaient perdus pour savoir par où rentrer.
01:00:02 Ils rentraient tous au même endroit,
01:00:04 ce qui fait qu'on commençait à avoir des problématiques de surcharge.
01:00:07 Les flux étaient faits pour se disperser,
01:00:10 et tous les flux allaient au même endroit.
01:00:13 Le pari qu'on a fait, c'est de se dire qu'on peut transformer
01:00:16 la version mentale des espaces.
01:00:19 On peut travailler l'espace dans sa version représentée,
01:00:23 dans sa version cognitive.
01:00:25 On a travaillé un plan qui n'avait pas pour but de trouver son chemin,
01:00:28 car personne ne trouvera jamais son chemin avec ce plan,
01:00:31 mais plutôt pour faire apparaître la configuration générale de l'espace
01:00:35 et les possibilités offertes par l'espace,
01:00:37 de circulation, de points d'arrêt, etc.,
01:00:40 de créer une nouvelle hiérarchie.
01:00:42 On peut créer des points plus gros que d'autres,
01:00:44 de donner des noms différents, etc.
01:00:47 Ça a eu des effets assez forts,
01:00:49 puisqu'on a diminué de plus de 10 % les flux
01:00:56 dans le tunnel qui était surchargé,
01:01:02 et qu'on a un peu transformé.
01:01:04 Quand on demandait aux gens de dessiner l'espace,
01:01:06 avant et après,
01:01:09 on voyait soudainement apparaître davantage d'espace
01:01:12 que ce qui était perçu avant.
01:01:14 Autre exemple, sur le temps.
01:01:18 On s'est posé la question du blocage des portes.
01:01:22 On s'est bien rendu compte que les gens bloquaient des portes
01:01:25 car ils se précipitaient pour avoir un train,
01:01:27 alors qu'ils avaient l'information qu'il y avait un train juste après
01:01:31 qui desservait la même destination
01:01:32 et pour laquelle ils n'avaient pas de raison d'estimer
01:01:35 qu'ils allaient être en retard.
01:01:38 On a utilisé les données de la recherche en psychologie
01:01:42 et en psychologie cognitive
01:01:47 qui suggèrent que si on arrive à évoquer certaines choses,
01:01:52 la verticalité, l'abstraction, la présence de nature,
01:01:56 ça peut avoir un rôle de diminution de la pression temporelle.
01:02:00 On s'est dit,
01:02:01 faisons le pari de l'expérimentation,
01:02:04 on va essayer de faire admettre à un chef de gare d'installer et de repeindre,
01:02:09 ou de manière temporaire,
01:02:11 de mettre des planches en bois autour de ces poteaux
01:02:15 et d'y coller des choses qu'on a demandées aux designers,
01:02:19 de faire ressembler à de l'abstraction, de la verticalité
01:02:23 et de l'évocation de nature.
01:02:25 Ça a donné ça.
01:02:26 C'est là où j'ai eu des surprises.
01:02:29 Cette proposition était vraiment basée sur des théories
01:02:34 et des travaux sortis quelques mois avant, consolidés,
01:02:38 parce qu'il y avait eu des indices avant,
01:02:41 qui proposaient une revue de travaux sur la distance psychologique
01:02:45 et l'idée qu'on va pouvoir, de manière assez immédiate,
01:02:49 expérimenter des données de la recherche dans des situations réelles.
01:02:52 Le graphique a un petit problème.
01:02:56 On a eu une diminution qui était très significative
01:02:59 à la fois sur l'impression d'être pressé,
01:03:02 mais aussi sur la vitesse de marche.
01:03:03 La vitesse de marche a diminué de 15 %.
01:03:06 On a compté le temps qu'il fallait aux personnes
01:03:10 pour traverser un couloir.
01:03:12 Le rythme de marche a diminué, le nombre de blocages de porte a diminué.
01:03:16 Le retard moyen des trains dans cette gare a diminué de 28 %,
01:03:20 ce qui n'est pas rien.
01:03:21 Quand on sait les pénalités que doit payer un opérateur
01:03:25 s'il est en retard et les conséquences que peuvent avoir les retards
01:03:28 sur un réseau complexe.
01:03:31 Sur le temps, on pourrait prendre la dimension des autres.
01:03:33 Par exemple, on a un problème sur le réseau de normes.
01:03:37 Sur tous les réseaux de transport, c'est les bagages oubliés.
01:03:40 On a regardé les bagages oubliés et on s'est demandé
01:03:44 ce qui était le problème.
01:03:45 En tant que psychologue, on s'en doute un peu.
01:03:47 Se rappeler de quelque chose, c'est extrêmement compliqué.
01:03:51 D'autant que l'esprit est occupé par plein d'autres choses.
01:03:55 Ce dont on s'est rendu compte,
01:03:57 c'est que certes, les gens oubliaient leurs bagages,
01:04:00 mais il y avait un autre problème,
01:04:02 que les autres personnes regardaient les gens partir sans leur bagage.
01:04:05 Ils regardaient le bagage, la personne, le bagage, la personne,
01:04:09 et ils laissaient partir la personne.
01:04:11 On s'est dit qu'il y avait une espèce de norme d'absence de considération,
01:04:15 de ne pas faire attention, qui s'est installée.
01:04:18 Comment on pourrait éventuellement imaginer retravailler ça ?
01:04:21 Pareil, on s'est inspiré de revues de travaux qui étaient récentes
01:04:26 sur comment on arrive à rendre plus présente la présence des autres,
01:04:31 comment on arrive, de manière cognitive,
01:04:34 à rendre un peu plus saillant le fait que les autres sont présents.
01:04:37 Les décisions ne dépendent plus tellement de soi ou que de soi,
01:04:41 mais aussi des autres.
01:04:42 Simplement que dans la balance de décision,
01:04:45 les autres apparaissent un peu davantage.
01:04:47 On avait testé quelque chose qui, là aussi, était très expérimental.
01:04:51 On met en avant des choses collectives,
01:04:55 on utilise différentes façons d'essayer d'activer cette considération
01:05:01 pour le collectif.
01:05:02 Ensuite, on propose une codification du comportement.
01:05:05 On dit que c'est possible de rappeler aux autres
01:05:08 qu'ils ont oublié leur bagage.
01:05:10 L'un, rappel du collectif, ne fonctionne pas sans l'autre.
01:05:14 Du coup, on a fait exprès d'oublier des bagages
01:05:20 un certain nombre de fois,
01:05:24 et on a compté le nombre de personnes qui signalaient leur bagage.
01:05:27 On est passé de 12 à 42 % de personnes
01:05:31 qui nous signalaient le bagage quand on l'oubliait.
01:05:35 Ce sont des effets assez forts,
01:05:37 basés sur des propositions théoriques, des expérimentations.
01:05:41 Non seulement, ça peut être considéré comme moche,
01:05:44 ce n'est pas forcément réplicable.
01:05:46 C'était expérimental.
01:05:48 On peut aller chercher ces sous-bassements de l'expérience
01:05:51 pour transformer ce qui se passe dans les réseaux de transport en commun.
01:05:57 Il y a d'autres sujets plus compliqués
01:05:59 et qu'on a essayé de travailler d'une manière plus...
01:06:04 Alors...
01:06:05 Ludique, même si la question n'était pas la question du ludique.
01:06:09 On a une série d'expérimentations et d'études,
01:06:14 car avant chaque expérimentation,
01:06:16 il y a de l'étude sur ce que certains appellent d'emblée l'incivilité.
01:06:22 On a travaillé sur l'urine dans l'espace public,
01:06:24 sur les déchets, sur un certain nombre de choses.
01:06:27 Chaque fois, on a été extrêmement surpris par l'incivilité dans l'incivilité.
01:06:33 C'était un peu difficile au début pour nos interlocuteurs,
01:06:38 soit à la SNCF, soit à la RATP ou ailleurs,
01:06:42 de comprendre un peu ça.
01:06:44 On essayait de dire, "Regardez autrement les comportements."
01:06:47 Regardez les déchets, par exemple.
01:06:50 Les déchets sont mis où ?
01:06:51 Quand on prend le temps de se pencher sur où sont les déchets dans le RER.
01:06:55 Ils ne sont pas n'importe où.
01:06:57 Ils sont pliés en quatre, six ou huit
01:06:59 et glissés dans les petits endroits, dans un coin, etc.
01:07:02 C'est là qu'on trouve le plus de déchets.
01:07:04 C'est ces déchets-là qui, avec les vibrations, tombent
01:07:08 et se retrouvent au sol.
01:07:11 Après, il y a les accidents, quelqu'un qui mange, etc.
01:07:13 De manière très marginale,
01:07:15 il y a des situations où les gens n'ont rien à faire
01:07:18 et jettent tout par terre.
01:07:20 C'est extrêmement marginal.
01:07:21 On avait eu pareil avec l'urine dans l'espace public.
01:07:25 On leur avait dit, "Vous vous rendez compte
01:07:27 que chaque fois que vous avez des problèmes d'urine,
01:07:30 c'est dans des petits coins sombres, à l'écart,
01:07:33 où le moins de monde possible passe."
01:07:36 Ce n'est pas un hasard.
01:07:38 Ce n'est pas juste que les gens ont peur d'être vus.
01:07:41 Ces actes-là sont faits à des endroits qui ont l'air...
01:07:44 Je ne dirais pas faits pour, mais qui ont l'air adaptés
01:07:48 parce qu'ils ont moins de valeur, moins d'usage, etc.
01:07:50 Dans ces incivilités, il y a une civilité,
01:07:54 il y a être le moins uncivique possible.
01:07:57 On avait testé la chose dans les RER, là encore,
01:08:01 en essayant de coller ces petits autocollants
01:08:04 aux endroits où les gens vont coincer les déchets.
01:08:09 Pour essayer de voir si on pouvait interpeller là-dessus,
01:08:12 tout en indiquant...
01:08:13 On a essayé de faire mettre des poubelles.
01:08:16 Toutes les propositions très simples ont l'effet.
01:08:19 Il faut que les gens aient le choix.
01:08:21 S'ils n'ont pas le choix, on ne voit pas ce qui peut se passer.
01:08:25 L'idée, c'était de mettre des poubelles.
01:08:27 "Vivie pirate, les risques, etc."
01:08:29 Ce n'est pas possible.
01:08:31 Néanmoins, il faudra y penser.
01:08:32 Bref, on va rappeler qu'il y a des poubelles à quai.
01:08:35 Quand on s'intéresse aux personnes dans leur transport du quotidien,
01:08:39 on se rend compte que le niveau d'anticipation est proche de zéro.
01:08:42 Je ne pense pas au fait que je vais bientôt être à la gare,
01:08:46 pour, éventuellement, si je m'interroge pour ma destination,
01:08:50 que je vais avoir une poubelle à la gare
01:08:53 qui me permettra de me débarrasser de mon déchet.
01:08:55 Je le coince dans le coin.
01:08:56 L'idée, c'était d'interpeller sous l'effet d'une norme sociale,
01:09:00 que les autres soient présents, même dans les petits coins,
01:09:03 que, d'autre part, indiquer les poubelles,
01:09:06 parce qu'il faut qu'il y ait le choix,
01:09:08 et qu'il y ait une sorte de réciprocité.
01:09:10 Dire que des gens nettoient.
01:09:13 On a accompagné les équipes de nettoyage,
01:09:15 on voyait bien l'effort fait, le travail très difficile,
01:09:20 qui nécessitait d'être porté à la connaissance à ces moments-là.
01:09:24 On a équipé des trains avec ça,
01:09:28 et on a laissé des trains sans ça, avec la même période,
01:09:31 les mêmes trajets, pour être toutes choses égales par ailleurs,
01:09:35 comme dans un laboratoire.
01:09:36 On a expliqué qu'on essayait de travailler sur la question de la propreté.
01:09:41 Et on a eu, sur les rames équipées,
01:09:46 une diminution de 54 % des déchets à bord,
01:09:49 qu'on comptait à l'arrivée des trains à la gare finale,
01:09:53 là où ils se retournent,
01:09:54 on allait compter le nombre de déchets.
01:09:58 Ça montre quoi ?
01:10:00 Ça montre que les espaces et travailler sur ces dimensions de l'expérience
01:10:04 offrent un tas de leviers pour essayer d'améliorer
01:10:08 l'expérience du transport public et son accessibilité.
01:10:12 On travaille aujourd'hui à Caen
01:10:14 sur un sujet d'accessibilité pour des personnes vulnérables,
01:10:18 quelles qu'elles soient,
01:10:20 et on a essayé, en travaillant plus sur la dimension du soi,
01:10:24 parce que les pictogrammes handicapés ou personnes âgées,
01:10:29 on a une personne avec une canne, etc.,
01:10:31 tous ces stéréotypes qui produisent de la stigmatisation,
01:10:34 de la catégorisation, etc.
01:10:37 On teste tout à fait autre chose,
01:10:39 un code visuel qui n'est plus du tout le même,
01:10:42 qui propose de baser tout sur l'idée et l'activation de la valeur de solidarité,
01:10:47 pour qui que ce soit, si quelqu'un a l'air d'en avoir besoin.
01:10:50 On ne cherche pas à le vérifier en essayant de le mettre dans la catégorie
01:10:53 "c'est un vieux ou pas ?"
01:10:55 "Il est assez vieux."
01:10:56 Je le vois, car je suis à l'âge où des jeunes se demandent
01:10:59 s'ils doivent me laisser une place ou pas.
01:11:02 Je vois l'effet que ça peut faire.
01:11:04 On essaie de retravailler ces codes-là,
01:11:07 mais aussi les gestes métiers,
01:11:08 car des conducteurs ne font pas attention,
01:11:11 car ils n'ont pas noté qu'il y avait quelqu'un.
01:11:13 On a inventé un porte-carte qui fait que, quand on valide,
01:11:16 le conducteur a un œil dessus et repère qu'il y a quelqu'un
01:11:21 qui a besoin qu'on ralentisse plus vite, qu'on laisse le temps de descendre,
01:11:25 qu'on laisse à la personne le temps de s'asseoir,
01:11:28 sans forcément qu'elle ait à le demander,
01:11:30 juste parce qu'on l'a vu.
01:11:32 Ça peut être aussi un étayage pour demander une place,
01:11:34 pour dire "laissez-moi la place",
01:11:36 sans pour autant que derrière,
01:11:38 il y ait marqué des catégorisations, avec des visuels un peu standards.
01:11:43 On est en train d'étudier l'impact que ça peut avoir.
01:11:46 Les premiers retours sont très bons,
01:11:49 mais là encore, on mesure de manière extrêmement rigoureuse,
01:11:53 avec et sans.
01:11:54 Vous vous doutez bien que pour des opérateurs de transports,
01:11:57 pour des collectivités qui sont derrière,
01:11:59 les commanditaires sur les réseaux de transport,
01:12:02 ça demande à renouveler leur pratique.
01:12:05 Du coup, ils expérimentent,
01:12:06 ils essayent de comprendre finement la façon dont fonctionnent
01:12:10 les personnes qui utilisent les systèmes de transport.
01:12:14 On s'intéresse à l'humain.
01:12:15 Heureusement, aujourd'hui, il y a un mouvement vers ça,
01:12:18 vers comment on arrive à intégrer ces aspects humains
01:12:21 dans des choses qui paraissaient avant seulement techniques.
01:12:24 Il n'y a plus beaucoup d'étudiants
01:12:26 qui trouvent bizarre d'aller au salon des transports en commun.
01:12:29 Ils comprennent, c'est une expérience sociale riche,
01:12:32 il s'y passe plein de choses.
01:12:34 On peut étudier plein de choses, essayer plein de choses,
01:12:37 si des opérateurs jouent le jeu.
01:12:38 C'est vrai que là-dessus, la SNCF, surtout à Paris, Transilien,
01:12:42 a créé une unité dédiée à ça, avec des gens qui sont dédiés à ça.
01:12:46 Les lignes viennent les voir en leur disant qu'ils ont un problème.
01:12:49 Ils disent qu'ils vont faire des études,
01:12:52 qu'ils vont interroger les usagers, essayer de comprendre, expérimenter.
01:12:56 Si ça marche, on le déploiera partout
01:12:58 en vérifiant que ça correspond aux besoins et à l'efficacité.
01:13:04 Au final, tous les interlocuteurs avec lesquels j'ai travaillé,
01:13:09 leur but, c'est que les trains arrivent à l'heure le plus possible
01:13:13 et qu'ils assurent les desserts qu'ils doivent assurer.
01:13:16 Ça a été rendu possible, tout ce programme-là.
01:13:20 Le fait qu'il arrive à s'inscrire sur autant d'années,
01:13:24 et qu'il y ait plein d'opérateurs de transports dans le monde entier,
01:13:28 pendant la crise Covid,
01:13:29 des opérateurs en Australie, en Inde, aux États-Unis,
01:13:32 qui ont été inspirés de ce qui a été produit en France
01:13:35 et par des opérateurs de transports en France, etc.,
01:13:38 ça a été possible, d'une part,
01:13:39 parce que chaque action a été l'occasion d'une expérimentation.
01:13:44 Le mariage de la science et de l'action s'est vraiment fait.
01:13:49 Ça a produit des données intéressantes
01:13:52 et de la connaissance pour les opérateurs
01:13:55 et des actions qu'ils ont pu déployer après ailleurs.
01:13:59 Cette idée d'expérimenter n'est pas aussi courante que ça.
01:14:03 Et puis, un cadre éthique qui a été très important pour moi et pour nous.
01:14:09 C'est-à-dire qu'à aucun moment,
01:14:12 on ne peut pas entamer l'autonomie psychologique des personnes
01:14:15 car on va installer quelque chose dans l'espace public.
01:14:18 Il ne faut pas que ce soit de l'ordre de la manipulation.
01:14:21 Il faut que l'objectif soit transparent et partagé.
01:14:26 L'idée que les gens puissent dire qu'ils aimeraient prendre davantage l'escalier,
01:14:31 que c'est mieux si les gens signalent aux autres leur bagage oublié,
01:14:34 que c'est mieux si on ne se sent pas pressé, etc.,
01:14:38 que tout ça soit partagé.
01:14:39 Que d'autre part, chacune des démarches soit l'occasion de pédagogie.
01:14:43 Je passe beaucoup de temps à raconter tout ce qu'on a fait,
01:14:46 soit à des commissions d'usagers des transports publics,
01:14:49 soit à des collectivités territoriales,
01:14:52 soit à des ONG qui veulent travailler dans le domaine de l'environnement
01:14:56 et promouvoir les mobilités partagées, etc.
01:14:59 Et puis, l'évaluation.
01:15:01 En tant que psychologue, on est sensible à ça.
01:15:05 Si on met une affiche, on capture un peu de l'attention.
01:15:08 On a pris un petit morceau de l'attention, qui est toujours limité.
01:15:11 Il faut que ça en vale la peine.
01:15:13 Il ne faut pas prendre l'attention pour l'attention,
01:15:16 mettre quelque chose alors qu'il n'y avait rien.
01:15:18 La notion d'évaluation est essentielle,
01:15:21 à court, mais aussi à moyen et à long terme.
01:15:24 Évaluation comportementale, mais aussi évaluation psychologique, sensible.
01:15:30 Qu'est-ce que ça fait ? Comment vous le trouvez ?
01:15:32 Comment vous l'acceptez ?
01:15:34 Ça fait qu'il y a des actions parfois mal perçues et qu'on a retravaillées.
01:15:37 Elles étaient efficaces, mais mal perçues.
01:15:40 Pas parce que les gens disaient qu'ils n'aimaient pas le dessin, etc.
01:15:44 Mais parce qu'ils disaient qu'ils ne se sentaient pas bien,
01:15:47 ou qu'ils avaient moins confiance dans les autres.
01:15:49 On a travaillé sur la validation,
01:15:52 qui a amené les gens à dire que l'ambiance était moins bonne, etc.
01:15:57 On s'est rendu compte qu'on avait eu un contre-effet.
01:16:00 Cette dimension était vraiment essentielle
01:16:02 pour aller vers quelque chose qui propose de faire des transports publics,
01:16:07 des lieux de soins au sens du "care", de faire attention.
01:16:11 De faire attention, de prendre soin d'eux.
01:16:15 J'essaie de pousser cette approche du transport public,
01:16:18 car c'est à cette condition qu'on va le rendre suffisamment attractif
01:16:22 et accessible pour qu'il donne envie à ceux qui ne s'y tournent pas
01:16:27 de s'y tourner, pour que nos dirigeants politiques
01:16:30 en conçoivent la valeur et y mettent les moyens,
01:16:33 et comprennent que ce n'est pas juste une contrainte
01:16:36 et une calamité des transports publics,
01:16:38 c'est un endroit où il se passe beaucoup de choses intéressantes.
01:16:41 Ce qu'on a appelé des non-lieux
01:16:43 sont des lieux plein d'histoires assez passionnantes.
01:16:48 Tout ce que je voulais vous raconter dans le parcours
01:16:50 depuis les premières découvertes et interrogations
01:16:54 sur les espaces de mobilité,
01:16:56 jusqu'à aujourd'hui, des programmes et des expérimentations
01:16:59 qui se déploient partout.
01:17:00 Regardez autrement les gares et vous noterez ici ou là
01:17:04 que depuis quelques années, elles se sont un peu transformées.
01:17:07 Pour le meilleur, et dans la force de l'enthousiasme,
01:17:10 c'est peut-être un peu trop avec des lignes de toutes les couleurs,
01:17:14 mais c'est un enthousiasme.
01:17:16 Je veux dire pour les agents, les agents SNCF,
01:17:19 cette idée que notre métier, qui était très technique,
01:17:23 où on faisait partir des trains,
01:17:25 c'est aussi regarder les voyageurs, essayer de les comprendre,
01:17:28 tenter des trucs, voir si ça leur plaît, si ça marche.
01:17:31 Ça a produit un sens aussi dans le métier, qui est assez fou.
01:17:35 Chaque atelier, chaque moment d'interaction,
01:17:38 les emmener avec nous pour faire des observations,
01:17:41 ce sont des grands moments où on ne touche pas qu'aux usagers,
01:17:45 mais aussi au sens de la profession, au respect
01:17:48 pour tous ceux qui travaillent dans ces environnements-là.
01:17:51 Ça lisse des rapports hiérarchiques aussi.
01:17:53 Le manager n'a pas plus raison qu'un autre, pas plus que l'agent.
01:17:56 Il y a quelque chose qui, autour de cette compréhension-là,
01:18:01 produit des choses intéressantes,
01:18:03 même si derrière, les relations sociales
01:18:05 au sein des transports publics ne sont pas toujours au beau fixe.
01:18:09 Récemment, on le savait, et c'est pour des considérations
01:18:12 qui dépassent de loin ce qu'on a voulu traiter de notre côté.
01:18:15 Voilà tout ce que je voulais vous dire.
01:18:18 [Applaudissements]