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DILEMME. Râler tout le temps peut se révéler désagréable pour autrui, mais cela comporte aussi bien des vertus, souligne notre journaliste Xavier de La Porte dans ce nouvel épisode de notre série vidéo.

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Transcription
00:00 Les gens qui se plaignent, c'est épuisant.
00:02 Je suis sûr que vous voyez très bien ce que je veux dire.
00:04 Le copain ou la copine qui commence systématiquement la discussion
00:07 en énumérant tout ce qui va pas
00:09 dans sa vie, dans son couple, dans le pays, dans le monde.
00:13 Ça nous déprime.
00:14 Alors, faut-il arrêter de se plaindre ?
00:17 C'est ce à quoi nous invite souvent notre président de la République.
00:22 Parce que se plaindre, c'est être pessimiste,
00:25 c'est refuser d'avancer,
00:27 c'est ne pas vouloir les réformes.
00:29 Le Gaulois réfractaire au changement.
00:32 C'est vrai, on peut considérer qu'il y a une certaine forme d'indécence à la plainte.
00:36 Quand on vit en France, qu'on a à peu près de quoi vivre,
00:39 on a en effet un sort plus enviable
00:42 qu'une jeune fille qui vit dans une campagne pauvre d'Afghanistan
00:45 ou qu'un jeune homme ukrainien.
00:47 On a souvent considéré le stoïcisme,
00:49 un courant philosophique qui est né en Grèce antique
00:51 mais qui est resté très influent jusqu'à la Renaissance,
00:53 comme un refus de la plainte.
00:56 Et c'est vrai que pour les stoïciens, la bonne vie,
00:58 consiste essentiellement à accepter ce contre quoi on ne peut rien.
01:02 Par conséquent, ne pas se plaindre,
01:04 c'est une condition du bonheur sur Terre.
01:06 Mais on peut quand même se demander
01:08 à quoi ça sert la plainte,
01:10 puisqu'on se plaint tout le temps.
01:11 Ça, c'est Avital Ronel qui l'explique.
01:13 Avital Ronel, c'est une philosophe américaine
01:15 et elle explique que commencer une discussion en se plaignant,
01:18 c'est un moyen de s'ouvrir à l'autre,
01:21 d'exposer ses propres faiblesses
01:23 et de lui proposer en retour d'exposer et de confier les siennes.
01:27 Pour le dire autrement, ne jamais se plaindre,
01:29 c'est une manière d'imposer à l'autre
01:32 notre bonheur, notre satisfaction d'être ce qu'on est,
01:36 ce qui n'est pas toujours très charitable.
01:38 Ensuite, on peut considérer que la plainte a une utilité politique.
01:41 Se plaindre, c'est une forme d'attention au monde.
01:44 C'est remarquer ce qui ne va pas
01:46 et qui mériterait peut-être d'être changé.
01:48 Pas content ! Pas content ! Pas content ! Pas content !
01:52 Si en revenant de mes courses,
01:53 je me plains du prix de tout ce que j'ai acheté,
01:55 je fais un constat qui peut devenir une revendication politique.
01:58 La personne qui ne se plaint pas,
02:00 elle n'aura jamais envie de changer quoi que ce soit.
02:02 C'est l'idée dont se moque continuellement Voltaire d'Ancandide,
02:06 "Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes."
02:08 D'ailleurs, pendant très longtemps,
02:10 la plainte a été un genre poétique très prisé.
02:14 On appelait ça l'élégie et ça tenait en deux mots latins
02:18 "O, me" qui signifie à peu près
02:21 "O, pourquoi ça, ça m'arrive ? O, pauvre de moi !"
02:24 C'est peut-être ici qu'il faut distinguer d'abord
02:26 la plainte de l'apitoiement.
02:28 Alors que la plainte est toujours une attention au monde
02:32 et une ouverture à l'autre,
02:33 l'apitoiement est un enfermement sur soi-même.
02:36 Le plus flagrant, c'est cette figure
02:38 qui a été identifiée récemment par les féministes
02:41 et qu'on appelle le "ouin-ouin".
02:43 Je laisse l'écrivaine Chloé Delaume décrire le "ouin-ouin"
02:46 avec un peu de créauté mais beaucoup de vérité aussi.
02:50 Le "ouin-ouin" n'a de cesse de se poser en victime.
02:53 Il ne peut plus rien dire et pleure des larmes de sang
02:56 en subissant chaque jour les remarques hystériques
02:59 de ces féminazis qui menacent d'empailler sa paire de testicules
03:03 pour en faire un sautoir.
03:04 Il aspire à être plein.
03:06 S'apitoyer, ce n'est pas se plaindre,
03:09 mais c'est comme le dit très bien Chloé Delaume,
03:11 aspirer à être plein.
03:13 Et ça, c'est souvent assez stérile.
03:15 Non, au fond, si vous ne voulez pas apparaître
03:17 comme le Caliméro de l'histoire,
03:18 il faut que votre plainte aboutisse.
03:21 C'est ce qu'explique le psychanalyste François Roustan
03:24 dans son livre "La fin de la plainte".
03:26 Roustan considère la plainte
03:28 comme la manifestation de l'individualisme contemporain
03:32 et à l'introspection, il préfère l'action.
03:35 Et l'action, ça passe, pour Roustan, par le corps.
03:39 Alors évidemment, il y a différentes manières d'agir par le corps.
03:42 L'une d'elles, c'est de rejoindre un mouvement collectif,
03:45 c'est de rejoindre d'autres corps agissants.
03:48 Et c'est pour ça que depuis très longtemps, on manifeste.
03:51 Certains y voient même l'essence de la politique.
03:55 Quand des plaintes qui n'ont apparemment rien à voir,
03:57 "j'ai 25 ans et je vis toujours chez mes parents",
04:00 "j'ai 60 ans et je ne trouve pas de boulot",
04:02 trouvent une cause commune.
04:04 Quand elles retrouvent de la puissance par le rassemblement des corps.
04:08 C'est ce que disaient très bien les partisans de Podemos en Espagne.
04:12 Podemos, ça veut dire "on peut ensemble".
04:15 [Musique]

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