François Hollande : "Le rôle de la politique, c'est de donner une espérance commune"
L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 5 Juillet 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr
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00:00 France Culture, les matins d'été.
00:03 Guillaume Erner.
00:05 Bonjour François Hollande.
00:06 Bonjour.
00:07 Monsieur le Président, il y a deux tonalités dans la presse.
00:10 Ce matin, il y a des journaux qui cherchent à comprendre ce qui a traversé la tête de ces émeutiers.
00:18 C'est par exemple le cas de Libération ou bien du journal La Croix qui ont enquêté sur le profil de ces jeunes, souvent des primo délinquants.
00:28 Et puis, il y a une autre presse qui appelle à l'ordre, qui évoque le très lourd bilan d'une semaine de violence.
00:36 C'est par exemple le cas du Figaro.
00:38 Quel est votre regard sur ces quelques jours que la France a traversés ?
00:42 C'est un regard de douleur.
00:45 Douleur parce que tout est parti de la mort d'un jeune homme à la suite d'un contrôle de police.
00:52 Douleur parce que quand on voit des quartiers, mais même des villes moyennes s'embraser avec de la violence, avec le risque pour la vie humaine, avec des destructions de biens.
01:10 Il y a là comme une douleur de voir partir en fumée des équipements publics, des commerces et un certain nombre d'établissements qui rendent justement des services.
01:22 Et puis enfin douleur parce qu'il y a eu des attaques contre les symboles de la République, les écoles, les mairies et puis les élus.
01:32 Donc face à cette situation, au delà de la douleur, je pense qu'il est important de se trouver en unité, en cohésion, en bloc.
01:44 Parce que nous formons tous une même nation.
01:47 Et c'est ce qui a sans doute pour partie manqué face à des événements de cette gravité.
01:53 Et puis ensuite, c'est de prendre, après bien sûr les regards qu'on doit avoir sur ces émeutiers, ce qui les a conduits jusque là, de prendre les bonnes décisions.
02:04 Quand je dis les bonnes décisions, c'est des décisions qui vont durer.
02:08 Parce que des émeutes, des événements dans les quartiers, on en a connu 2005, on en a eu d'autres.
02:14 Il y en a eu aussi à l'étranger.
02:16 C'est un phénomène qui n'est pas en soi nouveau, mais qui est récurrent.
02:21 Il faut s'atteler à prendre les décisions qui vont permettre d'agir sur les causes même de ces processus.
02:28 Sans rien excuser de ce qui s'est produit du côté de ces mineurs, de ces jeunes, qui se sont peut-être laissés entraîner,
02:34 mais que pour beaucoup ont voulu piller et voler.
02:37 On a le sentiment qu'il est justement très difficile de faire société dans ces conditions.
02:42 Qu'en pensez-vous François Hollande ?
02:44 Oui, cette question je me la suis posée au cours de mon mandat.
02:48 Comment maintenir l'unité du pays ? Comment faire que nous ne nous divisions pas ?
02:54 J'ai affronté une autre crise, c'était celle du terrorisme islamiste.
02:59 Mais la même interrogation venait à mon esprit.
03:04 Nous avons toujours besoin, face à des événements qui peuvent nous diviser,
03:08 de rappeler ce qui nous unit et ne pas accentuer ce qui nous sépare.
03:13 Parce que le risque c'est bien sûr qu'il y ait des logiques séparatistes qui se mettent en place.
03:18 Donc ça fait partie du rôle de la politique de donner une espérance commune,
03:24 tout en étant extrêmement clair sur l'autorité.
03:27 L'autorité ce n'est pas un mot qui doit heurter, l'autorité elle doit être légitime.
03:32 L'autorité elle doit être assumée.
03:35 L'autorité elle doit être sans doute respectueuse, mais respectée.
03:39 C'est la question de l'autorité qui est forcément posée.
03:43 Mais pour qu'il y ait de l'autorité, il faut qu'il y ait de la justice et de l'égalité.
03:48 C'est ainsi qu'elle trouve toute sa force.
03:50 Il y a un symbole par exemple de la désunion des Français, ce sont ces deux cagnottes.
03:55 L'une a été menée pour la famille du policier qui est aujourd'hui soupçonné du meurtre du jeune Nahel.
04:04 Et puis l'autre pour la famille de l'adolescent tué.
04:08 Votre regard, M. le Président, sur ces deux cagnottes ?
04:12 C'est un phénomène qui a pris son ampleur avec les réseaux sociaux.
04:18 Avant c'était plus compliqué quand même de marquer un éventuel soutien.
04:24 Et ensuite on voit bien qu'il y a une instrumentalisation, au moins d'une cagnotte.
04:30 Quand on cherche de la solidarité, c'est par rapport aux victimes.
04:34 C'est pas par rapport à des mises en cause ou à des personnes qui ont commis un certain nombre d'actes
04:40 qui vont justifier qu'elles puissent passer devant la justice.
04:44 Alors je pense qu'il faudra réglementer cette organisation de cagnottes.
04:50 D'ici là, il y a des actions de justice puisque je sais que la famille du jeune Nahel a déposé plainte
04:56 par rapport à cette cagnotte qui a été constituée par un irresponsable d'extrême droite qu'on connaît bien
05:03 et qui est non pas dans une étude de solidarité à l'égard de la police
05:08 mais dans une étude d'instrumentalisation du malheur.
05:10 Vous seriez favorable à son interdiction ?
05:13 La justice n'aura pas le droit à se prononcer là-dessus.
05:17 Sur le plan de la morale ?
05:19 Je pense qu'il faudrait réglementer, donc légiférer sur ces questions
05:24 parce qu'on a le droit de déposer des dons
05:27 mais est-ce qu'il y a justement des dons qui peuvent être effectués pour soutenir des causes qui ne sont pas morales ?
05:35 C'est ça la question.
05:36 Mais est-ce que ça n'est pas justement casser le thermomètre puisque cette cagnotte
05:39 alors pour partie des gens qui ont contribué à cette cagnotte
05:42 pour la famille du policier soupçonné de meurtre
05:46 c'est probablement aussi un geste politique fort
05:50 et ce geste politique fort il correspond à une partie des Français.
05:54 Que pensez-vous justement de ces Français ?
05:57 Qu'est-ce qu'on peut tenir comme discours vis-à-vis de M. le Président ?
06:01 Oui, je ne sais pas exactement qui sont ces Français-là.
06:06 Nous l'ignorons mais on voit que les sommes récoltées sont importantes.
06:09 Puisque c'est anonyme.
06:11 D'où viennent ces ressources ? D'où vient cet argent ?
06:15 Là aussi ça mériterait qu'on lève l'anonymat et qu'on connaisse exactement les sources.
06:23 Mais je crois que c'est pour ça qu'il faut légiférer
06:26 parce que sinon on va continuer à affronter ou à se confronter nous-mêmes,
06:32 affronter les risques de manipulation.
06:35 Parce que là en l'occurrence il y a une manipulation
06:38 avec ce personnage d'extrême droite
06:42 qui déjà avait sévi au moment des Gilets jaunes et qui continue de le faire.
06:46 Il faut aussi essayer d'éviter de se diviser.
06:50 Les solidarités existent, elles peuvent être faites par d'autres moyens.
06:53 C'est pour ça que je pense que là on est sur une polémique sur les cagnottes.
06:58 Mais on voit bien que notre problème est bien plus considérable
07:01 que de savoir d'où viennent ces fonds-là et qui les a produits.
07:05 Un problème considérable, il est évoqué par exemple dans le Financial Times du jour
07:10 avec une statistique que je trouve extrêmement éclairante
07:13 et que je vais vous soumettre François Hollande.
07:16 C'est une statistique sur le taux de pauvreté chez les jeunes
07:20 dans la moyenne nationale et dans les familles d'immigrés.
07:25 Pour le pourcentage de jeunes pauvres,
07:30 la France est plutôt bien classée,
07:33 elle est au niveau de la Suède et de l'Allemagne.
07:35 En revanche, si l'on voit la différence entre la moyenne nationale
07:39 et le taux de pauvreté des jeunes dans les familles immigrées,
07:43 alors là nous sommes très mal classés puisqu'on part de 10 à 40%.
07:48 Et là, parmi les pays de l'OCDE, nous sommes presque l'un des pays
07:52 qui fait le moins bien, dont le score est le pire.
07:55 Là aussi, est-ce qu'il n'y a pas une clé ?
07:58 Et puis j'aimerais votre analyse de ce très mauvais chiffre.
08:01 Le problème c'est que dans les quartiers
08:06 vivent des populations qui sont pour beaucoup d'origine étrangère,
08:12 avec des enfants qui ne sont plus étrangers, qui sont des Français.
08:17 Et il y a une installation d'une logique d'enfermement,
08:22 c'est-à-dire qu'on sort de plus en plus difficilement de son quartier
08:26 et deuxièmement, quand on en sort,
08:29 les populations qui viennent remplacer celles qui partent
08:32 sont également d'origine étrangère et souvent d'immigration récente.
08:38 Donc ça accroît encore le taux de pauvreté dans ces mêmes lieux.
08:43 Et donc l'objectif de mixité sociale qui a été porté par les politiques de la ville,
08:49 il est progressivement repoussé toujours à plus tard.
08:52 Donc la seule manière de faire, c'est d'éviter qu'on place
08:56 les mêmes personnes en difficulté dans les mêmes lieux,
09:00 ce qui crée d'ailleurs des tensions à l'intérieur même de ces quartiers.
09:04 Par ailleurs, il faut aussi regarder notre système de redistribution,
09:08 il est plutôt efficace notre système de redistribution.
09:11 Les inégalités entre les plus pauvres et les plus riches
09:15 et ce taux d'inégalité est plutôt bas.
09:19 - Si on considère les nationaux.
09:21 - En revanche, il y a une paupérisation des plus pauvres.
09:25 Et ce n'est pas simplement une paupérisation monétaire,
09:29 c'est-à-dire avoir de faibles revenus.
09:31 C'est une paupérisation de destin, je devrais dire.
09:34 C'est-à-dire que non seulement vous n'avez pas beaucoup de moyens pour vivre,
09:38 mais vous pouvez essayer de dépasser cette difficulté
09:41 parce que vous avez l'espérance de pouvoir en sortir.
09:45 Là, c'est une paupérisation parce que vous êtes enfermé dans votre quartier
09:49 et enfermé dans la perspective de pouvoir en sortir.
09:55 Et donc, il y a la nécessité là aussi de changer profondément le système scolaire
10:00 parce qu'il faut encadrer beaucoup plus ces jeunes
10:03 et il faut leur donner la possibilité de réussir leur vie.
10:06 Nous sommes dans un paradoxe.
10:08 Le chômage a baissé et longtemps, et j'ai dû être parmi ceux-là,
10:13 nous avons pensé que lorsque le chômage serait particulièrement bas,
10:18 eh bien, il y aurait d'une certaine façon une résolution
10:21 de nos problèmes d'inégalité, de pauvreté.
10:24 Eh bien, ce n'est pas le cas.
10:26 Même en période de chômage bas,
10:28 il y a cette installation d'inégalité profonde dans ces quartiers
10:34 liée au fait qu'ils n'accèdent pas aux emplois
10:37 qui peuvent être considérés comme les plus qualifiés.
10:40 Donc, il y a là aussi à travailler sur l'orientation scolaire,
10:45 les métiers qui sont fournis à ces jeunes
10:48 de manière à leur donner une confiance dans la République,
10:53 une confiance dans leur avenir.
10:55 - Mais c'est un phénomène hélas bien connu en science sociale,
10:58 on appelle ça la frustration relative.
11:00 C'est notamment lorsque les choses vont mieux que les crises se produisent.
11:04 Mais est-ce que ça veut dire qu'il y a une partie des Français
11:10 qui aujourd'hui est complètement en marge de ce phénomène d'amélioration ?
11:14 Est-ce que c'est un phénomène qui est beaucoup plus proche
11:18 de la crise démocratique ou de la crise de la modernité
11:21 qui fait qu'un certain nombre de personnes s'en prennent à des symboles,
11:26 sont en proie à une rage incontrôlable que l'on a vu déferler sur le pays ?
11:32 - Oui, alors là, il y a plusieurs facteurs qui s'ajoutent les uns les autres.
11:37 D'abord, il y a le phénomène d'imitation.
11:40 Il se passe un événement, quelque part, on a envie de le reproduire.
11:45 Ce qui est très frappant dans ce qui s'est produit cette semaine,
11:47 enfin la semaine dernière,
11:49 c'est le fait que ça ait pu toucher des communes
11:51 qui jusqu'à présent étaient totalement épargnées par ces violences,
11:56 où il n'y a pas de quartier populaire,
11:58 où il n'y a pas de personnes issues de l'immigration depuis longtemps.
12:03 Donc, il y a, par les réseaux sociaux sans doute,
12:07 par les images, le phénomène d'imitation.
12:09 Deuxièmement, il y a le désœuvrement, la déscolarisation.
12:14 Parce que quand le système scolaire et les enseignantes ne sont pas en cause,
12:18 quand l'année scolaire est ainsi découpée,
12:22 quand à partir du 1er juin, ce qui est le cas cette année,
12:26 des jeunes, souvent très jeunes d'ailleurs,
12:30 ne sont plus scolarisés, sont dans le désœuvrement et l'oisiveté.
12:35 Ça produit ça.
12:36 Et enfin, je crois qu'il faut regarder les choses en face.
12:38 Les trafiquants de drogue ont joué un rôle tout à fait évident dans ces mouvements.
12:43 Ils avaient envie d'utiliser la colère dans un premier temps,
12:48 peut-être l'envie de casser dans un second temps,
12:52 et les effets d'imitation et d'entraînement, et le pillage.
12:56 Ils ont eu envie de déstructurer, de désorganiser l'appareil policier,
13:01 pour mieux assurer leur trafic.
13:03 Donc, il faut être conscient aussi de ce que les mafias,
13:07 les petites, les grandes d'ailleurs, mafias de la drogue,
13:10 provoquent dans notre pays, et pas simplement dans les quartiers populaires.
13:14 Parce que ce trafic-là, il existe partout, et pas simplement dans les métropoles.
13:20 - François Hollande, une question personnelle,
13:22 lorsqu'on est un responsable politique,
13:24 et que l'on voit ce qui s'est déroulé ces jours-ci,
13:28 est-ce qu'on se sent responsable ?
13:30 Comment nommer sa responsabilité dans les événements qui se sont déroulés ?
13:35 - Ma responsabilité, elle est de moins en moins grande
13:38 depuis que j'ai quitté le pouvoir.
13:42 Mais d'avoir exercé le pouvoir fait qu'à un moment ou à un autre,
13:47 la question est légitime.
13:49 Moi, j'avais mis le paquet sur l'école, créé de nombreux postes,
13:53 j'avais pensé qu'il fallait faire une politique de la ville
13:57 qui soit pas simplement la réhabilitation des lieux,
14:00 mais aussi un accompagnement des personnes par les associations,
14:03 par les emplois aidés, par une politique culturelle.
14:07 Je considère qu'il est dommage qu'on n'ait pas poursuivi dans ce sens.
14:11 Mais notre problème, il est essentiellement de l'ordre de la répartition de la population.
14:16 C'est-à-dire que nous nous sommes tous satisfaits
14:19 que chaque fois qu'il y a des courants migratoires,
14:22 nous recevons avec les demandeurs d'asile un certain nombre de personnes,
14:26 nous les plassions toujours dans les mêmes lieux,
14:29 dans les mêmes départements, dans les mêmes villes.
14:32 J'avais essayé de faire repousser ce carcan
14:37 et cette espèce de répétition qu'on connaît, de faciliter.
14:42 Il y a par exemple une loi qui s'appelle la loi d'allot,
14:45 qui part d'un bon principe, les gens qui n'ont pas de logement,
14:48 que fait-on d'eux ? Eh bien, les préfets les mettent dans les quartiers les plus populaires,
14:54 dans les quartiers déjà les plus difficiles.
14:56 Donc c'est cette façon de traiter finalement l'organisation de notre territoire
15:01 qui est en cause, alors ça remonte peut-être à loin,
15:03 mais ça ne suffit pas de casser les tours,
15:06 ça ne suffit pas de réhabiliter, c'est nécessaire,
15:08 et c'est quelquefois trop lent.
15:10 - Mais c'est un phénomène complexe.
15:12 - Il faut aussi changer la répartition de la population sur le territoire.
15:16 - Mais avec les problèmes, là aussi que ça suscite,
15:19 on l'a vu à Saint-Brévin par exemple.
15:21 - Oui, alors à Saint-Brévin c'était différent,
15:24 puisqu'il s'agissait d'accueillir des demandeurs d'asile
15:27 pour un temps très limité.
15:29 - Mais c'est la partie justement de l'idée qu'il faut...
15:32 - Et donc là il ne s'agissait pas de répartie,
15:34 il s'agissait tout simplement, comme je l'avais fait moi-même,
15:37 au moment où on avait démantelé Calais,
15:40 de faire que pendant un temps limité il puisse y avoir un accueil de demandeurs d'asile.
15:44 On a vu comment l'extrême droite avait agi,
15:46 comment l'élu avait été menacé.
15:48 Je fais d'ailleurs une observation,
15:50 il y a eu une solidarité à l'égard de cet élu de Saint-Brévin,
15:53 même j'ai vu que des élus de gauche y étaient allés,
15:56 j'aurais voulu aussi qu'il soit aussi solidaire
15:58 par rapport à ce qui s'est passé à l'Île-des-Roses.
16:00 - On se retrouve dans quelques instants,
16:03 François Hollande, monsieur le Président.
16:05 On évoquera le bilan à la fois de la gauche,
16:09 lorsque vous étiez au pouvoir,
16:11 mais aussi plus présentement la manière dont celle-ci,
16:15 la gauche, peut tenter d'apporter des remèdes
16:18 à cette situation, à cette crise sociale
16:21 qui a été révélée par ces émeutes.
16:25 7h09, les matins d'été,
16:28 Guillaume Erner.
16:30 - 8h22 sur France Culture,
16:33 quelle réponse apporter à la crise qui agite la France
16:36 depuis la mort de Nahel ?
16:38 Un plan présenté par le chef de l'État,
16:41 c'est ce dont vous nous avez parlé dans votre billet politique,
16:45 Jean Lemarie.
16:46 François Hollande, une réaction à ce qu'a dit mon camarade Jean Lemarie ?
16:50 - Il a dit beaucoup de choses.
16:53 Je ne reviendrai pas sur tous les points,
16:56 mais on redécouvre la question des quartiers
17:01 dès lors qu'il y a eu des émeutes,
17:03 et des émeutes qui ont été extrêmement violentes
17:06 et qui n'ont pas touché que les quartiers,
17:08 et qui traduisent donc un phénomène de recours à la brutalité,
17:13 à la violence, à la destruction,
17:15 qui touche une partie de la jeunesse.
17:18 Une jeunesse sans doute désœuvrée,
17:20 une jeunesse déscolarisée,
17:22 une jeunesse qui n'est plus encadrée.
17:24 Bref, il y a ce sujet-là.
17:27 Et donc, on attend encore un plan.
17:29 Peut-être qu'il ne viendra même pas.
17:31 Mais ce qu'il faut, c'est agir en continu.
17:34 C'est-à-dire, cesser de croire qu'il y aura une solution miracle,
17:38 parce que nous connaissons tous les éléments de la réponse.
17:42 La réponse, elle est d'abord à l'école.
17:45 La grande affaire des quartiers,
17:47 c'est de savoir si les enfants pourront être encadrés,
17:51 instruits et capables de trouver leur destin
17:55 dans des conditions qui soient, disons, équivalentes
17:58 ou au moins, moins inégalitaires que ce que l'on connaît aujourd'hui.
18:02 Et puis deuxièmement, il faut remettre en place le service public.
18:06 Contrairement à ce que l'on dit, et ce que dit notamment l'extrême droite,
18:09 la question du service public, il est aussi bien posé au milieu rural
18:12 qu'il est posé au milieu urbain.
18:14 Et j'invite toujours, je le faisais quand j'étais moi-même élu d'un département rural,
18:19 qui se plaignait à juste raison de certaines fermetures de classes,
18:22 dire "vous savez, allez faire un stage à Montreuil, à Sarcelles ou ailleurs,
18:27 vous verrez que les conditions de vie ne sont pas forcément meilleures là-bas qu'ici.
18:31 Donc il faut apprendre à vivre ensemble".
18:34 Et donc il est tout à fait nécessaire d'y mettre les services publics,
18:37 mais aussi d'y mettre de l'ordre.
18:39 Parce que cette façon d'opposer, d'accoter,
18:43 il y aurait l'ordre et de l'autre,
18:45 il y aurait l'argent qu'il faudrait dépenser.
18:48 Très franchement, c'est une conception tout à fait réductrice.
18:51 L'ordre, c'est une condition indispensable pour la vie en commun.
18:55 Ceux qui demandent le plus d'ordre dans les quartiers,
18:58 précisément, ce sont les familles.
19:00 Parce qu'elles sont victimes des trafiquants,
19:02 parce qu'elles sont elles-mêmes exposées aux agressions,
19:05 parce qu'elles subissent la loi de certains caïds.
19:09 Donc l'ordre, c'est la condition minimale, la sécurité.
19:13 Et puis ensuite, il faut agir pour que l'on ne vive pas toujours,
19:18 génération après génération, dans les mêmes quartiers.
19:21 Le problème de la mobilité, ça fait partie de ce qu'est le principe même
19:26 de la vie en commun, aller ailleurs que là où on est né.
19:29 Et on voit bien qu'il y a un problème d'enfermement.
19:32 J'ai une proposition que j'avais faite au moment où j'étais président de la République,
19:36 c'était de permettre que des classes, des jeunes,
19:41 puissent, dans une ville, connaître un autre village,
19:47 c'est-à-dire d'avoir une mobilité à l'intérieur même de notre pays.
19:51 On parle beaucoup des rasmus.
19:52 - C'est quoi ce qu'on fait, par exemple, ce que l'on appelle le bussing ?
19:56 - Oui, exactement. Il y a ce qu'on peut faire.
19:58 - Prendre un bus et scolariser.
20:01 - Et aller se scolariser ailleurs.
20:02 Et puis il y a aussi, pendant le temps scolaire,
20:04 de savoir comment on vit à Marseille quand on habite Paris,
20:07 comment on vit à Hussel quand on habite...
20:10 - Alors là c'est plutôt "Vis ma vie".
20:12 - Quand on habite Lille, oui, qu'on soit capable, sur certaines semaines de l'année,
20:16 d'aller voir ailleurs, de comprendre ce qui se passe,
20:19 de faire ce qu'on appelle société, de faire nation.
20:22 Ensuite, sur l'instrumentalisation par l'extrême droite,
20:25 bien sûr que quand il y a des images qui heurtent,
20:29 c'est tellement facile de jouer avec les peurs.
20:31 Moi je ne nie pas la peur.
20:33 La peur, il faut la regarder en face.
20:35 Oui, il y a des événements, il y a des situations,
20:38 il y a des images qui nous font peur,
20:40 quand on casse un certain nombre d'établissements ou de commerces.
20:45 Mais il est très important de pouvoir donner une issue.
20:48 Parce que si c'est la logique séparatiste qui s'installe,
20:51 si demain on essaye d'enfermer, de séparer encore davantage les populations entre elles,
20:58 mais dans quel pays voudrons-nous vivre ?
21:01 C'est ce que certains, notamment à l'extrême droite, appellent la guerre civile.
21:06 Non, le propre de la politique, c'est de mettre du lien, de l'unité, de la cohésion.
21:11 Mais alors François Hollande, justement, est-ce que ce type d'événements, de tragédies, n'est pas pain béni ?
21:19 C'est ce que disent beaucoup de commentateurs aujourd'hui pour l'extrême droite.
21:23 L'éventualité, par exemple, d'une élection de Marine Le Pen,
21:28 qui était considérée comme étant peu si probable il y a quelques semaines,
21:34 est-ce qu'elle ne paraît pas renforcée par cet événement-là ?
21:37 Je pense que ça suppose un débat politique.
21:41 Qu'est-ce qui se produit en ce moment ?
21:44 Il y a un effondrement des grands partis politiques,
21:47 qui serait supposé aujourd'hui proposer une alternative.
21:52 Donc l'extrême droite apparaît comme la seule opposition à un système,
21:59 et donc profite de tous les événements, toutes les défaillances du système,
22:05 que ce soit sur le plan économique, sur le plan international,
22:09 ou sur le plan intérieur au niveau de la sécurité.
22:13 En mettant en cause l'extrême droite, je mets en cause le fait qu'elle représente un danger,
22:17 pas simplement un danger pour les libertés, ça on peut l'imaginer,
22:20 mais un danger pour la vie en commun.
22:23 Puisqu'il y a des peurs.
22:26 La principale peur que nous devons avoir, c'est de penser que nous ne pourrons plus vivre ensemble.
22:32 Que nous allons être dans des schémas où il faudra nous protéger,
22:36 à l'intérieur même de notre pays, contre les autres.
22:39 Donc j'y reviens sur le plan politique, l'enjeu majeur,
22:42 c'est que les grandes familles politiques, en l'occurrence la droite et la gauche,
22:46 doivent être capables de fournir des réponses,
22:50 pour offrir une espérance à une population,
22:53 qui aujourd'hui doute même de la capacité des politiques à faire face aux défis.
22:58 Jean Lémarie.
22:59 Si ce sentiment est là aujourd'hui monsieur le président, n'est-ce pas aussi un échec de la gauche ?
23:05 Oui, c'est un échec de la gauche tel qu'elle est organisée aujourd'hui.
23:10 On a bien vu ce qui s'est produit.
23:12 C'est-à-dire ?
23:13 Qu'est-ce qui s'est produit ?
23:14 Une partie de la gauche, parlons très clairement,
23:19 les a soumis autour de Jean-Luc Mélenchon.
23:22 Plutôt que de trouver des explications, il faut toujours des explications.
23:28 Elle s'est mise dans un rejet de l'ordre,
23:34 et a pensé même que finalement les mouvements, les manifestations, les désordres,
23:39 pouvaient culbuter le pouvoir.
23:41 Elle a toujours cette espèce de schéma à l'esprit.
23:44 Ça ne peut pas donner une vocation majoritaire à ce parti.
23:49 Personne ne pense que c'est cette façon-là de faire
23:52 qui peut recueillir 51% des voix pour une élection présidentielle et gouverner le pays.
23:58 Mais alors c'est un problème de tactique politique ou un problème de moral ?
24:01 C'est un problème d'abord de fond, d'attitude par rapport à ce que doit être la vie en commun.
24:07 La première chose qu'aurait dû faire Jean-Luc Mélenchon, comme la plupart de ses amis insoumis,
24:12 tout en étant extrêmement sévère sur un certain nombre de points liés à l'action gouvernementale,
24:18 c'est de dire qu'il y avait une unité nationale à assurer et un appel au calme à lancer.
24:24 Ce qui n'a pas été fait.
24:25 Mais la gauche n'est pas simplement son extrême.
24:28 La gauche c'est celle qui a été capable pendant des années de gouverner le pays
24:32 ou en tout cas de représenter une opposition crédible.
24:35 C'est à cette gauche-là de s'organiser, c'est à cette gauche-là de se reconstruire,
24:40 c'est à cette gauche-là de préparer l'avenir
24:42 et pas de rester dans une espèce de dépendance à l'égard de l'extrême gauche.
24:46 Jamais la gauche n'a gagné quand elle a été dépendante de l'extrême gauche.
24:50 Si François Mitterrand avait été dépendante du Parti communiste,
24:53 bien sûr qu'il n'aurait jamais remporté l'élection de 1980,
24:56 même si le Parti communiste n'était pas sur les positions d'aujourd'hui de l'EFI.
25:00 Deuxièmement, si moi-même je n'avais pas été à la tête d'un grand parti,
25:04 je n'aurais pas gagné l'élection présidentielle de 2012.
25:08 De la même manière, si Lionel Jospin n'avait pas bâti une famille politique
25:12 capable de faire la gauche pluriale, il n'aurait pas eu l'avènement de la gauche pluriale au pouvoir.
25:17 Donc c'est ça la condition.
25:19 - Ce que vous appelez l'extrême gauche, ce qu'elle reproche à la gauche,
25:23 que vous pourriez incarner par exemple, c'est d'avoir renoncé sur un certain nombre de choses.
25:27 Par exemple, en 2012, d'avoir enterré le récépissé
25:31 qui aurait pu être une manière de lutter contre le racisme dans la police.
25:36 - Oui, cette question du récépissé était posée.
25:39 - Il y a beaucoup d'autres thèmes.
25:41 C'est-à-dire de faire qu'on ne multiplie pas les contrôles d'identité sur les mêmes personnes
25:45 avec des évidences de discrimination au faciès.
25:49 J'ai préféré une autre solution, que je trouve beaucoup plus efficace,
25:53 qui est la caméra piéton.
25:55 - Qui aurait été généralisée à l'ensemble des policiers.
25:58 - Qui aurait dû être généralisée, puisque j'avais engagé ce processus,
26:01 et qui permet d'avoir des images.
26:03 Et d'ailleurs, ce sont les images qui ont fait que nous avons pu constater
26:07 qu'il y avait eu un manquement à toutes les règles lors de la tragédie de Nanterre.
26:12 Donc les caméras piétons, c'est une meilleure façon que le récépissé,
26:16 qui à un moment ou à un autre n'aurait pas été...
26:20 - Vous êtes sûr que c'est pour ça qu'il a été rejeté,
26:22 notamment par le ministre de l'Intérieur de l'époque, Manuel Valls ?
26:27 - Oui, c'était une des raisons, parce que c'était inefficace.
26:30 Parce que même s'il pouvait y avoir 2-3 contrôles,
26:33 même si le récépissé pouvait éviter...
26:35 - Le cas policier pesait également sur Manuel Valls,
26:38 comme sur d'autres gouvernements d'ailleurs.
26:40 - Bien sûr, mais il faisait valoir qu'à ce moment-là,
26:44 il pouvait y avoir un contrôle qui n'avait rien donné,
26:47 et puis quelques heures plus tard, le même individu
26:49 pouvait se mettre dans une situation d'infraction,
26:52 et on ne pouvait pas le contrôler, c'était absurde.
26:55 Mais je pense que la caméra piéton a permis, et permet encore,
26:59 d'avoir justement un contrôle de l'activité policière.
27:01 - Jean-Les-Marie, je reviens à l'existence de ces "deux gauches"
27:04 telles que vous les définissez, la France Insoumise d'un côté,
27:06 pour faire les choses simplement, de l'autre, le Parti Socialiste.
27:10 Comment expliquez-vous que la France Insoumise ait réussi une percée,
27:16 notamment à l'élection présidentielle,
27:18 lors des législatives qui ont suivi,
27:20 beaucoup plus que le Parti Socialiste ?
27:22 Est-ce que la France Insoumise n'a pas su toucher des sujets
27:25 importants au cœur des banlieues dont on parle aujourd'hui ?
27:28 - Ce ne sont pas les banlieues qui ont fait le succès de Jean-Luc Mélenchon.
27:32 Ce serait d'ailleurs tout à fait réducteur.
27:34 S'il a fait 21 ou 22%, ce n'est pas simplement par le vote des banlieues.
27:38 Peut-être que lui le croit, mais ce n'est pas la réalité.
27:41 Pourquoi ? Il y a eu...
27:42 - Dans certains bureaux, plus de 50% !
27:44 - Oui, mais ça avait été vrai.
27:46 - Ça a surpris tout le monde.
27:47 - Mais ça avait été vrai pour la candidature qui était la mienne en 2012.
27:51 Ça avait été vrai d'ailleurs pour la candidature de Ségolène Royal en 2007.
27:54 Il y a toujours eu un vote des quartiers populaires en faveur de la gauche.
27:58 Pourquoi ça a été au bénéfice cette fois-ci de Jean-Luc Mélenchon ?
28:02 Parce que le Parti Socialiste a choisi de disparaître.
28:04 Quand vous choisissez de disparaître, c'est très rare que les électeurs viennent vous réanimer.
28:09 Donc à un moment, la condition pour exister dans une élection,
28:13 et même dans la vie politique, c'est de s'affirmer, de proposer,
28:17 de travailler, de porter des politiques.
28:20 Ce qui est quand même possible pour le Parti Socialiste,
28:22 compte tenu de son réseau d'élus, compte tenu de sa présence,
28:24 compte tenu de son histoire, compte tenu aussi de son identité de gauche crédible.
28:29 Donc il appartient au Parti Socialiste, ou à ce qui pourrait succéder au Parti Socialiste,
28:33 de reformer cette condition même d'organisation politique.
28:36 - Mais en quelques mots, M. le Président, est-ce que c'est encore possible,
28:39 est-ce qu'il est possible de réunir ces différentes composantes de la gauche ?
28:42 Sauf si vous imaginez que le Parti Socialiste, ou une entité de la sorte,
28:48 puisse aller à l'élection sans la France Insoumise.
28:53 - D'abord, je ne pense pas que les électorats soient irréconciliables.
28:57 Les électeurs ou électrices, ils ont envie d'un changement,
29:00 et ils se portent vers celui ou celle qui peut donner cette perspective de changement.
29:06 Donc ce n'est pas en nous séparant au niveau des électorats
29:10 que, bien sûr, la majorité pourra être obtenue.
29:13 Mais en revanche, c'est en créant les conditions d'une force
29:19 qui puisse être, elle, celle du gouvernement possible,
29:23 c'est-à-dire d'une force crédible de la social-démocratie.
29:27 Et d'ailleurs, ça doit commencer dès les élections européennes.
29:29 Pourquoi instaurer ce rapport de force ?
29:31 Parce qu'aux élections européennes, d'abord, c'est un scrutin européen,
29:34 c'est un scrutin à la proportionnelle, les socialistes doivent s'y présenter,
29:37 et ils doivent devenir la première famille politique de la gauche.
29:41 Et c'est en devenant la première famille politique de la gauche
29:43 qu'ils permettront à la gauche de gouverner.
29:45 - Merci François Hollande, monsieur le Président, d'avoir été avec nous ce matin,
29:50 8h35 sur France Culture. Il est l'heure d'aller vers Avignon.