• l’année dernière
L’intervention de David Dalmasso et Stéphane Pilot n’est pas banale et aborde une face peu évoquée d’un accident de travail : les conséquences personnelles sur long terme.

Et ils n’y vont pas par 4 chemins pour nous faire comprendre l’importance de la sécurité au travail. D’ailleurs, 20 ans après cet accident, c’est un combat qui n’est pas encore terminé !
Transcription
00:00 Bonjour à tous, merci beaucoup, on va attaquer notre dernière session avec vous.
00:13 Donc je vais me présenter très rapidement, c'est Stéphane, Stéphane Pilo mais on s'en
00:16 fout, c'est pas le propos.
00:17 Merci quand même de m'avoir présenté.
00:18 Aujourd'hui on est surtout là pour parler de Dav, de David Dalmasso, qui va revenir
00:23 sur l'accident tragique qu'il a eu il y a 22 ans en arrière.
00:25 Alors, c'est là qu'il a eu son accident, il a été chauffeur, il a été agent de
00:30 tri, il a été gardien de déchetterie, mais Dav il a surtout été ripper, ripper
00:33 c'est des éboueurs, les mecs qui sont derrière les camions.
00:35 C'est là qu'il a eu son accident très grave.
00:36 Vous allez voir avec David, il y a beaucoup de complicité puisque ça fait 30 ans, ça
00:39 fait 30 ans qu'on se connaît, on s'est rencontrés avant l'accident évidemment.
00:42 En fait, à chaque fois qu'il y a un environnement à risque, vous allez voir que le témoignage
00:46 de Dav, parce que c'est avant tout un témoignage, ni plus ni moins les gars, ne vous inquiétez
00:50 pas, on ne va rien vous mettre en slide, vous n'allez pas avoir besoin de prendre
00:54 des notes, c'est juste un témoignage.
00:56 Et bien ce témoignage il s'y prête parfaitement.
00:57 Alors, je vous le dis tout de suite et vous allez vite vous en rendre compte, et on s'en
01:01 excuse par avance, on n'a pas un discours politiquement très correct.
01:06 Honnêtement, on ne parle pas toujours très bien, surtout mon pote, vous savez pas.
01:09 Quand il y a un accident de cette dimension, encore une fois, perdre une jambe, ce n'est
01:12 pas anodin, c'est extrêmement compliqué.
01:15 Et puis, surtout aujourd'hui, je voudrais que vous fassiez preuve un peu d'imagination.
01:18 Eh oui, Dav il a eu un accident derrière un caillon de poubelle.
01:21 Je ne suis pas con, j'ai bien vu mon métier, ce n'était pas derrière des caillons de
01:25 poubelle.
01:26 Par contre, tous ici, vous risquez peut-être un jour d'avoir un accident très grave,
01:30 même pour vos chauffeurs, à mort.
01:31 Eh oui, il y a plus de 700 personnes qui meurent en France dans un accident de travail depuis
01:37 une vingtaine d'années, c'est un chiffre qui est terrible.
01:39 On est l'un des pays européens, voire le pays européen avec les chiffres les plus
01:43 dégueulasses.
01:44 La France, il y a les Etats-Unis, l'Angleterre, ils sont à moins de 100 décès par an, on
01:48 est à plus de 700.
01:49 Il y a plus de 100 personnes qui meurent simplement sur le trajet domicile-travail
01:54 en France chaque année.
01:55 Plus de 100 personnes.
01:56 Donc effectivement, si vous pensez qu'on est juste là pour sensibiliser des petits
02:00 cons, des bouleurs ou des chauffeurs, c'est soit que vous n'avez rien compris, ça
02:04 c'est possible, je ne vous connais pas individuellement, soit vous avez dormi, ça c'est possible
02:07 aussi, mais je vais essayer de vous repérer et taper un petit peu, ou soit vous êtes
02:11 très cons, ça c'est possible aussi, je ne vous connais pas.
02:12 Par contre, la personne qui est très con, qui n'a rien compris, qui a dormi, ça va
02:15 être un peu long pour elle, on va l'aider, on va l'accompagner, c'est notre métier
02:17 depuis dix ans.
02:19 Mais c'est pour vous dire aussi à quel point on va donner un petit peu d'investissement,
02:23 d'énergie.
02:24 Parce qu'aujourd'hui, on va vous parler d'argent.
02:26 Alors pas l'argent de Maufray, à quel point je m'en fous.
02:29 Non, non, de votre argent.
02:30 Ce qui va rentrer dans votre porte-monnaie, à vous, si vous avez un accident comme Dave,
02:35 ou ce qui ne va pas rentrer dans votre porte-monnaie quand vous avez un accident comme Dave.
02:38 Parce que nous, notre vrai travail depuis dix ans, il est tout simplement de casser
02:42 ces croyances à la con, où trop souvent les mecs et les nanas qui travaillent dans
02:45 des grands groupes, encore une fois, Maufray, j'imagine, en fait partie, ils pensent naïvement,
02:49 peut-être, mais à moi j'ai loupé des amputations, je n'ai pas beaucoup vu de prothèses.
02:52 Ils disent au pire, au pire, on perd notre jambe sur une tournée, sur le site, etc.
02:58 Maufray, il y avait votre directeur de tout à l'heure, ils ont un peu de rond, ils vont
03:01 vous lâcher un gros chèque et puis vous partez au Bahamas.
03:04 Putain les gars, on est très très loin de cette réalité.
03:07 Si effectivement le jour de l'accident, t'es nickel, comme l'a été mon pote,
03:11 je suis petit aparté à l'époque chez Suez, comment dire, on n'avait pas affaire au numéro
03:14 un de la sécurité, il faut le reconnaître, entre les non-portes, certains OPI, les taux
03:18 d'alcoolémie allègrement dépassés, on n'avait pas affaire aux champions du monde.
03:21 Par contre, pour le coup, il y a un bon Dieu, ce jour-là, il n'a rien à se reprocher.
03:25 Pas de problème d'alcool, pas de problème de drogue, pas de problème de port de pays.
03:28 Dave, il a eu un chèque, c'est pour ça que j'ai demandé un petit paperboard, on va même
03:32 vous dire combien il a touché.
03:33 Il a une rente à vie, on va même vous dire combien il touche par mois.
03:36 Alors je sais qu'on n'a pas le droit de parler d'argent en France, encore moins de salaire,
03:38 mais on va prendre le risque, on va vous dire combien il touche par mois.
03:41 Et il s'est reconstruit, ce n'est pas simple avec une jambe en moins, mais c'est possible
03:44 et il y a la preuve devant vous.
03:45 Mais si par contre, le jour de l'accident, ça fait de la merde en amont, parce que toi
03:50 les EPI, ça suffira.
03:52 On n'est pas les peureux quand même, comme j'entends ces conneries.
03:54 Où vous fumez le tarpin, vous vous en mettez plein le nez avec la cocaïne, c'est à la
03:57 mode.
03:58 Là, vous allez vraiment vous faire défoncer.
04:00 C'est juste ça qu'on va essayer de vous expliquer avec notre petit retour de 22 ans
04:03 d'expérience.
04:04 Et puis, avant de passer la parole à David une première fois et de remonter un peu l'ambiance
04:09 parce que ça va être que ça pendant une heure les gars.
04:11 Ça sera même pire.
04:12 Il y a même des gens qui vont pleurer, ça arrivait tout à l'heure.
04:14 Ce n'est pas grave.
04:15 Eh oui, parce que selon les histoires de vie de chacun, on va titiller des zones du cerveau
04:19 qui sont assez difficilement atteignables en temps normal.
04:23 Et selon la dernière partie de David, ça remue un peu.
04:26 Il y a même des gens qui vont rire et je vous encourage à rire parce qu'on essaye
04:29 de mettre un peu d'humour sur un truc dramatique.
04:31 Perdre une jambe, une amputation, des vies brisées.
04:33 On essaye de trouver le juste équilibre.
04:35 Mais avant de passer la parole à David, j'espère, parce qu'hier, ce n'était pas terrible.
04:40 Eh oui, David est champion du monde avec l'équipe de France de tennis-fauteuil depuis 2014.
04:44 Mais David, il a décidé d'arrêter sa carrière professionnelle de tennisman.
04:47 En tout cas, l'équipe de France.
04:48 Il a refait quelques tournois entre temps.
04:49 Mais vraiment, il a arrêté pour plusieurs raisons.
04:52 La plus importante, c'est qu'il a trop mal au dos.
04:54 Toujours suite à l'accident d'il y a 22 ans en arrière.
04:56 Vous imaginez quand même les conséquences que ça peut avoir.
04:59 Mais j'ai envie de dire, malgré tout ça, avec beaucoup de travail, beaucoup d'énergie,
05:02 beaucoup de sacrifices.
05:03 Tu n'as pas beaucoup vu tes filles depuis 10 ans, il faut reconnaître.
05:05 On peut se reconstruire.
05:07 Merci Steph.
05:08 Bonjour à toutes et à tous.
05:10 Je me présente, je suis M. Dalmasso David, comme l'a très bien dit Steph.
05:13 Donc moi, ma vie a basculé le 9 octobre 2000.
05:15 J'étais derrière une BOM.
05:16 C'est quoi une BOM ?
05:17 C'est une BN ordure ménagère, ni plus ni moins, avec un camion de poubelle, avec mon
05:20 équipier de collègues et mon chauffeur.
05:22 Et tous les lundis matins, j'avais un collègue avec qui je jouais au foot.
05:25 Parce que quand j'étais jeune, je faisais foot et tennis.
05:27 Dès qu'il voyait le camion avec sa voiture, il s'amusait à frôler le camion et passait
05:30 au plus près.
05:31 Je me rappelle la première fois qu'il a fait ça, j'étais dans tous mes états.
05:33 J'avais appuyé sur un aide urgence, j'avais sauté, je l'avais même chopé un peu plus
05:36 loin en disant "arrête tes conneries, ça fait flipper".
05:39 Et là il me fait "non mais t'en fais pas Dave, je maîtrise".
05:41 Alors je ne sais pas si avant de rentrer chez mon frère, il y en a qu'on bossait au poubelle
05:44 pour gagner 2-3, on l'était.
05:46 Mais quand tu vois arriver une voiture, il n'y a pas une question de maîtrise.
05:48 Et je me souviens le 9 octobre 2000, il y avait 400 mètres de ligne droite.
05:52 Donc là, on le voit de loin.
05:53 Il commence avec sa voiture, première, deuxième, troisième, quatrième, et il commence à
05:56 se la lommer.
05:57 Et je dis à mon équipier de collège "je ne sens pas le truc, on va faire une chose
06:00 bien, on va arrêter le camion".
06:01 Donc là j'appuie sur l'aide urgence, mon chauffeur s'arrête.
06:03 Je dis "on va attendre que notre ami passe".
06:05 Donc là je me mets sur le marche-pied, donc camion, les bras croisés, j'attends qu'il
06:09 passe.
06:10 Malheureusement, ce jour-là, il se loupe complètement.
06:11 Mon ripper à côté dit "saute".
06:12 "Saute, ça va tellement vite".
06:14 Il frappe quand même le camion à 120 km/h en agglomération.
06:17 Comment on sait 120 ? Parce qu'à l'époque, il avait une BX, il avait le moteur côté
06:21 passager, donc d'après le crash test, ils ont estimé sa vitesse à 120, donc forcément,
06:25 je suis éjecté, je suis au sol.
06:26 Et là, je dis "j'étais sûr que ça allait se passer comme ça, je vais t'en coller
06:29 une".
06:30 Et en fait, en voulant me relever, lui en mettre une, je n'avais pas vu que ma jambe était
06:32 restée arrachée sur le marche-pied.
06:34 Donc heureusement, sur le choc, il y a une personne qui a entendu, qui directement est
06:37 sortie, qui m'a fait "garo, point de compression".
06:39 Puis qui a dit "appelez vite les pompiers".
06:40 Donc il y a une personne qui sort, qui appelle les pompiers, ils disent "venez vite, c'est
06:44 un jeune, c'est la jambe".
06:45 C'est bon, il y a 22 ans en arrière, j'étais quand même beaucoup plus jeune.
06:47 Et là, les pompiers disent "c'est bon, on est au courant".
06:50 Effectivement, ça s'est passé, il y avait des bâtiments de partout, on voyait que les
06:53 lumières s'allumaient les unes après les autres, on a supposé que toutes les personnes
06:55 avaient appelé les pompiers.
06:56 Puis au bout de 25 minutes, on entend les pompiers, puis après, plus rien.
07:00 Et le mec qui me faisait "garo, point de compression", il me transpirait dessus, il
07:02 dit "c'est pas possible, qu'est-ce qu'ils foutent, rappelez-les".
07:04 Donc la personne rappelle en disant "mais vous êtes où, vous faites quoi ?"
07:07 Et là, les pompiers disent "mais c'est bon, le jeune a la jambe, on l'a pris".
07:10 En fait, ce qui s'est passé, c'est que deux minutes avant mon accident, dans la
07:12 même ville, il y a un jeune qui est tombé en scooter et qui pour le coup s'est cassé
07:15 la jambe.
07:16 Donc malheureusement, ça faisait aussi un jeune à la jambe.
07:18 Sauf que la personne qui a donné l'information, elle n'a pas du tout été précise.
07:22 Donc si un jour vous assistez à un accident dramatique, ou ce que je n'espère pas, vous
07:25 êtes vous-même victime d'un accident dramatique, soyez hyper précis parce que moi, ça aurait
07:29 pu me coûter la vie une deuxième fois ce jour-là.
07:30 Ils m'ont quand même mis 22 poches de sang sur 24 possibles à l'époque.
07:34 Le SAMU est finalement arrivé une heure cinq après.
07:36 Donc quand je les ai vus, je me suis laissé aller, mon cœur s'est arrêté, ils m'ont
07:39 remis à la vie.
07:40 Donc sincèrement, je reviens vraiment de loin.
07:41 Après, j'ai envie de vous dire, il y a trois choses qui m'ont sauvé la vie dans
07:44 cet accident dramatique.
07:45 La première, c'était ma famille.
07:47 Mon père, ma mère, oncle, tante, cousin, cousine, tous, ils ont été présents.
07:50 Pendant les quatre mois et demi, j'ai fait d'un centre de l'éducation et les hôpitaux.
07:53 La seconde, ça a été les potes et notamment Steph, il vous l'a dit, j'ai même été
07:56 marié à sa petite sœur qui, lui, pour le coup, s'est arrêté de bosser pendant
07:59 quatre mois et demi pour plusieurs raisons également.
08:01 Quand tu as un accident si dramatique, tu as une armada de papiers, mais toi, tu ne
08:04 peux pas t'en occuper, tu n'es pas chez toi.
08:06 Donc, il a géré tout ça.
08:07 La seconde, il ne faut pas se mentir, les médecins, les juges, les avocats, ils t'écrivent
08:11 avec des mots et des termes.
08:12 Sincèrement, les amis, je ne comprenais pas un mot sur deux, même encore maintenant.
08:15 Donc, ils s'emmerdent encore avec ça.
08:16 Et la troisième, c'est qu'avec mes parents, il a été me chercher des fonds.
08:19 Pourquoi chercher des fonds ? Parce que quand tu as un accident si dramatique, c'est à
08:23 toi de faire toutes les avances des médecins experts et bien d'autres.
08:25 Sauf que, allez, un médecin généraliste, c'est 25 balles.
08:28 Tu dis bon, médecin expert, tu as le mot expert, ça va être 100 euros.
08:32 Non, c'était 1000 euros hors taxe la journée.
08:34 Alors au début, je n'avais pas compris l'hors taxe TTC, bien compris, ça faisait
08:37 1200 balles.
08:38 Sauf que cette même journée, tu as ton médecin expert plus le médecin expert de la compagnie
08:42 adverse.
08:43 Donc, il a dû se rendre dedans pour savoir le précieux de l'horis, le taux d'handicap.
08:46 Donc, vous avez compris que déjà la journée, vous coûtez 2400 euros.
08:49 Donc, déjà là, ça coinçait.
08:50 Et le problème, c'est que tu ne peux pas être jugé tant que tu n'es pas consolidé.
08:53 C'est quoi la consolidation ? C'est justement quand ces deux médecins se mettent en accord
08:57 en disant qu'il n'y aura plus d'aggravation et plus d'amélioration.
09:00 Sauf que ce temps, il dure entre 3 et 4 ans.
09:03 Pour ma part, il a duré 4 ans.
09:04 Je vous la fais simple, pendant 4 ans, c'est vous qui faites les avances de tous les argents.
09:08 Et moi, j'ai avancé plus de 42 000 euros.
09:10 Et si je n'avais pas eu mon pote et mes parents, j'aurais dû accepter un chèque dérisoire
09:13 que me proposait à l'époque l'assurance.
09:15 Et tout s'arrêtait là.
09:16 Donc, mille merci à lui.
09:17 Et la troisième, c'était Suez.
09:18 Alors, je ne suis pas en train de vous dire que Suez, c'est mieux que Moffray.
09:21 Pas du tout.
09:22 Mais comment se passe un accident comme moi, je l'ai vécu en 2000 ? À l'époque, mon
09:26 préjudice, il était estimé à un million d'euros.
09:28 Donc, j'ai pensé naïvement que c'était un million qui arrivait dans ma petite poche.
09:31 Je me suis dit, c'est vrai que nous qui sommes lyonnais, je vais déjà une belle
09:33 baraque, belle piscine.
09:35 Et là, mon avocate, elle dit, attendez, monsieur Dalmasso, sur un accident du travail,
09:38 ce n'est pas tout à fait comme ça que ça se passe.
09:40 Il y a déjà 500 000 euros qui vont s'enlever pour partir à la Sécurité sociale pour
09:44 vous payer votre rentabilité.
09:45 Vous avez compris que vous avez déjà perdu la moitié.
09:47 Elle me fait, ça ne se finit pas là.
09:48 Il y a 350 000 euros qui partent dans les hôpitaux parce que malheureusement, quand
09:52 tu as un accident du travail, ils prennent sur ton capital pour payer les hôpitaux.
09:55 C'est comme ça, les amis.
09:56 Bienvenue en France.
09:57 Donc forcément, quand tu fais le plus et le moins.
10:00 Voilà combien j'ai pris pour avoir perdu ma jambe.
10:02 150 000 euros.
10:03 Alors, ça fait beaucoup, pas beaucoup, on s'en fout.
10:05 On n'est pas là pour polémiquer de ça.
10:07 Mais concrètement, sur un million, voilà ce qui m'est resté.
10:09 Sauf que mon avocate de l'époque m'a dit, heureusement, monsieur Dalmasso, que vous
10:13 n'avez pas eu de tort parce que si j'avais eu ne serait-ce que 20 % de tort.
10:16 Alors 20 %, c'est simple.
10:17 Il vous l'a dit, Steph.
10:18 Je travaillais bien.
10:19 Quand il fallait dépanner le dimanche, j'étais toujours présent.
10:21 Mais j'étais réfractaire sur tous les EPI et notamment les règles d'or.
10:24 Et on avait une règle d'or à l'époque chez Suez qui était interdiction de fumer
10:28 derrière un camion de poubelle.
10:29 Pourquoi ? Parce que quand tu fumes une clope, d'une, tu ne te tiens pas forcément bien.
10:33 Et si toutefois la cendre, elle tombe dans la pelle, tu peux mettre le faux camion.
10:36 Ça arrivait plein de fois.
10:37 Mais bon, vous savez, quand les mecs, ils prennent les camions, tu sais que tu n'as
10:40 pas les patrons au cul.
10:41 Donc, qu'est-ce que je faisais ? J'allumais clope sur clope.
10:42 Le problème, c'est quand tu fumes une cigarette avec un métier aussi dégueulasse, tu mets
10:46 les gants dans la poche parce qu'il y a autant de bactéries.
10:48 Le souci, c'est si j'avais eu des gants dans la poche et la voiture venait à frapper
10:51 le camion, il y a une personne qu'on appelle un expert qui va venir et qui va dire "monsieur
10:55 Dalmasso, il n'est pas à ses gants".
10:56 Eh oui, mais s'il avait eu ses gants, il aurait peut-être pu s'accrocher à la barre
10:59 différemment.
11:00 Puis je ne sais pas moi, à défaut d'être amputé fémoral, il aurait peut-être été
11:03 amputé que tibial.
11:04 Et les coûts étaient moindres.
11:05 Ou alors quand tu vois l'été dernier, le temps qu'il faisait, il faisait super beau.
11:08 Moi, je ne comprenais pas pourquoi on ne pouvait pas travailler en short.
11:10 Si, je comprenais.
11:11 Mais vous avez compris le personnage que j'étais.
11:13 Donc j'y arrivais, je coupais un bénard.
11:14 Ça faisait rien à tous mes potes, beaucoup moins les managers.
11:17 Le problème, c'est quand tu travailles en short, tu perds les petites bandes réfléchissantes
11:20 qu'on avait en bas.
11:21 Et je vous laisse imaginer, le 9 octobre à 6 heures du matin, il fait nuit.
11:24 Sauf que si je n'avais pas eu les bandes réfléchissantes, la même personne, l'expert,
11:27 serait venue en disant "monsieur Dalmasso, il n'a pas les bandes réfléchissantes".
11:30 S'il les avait eues, peut-être que l'œil aurait été attiré différemment et que
11:33 pourquoi pas, la voiture aurait pu éviter le camion.
11:35 Malheureusement, si j'avais eu 20% de tort, c'est très simple, ils partent du million.
11:39 20% d'un million, vous avez tous compris, ça fait 200 000.
11:41 Ce n'est pas la Sécu qui baisse de 20%, ce n'est pas non plus les hôpitaux, c'est
11:45 uniquement un cuté de votre capital.
11:47 Donc les 200 000 couvrent les 150, donc vous prenez zéro.
11:50 Et parallèlement, vous commencez votre nouvelle vie, parce que c'est entre guillemets une
11:53 nouvelle vie, à moins 50 000 euros que vous-même, vous devez déjà donner aux assurances adverses.
11:58 Et c'est la raison pour laquelle on est là aujourd'hui, pour vous expliquer concrètement
12:01 ce qui se passe après un accident de travail, si vous ne respectez pas toutes les règles
12:04 de sécurité.
12:05 Ça fait plus de 3 500 fois, 4 000 fois qu'on fait genre d'intervention.
12:09 Ça fait quand même plus de 4 000 fois que mon pote revient sur son accident qui a eu
12:12 lieu il y a 22 ans en arrière, avec un détachement qui est assez exceptionnel, la chafrouche
12:16 le dit.
12:17 C'est vrai que peut-être qu'il y a des thérapeutes dans la salle qui vont parler de thérapie.
12:19 Moi, je vais parler d'exploration, tout simplement.
12:21 Je vous mets au défi de perdre une jambe et d'être aussi à l'aise pour le répéter
12:23 encore et encore.
12:24 C'est vrai que j'aime bien le mettre en avant à ce moment-là dans la sensibilisation,
12:27 parce que je lui en mets tellement plein la gueule après que j'ai l'équilibre.
12:30 Mais quel que soit le milieu où on intervient, le transport, le déchet, l'énergie, le nucléaire,
12:36 à chaque fois, c'est des environnements à risque.
12:37 Et le problème des environnements à risque, c'est les nanas et les mecs qui travaillent
12:41 dans les environnements.
12:42 Vous, nous, c'est qu'on s'habitue aux risques.
12:45 Eh oui, le cerveau humain, il est plutôt bien fait.
12:47 Je te regarde, je te regarde, je te regarde.
12:48 Je ne vais pas pouvoir m'occuper de tout le monde.
12:49 Donc, il y a plein de choses que je fasse sur l'automatique.
12:50 C'est hyper pratique l'automatique.
12:51 Ça permet de te regarder et de savoir que Dave, il va reprendre la parole derrière.
12:54 Mais le problème de l'automatisation en préhension à la sécurité, et là, vous
12:58 êtes toutes et tous trop bien passés pour le savoir, c'est qu'on perd en vigilance.
13:02 Eh oui, combien de fois vous vous êtes retrouvés dans votre voiture, par exemple, sur une route
13:05 limitée à 80 km/h, vous savez qu'il y a un radar automatique à deux bornes.
13:09 Ne faites pas les cons, évidemment, bien la ceinture, pas le téléphone portable, les
13:12 yeux rivés sur le compteur.
13:13 Et qu'est-ce qui se passe ? Pour la plupart d'entre nous, au bout de quelques secondes,
13:16 ton cerveau, il part.
13:17 Et qu'est-ce qu'on va bouffer à midi ? Est-ce qu'il y a une girapechée avec mes
13:20 potes ? Et bim ! Une fois sur deux, tu passes le radar.
13:24 Alors, soit tu avais le régulateur de vitesse et ça passe, soit tu as oublié de le mettre
13:28 ou il est cassé, tu attends comme un con chez toi la petite amende que tu dois à l'État.
13:31 Ça, c'est le problème de l'automatisation.
13:33 Alors, on a tous un avantage avec son cerveau, même les plus cons d'entre nous.
13:36 À n'importe quel moment, on peut décider de reprendre la main sur sa tête.
13:40 Faites un pas en arrière physiquement ou virtuellement, les fameuses quelques secondes
13:43 de réflexion.
13:44 Quand vous faites des métiers aussi dangereux, la première chose qu'on a dû vous dire,
13:48 que vos chefs ont dû vous dire ou que vous devez dire à vos chauffeurs, quand il y a
13:51 un doute, il n'y a pas de doute.
13:53 Quand il y a une manœuvre qui est compliquée, quand il y a une benne qui n'est pas comme
13:56 d'habitude, quand il y a un sort interdit provisoire, une connerie comme ça, vous devez
14:00 vous arrêter.
14:01 Vos chauffeurs, ils doivent s'arrêter.
14:02 Ils doivent mettre ce temps d'arrêt.
14:03 La Véolia, ils appellent ça le 360°.
14:04 Regardez tout autour de soi.
14:06 Chez Suez, c'est la Vigie Minute.
14:08 J'imagine qu'il y a plein de termes pour désigner ça chez vous, chez Moffret.
14:11 En gros, je vais le faire simple.
14:12 Quand ça pue la merde, tu t'arrêtes.
14:15 Le problème, ça, c'est pas naturel.
14:17 Non, ça va devoir faire sortir les gens de leur zone de confort, de leurs habitudes.
14:22 Ça va demander de l'énergie.
14:23 Et l'être humain, on est tous pareil.
14:25 Par définition, on est feignant.
14:26 Donc effectivement, quand les chauffeurs, ils sont confrontés à ces difficultés,
14:31 je pense que la plupart de vos chauffeurs, ils sont plutôt avec un bon esprit professionnel,
14:35 ils n'ont plus de bouteilles.
14:36 Ils vont marquer ce temps d'arrêt.
14:37 Il y en a même certains qui vont vous appeler directement.
14:39 "Oui, chef, il y a un truc qui n'est pas normal aujourd'hui."
14:41 Je pense qu'ils vont jouer le jeu.
14:42 Allez, ils vont même le faire une deuxième fois dans la matinée.
14:44 Parce qu'encore une fois, la plupart des métiers qu'on voit,
14:47 il y a beaucoup de conscience professionnelle de chaque salarié.
14:49 Mais qu'est-ce qui va se passer au bout de la troisième, quatrième fois, sincèrement ?
14:53 Le naturel lui revient au galop.
14:55 Et c'est là que les gens respectent un danger.
14:57 Souvent, les gens me disent "mais je ne comprends pas bien Stéphane,
14:59 c'est quoi le rapport entre ce que tu nous racontes et l'accident de Dav ?
15:03 L'accident de ton pote, c'est la faute à pas de chance.
15:05 Il a été arrêté à mon poubelle, il s'est remarqué perdre une bagnole,
15:07 bim, ça lui a arraché la jambe, point barre."
15:09 Non, ce n'est pas la faute à pas de chance,
15:10 parce que si tu as bien écouté ce qu'a dit Dav et que tu n'as pas dormi,
15:13 il l'a précisé Dav.
15:14 Effectivement, le premier lundi, où le mec a frôlé le camion,
15:17 là, il était dans tous ses états, on avait bouffé ensemble ce lundi à minuit.
15:20 Il a dit "putain, le mec qui joue au foot le week-end,
15:22 il m'a fait peur ce con, pour me faire flipper, il a frôlé le camion,
15:26 du coup, j'ai appuyé sur l'arrêt d'urgence, je me suis retrouvé dans le fossé."
15:29 Là, il était en vigilance extrême.
15:30 Mais au bout de deux, trois, dix lundis, toujours au même endroit à peu près,
15:34 "Ah, si je viens vous voir sur les tournées des chauffeurs,
15:36 j'en suis sûr que tous les jours, il rencontre des mecs qui sont tellement cons
15:39 qu'il ne les voient même plus."
15:40 Et bien, il a fait pareil, Dav.
15:41 Il s'est calé derrière le camion, "Vas-y, t'as fait ta connerie."
15:44 Limite, il était en train de penser à la prochaine route qu'il allait collecter.
15:47 Et là, quand son pote, son ripper à côté,
15:49 parce qu'ils étaient deux à l'époque derrière le camion,
15:51 lui dit "Saute, saute, ça va trop vite."
15:54 Il n'a pas bougé, Dav.
15:55 Alors, est-ce qu'il a fait le bon choix, on ne saura jamais.
15:56 Après, c'est un beau bébé, 1m95, 95 kilos par bonheur.
16:00 Il a perdu que sa jambe.
16:01 Il dit "Moi, je suis à sa place avec mon 1m12, à hauteur, je la prends là et je meurs sur le cou."
16:04 Du coup, c'est très grave ce que je suis en train de dire.
16:06 Mais l'accident de travail de Dav, il y a 22 ans derrière, c'est un manque de vigilance.
16:11 Ça, c'est important.
16:12 C'est là-dessus.
16:12 Il va y avoir un autre message qui va passer aussi sur un fléau,
16:16 qui là, j'espère, ne vous concerne pas tous,
16:17 mais comme je l'ai dit ce matin, je suis un peu inquiet quand même, il faut le reconnaître.
16:21 C'est l'alcool.
16:22 Alors c'est vrai que les gens disent "Ah, c'est chatouille, tic et tac,
16:25 mais c'est dérangeant quand ils s'abordent l'alcool."
16:27 Ouais, c'est dérangeant, ouais.
16:28 N'empêche qu'on boit trop d'alcool en France, il ne faut pas se mentir.
16:31 Boire trop d'alcool, c'est défini.
16:32 C'est plus 2 verres par jour, tous les jours.
16:35 25% des gens sont concernés par cette problématique.
16:37 25%, ça fait une personne sans 4.
16:39 Alors, avec Dav, on n'est pas de fouette, encore moins mathématicien.
16:43 Si je commence à vous compter, je vais les trouver les multiples de 4.
16:44 Je ne regarde personne.
16:47 Et je ne veux pas influencer.
16:48 Pour plusieurs raisons.
16:49 Parce que déjà, dans la vie privée, l'alcool, ça peut être pénible.
16:53 Vraiment, ça peut être vraiment très compliqué.
16:55 Mais dans la vie professionnelle, il y a...
16:56 Et il y a, il n'y a pas que des mecs qui boivent.
16:59 C'est un enfer.
17:00 Vous êtes sur votre site et puis nous, on est là pour faire une intervention.
17:04 Si un jour, vous vous êtes dit "Voilà, il y a tic et tac qui viennent nous voir,
17:07 pendant une heure et demie, ils vont nous parler de sécurité.
17:09 On va boire de trop de canon.
17:10 On va se mettre au fond de la salle, on va dormir et ça passera plus vite."
17:13 Et qu'à midi, vous fassiez écraser comme une merde sur votre site.
17:16 Par moi, par exemple, parce que je ne connais pas bien
17:18 le sens de circulation, la collectivité du site, elle est un peu dangereuse.
17:22 Là, les gars et les gattes, vous êtes morts deux fois.
17:24 La première fois, c'est physiquement.
17:25 "Marie, contre une voiture, on n'est pas à grand chose.
17:27 David a testé, il a perdu la jambe.
17:29 Je crois qu'il a compris, il ne recommencera pas."
17:31 Mais le pire, c'est juridiquement.
17:34 La deuxième fois, c'est juridiquement.
17:35 Parce que là, l'expert, il ne va pas s'emmerder.
17:37 Vous n'avez pas vos chaussures de sécurité,
17:39 vous n'avez pas attaché votre ceinture dans le camion.
17:40 Vous n'avez pas vos EPI en allant voir les chauffeurs.
17:43 Vous avez de l'alcool dans le sang, dans un site industriel.
17:46 Pire, sur la route pour travailler, mais tout s'arrête.
17:49 On n'aura droit à rien.
17:50 Si, vous avez gagné 22 ans de procédure.
17:52 Moi, je voulais aller même un peu plus loin sur un élément qui me tient à cœur
17:55 depuis que je connais Dave, depuis qu'il bossait chez Suez,
17:57 cette fameuse notion de comportement à risque
18:00 et de pays d'équipement de protection individuelle.
18:02 À l'époque, Dave, quand il bossait chez Suez,
18:04 et vous l'avez compris, c'était un bon gars.
18:06 Il l'est toujours, évidemment, mais comme vous,
18:08 j'imagine, il y a plein de bons gars qui vont travailler en permanence.
18:10 Mais à l'époque, il confondait tout, Dave.
18:12 Il confondait sa propre sécurité et le rapport hiérarchique.
18:15 Quand il ne pouvait pas blairer un chef,
18:16 c'était souvent pénible, un manager, il faut le reconnaître.
18:19 Il pouvait arriver à un moment donné, "chef, j'ai mal au pied,
18:20 je ne vais pas me mettre pour la spéciale de sécurité aujourd'hui.
18:22 Oh putain, il va pleuvoir, je ne mets pas mes gants,
18:23 je n'attache pas ma ceinture, toutes ces conneries."
18:25 Pour lui, ça voulait dire "j'existe".
18:27 Le problème, c'est que ça, face à ce monsieur,
18:30 c'est il y a 30 ans en arrière.
18:31 Et nous, au quotidien, quand on est sur le terrain,
18:33 parce que notre travail, il n'est pas uniquement de faire des conférences,
18:36 il est d'aller rencontrer les gens qu'on a sensibilisés quelques mois auparavant
18:39 pour échanger avec eux, pour les observer.
18:41 Et au quotidien, ça me fait mal au cœur parce que
18:43 j'ai encore des gens comme Dave,
18:45 qui pensent que par exemple, il y en a peut-être un,
18:47 qu'un EPI, c'est fait pour leur casser les couilles.
18:49 Parce qu'un jour, le patron m'est arrivé en disant "ouh là là, mais oh,
18:51 là, il y a trop d'accidents, d'ailleurs chez vous, il y a trop d'accidents.
18:54 Partant de lundi, on va rajouter à tout le monde deux nouveaux EPIs."
18:56 Ce n'est pas possible.
18:57 Je vous le dis tout de suite, ce n'est pas possible.
18:58 Vu le prix des EPIs,
19:00 la logistique à mettre en place derrière les contrôles,
19:02 c'est improbable.
19:03 Un EPI, il n'est jamais fait par hasard, il y a eu des morts en amont avant,
19:06 qui justifient la porte d'un EPI.
19:07 Vous savez, pour étayer mes propos, je vais essayer de vous donner un chiffre qui est
19:10 assez violent, qui est assez compliqué à trouver parce que la profession n'est pas
19:14 à faire ce chiffre-là, il concerne les rippers.
19:16 Mais honnêtement, en grattant un peu sur Internet,
19:18 dans vos professions, on peut trouver les mêmes.
19:20 Est-ce que vous avez une idée
19:22 combien de rippers, des boueurs,
19:24 meurent chaque année derrière un caiman de poubelle
19:27 ou en accident aussi grave que Dave,
19:29 depuis une vingtaine d'années ?
19:30 Il y en a plus de 15 par an.
19:33 Vous vous rendez compte qu'en 2023, maintenant,
19:35 à la fin de l'année, il va y avoir plus d'un éboueur par mois
19:38 qui va décéder derrière un camion de poubelle
19:40 ou qui va avoir un accident aussi grave que David.
19:42 Le dernier en date, je cherchais, il n'y a pas longtemps,
19:44 c'était la semaine dernière, le jeudi 9 mars, dans la Drôme,
19:47 un ripper qui était dans le camion, la BOM,
19:50 la BOM, il a perdu le contrôle du véhicule,
19:52 elle a fait 4 tonneaux.
19:54 Le problème, c'est que c'était une journée un peu comme ça,
19:57 il faisait assez chaud, il y avait la clim qui ne marchait pas,
19:59 donc ils ont ouvert les fenêtres.
20:00 Puis ces cons de rippers, je les adore, ces cons de rippers,
20:03 mais bon, les ceintures, j'ai l'impression que dans les camions,
20:05 on s'en fout, donc il n'est pas de ceinture.
20:07 Sauf que quand un camion, il fait un tonneau
20:08 et que la fenêtre est ouverte,
20:10 je voulais s'imaginer ce qui s'est passé.
20:11 Le ripper, il a basculé et il s'est fait écraser comme une crêpe
20:15 avec le tonneau.
20:16 On en est là.
20:17 Des exemples comme ça, je vous garantis,
20:19 j'en ai à la pelle dans tous les sens.
20:21 Tapez sur Internet, vous les trouvez dans tous les sens.
20:23 C'est ça, la vraie réalité.
20:25 C'est là qu'on a essayé d'expliquer avec David tout ça.
20:28 Et vous savez, sur ces 15 rippers,
20:31 il s'avère, statistiquement, qu'il y en a 4 qui meurent
20:35 suite à des traumatismes crâniens.
20:36 Les mecs qui tombent des camions, ils prennent des bennes sur la gueule.
20:38 Donc Suez a pris ses couilles il y a 4 ans et demi en arrière.
20:40 Suez, 30 000 salariés, une grosse boîte.
20:42 Alors il y a plein de petites boîtes de déchets
20:44 dans le sud de la France qui l'ont mis en place depuis 10 ans.
20:46 Mais Suez, et ça vous avez peut-être entendu parler,
20:48 ils ont décidé d'imposer à tous les rippers un nouvel EPI.
20:53 Un casque sur la tête pour aller charger les poubelles.
20:55 Alors, pas les casquettes coquées
20:57 ou les casques de chantier comme vous pouvez imaginer.
20:59 Non, c'est plutôt les casques style VTT
21:01 avec une petite tête qui clignote derrière.
21:02 Si il y a des casques oranges, vous verrez, s'il y a des camions Suez.
21:04 Je voulais juste vous projeter 30 ans en arrière.
21:07 Si j'avais été le manager de DAV,
21:08 et qu'à 4h du matin, je serais allé voir l'engin,
21:11 en lui disant "tu mettras bien ton nouvel EPI sur ta tronche
21:13 pour aller charger tes poubelles",
21:14 évidemment que ça ne serait pas bien passé,
21:16 si je lui avais dit telle quelle chose.
21:17 Si par contre, je lui explique qu'avec ce putain de casque,
21:19 on peut sauver la vie de 4 de ses potes,
21:21 voire la sienne, là, ça change la donne.
21:24 Alors attention, il y aura toujours des réfractaires.
21:26 Il y a 4 ans et demi en arrière, on était à Nantes, chez Suez.
21:29 Il y avait une centaine de salariés Suez devant nous.
21:31 Ça faisait quelques semaines que s'était mis en place
21:32 le protocole du casque obligatoire.
21:34 Ça avait été compliqué à faire passer.
21:36 Honnêtement, il y a même des mecs qui avaient fait grève
21:37 pour ne pas porter le casque.
21:39 "Oh, va mourir ! Oh, va mourir !"
21:41 Ouais, je fais une petite blague avec ça parce que
21:42 je vais être pris la tête avec un mec du syndicat.
21:45 Mais admettons qu'on ait affaire à un cow-boy,
21:47 super héros, à le tromper du cul,
21:48 c'est pas moi qui le dis, je ne me permettrai pas.
21:50 Ah bah, si à l'époque, il pouvait riper à poil,
21:51 il ripait à poil, vous avez bien compris.
21:53 Sauf que c'est vrai qu'avec une jambe en moins, maintenant,
21:55 il fait moins le malin.
21:56 Et c'est tant mieux.
21:57 Pas qu'il ait une jambe en moins,
21:58 mais qu'il fasse moins le malin.
21:59 Admettons qu'on ait affaire à ce type de bonhomme
22:01 ou de bonne femme.
22:02 Mais il y en a peut-être là.
22:03 Je suppose qu'il y en ait là.
22:04 Et même dans vos chauffeurs.
22:06 Le problème, les gars et les gattes,
22:07 vous êtes depuis 10 ans qu'on fait ce métier.
22:09 Tous les gens qu'on a rencontrés,
22:11 sans exception, et tous les gens qui sont devant moi aujourd'hui,
22:13 y compris les intérimaires,
22:14 bon là, il n'y en a pas trop, les alternants, tout ça,
22:16 mais vous avez tous signé un contrat de travail,
22:19 une convention collective, un règlement intérieur,
22:21 un papelard, vous l'appelez comme vous voulez, je m'en fous,
22:23 mais c'est marqué noir sur blanc à 100%.
22:25 Le salarié, vous, pas nous,
22:27 doit porter tous les EPIs à sa disposition.
22:30 Si le salarié décide sciemment de ne pas porter tous les EPIs,
22:32 parce qu'il est plus malin que tout le monde,
22:33 c'est un animaçon en puissance.
22:35 Il se met en danger physiquement, je n'y reviens pas.
22:36 C'est ce que je viens de vous expliquer depuis 10 minutes.
22:38 Mais là où j'attire votre attention,
22:40 c'est l'un des rares trucs à retenir de notre intervention.
22:42 Il y en aura que deux.
22:42 Il y a celui-là, et je vous dirai quand ce sera le deuxième à retenir,
22:45 parce que encore, ceux qui ont un peu de mal aujourd'hui,
22:47 je vais un petit peu les aider.
22:49 Là, l'une des rares choses à retenir de notre intervention.
22:51 Suite à une action comme David,
22:53 je ne vous parle pas de la bobologie à la con,
22:55 la petite entorse, la petite coupure,
22:57 ça ne passe même pas de la haute fréquence,
22:59 je ne juge pas, des fois je suis étonné
23:01 comment les gens analysent les accidents de travail.
23:03 Non, je parle d'un vrai truc,
23:05 un truc qui se voit, une amputation, les gars,
23:07 elle n'est pas normale le copain en fauteuil.
23:09 Si c'est un jour, ça vous arrive.
23:11 Je ne souhaite absolument pas que ça vous arrive,
23:13 ni pour vous, ni pour un de vos collègues.
23:15 Là, par contre, vous allez vous mettre en danger juridiquement.
23:18 C'est ce qu'on a vu à Montpellier, c'est ça David ?
23:19 - Effectivement, il y a six ans en arrière,
23:20 on intervient dans une boîte d'ordures ménagères à Montpellier,
23:22 et eux avaient déjà le casque sur la tête depuis deux ans.
23:25 Puis il y avait un mec réfractaire comme j'étais à l'époque
23:27 qui commençait à dire "faites chier, trop de sécurité, tu la sécurité,
23:30 ça va être quoi la prochaine étape ?
23:31 C'est des protèges tibia, c'est un scaphandrier."
23:33 Il a dit "j'en ai rien à foutre, je ne le mettrai jamais."
23:36 Mais comme l'a très bien dit Steph, sur son contrat de travail,
23:38 c'était marqué "casque obligatoire".
23:39 Puis tous les jours, il partait en collecte, il ne le mettait pas.
23:41 Puis un beau jour, il part en collecte avec son équipier, son chauffeur.
23:45 Le chauffeur s'arrête pour ramasser une poubelle.
23:47 Donc là, lui étant en droite, directement il descend.
23:49 Tant qu'il descend, il a un grand boum.
23:51 C'était une voiture qui venait de frapper le camion.
23:53 La seule différence, c'est que son report 23 ans derrière a décédé sur le coup.
23:57 Et ça, c'est humain, le mec qui frappe le camion, comme avec moi, il veut se défendre.
24:00 Il veut minimiser les coups, il ne veut pas prendre tous les torts pour lui.
24:03 Moi, celui qui m'a renversé, il m'a quand même trouvé 10 témoins
24:05 comme quoi le camion reculait.
24:07 C'est vrai qu'à 6h du matin, tu peux chercher des témoins,
24:09 toi, tu n'en as pas beaucoup.
24:10 Mais il faut savoir aussi une chose, c'est que nous à l'époque chez Suez,
24:13 quand tu prenais un camion ou une voiture de service,
24:15 tu avais une feuille à remplir.
24:16 Est-ce que les freins sont bons ? Oui.
24:18 Est-ce que le clignotant marche bien ? Oui.
24:20 Est-ce que le contrôle technique a été fait ? Et ainsi de suite.
24:22 Moi, quand j'étais chauffeur, je partais d'en haut jusqu'en bas,
24:25 je tirais un grand trait sur tous les "oui",
24:26 je chignais en bas de la feuille, je donnais ça à mon chef,
24:28 puis j'allais boire le café avec mes potes,
24:30 comme ça j'avais gagné 20 minutes et je ne faisais pas le tour de mon camion.
24:33 Heureusement que ce jour-là, mon chauffeur ne fait pas la même erreur,
24:35 parce que s'il y avait eu la moindre défaillance sur le camion,
24:37 c'était lui qui était responsable à 100%.
24:40 Il faut savoir aussi une chose, c'est que nous en 2000 chez Suez,
24:42 on était déjà avec des boîtes automatiques.
24:44 Vous savez une boîte automatique, c'est un cerveau électronique,
24:46 c'est comme une boîte noire d'un avion.
24:48 Et quand ils ont démonté la boîte automatique,
24:50 ils se sont aperçus que la dernière fois qu'on a mis la marche arrière,
24:53 ça remontait une minute quinze.
24:54 Donc c'était impossible qu'au moment de l'impact, on soit en marche arrière.
24:57 Donc je me rappelle à mon procès, le premier témoin, il arrive,
24:59 il dit "ah vous êtes enculé", pour lui dire que vous étiez en train de reculer.
25:02 Donc là, le juif, il fait des bons de 12 mètres, il dit "bon dans une cour,
25:04 on ne parle pas comme ça, parce que là on ne va pas être copains".
25:06 Et de deux, il lui dit "non, ce n'est pas possible",
25:08 parce que je lui explique ce que je viens de vous dire, donc là il passe pour un con.
25:11 Le deuxième "ah ouais mais là ça fait huit mois,
25:13 c'est vrai que c'est un peu flou dans ma tête, hop dégage aussi".
25:15 Et les huit autres, ils ne se sont même pas présentés.
25:17 C'est aussi pour ça qu'il y a eu 100% de tort.
25:20 Mais je reviens sur l'histoire à Montpellier, le mec qui roulait à 50, pas plus vite,
25:22 bon par contre c'était 4 heures du matin, donc il faisait nuit noire.
25:25 Et il dit "je suis sûr d'une chose,
25:27 c'est que derrière, il n'y a qu'une petite LED rouge qui clignote".
25:29 Vous savez derrière les casques chez Suez, il y a des petites LED rouges qui clignotent.
25:32 Bah oui, il n'y en avait qu'une, puisque l'autre il a dit qu'il ne mettrait pas son EPI.
25:35 Le problème c'est quand un accident comme j'ai vécu ou comme il y a à Montpellier,
25:38 il y a reconstitution de l'accident avec les flics, les experts.
25:41 Et les mecs ne sont pas plus cons qu'un autre,
25:43 ils viennent deux jours après à la même heure, 4 heures du matin,
25:45 ils essayent avec un casque et ils essayent avec deux casques.
25:49 Et ils se sont aperçus de quoi ?
25:50 Qu'effectivement avec deux casques, l'œil aurait été attiré vraiment différemment
25:53 et que si toutefois la personne n'avait mis que peut-être,
25:56 il aurait pu éviter le camion.
25:57 Sauf que le peut-être veut dire quoi ?
25:58 Que la personne qui n'a pas voulu porter son EPI,
26:01 aujourd'hui est responsable à 50% de la mort de son pote.
26:04 Malheureusement, quand tu as un mort, ce n'est pas le chiffre,
26:07 c'est à peu près 3 millions.
26:08 C'est-à-dire qu'aujourd'hui le mec,
26:10 il doit donner 1,5 million à la famille de la victime.
26:13 Et les amis, je ne connais pas vos salaires,
26:15 mais avant de monter à 1,5 million, tu ne vas pas pouvoir en faire des heures chez mon frère.
26:17 Je te dis tout de suite, tu n'y arriveras pas.
26:19 Donc c'est ta femme ou ton mari qui va devoir t'aider.
26:21 Et ensuite malheureusement, c'est tes enfants, ta progéniture.
26:24 Tu sais, moi souvent, j'ai amené Steph dans les tournois de tennis internationaux
26:27 et lui, il est curieux de tout, il veut savoir les accents de tous mes potes.
26:30 Il me dit "Tiens, qu'est-ce qu'il eut ton pote là ?"
26:31 Ah ben, je lui dis, il était en moto, malheureusement une voiture lui a coupé la route,
26:34 il est passé par-dessus.
26:35 Alors oui, il a une belle baraque, une belle piscine à Paris.
26:38 Bon, il est paraplégique, quand tu sais que tu ne vas pas te lever à vie.
26:41 Sincèrement, je préfère encore être comme moi.
26:43 Puis il y a quoi, 7 ans en arrière, on était tous les deux à Rome.
26:46 Puis là, il y avait un nouveau Français, il ne le connaissait pas.
26:47 Il me dit "Ah ben, lui, je ne l'ai jamais vu, qu'est-ce qu'il a eut ?"
26:49 A lui, je lui dis "C'est un peu différent, c'était un samedi soir,
26:52 sortie de boîte de nuit, 4h du matin, 2 grammes."
26:55 Et ses potes lui disent "Attends, tu as 800 mètres à faire pour rentrer chez toi,
26:58 vas-y à pied, ça ne te fera pas de mal."
26:59 Il me dit "Non, mais tu n'en fais pas, ça ne te craint rien."
27:01 Puis tu sais, ma voiture, elle connaît les virages, les fossés, les artes,
27:04 tu sais, toutes ces conneries, j'étais jeune, je sais comment ça marche.
27:07 Et malheureusement, il a quand même pris le risque de prendre sa voiture
27:09 et à mi-chemin, il a tué une mère et sa fille.
27:11 Et aujourd'hui, il doit donner plus de 6 millions d'euros.
27:14 Et il dit qu'on prélève de 500 balles tous les mois à vie,
27:16 c'est bien fait pour ma gueule.
27:17 Mais ce qui m'a fait le plus mal, c'est que vous savez, quand vous êtes jugé
27:20 et vous êtes jugé à tort, le juge à la fin te donne un papier qui s'appelle le référé,
27:23 qui dicte ta vie, où c'est marqué qu'il doit faire un an et demi de prison, qu'il a faite,
27:27 qu'il doit donner plus de 6 millions d'euros, qu'il sera prélevé de 500 euros tous les mois.
27:30 Et il dit le pire dans tout ça, c'est qu'il soit aperçu qu'il avait deux enfants
27:33 de 4 ans et 6 ans et que malheureusement, à l'heure de leur majorité,
27:36 elles commenceront à payer les conneries du père parce qu'il ne pourra pas atteindre cette somme.
27:40 C'est ça qui est terrible.
27:41 Je n'aime pas trop dire ça, mais c'est souvent un peu comme un héritage.
27:43 Vous savez, un héritage, tu peux perdre un être cher, donc tu hérites des biens de la maison.
27:47 Mais il faut savoir que l'être cher, s'il a des dettes,
27:49 tu as des grandes chances de récupérer les dettes également.
27:52 Moi, vous savez, en janvier 2017, j'ai revers mon procès.
27:55 Pourquoi j'ai revers mon procès ?
27:56 Il l'a très bien dit, Steph.
27:57 J'ai quand même deux hernies discales, pas opérables.
28:00 J'ai tassement des vertèbres.
28:02 Je suis en syphos-lordose parce que depuis des années, vous m'avez vu hier,
28:04 je suis obligé de regarder le sol, donc je me suis voûté.
28:06 Je suis également surpoids parce que Steph, c'est mon pote, 1m95, 95 kilos.
28:11 Mon cul, c'est dans les livres, c'est 1m90, 105 kilos,
28:13 mais le tennis en esport n'est pas si physique qu'on aurait pu croire.
28:17 Et avec mon avocat de l'époque et mon médecin expert de l'époque,
28:20 on estime mon nouveau préjudice à 200 000 euros.
28:23 Donc les avocats adverses, ils disent « j'entends ce que vous me dites,
28:25 mais on va quand même vous envoyer une note, médecin expert, pour constater tout ça ».
28:28 Donc effectivement, fin janvier 2017,
28:30 tu as le médecin expert de la compagnie adverse qui vient chez moi,
28:33 il n'y a rien de monde en 2000, il n'y a rien de monde en 2017,
28:35 il faudrait quand même, vous avez bien reçu.
28:37 Il fait « écoutez, monsieur Dalmasso,
28:39 nous on est d'accord pour vous donner une indemnisation,
28:41 mais la seule différence, c'est qu'on ne veut pas dépasser le premier montant
28:44 que vous ayez eu, c'est-à-dire 150 000 euros ».
28:47 Donc là, j'appelle mon avocat, du fait qu'on a demandé 200 000,
28:49 je lui dis « c'est bien, c'est pas bien ».
28:51 Elle fait « sincèrement, monsieur Dalmasso, allez-y, signez,
28:54 parce que je pense qu'on ne pourra pas aller au-dessus ».
28:56 Je suis quand même content, je signe.
28:58 Il faut savoir que quand tu signes ces montants-là,
29:00 ce n'est pas le lendemain sur ton compte,
29:02 c'est bloqué pendant 3-4 mois, on ne tire pas des avocats.
29:05 C'est un compte spécial avocat, comme ça, tout l'argent,
29:07 ça fait des bébés, puis à la fin de l'année, ils partagent les bébés.
29:09 Je n'ai pas tout compris, mais ça doit être sympa d'être avocat.
29:12 Donc tu vois, normal, j'attends.
29:14 Et puis là, on arrive quand même au mois de juin,
29:15 toujours rien sur mon compte.
29:16 Je rappelle mon avocat, je dis « excusez-moi, je ne suis pas un magicien,
29:18 mais il n'y a rien sur le compte, qu'est-ce qui se passe ? »
29:20 « Oui, effectivement, ce n'est pas normal.
29:21 Écoutez, je me renseigne et je vous rappelle. »
29:24 Effectivement, elle me rappelle dans l'après-midi,
29:26 elle dit « Monsieur Dalmasso, comme vous le savez,
29:27 comme ça se passe à chaque fois dans un procès,
29:30 il y aura une contre-expertise. »
29:31 Les mecs qui pensent que peut-être ta jambe, elle a repoussé,
29:33 pas trop inquiet, elle a repoussé en 17 ans,
29:35 mais que bizarrement ton dos va mieux.
29:37 Donc, re-bolote, ils viennent chez toi,
29:39 ils vont un peu plus loin.
29:40 « Et vous, vous faisiez quoi avant comme métier ? »
29:41 « Ah ben, je lui dis, avant, j'étais ripper le matin
29:44 et j'étais moniteur de tennis l'après-midi. »
29:46 Il me fait « Oh putain, le tennis pour le dos, ce n'est pas bon,
29:48 ce n'est pas conseillé. »
29:49 Je dis « Mais arrête de m'emmerder, c'est des conneries, tout ça. »
29:51 Mais à force de discuter avec lui, au bout de deux heures,
29:53 il valide également ce montant.
29:54 Donc, super content, deux fois signé.
29:56 Forcément, tu rates un laps de temps,
29:57 puis là, on arrive quand même en décembre.
29:59 Toujours rien sur mon compte, donc je vous passe les mots fleuris.
30:01 Quand j'ai appelé mon avocate, je l'insultais dans tous les sens.
30:04 Elle fait « Je comprends vos désarroi, Monsieur Dalmasso.
30:06 Promis, je m'enseigne, je vois ce qui se passe. »
30:08 Et là, elle me rappelle, quatre jours plus tard,
30:10 elle commence sa phrase par « Comment vous dire, Monsieur Dalmasso ? »
30:12 Je dis « Oh putain, je n'aime pas le début de la phrase, qu'est-ce qu'il y a ? »
30:15 Elle fait « Bon, je ne vais pas y aller par quatre chemins.
30:16 En juillet 2017, les lois ont changé
30:19 et potentiellement, aujourd'hui, ils ont droit à une troisième expertise
30:21 et malheureusement, vous en faites partie. »
30:23 Je dis « Oh, vous foutez de ma gueule ou quoi ?
30:24 Dans un mois, c'est 2018, on en fait une quatrième.
30:26 Après, on fait traîner 2019. »
30:27 Je lui dis « Putain, mais jamais on ne va s'en sortir. »
30:30 Elle fait « Si, il est vrai que moi, j'étais au courant,
30:31 mais comme on avait rouvert le dossier en janvier
30:33 et que la loi est sortie en juillet, je pensais qu'on pouvait éviter ça.
30:35 Mais elle me fait écouter, Monsieur Dalmasso, vous avez déjà fait deux.
30:38 Ça s'est très bien passé, je vous promets que rapidement,
30:40 elle vous envoie quelqu'un.
30:41 Et par contre, je me suis arrangé avec eux.
30:43 À partir du moment où c'est validé,
30:45 ils vous font le chèque sous les yeux. »
30:47 Effectivement, janvier 2018, il y a un mec qui vient chez moi.
30:49 Je dis « Monsieur Dalmasso ? »
30:50 Je dis « Oui, tu fais monter dans ma voiture,
30:52 on fait radio, scanner et IRM. »
30:54 Je lui dis « On ne va pas se faire chier à faire tout ça.
30:55 J'ai tout chez moi.
30:56 » Je lui dis « Tenez, regardez. »
30:58 Il me fait « Oula, non, non, moi, ça ne me faut pas que ce soit votre dos. »
31:00 Je dis « T'es de ma gueule ou quoi ?
31:01 C'est marqué Dalmasso, là, dans tous les sens. »
31:03 « Mais non, mais excusez-moi, je me suis mal exprimé.
31:05 En fait, je voudrais y voir de mes propres yeux. »
31:07 Je lui dis « Oui, sur le coup, tu t'es mal exprimé,
31:08 mais sûrement, il n'y a que ça qui te fait plaisir. »
31:10 Je savais que c'était mon dos, je jouais en l'air, je n'avais rien à foutre.
31:13 Après, il me faisait le chèque, je lui disais « Tu sais quoi ?
31:14 On va clôturer le truc, je monte avec lui dans sa voiture. »
31:17 Puis là, on commence à parler.
31:18 Il commence à me dire « Vous faisiez quoi avant comme métier ? »
31:21 Je lui dis « Avant, j'étais ripper le matin et moniteur de tennis l'après-midi. »
31:25 Il me fait « Ah oui, effectivement, le tennis pour le dos, c'est quand même bien moyen. »
31:27 Je lui dis « C'est bon, cassez-moi pas les couilles.
31:29 Si c'est pour poser à chaque fois les mêmes questions,
31:31 vous allez voir vos collègues, ils vous donnent les réponses. »
31:33 Il me fait « Non, mais il n'y a pas de souci. »
31:34 Il me fait même « Mais ripper, c'est quoi ça, ripper ? »
31:37 Ripper, je lui dis « C'est le mot savant qui veut dire éboueur. »
31:39 Donc, j'étais content.
31:40 Pour une fois que j'avais appris un mot assez con là,
31:43 il me fait « Ah oui, ça, ça doit être dur comme métier quand il fait chaud,
31:45 quand il fait froid, les odeurs, les horaires décalés. »
31:48 Bon, enfin bref, il me passait la pommade dans le tout de dos.
31:50 Je lui dis « Vas-y, roule, on verra plus tard. »
31:52 Et il fait « Je peux vous poser une question, M. Dalmasso ? »
31:53 Je dis « Oui, bien sûr. »
31:55 « Comment se fait-il qu'à notre époque, donc janvier 2018, ce n'est pas mieux,
31:58 il y a encore des gens derrière les camions de poubelle qui lèvent des bacs à la main ? »
32:01 C'est parce que ça va plus vite que la machine.
32:03 Et la machine qu'il y a derrière un camion de poubelle, c'est un lève-conteneur.
32:06 Et c'est vrai que les lève-conteneurs en 2000, ce n'est pas ceux qu'il y a maintenant,
32:09 où récemment, XTF, on les a essayés dans les boîtes de déchets,
32:11 tu pousses les bacs, tu as une cellule, ça le monte automatiquement,
32:14 ça le redescend automatiquement.
32:16 Putain, c'est génial, nous, on n'avait pas ça.
32:17 Tu peux faire autre chose en attendant.
32:19 Nous, à l'époque, il fallait prendre le bac,
32:20 il fallait le monter, il fallait le descendre, il fallait le reprendre,
32:22 tu mettais entre 20 et 25 secondes à vider un bac.
32:25 Et ces cons en 1998 à Lyon, ils n'ont rien trouvé de mieux que d'arrêter le vrac.
32:29 C'est-à-dire que tu n'avais plus le droit de prendre aucun sac.
32:31 Donc, ils avaient équipé toutes les villas de conteneurs.
32:34 Et on avait plus de 1000 villas par jour.
32:36 Puis, tu as vu, tu comprends aussi, si tu prenais à la main,
32:39 tu mettais entre 5 et 6 secondes.
32:40 Et je ne sais pas si le métier a évolué, mais nous, à l'époque, chez Suez,
32:43 quand tu avais fini ta tournée, tu avais fini ta journée.
32:46 Donc, j'ai beau te dire, ça y allait.
32:47 Le fini parti dans tous les sens, le bilatéral.
32:50 Alors, le bilatéral, c'est simple.
32:52 Un camion de poubelle, normalement, il fait d'un côté, il fait demi-tour
32:55 et il fait de l'autre côté.
32:56 Puis, pour gagner beaucoup de temps, tu fais à gauche, à droite, à gauche.
32:59 Tu as déjà vu des camions de poubelle à gauche.
33:01 Si un jour, vous avez la vente de la voiture à vous faire offrir,
33:03 allez-y, rentrez dedans, c'est cadeau, c'est pour eux.
33:05 Voilà, toutes ces conneries.
33:07 Après, jusqu'en 2000, on pouvait même rouler jusqu'à 80 km/h
33:11 avec deux Rippers derrière.
33:12 Puis, ils ont quand même vu que c'était dangereux
33:14 parce qu'il y en a, ils tombent beaucoup et ça fait mal.
33:17 Alors, ils ont dit, on va bloquer les camions à 30.
33:19 Donc, les premières cellules qu'on avait, c'est quand tu montais sur le marche-pied,
33:22 tu avais une espèce de faisceau lumineux qui te touchait,
33:25 ce qui fait que ça bloquait le camion à 30.
33:27 Alors, nous, pour gagner du temps, on avait compris, on se mettait tous comme ça.
33:29 Alors bon, l'été, c'est l'inconvénient, tu prends tous les moucherons dans la gueule,
33:32 mais au moins, tu gagnes du temps.
33:33 Voilà, toutes ces conneries.
33:35 Et puis, je lui dis, moi aussi, je levais les 120 litres,
33:37 puis je levais les 240 litres.
33:40 Puis, je lui explique parce que tu as une technique, tu prends ton bac,
33:42 tu calques contre ton genou, tu donnes un bon coup de genou.
33:44 Je lui dis, tu peux même soulever 338 quand ils ne sont pas trop pleins.
33:47 Puis, il fallait qu'on aille vite, on est tous un double métier derrière.
33:50 Et là, le mec, il me fait, ah, c'est bien.
33:51 Mais il me fait, monsieur Dalmasso, regardez, en bas de la boîte à gants,
33:53 donc je me baisse, c'est vrai qu'il y avait un truc de marqué, je ne voyais pas.
33:56 Et là, je vois marqué, enregistrement possible.
33:59 Et là, il me dit, monsieur Dalmasso, moi, je viens de vous enregistrer.
34:01 Et pour moi, votre problème de dos, c'est votre passif.
34:04 Donc, il me fait, vous avez raison sur un point.
34:07 On ne va pas se faire chier à faire radio, scanner, IRM.
34:09 On va faire demi-tour.
34:10 Et voilà comment j'ai perdu 150 000 euros il y a cinq ans.
34:14 Et là, je dis à Stéphane, putain, mais je suis con, j'aurais dû fermer ma gueule,
34:17 ce n'est pas possible.
34:17 - Ah oui, il est con.
34:18 Et oui, il aurait dû fermer sa grande gueule pour une fois, ça aurait été bien,
34:21 mais je l'ai rassuré sur un point.
34:22 Enfin rassuré, ce n'est peut-être pas le terme exact, mais pour les combattre,
34:25 ça, c'est le terme exact.
34:27 Pour les combattre, depuis 22 ans, les experts, ils ne font pas de cadeaux.
34:30 Je vous le dis tout de suite, ils ne font pas de social.
34:31 Vous avez des gamins, vous avez une famille,
34:33 vous avez moins de 4 000 euros sur votre compte.
34:35 Ils s'en foutent complètement.
34:36 L'expert, dans l'exemple de Dave, le million, c'est de le faire tomber ici à moins 50 000.
34:40 Donc, s'il y a une faille, il va chercher, mais surtout, il va trouver.
34:43 Et si Dave avait fermé sa grande gueule, il n'aurait pas arrêté son enquête comme ça.
34:47 Mais non, il serait allé voir ses anciens collègues.
34:49 Mais tout se sait, on n'est pas tous copains ici, là.
34:51 Il y en aurait un ou deux qui auraient balance.
34:53 Mais Dalmasso, il élevait comment les vacs ?
34:56 À la main ?
34:57 Tout se sait.
34:58 Là, c'est la partie la plus dégueulasse que je vais aborder maintenant.
35:01 Parce qu'on a véritablement affaire à des méchants.
35:04 Mais attention, quand je dis méchant, j'utilise exprès le mot le plus simple possible
35:07 pour que tout le monde comprenne bien où je veux en venir.
35:09 L'expert, il a juste à faire comme je fais là.
35:11 Il s'assoit là, puis il observe.
35:13 Il observe le mec qui dorme, qui soit à moitié sur leur portable,
35:16 qui pense à autre chose, etc.
35:18 Et puis, c'est par eux qu'il va commencer.
35:19 Mais Roger, il buvait beaucoup.
35:21 Ah non, pas tous les jours.
35:22 Bim, niqué.
35:23 C'est comme ça que ça se passe.
35:24 Tellement simple pour un expert.
35:25 Mais des métiers aussi durs que les vôtres.
35:28 Les chauffeurs, vous me disez tous pareil.
35:30 Les chauffeurs, ils me disent tous pareil.
35:31 C'est des métiers difficiles.
35:32 Ça, c'est vrai.
35:33 Dave l'a fait pendant 22 ans.
35:34 C'est des métiers qui ne sont pas valorisés.
35:35 Alors ça, c'est encore plus vrai.
35:37 Par contre, on a un avantage contre les chauffeurs.
35:39 Chez Suez, Mofray ou n'importe qui.
35:41 Eh bien, on prend nos camions le matin et on se casse.
35:43 On n'a plus les patrons au cul.
35:45 Ça, c'est vrai aussi.
35:46 Mais le problème, ce n'est pas les patrons.
35:48 Quand les chauffeurs de camions comme ça,
35:50 t'es logo dans tous les sens.
35:52 Les Mofray, Suez, Véolia, etc.
35:54 C'est toute la population qui te voit.
35:55 Donc les barbeaux, il y en a certainement dans vos chauffeurs,
35:58 des barbeaux qui font des 70 sur des routes à 50 ou à 30.
36:02 Mais vous croyez quoi ?
36:03 Les mecs, ils appellent à l'agence.
36:04 Oh là là, ils vont vite, les camions Mofray.
36:06 Ils ont le droit d'aller plus vite que les autres.
36:08 Ben non.
36:09 Et ils n'ont pas le droit de mettre la cette sécurité
36:10 entre deux points de chargement et déchargement.
36:12 Ah non, absolument pas.
36:13 Tout se sait.
36:15 T'as toujours un trou du cul qui fait pisser son chien,
36:16 qui vous observe.
36:17 T'as des caméras dans tous les sens.
36:19 L'autre jour, on était chez XPO Logistique,
36:21 du côté de Lyon.
36:22 On était à peu près dans la même configuration.
36:24 Il y avait le directeur d'agence.
36:26 Et à un moment donné, ça tape à la porte.
36:28 C'est deux gendarmes qui veulent discuter
36:30 avec le directeur d'agence.
36:31 Première fois que ça nous est arrivé.
36:31 Donc le directeur d'agence part.
36:33 Nous, on finit notre intervention, etc.
36:35 À la fin de l'intervention, je vais voir la QSE,
36:37 celle qui nous avait fait intervenir.
36:38 Je lui dis, mais qu'est-ce qui s'est passé ?
36:40 Elle me dit, là, on est dans la merde.
36:42 On a une conductrice à nous, sur le périphle lunaire,
36:45 qui a percuté une bagnole et le mec, il est mort.
36:47 Donc la nana, elle était au poste.
36:49 Et là, les flics commençaient leur enquête.
36:52 Et je dis, mais ça faisait longtemps que vous travailliez avec cette nana ?
36:54 Ah oui, ça faisait trois ans.
36:56 Trois ans.
36:57 Mais vous aviez des problèmes, tout ça ?
36:59 Ah non, c'était une bonne conductrice.
37:02 Mais elle allait un peu vite.
37:04 Comment tu peux être bon conducteur d'un 44 tonnes
37:07 et aller un peu vite ?
37:07 C'est pas compatible.
37:08 Je vous le dis tout de suite, c'est pas compatible.
37:10 Mais tout le monde le savait.
37:10 Alors, elle était maligne, la nana, elle avait Waze.
37:12 Donc effectivement, elle avait encore ses 12 points,
37:14 elle évitait des radars.
37:16 Mais ce qui m'a fait le plus flipper,
37:17 c'est qu'en quelques secondes,
37:18 David et moi, on est rien, nous.
37:20 J'ai appris que cette nana,
37:22 elle était dans l'entreprise et elle roulait vite.
37:25 Mais pourquoi ils l'avaient gardée, cette nana, pendant trois ans ?
37:27 Parce qu'on a du mal à recruter des chauffeurs.
37:30 Quand le mec, il boit deux, trois canons par jour,
37:31 mais bon, si il y a une Golgothe, ça lui craint pas, ça va.
37:34 Quand le petit jaune que tu viens d'embaucher,
37:36 tu sais qu'il fume le tarpin, mais que
37:37 pas plus de deux par jour parce qu'après, ça tape la tête.
37:40 On dit rien, tout va bien.
37:42 Mais quand il y a un accident,
37:44 là, tout remonte.
37:45 Parce que qu'est-ce qui s'est passé dans cette histoire ?
37:47 C'est très simple. Sur le périph' lyonnais,
37:49 comme sur tous les périph', il y a des caméras partout.
37:52 Donc les flics sont allés voir la caméra et ils se sont aperçus quoi ?
37:55 Que la nana, déjà, elle respectait pas les distances de sécurité.
37:57 Pas un bon point.
37:59 Mais quand t'as un accident comme ça, la première chose que font les flics,
38:02 ils viennent te mettre à poil.
38:03 Permis de conduire, donc analyse d'urine, analyse de sang,
38:06 le téléphone portable, tout est pris.
38:09 Et le téléphone portable, il commence même par là en premier,
38:11 pour vérifier que tu l'as pas utilisé pendant ou avant l'accident.
38:14 Pas de chance, la nana, elle avait juste appelé sa soeur à ce moment-là.
38:17 Elle a pris, la prison ferme, la nana.
38:20 Mais ça s'est pas arrêté là.
38:21 Le directeur d'agence, la QSE,
38:24 ça sent pas bon pour eux parce que tout le monde le savait.
38:27 C'est comme ça que ça se passe un accident.
38:29 Parce que, vous savez, l'accident de David,
38:32 j'espère que vous n'aurez jamais subi pour vous, ni pour un de vos collègues,
38:35 c'est toujours pareil.
38:36 Il y a le jour de l'accident, le 9 octobre 2000 pour David par exemple,
38:38 et après il y a une descente aux enfers.
38:40 Ah, pour les mecs comme David qui perdent une jambe,
38:42 la descente aux enfers, elle peut durer plusieurs mois,
38:45 plusieurs années, voire toute une vie.
38:47 T'as des gens qui ne s'en remettront jamais d'une amputation.
38:49 Peut-être même là.
38:50 La dave, la descente aux enfers, elle a duré 7 ans.
38:54 7 ans, c'est long.
38:54 Ah, il en voulait la terre entière.
38:55 Le mec qui prononçait le mot "handicap".
38:57 Situation d'handicap.
38:58 Handicapé, moi !
39:00 Pendant une gifle directe, t'avais pas le droit d'aborder cet thème-là devant lui.
39:02 Et même encore maintenant, après 22 ans, il est un peu susceptible.
39:05 C'est encore récent, je pense que ça va peut-être s'estomper.
39:10 Il était tellement dans le déni, Dave, que quand il a eu sa première prothèse,
39:12 il a dégagé son fauteuil, sa charrette comme il appelait ça.
39:15 Il voulait pas entendre parler de handicap.
39:16 Il était tout le temps debout.
39:18 On rejouait même au tennis, debout, les premiers mois, l'un contre l'autre.
39:21 Dans les 7 ans, Dave, il a fait 2.
39:23 2 tentatives de suicide.
39:25 Ça, je vous garantis que ça change un homme.
39:26 Et au bout de 7 ans, il en a eu 2 choix.
39:28 Soit il s'est complètement allé, jusqu'à la mort, hein.
39:30 Je pense qu'il faut appeler un chat un chat.
39:31 Soit il a décidé de rebondir.
39:32 Et par bonheur, il a choisi de rebondir.
39:34 Et il a tellement bien rebondi qu'effectivement,
39:36 il était champion du monde en 2014 de tennis-fauteuil.
39:38 Et nous, on s'est dit "Waouh ! C'est le sport qui lui a sauvé la vie !"
39:42 Toutes ces vertus, toutes ces conneries, en fait.
39:44 Moi aussi, je suis sportif, j'y crois, mais
39:46 dans cette situation, c'est pas le sport qui lui a sauvé la vie.
39:48 Moi, je peux vous le dire avec les 22 ans de recul,
39:50 ce qui lui a sauvé la vie à 100%,
39:52 c'est le jour de l'accident, avec ses 0% de tort.
39:54 Parce que, je voulais juste imaginer quelques secondes.
39:58 Si ce matin du 9 octobre 2000, il a la bonne idée, hein,
40:00 entre guillemets, la bonne idée, hein.
40:02 "Eh, il fait froid, je bois des canons pour m'échauffer,
40:05 "eh, il fait beau, je me mets en short et il pleut, je me...
40:07 "Non, je meurs parce que je vois un mec qui dort d'abord
40:09 "et je vais le fracasser, c'est pour ça,
40:10 "j'anticipe tout simplement,
40:12 "réveille-toi bien, copain, parce que là, tu vas voir, ça va taper.
40:14 "Je vous le dis, ça va taper.
40:15 "Eh, il fait froid, je me mets en short."
40:19 Je vous garantis que si ce jour-là, il avait des choses à se reprocher,
40:24 il serait pas là aujourd'hui.
40:25 Parce que les tentatives de suicide, il les aurait réussies.
40:28 Parce que quand t'es handicapé, hein, il n'aime pas que je dise ça,
40:30 mais c'est la vérité.
40:31 Et que t'as des problèmes d'argent, tu peux pas y arriver.
40:33 Je te promets que tu peux pas y arriver.
40:34 Déjà, valide, c'est compliqué pour la plupart d'entre nous,
40:37 mais avec une jambe en moins, t'y arrives pas.
40:39 Donc oui, effectivement, c'est là où je veux en venir.
40:41 L'autre jour, y a même une dame qui vient nous voir et qui nous dit...
40:43 "Ah ouais, c'est bien, hein, M. Pilo, ce que vous faites,
40:45 "mais faut parler un petit peu trop d'argent."
40:47 Merde ! Je suis con, moi aussi, on est en France !
40:49 Eh ouais, il est con, le gars !
40:51 Nous, on va en Suisse, en Belgique, au Luxembourg, en Tunisie,
40:53 là, tu peux parler d'argent, mais en France, on n'a pas le droit de parler d'argent.
40:56 J'ai oublié, moi !
40:57 Bah, vous en parlez souvent, l'argent, entre vous ?
40:58 "Chef, t'en y en ai combien, le mois d'année ?"
40:59 "Allez, haut ta gueule, va bosser."
41:01 Eh ouais, c'est dur, hein, la transparence de salaire,
41:03 c'est pas tout à fait ça, encore.
41:04 Et surtout, le handicap, ça devient encore plus compliqué,
41:06 donc j'ai remercié cette dame de m'en faire remonter cette information.
41:09 Et je lui ai dit "Oui, c'est vrai, grâce à vous, madame."
41:11 Bah, je suis quand même continué d'en parler, de l'argent.
41:12 Parce que c'est vrai que j'en parle beaucoup, l'argent.
41:14 Mais c'est quand même le nerf de la guerre.
41:15 Si je fais un petit sondage rapide, comme j'ai fait tout à l'heure avec vos collègues,
41:18 "Ah, y en a combien qui font vos métiers par passion ?"
41:20 "Oh, pas tous, pas tous, évidemment."
41:21 Mais c'est pas grave, hein, l'autre jour, on était à Bonduelle, 300 personnes devant nous,
41:25 y a pas un mec qui m'a dit à l'âge de 12 ans, mon travail, mon rêve,
41:27 c'était de trier des haricots, des petits pois, évidemment que c'était pas ça !
41:30 C'est alimentaire pour la plupart d'entre nous, mais c'est pas grave !
41:33 Mais un accident comme David, où t'as rien à te reprocher,
41:36 tu prends tes 150 000 balles, t'as ta rente à vie, et t'essayes de te reconstruire,
41:41 c'est pas simple, c'est possible, la preuve devant vous !
41:44 Mais c'est pas simple, tout le monde sera pas champion du monde après l'amputation, ça c'est sûr.
41:47 Mais le même accident, où t'as fait de la merde en amont,
41:50 les EPI, 102 satisfiants, on n'est pas des pleureux,
41:52 "Bah les canons c'est rigolo et fumer la drogue c'est à la mode",
41:56 si t'as bien entendu ce qu'on a dit,
41:57 et c'est la deuxième chose à retenir de notre intervention,
42:00 c'est même la plus importante à retenir,
42:02 si t'as bien compris ce qu'on a dit,
42:04 tes 150 000 balles, dans ton cul tu les auras jamais.
42:07 Mais là où j'assiste sur un élément essentiel,
42:09 que personne ne maîtrise ici, y compris les RH ou les fonctions de support,
42:13 la rente d'action de travail, elle n'est pas automatique les gars.
42:16 Il va falloir envoyer du steak pour avoir un truc cohérent.
42:19 Et si vous pensez bêtement, là y'a pas d'autre mot,
42:21 que les associations d'handicapés, style AGFID qui sont très gentils vont vous aider facilement,
42:25 vous vous gourrez tous complètement.
42:27 À moins peut-être, je vous gourre,
42:28 d'avoir tous fait BAC+8 pour remplir les demandes d'indemnisation,
42:32 vous y arriverez pas, je vous le dis tout de suite, vous y arriverez pas.
42:33 Combien ils te proposaient au tout début ?
42:34 - 1000 euros par mois.
42:35 - 1000 euros, on est arrivé à combien là ?
42:36 - 1800.
42:37 - 1800 balles par mois pour un ancien éboueur,
42:39 je te promets qu'on est au taquet, on n'aura pas mieux.
42:41 Mais ça fait 22 ans que je leur casse les couilles tous les matins quasiment,
42:44 la MDPH, la GIFIP etc. pour évaluer les rentes,
42:47 d'avoir une meilleure photo, une meilleure portée.
42:49 22 ans.
42:50 Je vous garantis qu'en vous regardant tous ici individuellement,
42:53 je suis pas sûr que vous ayez tous la patience de 22 ans,
42:56 et encore moins la résilience de mon pote.
42:57 Donc oui on parle peut-être un peu trop d'argent, mais c'est l'argent qui parle.
43:00 Vous savez l'autre jour, il y avait un chauffeur qui venait nous voir,
43:02 un mec qui venait nous voir à la fin, il nous dit "Oh, c'est Génève,
43:04 qu'est-ce que vous faites avec d'autres ? Continuez hein !"
43:05 Ben je lui dis "Écoute, oui on avait un peu pensé".
43:07 Comme je dis, il était très chianti, vraiment.
43:09 Et tu sais, quand ça fait 10 ans que tu fais ce métier,
43:12 je sais quand le mec il se fout de ma gueule,
43:13 et là il se foutait vraiment de ma gueule.
43:15 On s'est pas trompé parce que quand tout le monde est parti,
43:16 notamment ses chefs,
43:17 il a eu quand même eu les couilles de revenir nous voir,
43:19 en disant "Bon les gars,
43:20 on prendra le pas mal mais
43:22 moi je me sens pas concerné par votre intervention".
43:24 Moi je lui dis "Y a pas de problème, on est pas là pour que ça décende pour 100% des gens,
43:26 j'imagine qu'ici y en a qu'on en revient à carré".
43:28 Je lui dis "Pourquoi tu vas me faire chier avec ça toi ?"
43:29 Et il me dit "Tu sais, moi je suis chauffeur et
43:32 ils me font chier avec les chaussures de sécurité".
43:33 Alors, je les ai toutes essayées les montantes descendantes en forme de basket,
43:36 moi elles me font mal au pied les chaussures de sécurité,
43:38 je les mets pas les chaussures de sécurité.
43:39 Puis sincèrement, personne ne me contrôle,
43:40 j'en ai rien à foutre.
43:41 Ben je lui dis "Tu me dis ça à moi, moi je m'en fous complètement,
43:43 je suis pas ton patron, ni ton père, encore moins ton pote.
43:46 Par contre je suis pas trop con non plus, je me renseigne des obligations de chacun,
43:49 comme je me suis renseigné auprès de Charles des obligations en termes de pays,
43:51 comportement, etc.
43:53 Et moi je peux te dire qu'à 100% en tant que chauffeur dans cette boîte,
43:56 tu dois toujours avoir tes chaussures de sécurité".
43:57 Et donc, juste par curiosité, parce que c'est vrai que je suis assez curieux de nature,
44:01 qu'est-ce que tu dis à ton chef le matin
44:03 quand tu viens prendre ton camion et que t'arrives en basket ?
44:05 Alors le mec me dit "Mais j'ai tout prévu,
44:07 j'ai mon petit cab à Carrefour, elles sont dedans".
44:09 Je lui dis "Oh chef, tu t'inquiètes pas,
44:10 je mets bien mes chaussures de sécurité pour aller travailler sur le site".
44:13 Alors, soit le chef est très con, ça ça arrive,
44:16 c'est pas pratique, un chef très con c'est pas pratique,
44:19 j'espère que vous en connaissez pas, parce que c'est vrai que c'est pas pratique.
44:22 Soit pire, naïvement, ça je crois que c'est vraiment pire,
44:25 le chef, peut-être vous-même,
44:27 il pense que le mec il va vraiment s'équiper pour aller travailler à l'extérieur du site.
44:31 Et donc il y a une couche, le pauvre chef,
44:33 n'empêche qu'il aimait pas ses chaussures de sécurité.
44:35 Mais je vais voir le chauffeur, je lui dis "Mais si t'as un accident, tu fais comment ?"
44:38 Le mec me dit "Mais si j'ai un accident, j'ai tout prévu,
44:40 surtout à porter le pied comme il me dit,
44:41 j'enlève mes baskets et je mets mes chaussures".
44:44 Mais si t'as un vrai accident,
44:46 perte de contrôle de véhicule,
44:47 quelqu'un qui te rentre dedans, tu couches le camion,
44:49 pire, tu fais un truc qui pouvait arriver à tous ici, même les plus jeunes.
44:52 Tu vas à l'émissaire, crise cardiaque,
44:53 et tu meurs comme une merde dans ta cabine,
44:54 tu vas résusciter pour enlever tes baskets et mettre tes chaussures.
44:57 Et là il me dit "Ah putain, j'ai pas pensé à ça".
44:59 Bah j'ai dit "Toi tu as pas pensé ?"
45:00 Mais il y a un gonze, il va y penser tout de suite.
45:02 Ah c'est pas d'ave, c'est l'expert.
45:04 Mais lui il va faire mieux, pire, il va aller voir ta femme.
45:07 34 ans en arrêt cardiaque, c'est terrible ce qui s'est passé pour votre mari.
45:09 Vraiment méconnue en ce moment.
45:11 Par contre il y a un autre problème.
45:12 Il vient d'avoir la reconstitution de l'accident, bah oui.
45:14 Après une amputation, il y a une reconstitution.
45:15 Donc après un mort, ils se font plaisir, les juges, les avocats, les experts.
45:18 Et les petites photos qui vont bien.
45:20 Et il s'avère que sur toutes les photos,
45:22 on le voit bien votre mari, il est en basket.
45:23 Alors, j'ai eu un doute.
45:25 Je vais vérifier son contrat de travail, ça commence au collectif.
45:27 Là où c'est noté les EPI, ils savent faire les experts.
45:30 Ils vont faire le con, ils savent très bien faire, croyez-moi.
45:32 Et c'est bien marqué que sur le contrat de travail de votre mari,
45:35 en tant que chauffeur, il était bien chauffeur, bah oui.
45:37 Il devait être en chaussure de sécurité, madame.
45:39 Et sur toutes les photos, on le voit, il est en basket.
45:42 Donc vous n'aurez le droit à rien.
45:43 Mais ça ne va pas s'arrêter là, non, ce serait trop simple.
45:45 Il va aller voir le chef.
45:46 Oh chef !
45:47 Vous le saviez, vous avez un de vos chauffeurs qui travaillait en basket.
45:50 Alors le chef, il va être emmerdé.
45:51 Ça c'est normal, c'est humain, on est tous pareil.
45:53 Il va avoir tendance à minimiser.
45:55 Il va expliquer que maintenant que vous me le dites, monsieur l'expert,
45:57 effectivement, parfois, parfois il arrivait en basket,
45:59 mais il était toujours en chaussure de sécurité pour travailler, c'est sûr.
46:02 Ah, vous avez vérifié ça.
46:04 C'est-à-dire, à un moment donné, vous avez fait un contrôle d'une opinée.
46:06 C'est de sortir du site, vous les faites descendre dans la cabine
46:08 et vous avez l'idée qu'il était bien en chaussure de sécurité.
46:10 Et j'imagine, de toute façon j'espère, vous allez me montrer
46:13 qu'à chaque fois qu'il était hors des clous,
46:15 bah il y a un rapport écrit, un blâme, un plus sur salaire, un avertissement.
46:17 Quelque chose que vous avez fait concrètement
46:20 en tant qu'employeur pour la sécurité de vos employés.
46:23 Et qu'est-ce qu'il va dire le con de chef ?
46:24 Bah non, c'était un bon gars, c'était.
46:26 Il est mort.
46:27 Toujours propre sur lui, à l'heure, souriant.
46:29 30 ans qu'on baissait avec lui, 30 ans.
46:31 30 ans qu'il faisait de la merde en fait,
46:33 mais là parmi vos chauffeurs, il y en a certainement qui font de la merde.
46:35 Ça peut passer jusqu'à la retraite, hein, ou pas.
46:37 Et là, c'est pas passé.
46:38 Il a fait un envers à sa femme, à son gosse et à son employeur.
46:42 Mais attention, quand je parle d'employeur, c'est au sens large.
46:44 Si un jour, il y a un mort dans un de vos sites là,
46:47 bah ça va redescendre sur les directeurs d'exploitation,
46:49 les directeurs régionaux, les QSE, les chefs d'exploitation.
46:53 Tout le monde va ramasser, tout le monde.
46:54 Bon, moins que le mec, il est mort, mais tout le monde ramasse.
46:57 Sauf l'autre jour, il y a un gars qui vient nous voir et qui nous dit,
46:59 "Ah non, moi j'ai trop de la chance."
47:01 Ah, trop de la chance avec nous, t'as intérêt à être bon quoi.
47:04 Pourquoi t'as trop de la chance toi ?
47:05 Peut-être que ça va vous rappeler des souvenirs à certains d'entre vous.
47:09 Bah moi, je m'entends trop bien avec mon chef.
47:11 Ah, c'est mon meilleur pote quasiment.
47:13 Parce que quand il y a un accident de cette dimension,
47:15 un mort, et chez vous, il y en a un petit peu trop des morts,
47:17 ou des accidents aussi graves que David,
47:20 il n'y a plus de copains, je vous garantis
47:22 qu'il n'y a plus de copains.
47:23 J'ai encore jamais vu en 10 ans,
47:25 un exploitant comme vous êtes vous,
47:27 un responsable, aller voir un manard, un chauffeur,
47:30 "Toi t'as fait de la merde."
47:31 Mais tu sais quoi, en tant que responsable,
47:33 je vais te couvrir, je vais aller faire des 3 ans de taule pour toi,
47:36 puis tu te couvreras bien de ma femme et mes gosses, surtout de ma femme.
47:38 Ça, ça ne marche pas ça.
47:40 Ce n'est pas ça la vraie vie.
47:42 Ça, ce n'est pas la vraie vie les gars.
47:43 Parce que c'est vrai que,
47:45 moi ça me fait mal au cul à chaque fois que j'évoque cette partie-là,
47:47 parce que ça me fait penser à tout ce qu'a vécu David,
47:49 ce que j'ai vécu, les effets collatéraux en tant que meilleur pote.
47:51 Chaque fois qu'on termine un procès, 7 procès,
47:54 la première chose que fait David quand il sort de la salle,
47:57 l'audience, il vient me chialer dans les bras.
48:00 Il n'a toujours pas compris David, il est con, il est con je vous l'ai dit.
48:02 Il me dit "Je suis derrière un caiman de poubelle,
48:03 je n'ai rien à me reprocher, on m'arrache la jambe.
48:06 Et il faut que je me batte pour avoir un meilleur fauteuil,
48:08 une meilleure prothèse, une meilleure compensation financière."
48:10 Steph, je n'en peux plus.
48:11 Mais je comprends parfaitement qu'il n'en puisse plus.
48:13 Mais ce n'est même pas ça le pire.
48:14 Le pire, c'est le regard des juges, des avocats, des experts.
48:17 Ils le matent comme une merde.
48:19 Mais c'est une merde, c'est un éboueur, putain, c'est des chauffeurs,
48:21 c'est des manards comme moi.
48:23 Plus t'es bas dans l'échelle sociale, plus t'en prends plein la gueule.
48:26 Même le juge, il osait dire à mon pote en juin dernier,
48:29 avant de rendre son verdict, "Je ne comprends pas monsieur Danmasso,
48:32 on vous a donné 150 000 euros il y a 22 ans en arrière
48:35 et vous réclamez encore de l'argent."
48:37 Bien sûr qu'il réclame.
48:38 Il va l'avoir son putain de 1 400 000 euros.
48:40 Il a eu une belle avance cet été.
48:42 Mais ça fait 22 ans qu'on se bat comme des chiffonniers.
48:45 22 ans.
48:46 Mais quand même, je suis conscient d'une chose,
48:48 c'est que tout ce que je vous raconte depuis tout à l'heure,
48:50 en gueulant, en essayant de vous faire marrer, en essayant de vous faire pleurer,
48:53 ça reste des mots.
48:55 Sauf que moi, la réalité, j'la côtoie depuis 22 ans.
48:57 Elle va être devant vous maintenant
48:59 et c'est celle-là qui est la plus terrible, la réalité.
49:01 - C'est clair.
49:01 Là, vous avez une photo de moi avec la prothèse,
49:03 mais moi, ce que j'aime, c'est vous faire voir ce que c'est que la vie avec une prothèse.
49:05 Donc excusez-moi, j'espère que le petit déj'était bon ce matin.
49:08 Mais le 9 octobre 2000, les amis, j'étais comme vous.
49:10 J'avais mes deux bras, Dieu merci, je les ai toujours.
49:13 Mais c'est surtout que j'avais mes deux jambes
49:15 et que je ne pensais pas qu'une heure quinze après la prise de mon service,
49:19 j'aurais ces 4 kilos-là à vie.
49:21 Et finalement, tu peux me donner tout l'argent du monde,
49:23 ça ne compensera jamais rien.
49:25 Vous savez, moi aujourd'hui, quand je rêve,
49:26 je ne sais même plus comment je courrais.
49:28 Et pourtant, à 15 ans, j'étais sport français de tennis valide.
49:31 Donc je pense que je devais courir un peu quand même.
49:33 Mais le problème, il n'est pas là.
49:34 Le problème, il est qu'à cause de ça, j'ai perdu mon père.
49:37 Alors, il y a quelques mois, je disais, il n'est pas mort.
49:40 Il a la DFT.
49:41 C'est quoi la DFT ?
49:41 C'est la Déhérence Frontotemporale.
49:44 C'est malheureusement les cellules du front et des temples qui ont été touchées.
49:46 Alors, c'est un dérivé d'Alzheimer,
49:48 sauf que lui, il n'avait même plus de langage.
49:50 Il ne nous reconnaissait même plus.
49:52 Il était complètement halité.
49:53 On lui donnait même à manger à la petite cuillère.
49:55 Et ça a été prouvé que c'était dû à un choc psychologique.
49:58 Et ça a été prouvé que c'était dû à cause de ça.
50:01 Donc ma mère, elle était indemnisée pour ça.
50:03 Mais vous faites le calcul de 2500 euros
50:05 qu'elle a donné par mois pendant quatre ans et demi aux maisons de retraite.
50:08 Il y a longtemps que l'indemnisation, elle a fondu.
50:10 Mais ce qui m'emmerde le plus, c'est qu'à l'époque, avec mes deux sœurs,
50:14 ma maman et moi-même, on disait même, je préférais qu'il ne soit plus là.
50:16 Parce que tu sais, voir son père comme un légume, ça me rendait dingue.
50:20 Sauf que concrètement, je l'ai perdu le 28 mai de l'année 2021.
50:24 Et en fait, je ne savais même pas ce que je disais,
50:25 parce qu'aujourd'hui, je ne peux plus le voir.
50:27 Je ne peux plus le toucher.
50:28 Je ne peux plus le sentir.
50:30 Et même le jour où il est parti, on était à Marseille avec Stéphane.
50:33 Et ma maman m'a appelé à 10h05 du matin.
50:35 Et je n'ai même pas pu lui dire une dernière fois "je t'aime".
50:38 Tout simplement parce que le 9 octobre 2000,
50:41 t'es un con qui a joué avec sa voiture.
50:43 À cause de ça là aussi, je perds mon ex-femme, la sœur de Stéphane,
50:46 qui me dit "je te promets, David, je t'aime, je t'aimerai toute ma vie".
50:49 Mais là, sincèrement, ça fait 11 ans qu'on est ensemble.
50:51 Et aujourd'hui, je supporte tout mon handicap,
50:53 donc malheureusement, on va se séparer.
50:55 Ça fait partie d'une tentative de suicide.
50:57 Mon collègue, mon pote qui était derrière avec moi,
51:00 qui m'a tenu la main jusqu'à l'arrivée du Samu.
51:03 Alors déjà, lui, quand il voyait une goutte de sang, il tombait dans les pommes.
51:05 Là, il y avait une mare de sang, il a tenu, comme quoi le cerveau humain est bien fait.
51:08 Et après, quand ça allait mieux, il m'appelait, il me dit "mais putain, Dav".
51:11 C'est moi qui aurais dû être à gauche, parce que c'est vrai que c'était souvent lui qui était à gauche.
51:14 Mais les gars, derrière un caimot de poubelle, t'as pas de place à titrer.
51:16 C'est comme ça, c'est la vie, c'est tombé sur moi.
51:18 J'ai été champion du monde et autres.
51:20 Il a tellement pas supporté que sa femme m'a appelé il y a quasiment 4 ans,
51:24 en disant "Jean-Pierre vient de se pendre dans le garage",
51:27 en laissant derrière lui ses deux enfants, sa femme,
51:29 et à côté les mille lettres qui disaient que depuis le 9 octobre 2000,
51:32 il avait pas supporté que ce soit pas lui qui soit à ma place.
51:35 C'est-à-dire qu'à cause de ça, là, ces 4 kilos,
51:38 aujourd'hui concrètement, j'ai perdu mon père,
51:40 j'ai perdu mon ex-femme,
51:42 j'ai perdu mon ex-collègue.
51:43 Ben ça fait un peu beaucoup.
51:45 Et c'est là où je veux en venir, parce que les dommages collatéraux
51:48 sur un accident si grave, c'est pas vous et votre petite personne, là.
51:51 Ça va être vous, votre mari, votre femme, vos enfants, vos collègues.
51:57 Et il va falloir penser un peu différemment.
51:59 Il y a des gens, je pense, effectivement, comme dit Steph, qui comprennent pas.
52:03 Et quand vous avez des taux de fréquence à 35,
52:06 sincèrement, dans un métier comme ça, c'est énorme.
52:09 Mais là, je vous dis, il faut vous mettre à vous un coup de pied dans le cul.
52:14 Parce que le jour où il y aura un mort,
52:15 où il y aura un accident grave, il faudra arrêter de chialer.
52:19 On dirait "Ah si, j'y avais su".
52:20 Moi, on a été à Moffray l'année dernière, en Alsace,
52:23 là, chez David Lentz, très beau site.
52:26 Moi, j'ai vu le camion, j'avais jamais vu de si gros camions,
52:29 je voulais monter, le mec, il ouvre.
52:31 "Ah putain, je vois des chaussons".
52:32 Le mec, il conduit en chaussons.
52:34 Il a le droit ou il n'a pas le droit ?
52:35 Je ne pense pas qu'il ait le droit.
52:36 Après, il a les chaussures de sécurité.
52:38 Bon, comme il marche dessus, on dirait des Crocs,
52:41 tu vois, le truc, pas lacé, tout ça.
52:44 Mais tout ça, les amis, tous, vous le savez.
52:47 Et quand il y a de la merde, c'est sur vous que ça retombe.
52:50 Parce que vous savez, un expert, c'est un mec qui est payé par une assurance.
52:54 Et vous savez tous comment ça se passe, une assurance.
52:57 Ah, s'ils peuvent essayer de gratter, ils vont y gratter.
52:59 Et les premiers visés, c'est vous.
53:01 Donc maintenant, il va falloir vous mettre des coups de pied dans le cul.
53:03 Et à partir de lundi, il va falloir être un peu plus sévère.
53:07 Parce que le taux des 35, on peut le descendre beaucoup plus.
53:11 Mais par contre, si vous ne le descendez pas, comme l'a très bien dit Steph,
53:14 il y aura un mort.
53:15 Et là où il y aura le mort, je ne voudrais pas être le chef,
53:17 parce que sincèrement, vous allez aller au niaouf.
53:20 Et là, il va falloir être conscient.
53:21 Après, je peux comprendre, les mecs qui vont dire
53:23 "Ah, depuis que tu es revenu du séminaire, tu es devenu con."
53:25 Non, c'est peut-être que tu ne savais pas,
53:27 et je peux concevoir que tu ne savais pas.
53:29 Parce que quand vous êtes rentré dans cette salle, il y a une heure,
53:31 vous ne saviez pas ce qui se passait derrière un accident.
53:33 Quand vous allez sortir dans 10 minutes, vous saurez tous.
53:36 Donc s'il y en a encore qui ne veulent pas respecter ça,
53:38 vous allez voir votre chef, il vous fait un chèque et vous dégagez.
53:41 Et idem pour les chauffeurs, s'ils ne veulent pas respecter,
53:44 vous leur faites le chèque et ils dégagent.
53:46 Mais on ne peut pas accepter ça, putain.
53:48 Vous avez eu un accident grave il n'y a pas longtemps,
53:50 deux camions Mofret qui sont rentrés dedans.
53:52 La chef, elle était là la semaine dernière,
53:54 elle m'a expliqué plus ou moins les choses.
53:56 Putain, entre la drogue, l'alcool et le portable,
54:00 il y a une route où tu n'as pas le droit d'être à plus de 35 tonnes ou 19 tonnes.
54:05 Et vous le savez tous, ça.
54:07 Et vous tolérez, comme l'a très bien dit Steph,
54:09 le jeune ou l'ancien, parce qu'il n'y a pas que des jeunes qui fument.
54:12 On tolère, ils fument deux chichons.
54:14 C'est vrai que c'est dur à recruter.
54:16 Les mecs qui boivent, voilà, voilà.
54:17 Je suis d'accord, hier on a fait une très belle soirée,
54:20 on était comme vous, il n'y a pas de problème,
54:21 on a le droit de profiter des moments comme ça.
54:24 Mais à un moment donné, tout ce qui était avant, on oublie.
54:27 "Allez c'est bon, on a bu avec votre chef ce matin,
54:28 toutes les merdes qu'il y avait avant, c'est fini, c'est oublié."
54:31 Maintenant, c'est tout ce qui va se passer dès lundi.
54:34 Il va falloir être meilleur, parce que là on ne va pas accepter.
54:37 Je vous le dis tout de suite, on ne va pas accepter.
54:39 Parce que là, moi je ne veux plus voir ça.
54:40 Il y a des morts, il y a des gens qui se sont défenés, strigés,
54:43 des familles qui se sont décomposées, notamment la mienne.
54:46 Et quand vous avez vécu ça sincèrement,
54:48 la vie ce n'est pas la même, je vous le dis tout de suite.
54:50 Vous savez, moi un accident, je l'ai vécu.
54:52 "Ah ça a duré une demi-seconde."
54:53 Pendant une demi-seconde, tu ne peux rien faire,
54:54 Inch'Allah, tu t'en sers au pas.
54:57 Le problème, c'est qu'après tu ne pourras plus rien changer.
54:59 C'est les juges, c'est les médecins, c'est les avocats,
55:03 c'est toutes ces personnes à la con qui vont dire "tu vaux tant,
55:05 tu vaux tant, tu vaux tant", c'est comme ça, on ne peut pas faire autrement.
55:09 Mais l'avantage, c'est qu'avant tu peux tout changer.
55:13 Et au jour où on se parle, c'est-à-dire maintenant les amis,
55:15 toutes et tous ici présents, vous êtes dans le avant.
55:18 Alors s'il n'y en a qu'on des comportements,
55:20 et que je parle de drogue, que je parle d'alcool,
55:23 que je parle "je n'ai pas envie de mettre mes OPI ou ma ceinture
55:25 parce que les mecs ne la mettent jamais",
55:27 changez ces putains d'habitudes.
55:29 Parce qu'on ne vous fera pas de cadeaux.
55:31 Parce qu'après c'est trop tard.
55:32 Parce que, c'est vrai Steph, il vous l'a dit,
55:34 je vais prendre 1 400 000, je vous souhaite à toutes et à tous d'être millionnaire.
55:38 Mais pas d'être millionnaire avec 4 kilos, ça ne sert à rien ça.
55:41 Si je suis devant vous aujourd'hui en fauteuil,
55:44 ce n'est pas pour faire plus handicapé, ça fait malin,
55:46 tiens je suis handicapé, non.
55:48 Vous m'avez vu même debout hier.
55:49 C'est parce que 70% du temps je suis en fauteuil parce que j'ai trop mal au dos.
55:53 Et je viens de fêter mes 50 ans.
55:55 Il l'a dit Steph, il y a 22 ans j'étais tout le temps debout.
55:58 Et ça, ça me rend dingue.
56:00 Et je n'ose même pas imaginer que peut-être dans 10 ans,
56:02 je serais 100% du temps en fauteuil.
56:04 Alors oui, donne-moi 1 400 000.
56:06 Mais ça ne compensera jamais rien.
56:08 Moi, vous avez une chance que je n'ai pas,
56:10 c'est que moi je ne peux pas revenir en arrière.
56:12 Vous, sur toutes les merdes qui ont été faites,
56:13 vous pouvez revenir en arrière parce qu'on remet à zéro.
56:16 Mais par contre, il ne faudra pas pleurer après.
56:18 Après, dès lundi, on change la façon de travailler.
56:21 Parce que le taux de fréquence, il faut qu'il descende.
56:24 Parce que vous savez, plus ça monte, plus il y a un accident mortel.
56:27 Et là, sincèrement, je ne voudrais pas être à votre place.
56:29 (Générique)
56:32 ---

Recommandations