• il y a 2 ans
Des centaines de milliers de personnes sont attendues dans les rues de Paris, samedi 24 juin 2023, dans le cadre de la Marche des fiertés. A cette occasion, Marie-Jo Bonnet, une militante du MLF qui avait participé en 1977 à la première marche en France contre la répression de l'homosexualité, partage avec nous son regard sur l'évolution des prides.

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Transcription
00:00 Il y a 46 ans, j'ai participé à la première marche contre la répression de l'homosexualité.
00:05 C'était en 1977.
00:07 Je m'appelle Marie-Jean Bonnet, je suis une militante du MLF, des Gouines Rouges,
00:16 et également une historienne.
00:18 La vie des lesbiennes et des gays, d'ailleurs, était vraiment sans aucune commune mesure
00:24 avec aujourd'hui.
00:26 D'abord, c'était le silence, et on n'avait pas le droit d'en parler, sous peine d'être
00:32 stigmatisés dans la famille, par exemple, dans l'environnement, au lycée, à l'université,
00:40 etc.
00:41 Donc, pour moi, quand j'ai rencontré le MLF, ça a été une libération extraordinaire
00:46 parce que c'est là que j'ai pu enfin le dire.
00:49 En 1977, le mouvement en démancipation avait gagné du terrain.
00:54 Et en Californie, Harvey Milk avait été élu député.
00:59 Il avait donc imposé des lois qui avaient été votées en Californie pour faciliter
01:07 aux homosexuels d'être professeurs, etc.
01:10 Et vous avez Anita Bryan, qui était une vedette de la télévision, qui est rentrée en campagne
01:20 contre Harvey Milk et contre les acquis des homosexuels.
01:25 Parce que pour elle, un gay, c'était un pédophile.
01:29 Il y a longtemps, il y a eu cette adéquation entre homosexuel et pédophilie.
01:35 Naturellement, on s'est dit, on ne va pas laisser faire, on ne va pas ne rien dire,
01:41 parce que nous, femmes, on est les premières concernées.
01:44 Parce que ce courant conservateur, quel est son but en s'attaquant aux homosexuels ?
01:52 C'est aussi de s'attaquer aux femmes, les femmes sans hommes, sans protecteurs, sans
01:57 famille, etc., qui voulaient nous enfermer à nouveau à la maison.
02:01 Donc, on a décidé de faire une manifestation contre la répression de l'homosexualité
02:07 aux États-Unis.
02:08 On n'était pas nombreuses.
02:10 On était à peu près 300, vous voyez, et on a une immense majorité des femmes.
02:18 On refusait, nous, de se définir comme homosexuel ou hétérosexuel.
02:23 C'est-à-dire, il y avait une conscience, une conscience féministe qui prenait position
02:28 contre la répression.
02:30 Donc, ce qui est vraiment absolument paradoxal, c'est que cette première manifestation
02:35 contre la répression de l'homosexualité, qui est dite comme la première gay pride
02:40 en France, eh bien, la majorité des gays ne voulaient pas venir parce que c'était
02:45 les femmes, les féministes, qui étaient à l'initiative de cette marche.
02:51 On avait fait des petites pancartes.
02:52 C'était toujours avec les moyens du bord.
02:55 Il ne faut pas oublier, on est en 77.
02:57 On n'avait pas d'argent, on n'avait pas de subvention, il n'y avait rien.
03:01 Donc, chacune, par exemple, on prenait un drap, un beau drap blanc, et puis on écrivait
03:08 contre la répression de l'homosexualité.
03:10 Ils sont malades, vous voyez.
03:12 Je ne suis pas normale.
03:15 Il y avait aussi le slogan "vos enfants ne risquent rien, ce n'est pas une maladie".
03:19 Tout s'est bien passé, d'ailleurs.
03:21 C'était très joyeux.
03:22 Il y avait "Ah bah l'ordre bourgeois", ça c'est un chant que j'avais composé.
03:27 "Ah bah l'ordre bourgeois et l'ordre patriarcal, ah bah l'ordre hétéro et l'ordre capitalo".
03:35 "Nous qui sommes sans passé les femmes, nous qui n'avons pas d'histoire, depuis la
03:47 nuit des temps, les femmes, nous sommes le continent noir".
03:53 Donc, quatre ans après, la deuxième marche n'avait plus rien à voir avec celle que
03:58 nous avions initiée.
03:59 1981, c'est là que les gays ont pris la direction des événements.
04:05 C'est-à-dire que ce n'était plus des slogans féministes.
04:07 Il y avait par-ci par-là, il y avait les deux cercles, vous savez, féministes, mais
04:14 il n'y avait plus vraiment "Ah bah la virilité fasciste", par exemple.
04:17 Une représentation de la virilité qui est écrasante pour les femmes et pour les gays
04:25 aussi bien entendu parce qu'ils sont traités de femmelettes.
04:28 Vous dites que le mouvement a été plus moderne, je ne suis pas certaine que ce soit plus moderne.
04:34 Après, à partir de 2004, alors ils ont poussé vers le mariage.
04:38 Alors là, pour moi, ça a été quand même assez problématique parce que le féminisme,
04:46 on avait critiqué le mariage, le couple, la famille, la maternité obligatoire, comme
04:54 tous les fondements du patriarcat.
04:57 Et vous aviez nos anciens alliés qui réintroduisaient le mariage comme si c'était une nouveauté
05:06 extraordinaire et quelque chose qui allait libérer.
05:09 Mais justement, on avait le Pax, c'était très bien le Pax.
05:14 Et donc, c'était un autre mode de vie, si vous voulez.
05:18 Il fallait bien authentifier les modes de vie homosexuels.
05:22 Moi, je pensais que le mariage, il allait tomber en désuétude et qu'on allait avoir
05:28 d'autres manières de s'associer.
05:29 – Mais imaginons, vous allez marcher demain ou bien l'année prochaine, dans le cadre
05:35 de cette Pride, qu'est-ce que vous écririez sur votre panneau ?
05:39 – Je suis une femme et j'aime les femmes.

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