« Paroles d’Ecrivains », les nouveaux épisodes. Katherine Pancol : « La vie est complice de l’inspiration… ». Episode 5

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Transcript
00:00 ♪ ♪ ♪
00:14 C'est le bureau de mon agent, Anna Jarota,
00:16 et qui représente tous les grands auteurs américains
00:20 que j'ai à mon cirque.
00:21 Elle a Tennessee Williams, Salinger, Faulkner,
00:24 et puis elle a les actuels, Stephen King.
00:28 Et moi, j'étais très, très marquée par la littérature américaine,
00:31 plus que par la littérature allemande.
00:34 Tout ce qui est anglo-saxon me parle davantage.
00:36 Avec le succès des "Crocodiles", je me suis retrouvée confrontée.
00:40 Comment est-ce qu'on...
00:41 Même si l'éditeur faisait les contrats,
00:43 mais comment je peux savoir si l'éditeur étranger
00:47 est bien, pas bien?
00:48 Et donc, je me suis dit qu'il faudrait que j'ai un agent
00:50 spécialisé dans les droits étrangers.
00:52 Et il se trouve que j'ai rencontré comptement par hasard
00:55 Anna Jarota, mais il n'y a pas de hasard.
00:57 Elle m'a posé la question,
00:59 "Comment vous faites pour vos droits étrangers?"
01:00 J'ai dit, "Bah, je fais pas, moi."
01:02 Elle m'a dit, "C'est dommage, parce que vous savez,
01:03 c'est important de construire une image à l'étranger,
01:06 si j'ai un bon éditeur."
01:07 Et là, je lui ai dit, "Bah, vous voulez être mon agent."
01:09 Et j'avais jamais eu d'agent avant.
01:11 On est sans au Maroc, qui est aussi un pays très physique.
01:14 C'est-à-dire, le Maroc, c'est quand même les odeurs,
01:16 les couleurs, les bruits des petits marchands dans les rues,
01:20 les... le toucher des ethofs.
01:23 Je pense que c'est ça qui a vraiment ancré
01:26 ma sensualité des mots.
01:29 Et la curiosité, j'avais parlé à tout le monde.
01:32 Quand je descendais, j'avais...
01:33 Les parents m'avaient acheté une toute petite chaise en rhôta,
01:36 vous savez, et j'allais m'installer
01:37 chez le marchand de bonbons, le marchand de barrettes,
01:41 le marchand de beignets, et je leur parlais.
01:44 Je leur demandais comment ils vivaient,
01:46 est-ce qu'ils gagnaient bien leur vie?
01:49 Donc, je pense que j'étais déjà une petite fille très, très curieuse.
01:51 Et j'avais une mère qui était institutrice.
01:54 Donc, elle m'a appris très tôt,
01:55 parce qu'à 5 ans et demi, je lisais.
01:57 Et je lisais des livres.
01:58 Donc, j'ai eu les clés de mondes que j'ignorais.
02:04 Parce que les livres, c'est ça, vous ouvrez un livre,
02:05 vous rentrez dans un monde.
02:07 Vous savez, j'étais abonnée à une bibliothèque municipale.
02:09 Et je lisais tous les A, je lisais tous les B.
02:13 Et alors, BALZAC, ça m'a pris un temps infini.
02:15 Tous les C, tous les D, comme ça.
02:17 Et donc, je devais me remplir la tête de styles différents.
02:21 Mais je pense que c'est comme ça
02:23 que j'ai appris la structure du récit.
02:25 Je pense que je suis comme ça.
02:26 J'adore parler aux gens, je parle tout le temps aux gens.
02:29 Et je leur pique des trucs, en fait.
02:30 Ils ne le savent pas.
02:31 Je pique des tout petits détails.
02:33 Les restaurants, moi, quand je vais au restaurant,
02:34 c'est très rare que je parle à la personne avec qui je suis,
02:37 parce que j'écoute toujours les conversations
02:39 où je me dis, ah, je pique des phrases.
02:41 On m'avait appris à accrocher le lecteur
02:44 dès la première ligne
02:46 et à faire qu'il ne lâche pas jusqu'à la dernière ligne.
02:48 Et ça, c'est difficile.
02:50 Donc, à ne pas faire de remplissage,
02:51 à ne pas mettre d'idées générales,
02:53 à mettre des détails.
02:54 C'est le détail qui fait tout.
02:55 Vous pouvez décrire un personnage avec trois détails.
02:58 Vous piquez une manie du personnage
03:00 et vous savez quel est son caractère.
03:02 Vous n'avez pas besoin de dire qu'il est radin.
03:05 Vous montrez qu'à chaque fois qu'il faut payer un café,
03:08 il ne paye pas, quoi.
03:09 Vous illustrez, vous ne dites pas "il neige",
03:12 vous montrez les traces de pneus dans la neige.
03:14 Après, c'est là où les rencontres sont arrivées dans ma vie.
03:16 C'est-à-dire que je rencontre Romain Garry
03:18 parce que j'ai un chien très très laid
03:19 qui est très très beau.
03:21 Je le vois de dos et je me dis, mais c'est qui ce mec
03:23 qui est en train de dire à mon chien qu'il est magnifique.
03:24 Il se retourne sur Romain Garry.
03:26 J'avais lu tous ses livres, forcément.
03:28 J'ai.
03:29 J'ai.
03:30 Et on devient potes.
03:32 Moi, je travaille surtout les personnages.
03:34 Je commence avec les personnages.
03:36 J'ai une vague idée de l'histoire,
03:37 j'ai une vague idée du décor.
03:39 Par exemple, dans "La mariée portée des bottes jaunes",
03:42 c'est à force d'aller à Bordeaux
03:43 et de voir tous ces vignobles
03:44 et de voir l'attention que portent les propriétaires
03:48 aux raisins, qui est vraiment le personnage principal,
03:51 même si ce n'est jamais dit,
03:52 mais on sent que leur fortune vient du raisin,
03:55 leur bonne santé mentale vient du résultat des vendanges,
03:58 leur attention est remplie
04:00 de qu'est-ce qui se passe à la vigne en ce moment.
04:02 J'ai été hébergée pendant trois fois,
04:05 quatre fois une semaine, dix jours, dans un château.
04:08 Donc, j'ai vu comment les familles vivaient.
04:10 J'ai compris les problèmes entre les gens.
04:14 Donc, ça, ça vient assez vite.
04:17 Et donc, tout ça, ça se développe en écrivant.
04:21 On fait connaissance des personnages à fond.
04:23 C'est qu'à la fin du livre, je sais exactement qui ils sont vraiment.
04:26 Au début, j'ai une intuition.
04:28 Quand je prends des notes, j'écris à la main.
04:31 J'ai des cahiers, j'ai un cahier par personnage.
04:34 Et puis, j'ai un grand mur devant moi
04:36 où je fais des fiches par personnage,
04:37 parce qu'après, une fois que vous avez tous vos personnages,
04:40 il faut qu'ils grandissent harmonieusement.
04:42 Il y a une sorte de chronologie.
04:44 Bon, lui, il est allé à l'école, il a eu son bac.
04:46 Elle, lui va épouser elle, ou je ne sais pas quoi.
04:49 Ou lui va détester il.
04:51 Donc, il faut faire grandir les personnages.
04:52 Alors, pourquoi ils vont se rencontrer à ce moment-là ?
04:55 À quoi ça sert dans le récit qu'ils se rencontrent à ce moment-là ?
04:58 Est-ce que je peux faire qu'ils se rencontrent plus tard ?
04:59 Est-ce qu'ils peuvent s'ignorer ?
05:00 Mais pareil pour les crocodiles, tortues et cureuses,
05:03 je suis rentrée dans le monde du XIIe siècle quand même,
05:06 qui a été un gros morceau.
05:08 Après, j'ai fait la mode selon les personnages.
05:11 Chaque personnage avait une passion.
05:14 Après, j'ai fait la ferraille.
05:16 J'ai passé du temps chez des ferrailleurs,
05:19 et à chaque fois, piqué des détails.
05:21 Moi, je pense que quand on écrit,
05:22 il faut avoir une discipline de faire, vraiment.
05:26 C'est-à-dire que les gens qui me disent qu'ils écrivent
05:28 quand ils ont de l'inspiration, je sais qu'ils ne vont jamais écrire.
05:31 Parce que l'inspiration, c'est comme un muscle, en fait.
05:34 Moi, j'écris tous les jours de 2h,
05:36 2h30 de l'après-midi jusqu'à 7h, 7h30.
05:39 J'ai 5h obligatoires où je suis seule face à ma machine
05:43 ou mon ordinateur.
05:44 Et je pense que même si rien ne vient, je ne lâche pas.
05:47 C'est une lutte entre moi et mon cerveau.
05:49 C'est-à-dire que je lui dis,
05:51 "Tu vas finir par me lâcher une phrase."
05:54 Et il me lâche toujours une phrase.
05:57 Il y a toujours un moment où je ne suis pas dormie 1h30, 2h.
05:59 Donc je suis là, en face de l'ordinateur.
06:00 Alors je mets de la musique, je mets beaucoup de musique classique,
06:03 du jazz, pas du jazz tonitruant, du jazz cool.
06:07 Et à un moment, paf, mon cerveau se rend et dit, "OK."
06:10 Et il commence à... Et les mots arrivent.
06:12 ♪ ♪ ♪
06:20 Je pense que les gens qui n'ont pas lu
06:22 n'ont rien à faire dans l'écriture
06:24 parce qu'ils ont trop de retard.
06:26 Le plus dur aussi, quand on écrit, c'est avoir le vocabulaire.
06:28 Trouver le mot juste.
06:30 Je me rappelle avec Anna, une fois, on a passé...
06:32 Je l'ai appelée à minuit, à 4h du matin,
06:34 on allait trouver le mot juste.
06:35 Le mot qu'il fallait vraiment mettre là.
06:37 Il faut une discipline terrible.
06:39 Il faut... Je crois qu'il faut écrire sans se poser de questions,
06:42 sans se dire...
06:44 Par exemple, est-ce que ça va marcher ? On s'en fiche, quoi.
06:46 Parce que ça, c'est quand même le hasard.
06:48 Un livre qui marche, c'est un livre qui rencontre
06:50 à un instant T l'imaginaire de plein de gens.
06:54 Mais ça, vous ne le savez pas quand vous écrivez.
06:55 ♪ ♪ ♪
06:59 Ma phrase favorite,
07:00 qui m'est venu depuis très, très, très, très, très longtemps,
07:03 c'est "La vie, c'est le désir".
07:06 Et c'est Charlie Chaplin qui dit ça dans un de ses films.
07:09 Et qui s'appelle "Les feux de la rampe".
07:11 C'est un film magnifique.
07:12 Il joue le rôle d'un vieux comédien
07:13 qui veut revenir sur scène
07:15 parce qu'il a trop envie de jouer tout le temps.
07:17 Et il dit...
07:19 "Laisse tomber ce désir qui est en moi, je vais mourir."
07:22 Tant qu'on a envie de lire, d'écrire, de peindre,
07:25 d'aimer, de dessiner...
07:29 On est vivant.
07:30 C'est quand on arrête d'avoir envie que...
07:33 Quand on n'a plus de désir, qu'on est mort,
07:34 même si on continue à marcher dans la rue,
07:36 habillé tout en gris, en faisant la tronche.
07:39 ♪ ♪ ♪
07:42 La petite fille est assise
07:43 sur la banquette arrière de la vieille Mercedes.
07:47 Elle porte une robe en coton rose pâle,
07:50 ornée d'un galon rose foncé sur le col et les poches.
07:54 Des boutons de nacre rouge
07:56 dessinent une fleur sur chaque poche.
07:59 Une tulipe, peut-être.
08:00 Sa mère, ce matin, lui a dit...
08:03 "Mets ta belle robe, on part voir Ambroise à Berléac."
08:07 Et elle a fait le signe du secret.
08:09 Les deux index en x sur la bouche.
08:13 India n'aime pas porter de robe.
08:15 Ça fait gnangnan.
08:16 Et les fleurs sur les poches sont moches.
08:21 Il est au volant.
08:22 Il a les cheveux coupés en brosses,
08:23 bien rasés sur les côtés comme les militaires.
08:26 Il travaille dans les services secrets,
08:28 mais il ne faut pas le dire.
08:30 Lorsqu'il remue la tête,
08:31 deux plis horizontaux gonflent sur sa nuque.
08:34 Deux bourrelets qui forment une bouche de crapaud.
08:38 La bouche s'ouvre, se ferme,
08:40 au gré des mouvements du cou de l'homme.
08:43 Un col de chemise blanc amidonné,
08:45 des épaules qui roulent dans une veste
08:48 luisante aux entournures,
08:50 le dos au garde-à-vous et le teint rouge brique
08:53 des hommes cuits au grand air.
08:57 Pourquoi Muriel si légère a-t-elle épousé cet homme massif ?
09:01 Parce qu'elle manquait de confiance en elle ?
09:04 Elle dit qu'il est fort, qu'il a des réseaux,
09:07 qu'il pourrait l'aider à...
09:09 Elle ne finit jamais sa phrase.
09:12 India ne l'appelle pas par son prénom.
09:15 Elle dit "il", "lui", le type de maman.
09:20 Maman l'aura présenté un jour en disant...
09:24 Elle ne se rappelle plus ce qu'elle a dit.
09:27 Elle n'a pas aimé.
09:28 Le petit frère non plus.
09:31 C'était il y a presque un an.
09:34 (applaudissements)
09:38 - Cultura, la culture avec un grand "a".
09:42 ♪ ♪ ♪
09:48 ♪ ♪ ♪

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