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Transcription
00:00 Pourquoi associons-nous la bière aux hommes ?
00:02 Dans l'imaginaire collectif, sa consommation est souvent accolée à une image de virilité qui perdure encore aujourd'hui.
00:07 Symbole de la masculinité toxique, pointée du doigt par des féministes.
00:10 Les stéréotypes de genre vont même encore plus loin.
00:12 Elle nous paraîtrait meilleure quand elle est brassée par un homme plutôt que par une femme, selon cette étude.
00:17 Mais la bière a d'abord été une histoire de femmes et de construction sociale.
00:20 Dès l'Antiquité et partout dans le monde, brasser de la bière était considérée comme une tâche domestique, donc gérée par les femmes.
00:27 On fabrique le breuvage fermenté dans le même espace que le pain, pour des cérémonies religieuses et pour le foyer.
00:32 Dans toutes les civilisations, la bière est un symbole mythologique féminin de fécondité et de renaissance de la nature.
00:37 Au Moyen-Âge, on boit de la bière, qu'on appelle alors du pain liquide, une sorte de soupe fermentée.
00:42 C'est une boisson nourrissante qui fait partie de l'alimentation.
00:44 Il faut donc en produire en continu, et comme elle se conserve mal, le surplus est vendu.
00:48 Les personnes allaient dans les maisons des brasseuses, et puis en fait, ils s'installaient progressivement dans les cuisines.
00:54 C'est devenu les maisons à bière et l'ancêtre de nos pubs.
00:58 L'histoire de ces brasseuses est particulièrement documentée en Angleterre au Moyen-Âge, où on les appelle les "ale wives".
01:03 Certaines sont célibataires, veuves, mais en grande majorité, elles exercent en binôme avec leur mari, qui a la main sur le capital économique.
01:10 Petit à petit, les femmes vont être exclues de la production.
01:12 Dès le XIIIe siècle, l'Église leur interdit de brasser de la bière, car cette activité est jugée impure pour les femmes, même si ça ne les empêche pas de continuer.
01:19 Elles sont stigmatisées et accusées de tous les maux de la société.
01:22 En Angleterre, en 1413, la brasserie de Christine Colmer est totalement détruite, parce qu'elle est soupçonnée par son voisinage d'avoir la lèpre.
01:29 Après la peste noire, la bière devient de meilleure qualité grâce à l'introduction du houblon, et est consommée par toute la population.
01:35 Ça devenait rentable, en fait, de faire de la bière.
01:37 Donc, les hommes s'y sont intéressés, puisque jusqu'à présent, ça ne rapportait pas grand-chose et ce n'était pas très bien perçu socialement.
01:43 Brasser de la bière devient alors un métier, accaparé par les maris des brasseuses, qui montent des guildes.
01:47 Les femmes étaient soit partiellement membres, ou même totalement exclues.
01:52 Et ces guildes-là avaient une influence politique qui était assez importante.
01:56 Mais si les femmes ont disparu de la production, elles sont pourtant bien utilisées pour autre chose, vendre le produit.
02:01 Dès la fin du 19e siècle, les publicitaires utilisent les stéréotypes de genre pour que la bière coule à flot dans les foyers.
02:11 Voilà un charmant exemple de 1968, un monsieur assis dans son fauteuil qui aime beaucoup sa femme, surtout quand elle rapporte un pack de 6 à la maison.
02:18 Et cette tendance ne va pas s'arrêter, puisque dans les années 1980, les publicitaires mettent l'accent sur l'hyper-sexualisation des femmes pour attirer les consommateurs.
02:30 Comme dans cette publicité, qui date de 2014, et fait référence à une campagne de publicité des années 1980.
02:36 On a éloigné les femmes de la bière pour une autre raison, son goût.
02:39 Dès la Grèce antique, Hippocrate avait popularisé la théorie des humeurs.
02:42 Nos corps sont associés aux éléments, le feu, l'eau, l'air et la terre, et il est possible de les réguler grâce à des boissons.
02:48 Pour les hommes, on conseille de boire des vins rouges, botaniques, puissants, des bières amères.
02:54 Je t'irai pour une bière.
02:55 Et pour les femmes, des vins blancs coupés à l'eau et des crèmes de lait.
02:58 Ce qui a encore plus éloigné les femmes de la bière, en introduisant l'idée que leur palais aurait une sensibilité différente.
03:04 On n'est pas moins très disposés à aimer l'amertume que les hommes. L'amertume, c'est quelque chose que l'humain n'aime pas.
03:12 Donc l'amertume, pour l'aimer, il faut apprendre à la découvrir, il faut la déguster, il faut aussi s'y habituer.
03:17 Sauf que souvent, une femme qui va boire sa première bière et qui ne va pas aimer, on va lui dire "oui, c'est normal, c'est amère, tiens, prends plutôt cette bière sucrée et fruitée".
03:27 Certaines ont quand même réussi à s'imposer dans ce monde encore très masculin.
03:30 C'est le cas par exemple de Rosa Merckx, la première brasseuse de Belgique qui a rejoint une brasserie en tant que secrétaire dans les années 1940.
03:37 Très rapidement, en fait, elle a mis son nez dans la bière en disant au brasseur "c'est pas très bon ce que tu fais, je vais t'aider à refaire les recettes".
03:44 Elle a tout de suite été très impliquée dans la brasserie, aussi bien qu'au décès du brasseur dans les années 70, en fait, sa famille a voulu qu'elle reprenne la brasserie.
03:52 En dehors de l'Occident, il y a d'autres régions du monde où les femmes sont reconnues dans la production de la bière.
03:57 Au Népal, dans les villages, c'est toujours les femmes qui brassent et c'est de mère en fille que se transmettent les recettes.
04:05 Si on va au Burkina Faso, il y a encore énormément de brasseuses qu'on appelle les dolothières, qui brassent le dolo.
04:11 Donc c'est un type de bière et on constate que les femmes sont toujours très présentes.
04:16 Je vais me mettre à la petite soeur.
04:18 [Musique]
04:27 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]