le célèbre architecte Français ayant beaucoup construit en Algérie dans les années 70
Category
📺
TVTranscript
00:00 Cet homme qui va essayer l'acoustique de cette future salle de cinéma en plein air,
00:06 nous sommes à Zeralda en Algérie, cet homme c'est Fernand Pouillon, vous vous rappelez de CNL.
00:12 Vous m'entendez ? Est-ce que vous m'entendez ?
00:23 C'est Fernand Pouillon, nous l'avons retrouvé à Alger où il vit depuis trois ans dans une
00:29 maison arabe du 18e siècle. C'est lui-même qui nous rappelle cette histoire ancienne en
00:35 publiant ses mémoires sur l'affaire et sur sa vie. Rappelez-vous un jour de l'année 1960,
00:41 on apprit que le chantier du CNL, le comptoir national du logement à Boulogne, le point du
00:46 jour, allait être arrêté. Terrible nouvelle pour ceux des souscripteurs qui attendaient
00:50 leur appartement. Ils crurent qu'ils avaient été volés, en fait leur appartement ils l'attendirent
00:55 trois ans. Le CNL c'était vous Fernand Pouillon pour moitié, vous aviez 50%.
01:03 Vous avez été arrêté, vous vous êtes évadé, vous vous êtes rendu à la justice,
01:12 vous avez été condamné à quatre ans de prison. Trois ans en appel. Ce livre qui vient de paraître
01:20 c'est votre défense, votre honnêteté, votre livre m'en a convaincu. Reste à savoir quels sont
01:30 vos torts selon vous. Mes torts c'est d'avoir créé le CNL, c'est moi qui l'ai créé. Je l'ai créé
01:41 quatre ans auparavant. Je l'ai inventé pour les raisons que j'ai indiquées dans mon livre, parce
01:50 que je voulais en somme substituer à la carence des gens qui faisaient construire un organisme
02:00 différent. Et je considère que j'ai eu des torts parce que j'ai échoué et que quelqu'un qui prend
02:11 les responsabilités des hommes doit les mener à bout. S'il ne les mène pas à bout, il a tort,
02:18 quoi qu'il dise, quoi qu'il fasse. Oui, pourquoi cet échec ? Est-ce qu'on peut clairement... c'est
02:25 très compliqué dans votre livre les raisons de l'échec du CNL. Est-ce qu'on peut en deux mots et
02:31 clairement dire précisément quels sont les torts ? J'ai parlé de la paresse, j'ai parlé de
02:40 certaines incapacités. Incapacités de qui ? Des hommes que j'avais choisis, que j'avais choisis
02:52 non pas délibérément, parce que ce sont les circonstances qui me les ont imposées peu à peu,
02:56 mais que j'avais rencontré. Ce que vous vous reprochez c'est d'avoir mal choisi vos alliés,
03:05 vos associés. Non, ce que je me reproche c'est beaucoup plus grave que ça, c'est d'avoir obéi à
03:11 un système qui est toujours le même, qui est celui de prendre en charge une opération sans
03:17 avoir les moyens. Parce qu'il n'y a pas eu seulement dans cette affaire une opération difficile.
03:26 L'opération difficile c'était une opération qui aurait très bien pu être résolue par banque.
03:30 Récemment des quantités d'affaires se sont effondrées et bien les banques ont pris le
03:36 relais parce que les banques ont pris l'habitude depuis mon affaire de s'intéresser à la construction,
03:41 au grand dam de la construction d'ailleurs, parce que la construction a payé pour ça.
03:46 A cette époque là, il n'en était pas question, à cette époque là nous étions seuls,
03:51 les banques ne s'intéressaient pas encore à l'immobilier.
03:54 Lorsque vous avez découvert que la faillite du CNL était possible,
03:58 que ça pouvait arriver, vous avez tout fait pour empêcher la fermeture du chantier du point du
04:01 jour. Oui, je ne pensais pas à la faillite, pas du tout. Je pensais que l'on pouvait poursuivre
04:10 grâce à moi et d'ailleurs très innocemment j'ai cru que la réalisation de mes biens permettait
04:17 cela. Je suis arrivé un jour devant une assemblée d'entrepreneurs, j'ai dit voilà je mets tout sur
04:22 la table et puis tout ce que je possédais, sans représenter en bras dans tout, sans représenter
04:29 7-800 millions, ça me paraissait possible. Ça n'a pas suffi. Ça n'a pas suffi, ça n'a pas
04:36 suffi non pas en quantité, ça n'a pas suffi en temps, en délai. Si bien que lorsque vous êtes
04:42 entré en prison, vous étiez un homme ruiné. Oui, très largement. Complètement. Complètement,
04:48 oui. C'est toute votre vie professionnelle et parfois intime que vos mémoires racontent.
04:55 Après avoir lu votre livre, j'imagine que vous l'avez lu et relu, est-ce que vous comprenez
05:00 mieux maintenant ce qui vous est arrivé à l'intérieur du CNL? Oui, c'est un déroulement
05:05 normal d'une vie excessive que je reconnais être excessive en tout point. Il me semble que vous
05:14 êtes quelqu'un à qui il arrive presque toujours quelque chose. Il me semble que vous soyez
05:18 poursuivi alternativement par la chance et la malchance. Je vais vous raconter un passage de
05:22 votre livre. Tout de suite après la guerre, le hasard vous met entre les mains un objet bizarre,
05:29 ce que vous appelez une fusée céramique. C'est quoi? C'est une sorte de bouteille. Une bouteille
05:33 de Bordeaux sans fond ni goulot, en terre cuite. Alors on les mettait les unes dans les autres,
05:38 on les assemblait avec du béton et ça faisait des poutres. Et finalement, cet objet bizarre et son
05:48 usage, son emploi vous donne l'idée d'assembler un peu plus tard les briques de telle sorte
05:54 qu'elles s'imbriquent justement les unes dans les autres. Ça c'est la chance. La chance, la recherche?
06:00 Oui, disons la chance. Vous aussi. Et un peu plus tard, vous décrochez un chantier qui vous
06:06 intéresse avec son Provence, grâce au maire. Et dans le même temps, vous construisez pour le maire
06:12 une superbe villa dont le clou, enfin la perle, est une voûte faite de ces briques imbriquées,
06:18 suivant votre procédé. Et puis voilà que la voûte s'effondre. Ça c'est les malheurs de l'existence.
06:25 Non mais il y a la fusée céramique, la découverte des briques qui s'imbriquent, le marché décroché,
06:32 puis pof, clac, la voûte du maire qui s'effondre. Ensuite par exemple, vous allez en Iran. Vous êtes
06:42 le grand architecte de l'Iran. C'est la chance. Sans doute. Enfin je veux dire, c'est le côté chance.
06:48 On l'a tous les jours. Puis vous tombez amoureux d'une princesse iranienne, vous vous divorcez pour
06:56 l'épouser, vous l'épousez, et puis presque le même jour, vous décidez de rompre avec l'Iran
07:00 tout entier, y compris avec elle. Oui. Ma vie se présente, dites-vous, comme une succession de
07:09 mauvais calculs. C'est dans le texte. Oui. Enfin, il y a d'une part un élément, un événement permanent
07:24 qui joue, c'est celui d'une action très forte, très intense, qui, du fait de l'action, tout homme
07:31 qui agit a des déboires. Celui qui n'agit pas en a moins ou en a pas du tout. C'est important, ça.
07:40 Maintenant que j'ai mené une vie d'homme, cette vie d'homme, elle a eu ses traverses, ses ennuis,
07:46 notamment les affaires sentimentales en son, quoi. Les affaires sentimentales, les affaires
07:53 familiales sont des événements de la vie. Maintenant c'est à Alger que vous habitez.
07:59 Alger, vous y êtes arrivé pour la première fois il y a... En 53, le 8 mai 53. Vous vous souvenez de
08:07 votre arrivée? Parfaitement, oui. Vous aviez reçu un télégramme du maire d'Alger, Jacques Chevalier.
08:13 Oui. Qui vous demandait de venir, simplement. Il me demandait de venir, je ne savais pas exactement
08:18 pourquoi c'était. Un midi, j'étais chargé de faire 3000 logements, à 5 heures du soir d'en faire
08:26 8000. C'est une aventure qui arrive rarement dans sa vie, quoi, d'être honoré d'une telle confiance,
08:37 quoi. C'était quel endroit, ça? Yeressaada. Et ensuite vous êtes allé? Ensuite on est venu tout près de
08:44 cette maison, ici, à Deir el-Massoul. Ça veut dire quoi, ça? La cité de la promesse tenue. C'était
08:51 Chevalier qui avait promis des logements aux Algers rois et qui voulait marquer par cette
08:57 appellation qu'il avait tenue sa promesse. Et le troisième endroit, c'était? Troisième endroit,
09:02 c'était Climat de France. Celui-là a gardé son nom et resté Climat de France. Pourquoi 200 colonnes?
09:09 C'est un monument. J'ai voulu que les hommes habitent un espèce de monument. Étant donné que
09:25 c'était de tout petits appartements, que ces appartements étaient faits pour des gens très
09:28 pauvres, j'ai voulu que l'esprit monumental rentre dans leur vie, dans la vie courante de tous les
09:33 jours. Aujourd'hui vous êtes le grand architecte de l'Algérie. Vous y préparez le tourisme. Combien
09:42 de chantiers avez-vous? J'ai compté avec, en comptant par unité chantier, c'est-à-dire un hôtel
09:49 ou un village ou un centre saharien, environ une cinquantaine. Tout à l'heure on est entré dans
09:59 cette salle de cinéma, si on peut appeler ce cinéma une salle, puisque c'est un endroit découvert,
10:06 cinéma de Zeralda. Et j'ai eu envie de vous entendre parler de votre livre et de vous,
10:15 seul comme ça, contre le mur du fond, là où sera l'écran. Parce qu'il me semblait que vous
10:22 aviez écrit ce livre comme si vous étiez sur une scène et comme si vous haranguez la foule. J'ai
10:27 envie de vous demander ce que vous aviez perdu. J'étais en quelque sorte un patriarche. Un
10:34 patriarche c'est un homme riche, puissant et lorsque il perd, il est abandonné par tout le monde.
10:42 C'est peut-être ce qui me laisse quelque chose maintenant. C'est-à-dire que ici,
10:52 ici je donne l'impression peut-être d'être un homme nouveau si vous voulez. Parce que j'ai
10:57 retrouvé en même temps qu'une liberté d'action, en même temps qu'une liberté de penser,
11:02 j'ai retrouvé une affection, une chaleur humaine. Et je suis toujours très sceptique quand je
11:08 rencontre en France quelqu'un, s'il va m'accabler ou s'il va me regarder avec doute,
11:17 s'il va exercer sur moi ses sarcasmes. C'est la crainte que je... Et vous savez quand on est
11:29 prisonnier, on regarde tout le monde dans la rue. Et bien maintenant encore, je suis prisonnier,
11:34 je regarde encore les gens en disant tiens qu'est-ce qu'ils pensent.
11:37 Avoir été en prison, est-ce que c'est quelque chose qui dure ?
11:44 Oui, toute la vie. Je pense que plus jamais je ne serai comme avant. Et puis on en rêve de la
11:56 prison. C'est une chose si impressionnante, du moins pour moi, enfin, que je ne passe pas une
12:04 semaine sans rêver de la prison. Soit que j'y rentre, soit que j'en sors, soit que j'essuie.
12:12 C'est une obsession, c'est une obsession continuelle qui rend la vie difficile désormais.
12:24 Mais écrire et publier ce livre, c'est une façon de s'en débarrasser ?
12:31 Si vous pouvez dire vrai, j'en serais très heureux, mais je ne pense pas. Je pense que
12:40 plus jamais je ne pourrai vivre comme avant. Qu'est-ce que vous espérez que les gens qui
12:48 auront lu ce livre penseront ? Je voudrais non pas avoir leur estime, non pas avoir leur
12:56 approbation tellement, mais je voudrais qu'ils comprennent. Je voudrais qu'ils puissent à
13:04 nouveau avoir, si vous voulez, de la sympathie pour moi. J'ai besoin de sympathie pour vivre.
13:12 -Allo.