Je vous propose de remonter aujourd'hui un peu (beaucoup) plus loin que d'habitude, au 54e millénaire avant notre ère : c'est à cette époque que remonterait la plus ancienne arrivée de notre ancêtre Homo Sapiens en Europe, suivant les récentes découvertes de Ludovic Slimak, l'invité de cet entretien. Paléoanthropologue et chercheur au CNRS, il fouille chaque année dans la grotte Mandrin, et est revenu dans cet entretien fascinant sur ses recherches ainsi que sur une série de questions gravitant autour de Néandertal et de Sapiens, et de leur rencontre.
Découvrez le livre de Ludovic, "Néandertal nu. Comprendre la créature humaine" juste ici : https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/archeologie-paleontologie-prehistoire/neandertal-nu_9782738157232.php
Montage par V pour Valentin : https://www.youtube.com/Salveus
Sommaire :
00:00:00 : Introduction
00:01:23 : Qu'est-ce qu'un paléoanthropologue ?
00:02:28 : Une échelle de temps plus grande
00:05:24 : Néandertal, une différente "Humanité"
00:19:37 : Les connaissances universitaires de Néandertal
00:36:49 : Les découvertes de la grotte Mandrin
00:51:47 : Pourquoi avoir choisi cette grotte ?
00:55:10 : Sapiens vs Néandertal : ordre vs créativité ?
01:11:36 : Les spécificités de la grotte Mandrin
01:19:44 : Comment Néandertal est arrivé dans cette grotte ?
01:29:26 : Des ressemblances génétiques entre Sapiens et Néandertal ?
01:34:53 : Le langage de Néandertal
01:36:56 : La représentation de Néandertal dans les œuvres de fiction
01:40:40 : Des traces de conflits entre Sapiens et Néandertal ?
01:44:06 : Quid de l'archéologie sous-marine ?
01:45:05 : L'utilisation du feu par Néandertal
01:46:31 : A-t-on des pistes de pratiques culturelles particulières ?
01:53:24 : Bibliographie sélective et conclusion
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00:51:47 : Pourquoi avoir choisi cette grotte ?
00:55:10 : Sapiens vs Néandertal : ordre vs créativité ?
01:11:36 : Les spécificités de la grotte Mandrin
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01:29:26 : Des ressemblances génétiques entre Sapiens et Néandertal ?
01:34:53 : Le langage de Néandertal
01:36:56 : La représentation de Néandertal dans les œuvres de fiction
01:40:40 : Des traces de conflits entre Sapiens et Néandertal ?
01:44:06 : Quid de l'archéologie sous-marine ?
01:45:05 : L'utilisation du feu par Néandertal
01:46:31 : A-t-on des pistes de pratiques culturelles particulières ?
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ÉducationTranscription
00:00:00 Mes chers camarades, bien le bonsoir, bien le bonjour, que vous soyez en direct ou en
00:00:03 rediffusion sur les nombreuses plateformes Nota Bene, que ce soit Nota Bene et Nota Bonus
00:00:09 sur Youtube ou encore les podcasts, parce qu'on est absolument partout.
00:00:13 Ce soir, j'ai l'honneur de recevoir Ludovic Slimac qui est paléoanthropologue, docteur
00:00:19 depuis 2004, chercheur au CNRS, il fouille depuis 1998 dans la grotte Mandrin dans la
00:00:25 Drôme.
00:00:26 En parallèle, il a dirigé des missions de la corne de l'Afrique au cercle polaire russe,
00:00:31 c'est vous dire à quel point il a voyagé.
00:00:33 Il a publié récemment Néandertal nu, comprendre la créature humaine aux éditions Odile Jacob,
00:00:38 un livre dans lequel il propose une nouvelle façon d'appréhender notre ancien cousin,
00:00:42 l'homme de Néandertal.
00:00:43 D'ailleurs, vous en avez peut-être entendu parler, il y a eu une belle couverture médiatique.
00:00:47 En février, il révèle avec son équipe la plus ancienne arrivée de sapiens en Europe
00:00:51 dès le 54e millénaire, en reculant de 10 millénaires l'arrivée de nos ancêtres
00:00:56 en Europe.
00:00:57 Donc quand même, belle découverte.
00:01:00 Ludovic, bonsoir.
00:01:01 Bonsoir Ben et bonsoir à toute ta communauté.
00:01:04 Je suis très heureux de te recevoir ce soir pour parler d'histoire quand même, enfin
00:01:10 de préhistoire on va dire.
00:01:12 Oui, c'est de l'histoire en fait.
00:01:14 L'histoire ne commence pas avec l'écriture et donc on ouvre une belle porte vers un inconnu
00:01:20 lointain, mais pas si lointain que ça, on va le voir.
00:01:23 Déjà, est-ce que tu peux nous expliquer un petit peu ce que c'est un paléoanthropologue?
00:01:27 Alors d'abord, c'est une case qui ne veut pas dire grand chose.
00:01:31 Moi, j'entends paléoanthropologue dans le sens anthropologie culturelle.
00:01:34 Il y a une ambiguïté sur le mot anthropologie parce qu'en français, c'est deux choses
00:01:38 d'une manière générale.
00:01:39 Dans l'absolu, c'est soit l'analyse de l'anthropologie biologique, c'est l'analyse des ossements,
00:01:45 soit l'anthropologie culturelle.
00:01:46 Et l'anthropologie culturelle, c'est toute l'étude, tout le champ d'études, des sociétés
00:01:51 de compréhension de ce qu'est l'humain.
00:01:53 Et c'est dans ce sens-là que je me définis anthropologue, pas du tout dans le sens des
00:01:57 ossements, c'est-à-dire que la morphologie des ossements de Néandertal, c'est sympa,
00:02:01 mais ce n'est pas du tout mon sujet.
00:02:02 Et quelque part, je pense que c'est un outil qui est fondamental, mais ce n'est pas avec
00:02:07 ça qu'on va comprendre, ce n'est pas en étudiant un crâne qu'on va comprendre ce
00:02:09 qui se passe dans le crâne.
00:02:10 Et moi, c'est ce qui m'intéresse, c'est ce qui se passe à l'intérieur de cette coquille
00:02:15 vide.
00:02:16 Et donc la coquille vide, elle ne nous dit rien, mais il reste des artisans, des millions
00:02:19 d'objets et c'est ma spécialité.
00:02:21 Je les étudie, j'essaie de comprendre ce qu'étaient ces sociétés, de définir des
00:02:24 cultures et de voir comment elles ont évolué à travers les millénaires.
00:02:27 Alors le truc, c'est que d'habitude, comme je te l'ai dit, on fait plutôt des émissions
00:02:31 sur l'histoire, entre guillemets, la période définie de l'histoire qui dure quelques
00:02:36 millénaires.
00:02:37 Voilà, c'est surtout quelques siècles d'études en général pour un historien, voire un siècle
00:02:42 en particulier.
00:02:43 Là, sur la préhistoire, on est quand même sur des autres échelles, avec des échelles
00:02:49 de temps vraiment qui sont vraiment millénaires et de nombreux millénaires.
00:02:52 Et comment est-ce qu'on peut réaliser finalement ces échelles-là ? Est-ce que ce n'est pas
00:02:59 compliqué de travailler en millénaire plutôt qu'en siècle ?
00:03:01 En fait, je pense que c'est quelque chose pour nous qui est impossible, parce qu'on
00:03:07 va dire que 80 ou 100 ans, une vie humaine, ça nous semble pour nous l'infini.
00:03:11 Et je pense qu'on a une sorte de filtre mental qui nous empêche de penser le temps.
00:03:15 Et donc, c'est vrai que dès qu'on met…
00:03:17 Des fois, j'ai des journalistes qui passent sur mes fouilles et puis je leur dis, là,
00:03:21 c'est il y a 40 000 ans, là 50 000 ans, là 100 000.
00:03:23 Puis j'ai la couverture du journal, il y a 50 millions d'années à la grotte Mandra.
00:03:28 Mais en fait, on ne peut pas leur en vouloir parce que le temps, c'est quelque chose
00:03:34 qui nous file entre les doigts, tu vois.
00:03:36 Et c'est quelque chose qu'on ne peut pas concevoir parce qu'on a…
00:03:39 Comme on meurt au bout de 100 ans, quand on a de la chance, on a une espèce de filtre
00:03:43 qui nous empêche de concevoir vraiment concrètement ce qu'est le temps.
00:03:46 Alors, je pense qu'il y a un outil que je propose généralement, un petit exercice
00:03:51 qui permet de s'y retrouver.
00:03:54 Globalement, les seules quantités avec lesquelles on est habitué de jongler, c'est l'argent,
00:03:58 c'est les euros.
00:03:59 Et le seul temps qu'on est capable de concevoir, vraiment, c'est une année, tu vois.
00:04:04 Tu sais, tu peux dire oui dans un an ou l'été dernier, tu vois, tu vois bien où tu étais
00:04:08 l'été dernier, tu vois que le temps a filé, que l'année, elle est passée comme ça.
00:04:11 Donc, tu sais exactement ce qu'est un an, tu sais exactement ce qu'est un euro et
00:04:16 tu sais aussi exactement ce qu'est 40 000 euros.
00:04:19 Et si tu fais la conversion un an, un euro, tu vois, 40 000 euros, tu fais des choses,
00:04:24 mais enfin, tu ne vas pas t'acheter ta baraque non plus avec ça.
00:04:26 Et en fait, 40 000 ans, tu sais qu'un an, ça passe comme ça.
00:04:30 40 000 ans, c'est un événement qui vient juste de s'écouler.
00:04:33 En fait, c'est un temps qui est très proche, 40 000 ans.
00:04:36 Et dans les cavités dans lesquelles je travaille, dans les niveaux qui ont 40 000 ans, par moment,
00:04:40 j'ai l'odeur moi qui sort dans les sols, des odeurs très, très fortes.
00:04:43 Et ça, tu vois, cette espèce de filtre qu'on a de "ah, c'était il y a longtemps, c'était
00:04:49 il y a 40 000 ans".
00:04:50 En fait, non, c'est pas ça.
00:04:51 40 000 ans, ça vient de se passer.
00:04:52 C'est juste qu'on est extrêmement éphémère et que dans notre nature humaine extrêmement
00:04:57 éphémère, on ne peut pas se projeter dans ce temps là.
00:05:00 Et on peut le faire seulement quand on fait cette conversion à travers le temps.
00:05:04 Et pourquoi j'ai pris 40 000 ans ? Parce que 40 000 ans, c'est ce moment singulier où
00:05:09 on a l'extinction de l'homme de Néandertal et l'arrivée définitive, on va dire, sur
00:05:16 les territoires européens de l'homo sapiens.
00:05:18 Même si, effectivement, je pense qu'il est arrivé beaucoup plus tôt, dès le 54e millénaire,
00:05:22 comme on l'a montré au mois de février.
00:05:24 Mais alors, justement, quand on travaille sur les périodes sur lesquelles on travaille,
00:05:28 il n'y a pas une humanité.
00:05:30 On va dire il y en a plusieurs, il y a différents types homos qui évoluent parfois ensemble.
00:05:36 Comment est ce qu'on les catégorise ? À quoi ça correspond finalement ces classifications ?
00:05:40 Oui, c'est la deuxième embûche.
00:05:42 En fait, le truc, c'est que la première embûche, c'est le temps et la deuxième embûche, c'est
00:05:45 la projection, c'est à dire qu'aujourd'hui, il n'y a qu'une humanité sur Terre.
00:05:49 Et donc, on a tous, on est tous exactement pareil.
00:05:52 On a tous les mêmes comportements, on a tous les mêmes manières de penser.
00:05:55 Et il faut arriver à se dire qu'en remontant dans le temps, il y a eu des formes humaines
00:06:01 qui n'étaient pas nous.
00:06:02 Et ça, c'est le deuxième défi, c'est à dire c'est le deuxième blocage qu'on a, je
00:06:05 pense, au niveau mental et qui nous forme un filtre et qui nous empêche de raisonner
00:06:11 sur quelque chose qui pourrait être pleinement humain et en même temps pleinement différent
00:06:16 de nous.
00:06:17 Et ça, c'était vraiment le défi dans Néandertal NU.
00:06:22 J'ai essayé de poser mes idées sur, il y a vraiment, tu vois, on a écrit mille choses
00:06:27 sur Néandertal depuis 150 ans et il y a plein de choses qui, il y a des écoles bien sûr
00:06:34 de pensée, il y a plein de choses qui pour moi ne collaient pas parce que je pense qu'on
00:06:39 était dans ce piège mental de vouloir voir, en fait, on a vu deux choses dans Néandertal,
00:06:45 que ce soit Néandertal où toutes les humanités étaient éteintes, les humanités passées,
00:06:49 ce que j'appelle dans mon livre "La créature", il y a deux écoles globalement, il y a une
00:06:54 école anglo-saxonne, d'anglais, d'américains et qui vont avoir une sorte de sous-homme,
00:07:02 d'homme-singe, d'homme inférieur, mais dans une hiérarchie avec nous.
00:07:05 Et il y a les écoles plutôt latines qui prennent le contre-pied, donc des chercheurs
00:07:10 français, italiens, portugais, espagnols, et qui vont dire "non, non, mais Néandertal,
00:07:14 c'est nous".
00:07:15 Je pense que ces deux écueils-là, ces deux écueils sont une impasse et ces deux écueils
00:07:20 sont un piège.
00:07:22 Et quand on essaie d'étudier, mais on peut, comment dire, c'est un piège à la fois
00:07:30 évident et presque, il est presque impossible de s'en sortir, de se dire "mais attends,
00:07:35 là je suis face à, j'ai des artisanats, je les prends entre mes mains, j'ai des
00:07:39 objets, ils sont d'une beauté éclatante, souvent il y a une harmonie de l'objet, c'est
00:07:44 évident, l'objet néandertalien est extrêmement beau communément, et en même temps, donc
00:07:49 on va se dire "c'est un homme quoi".
00:07:51 Et en même temps, quand on le regarde de plus près, on se dit "mais attends, mais
00:07:55 il y a vraiment des choses qui m'échappent dans ces artisanats, dans ces objets, dans
00:07:58 ces manières de concevoir la matière".
00:08:00 Et je pense que les deux grandes écoles de Néandertal, c'est nous, ou Néandertal est
00:08:06 quelque chose qui nous est inférieur, sont toutes les deux un écueil de la pensée,
00:08:11 un écueil dont il est extrêmement dur de se dégager, et c'est tout ce que j'ai
00:08:16 essayé de faire dans Néandertal Nuit, c'est d'ouvrir les fenêtres, après 30 ans, ça
00:08:20 fait 30 ans que je quête, que je chasse, que je traque la créature, ce que j'appelle
00:08:26 la créature, et je l'appelle la créature et pas l'humain, parce que justement il faut
00:08:31 arriver à se décentrer.
00:08:33 Si on dit juste "c'est un humain", on n'arrivera pas à concevoir quelque chose
00:08:38 qui peut-être est très différent de nous, tout en ayant de nombreuses caractéristiques
00:08:44 de ce qui pour nous est pleinement humain.
00:08:45 Et donc je l'appelle la créature, et dans la créature il y a aussi le créateur, et
00:08:50 le créateur c'est nous, c'est-à-dire quand je dis que c'est une créature, je sous-entends
00:08:55 que Néandertal n'existe pas, et que ce qu'on en voit ce sont nos projections, nos
00:09:00 fantasmes, nos manières de concevoir le monde, et qu'on a créé une boîte, comme
00:09:05 quand on dit "tu veux un palais ou un anthropologue, tu crées une boîte", et dans cette boîte
00:09:09 on l'a rentrée de force, et on a dit "regardez, il est ceci ou il est cela".
00:09:14 J'essaye de travailler là-dessus, de déconstruire, de travailler contre moi, c'est une partie
00:09:20 d'échec, c'est pas une partie d'échec contre mes collègues, c'est une partie
00:09:23 d'échec contre moi-même.
00:09:24 J'essaie en connaissant très très bien cette matière, très très bien ces artisanats,
00:09:30 en étant des fois 3, 4, 5, 6 mois par an en grotte, j'essaie vraiment de me noyer
00:09:38 dans ma matière, c'est-à-dire de faire une sorte d'ethnologie participative, de
00:09:42 me mettre vraiment dans leur milieu, et d'essayer de regarder et d'objectiver.
00:09:48 Et c'est quelque chose de très dur, je dis pas que je l'ai réussi, et je dis que
00:09:54 c'est plutôt un défi mental, c'est le deuxième défi mental après le temps, qui
00:09:58 est d'essayer de concevoir une intelligence différente et pleinement extérieure à nous.
00:10:06 C'est pour ça que je veux pas spoiler, mais je commençais le livre par des anecdotes
00:10:11 extraterrestres, par une anecdote remarquable, et qui nous ouvre, je pense que le sujet en
00:10:18 fait, le sujet extraterrestre, mais même le sujet des hommes sauvages, du yeti, de
00:10:24 tous nos fantasmes, de toutes nos conceptions, de toutes nos créations, des lutins et du
00:10:28 petit peuple, des fées, c'est tout ça, c'est le sujet des intelligences extérieures
00:10:33 à nous, et en fait tout ça, je pense que c'est le sujet de Neandertal.
00:10:36 Tu penses que c'est vraiment un fantasme à ce point, quand tu le compares avec l'extraterrestre ?
00:10:41 Je pense qu'il appartient totalement aujourd'hui à la pop culture, qu'il appartient totalement,
00:10:48 c'est vraiment la créature de Frankenstein qui nous a totalement échappés, et qui
00:10:53 a aujourd'hui sa vie propre, et on est confronté à cette sorte de création psychique qui
00:11:00 a sa propre vie maintenant, et on a un truc où si tu parles à ta communauté, ou si
00:11:06 tu parles à des gens dans la rue, tu dis Neandertal, ça va leur évoquer quelque chose,
00:11:11 et ce quelque chose va être leur réalité, leur conception, comme tu pourrais dire Batman,
00:11:17 ça va être leur réalité, ça appartient vraiment, c'est un super héros Neandertal,
00:11:22 c'est un super héros qui aujourd'hui effectivement nous a échappés, et donc essayer de le rattraper,
00:11:31 d'abord essayer de le définir, ensuite essayer de le rattraper dans la tête des gens,
00:11:35 essayer dans les concepts qui aujourd'hui nous habitent tous, je ne suis pas exempt
00:11:42 de ces fantasmes-là, dans ces concepts qui nous habitent, il faut essayer de voir qu'est-ce
00:11:51 qui vraiment est une pure réalité matérielle, et qu'est-ce qui est de l'ordre de la construction,
00:11:58 et c'est une construction qui a plus de 150 ans, et qui a eu effectivement un retour
00:12:06 de la culture populaire extrêmement riche, et donc quand on est confronté à ça, ce
00:12:11 n'est pas simplement un tas de bouddhos ou un bout de silex, c'est quelque chose de
00:12:14 beaucoup plus large que tout le monde connaît, dans toutes les cultures, dans tous les continents,
00:12:18 et qui leur évoque quelque chose, et je crois que ce quelque chose en soi est un sujet,
00:12:23 et est un sujet aussi intéressant, et si on ne prend pas cette matière-là, pour la
00:12:28 confronter aussi aux données archéologiques et aux données scientifiques, on n'est pas
00:12:32 dans le sujet, c'est-à-dire qu'on ne va pas réussir à sortir l'intelligence de
00:12:36 tout ça, parce qu'en fait tout ça ce sont les filtres qu'on a devant nous, sur nos
00:12:41 yeux, et qui nous guident ou nous égarent, et doivent nous amener à penser, et bien
00:12:49 sûr quand on pense néandertal, en fait ce qu'on essaie de penser, et ce qu'on essaie
00:12:53 de définir, c'est nous, c'est l'homme, c'est qu'est-ce que l'humain, et en travaillant
00:12:59 sur néandertal, en fait pour bien comprendre quelque chose, la seule manière de bien
00:13:03 comprendre quelque chose, c'est de le comparer à autre chose, et pour bien comprendre l'intelligence
00:13:10 humaine telle qu'on l'entend chez l'homme, parce qu'il y a de très nombreuses formes
00:13:14 d'intelligence sur Terre, mais l'intelligence humaine, il faut arriver à lui trouver un
00:13:20 miroir, et je pense que ce miroir parfait, c'est-à-dire ce que sont nos conceptions,
00:13:26 ce que sont nos idées, ce miroir c'est néandertal, et que si on arrive à définir sous une certaine
00:13:33 forme ce que fut cette humanité, peut-être qu'on va réussir à redéfinir aussi ce que
00:13:39 nous sommes, ce qui est le deuxième défi, c'est qu'une fois qu'on a défini la créature,
00:13:46 il faut essayer de se comprendre soi, et soi, nous, il y a nous dans nos cultures, et nous
00:13:51 dans notre éthologie, nos comportements, et là, rien n'est gagné, les occidentaux
00:13:57 se pensent une culture moderne, détachée, intelligente, distanciée de tous nos grands
00:14:06 schémas, en fait pas du tout, on est juste, les occidentaux, nous sommes une société
00:14:11 traditionnelle, parmi des milliers d'autres sociétés traditionnelles, on n'est ni plus
00:14:16 ni moins, et on n'est surtout pas plus libre de nos concepts, un des trucs évidents, pour
00:14:23 les gens qui pensent qu'on est aujourd'hui des gens rationnels et modernes, je vais te
00:14:27 donner un exemple à ta communauté qui est très simple, que j'adore, admettons que
00:14:33 Keinstein, qui appartient aussi à la pop culture, mais dont on connaît quand même
00:14:38 les qualités intellectuelles, décide aujourd'hui, subitement, il est toujours vivant, tu vois,
00:14:44 et il décide de se présenter au concours du CNRS, il dit j'ai envie de me présenter,
00:14:48 mais en même temps, il est très intelligent, et donc il est aussi un petit peu original,
00:14:54 on le voit bien sur la photo où il tire la langue, il a une originalité en lui, et il
00:14:58 se trouve qu'Einstein, il adore aussi des éléments d'anthropologie culturelle, il
00:15:04 adore les papous, et les papous, lui, ça le fait triper ses mecs à poil avec un tube
00:15:08 sur le sexe, vraiment, il trouve ça extraordinaire, et avec toutes ces qualités, il se présente
00:15:14 au concours du CNRS, habillé en papou, pas pour être original, mais parce qu'il trouve
00:15:18 ça extraordinaire, il trouve que c'est un beau peuple, et il s'habille en papou,
00:15:22 nu, avec un tube sur le sexe, il se présente au concours du CNRS, et tu peux parier tout
00:15:29 ce que tu veux, il ne sera jamais recruté, ça veut dire que même si les gens du CNRS,
00:15:36 je m'inclus dedans, c'est pas du tout une critique pour le CNRS ou pour Harvard University,
00:15:41 ou pour tout ce que tu veux, pour n'importe quelle institution occidentale, on n'est pas
00:15:45 exempt de nos limites, si j'ai les cheveux longs, si j'ai la barbe, si je m'habille
00:15:50 comme ci, si je m'habille comme cela, en fait on est jugé et on est mis dans des catégories,
00:15:55 et je pense que quel que soit le génie de la personne, dans nos sociétés, si la personne
00:16:03 est trop originale, elle ne pourrait pas être acceptée par notre société.
00:16:08 Pourquoi je dis tout cela ? C'est pas du tout une critique sur aucune institution occidentale,
00:16:13 c'est simplement pour ouvrir les yeux sur le fait que nous ne sommes qu'une société
00:16:18 traditionnelle, qu'aujourd'hui les femmes ont le droit de mettre des pantalons, qu'elles
00:16:23 ont gagné de haute lutte, mais que c'est plus compliqué pour un mec de mettre une
00:16:26 jupe ou de se maquiller ou d'avoir les cheveux longs, et pourtant c'est des détails, c'est
00:16:33 le truc après la virgule, c'est le truc dont on s'en fout, mais c'est vachement important,
00:16:38 c'est-à-dire que si tu te balades en jupe et maquillée, avec une belle barbe, à la
00:16:44 limite si t'es écossais ça passe, mais sinon c'est compliqué.
00:16:47 Et donc il faut comprendre que nous autres, là ce regard sur Sapiens, nous ne sommes
00:16:54 qu'une société traditionnelle avec nos limites, avec nos contraintes, avec nos cases,
00:16:59 avec nos tabous qu'il ne faut pas transgresser.
00:17:02 Et il faut arriver à celui-ci pour comprendre une humanité qui est autre chose que nous,
00:17:08 qui sont d'autres cultures et d'autres cultures lointaines, que je vais seulement
00:17:12 voir avec des objets épars, que je vais retrouver dans des grottes, pour se confronter à des
00:17:17 cultures aussi différentes de nous, je pense qu'il faut être très décalé par rapport
00:17:22 à notre temps et notre société, et que si on n'a pas la capacité de faire cet effort
00:17:28 de se décaler intellectuellement par rapport à ce que nous sommes, on ne peut pas espérer
00:17:34 l'ombre d'une seconde, pouvoir se confronter à des manières d'être au monde qui ont
00:17:41 dû être incroyablement différentes, incroyablement divergentes.
00:17:45 J'avais un prof de… et ça, et là je pense que chez Neandertal on est dans des différences
00:17:51 vraiment très lointaines, mais même si on prend de simples différences culturelles,
00:17:55 moi j'ai appris l'ethno, j'avais un prof d'ethno qui était remarquable, il nous
00:18:00 disait, il nous parlait de… si vous comprenez qu'un gars qui plante trois flèches dans
00:18:05 le dos de sa femme parce qu'elle n'a pas ramené assez de bois sec est un brave gars,
00:18:09 vous pourrez commencer à faire de l'ethnographie.
00:18:11 Et en fait le truc c'est ça, c'est-à-dire que tant qu'on est dans nos projections
00:18:16 de nos valeurs, si on se dit « oh mais ça c'est choquant, c'est affreux », c'est
00:18:21 qu'on n'est pas prêt à se confronter à l'altérité, à se confronter à l'autre.
00:18:25 Et là, quand je parle du gars qui plante les trois flèches dans le dos de sa femme,
00:18:29 c'est qu'une différence culturelle.
00:18:31 Et chez Neandertal, ce n'est pas que de la différence culturelle, il y a peut-être,
00:18:36 probablement c'est ce que j'essaye de soulever, de mettre en lumière dans Neandertal
00:18:41 nu, il y a certainement une question d'éthologie.
00:18:44 L'éthologie, c'est le comportement.
00:18:47 On voit tous qu'il y a un comportement des chats qui n'est pas le comportement des
00:18:51 chiens.
00:18:52 Et on voit tous que les canidés vont être d'une certaine manière, l'effet l'idée
00:18:56 d'une autre, mais un chat ce n'est pas un lion, un loup ce n'est pas un chien,
00:18:59 etc.
00:19:00 Et donc tout ça c'est l'éthologie.
00:19:02 Il y a des disciplines aujourd'hui qui travaillent sur l'éthologie humaine et je pense que
00:19:07 la bonne question, pour revenir à ce qu'on disait tout à l'heure sur les écoles de
00:19:11 pensée, ce n'est pas de savoir si Neandertal est nous-mêmes ou si Neandertal nous est
00:19:17 inférieur.
00:19:18 Je pense que la bonne question et qui n'a jamais vraiment été posée en ces termes
00:19:22 et que je pose dans ce livre, c'est a-t-il existé une éthologie néandertalienne ? A-t-il
00:19:29 existé une humanité qui comprenait, de par sa biologie et non pas de par sa culture,
00:19:34 le monde de manière radicalement différente de nous ?
00:19:37 Dans l'état actuel des choses, au niveau de la recherche de tes collègues par exemple,
00:19:41 on en est où ? Parce que là, dans tes recherches, tu recules l'arrivée de Sapiens de 10 millénaires.
00:19:52 Ça va impliquer des choses aussi pour Neandertal et ça va impliquer des choses dans les relations
00:19:57 que les deux vont pouvoir entretenir aussi.
00:19:59 Est-ce que tu pourrais nous faire un petit topo de la situation, des connaissances jusque-là
00:20:10 qui étaient mises en avant sur l'arrivée de Sapiens, sa confrontation avec Neandertal,
00:20:14 etc. avant de nous détailler tes recherches et tes réflexions là-dessus ?
00:20:19 Oui, c'est fondamental, c'est très important parce que ça c'est quelque chose en plus
00:20:23 qui n'est plus vraiment enseigné ni au collège, ni au lycée ou très superficiellement.
00:20:29 Donc, il faut repartir de là.
00:20:33 Effectivement, Neandertal est une humanité pleine et entière, une humanité éteinte
00:20:39 et il n'est pas notre ancêtre.
00:20:41 Et le moment où nos ancêtres biologiques, où Sapiens, va arriver sur le continent
00:20:47 européen, c'est le moment précis où ces populations vont tirer leur révérence.
00:20:52 Alors effectivement, on a un certain nombre de gènes en nous qui descendent de ces populations,
00:20:57 mais ces gènes ne nous disent pas grand-chose, pas plus que si tu vas voir un marchand italien
00:21:04 de glace dans le Bronx à New York, s'il est là depuis plus de 100 ou 200 ans, sa famille,
00:21:10 il a des gènes d'Indien des Plaines, mais pour lui il se considère comme un Italien,
00:21:14 il n'a peut-être aucune connaissance de ça.
00:21:16 Ou si tu veux, l'exemple que je donne traditionnellement aussi, donc ça c'est pour la différence
00:21:22 culturelle et les héritages culturels qui ne se transmettent pas nécessairement, et
00:21:27 au niveau biologique, l'exemple que je donne généralement, c'est que imaginons que
00:21:31 soudainement tous les loups disparaissent sur Terre.
00:21:33 On ne sait pas pourquoi, mais les loups disparaissent.
00:21:35 Et le fait que le caniche de mamie est l'essentiel du génome du loup n'indique pas que le loup
00:21:41 ne s'est pas éteint.
00:21:42 Le loup s'est pleinement éteint et le caniche ne peut pas revendiquer cet héritage-là.
00:21:47 Pour Néandertal, c'est de ce degré-là.
00:21:49 Et le moment de la rencontre, ce moment en fait, on n'arrive pas vraiment à le calibrer,
00:21:56 c'est-à-dire qu'on dit "ils se sont rencontrés en Europe, mais c'est à la résolution de
00:22:01 nos datations au carbone 14".
00:22:04 Et nos datations au carbone 14, pour ces périodes-là qui ont 40, 42 000 ans, je pense 54 000 dans
00:22:11 la vallée du Rhône, mais mettons même à 42 000 ans, on est à plus ou moins 1 000 ans.
00:22:17 Déjà quand on arrive à plus ou moins 1 000 ans, je peux te dire qu'on a fait un sacré
00:22:20 boulot et qu'on peut être fier et qu'on a dû faire une sacrée série de dates et des
00:22:23 sacrés modèles statistiques.
00:22:25 Mais à plus ou moins 1 000 ans, hier soir, tu dînais avec Jules César à ta droite et
00:22:30 Charlemagne à ta gauche.
00:22:31 Et ça, c'est l'exemple que je donne dans Néandertal Nuit.
00:22:34 Donc tu sais bien sûr que ce dîner improbable n'a pas eu lieu.
00:22:37 Ce dîner improbable, on ne sait pas non plus s'il a eu lieu entre Néandertal et Sapiens.
00:22:42 On ne sait pas s'il existe un seul territoire de l'Europe où les deux populations se sont
00:22:47 vraiment rencontrées.
00:22:48 On sait que Sapiens, aujourd'hui, a des gènes néandertaliens, mais ces gènes sont peut-être
00:22:54 plus anciens ou ont pu être acquis du côté de l'est de la Méditerranée où les deux
00:22:58 populations ont cohabité sur des périodes beaucoup plus longues et au moins dès le
00:23:02 centième millénaire.
00:23:04 Et donc, là, on est face à une partie d'échec dans lequel on ne sait pas trop dire.
00:23:08 On ne sait pas s'ils se sont rencontrés.
00:23:09 On sait qu'ils s'éteignent, mais on ne sait pas si c'est vraiment synchrone et on ne
00:23:13 voit rien.
00:23:14 Mais par contre, ce qu'on voit au niveau archéologique, à travers toute l'Europe, alors
00:23:20 qu'on avait un grand nombre de cultures néandertaliennes, des cultures qu'on peut
00:23:26 appeler le mousserien ou le micocain, mais bon, peu importe, il y a des cultures qui
00:23:30 vont perdurer comme ça pendant des dizaines ou des centaines de millénaires à travers
00:23:33 les territoires européens.
00:23:34 Et dans cette fourchette chronologique, pour prendre large, on va dire entre 40 et 50
00:23:40 000 ans, là, on est à plus ou moins 5 000 ans, mais bon, tu vois, ça te donne un petit
00:23:44 peu l'ampleur de notre flou.
00:23:46 On voit que des artisanats que l'on pense être néandertaliens sans aucune certitude
00:23:57 paraissent réinventer ou inventer des choses très modernes alors qu'ils étaient dans
00:24:04 leur vieille tradition depuis au moins 100, 200 ou 300 000 ans.
00:24:08 D'un coup, on voit émerger des parures, on voit émerger du travail, on fait des outils
00:24:14 en bois de servidés, en ivoire qu'on ne faisait pas du tout avant.
00:24:16 Les artisanats deviennent très minces, très élégants, ce qu'on appelle des lames et
00:24:20 des lamelles, qui est propre de ce qui va caractériser après Sapiens à travers toute
00:24:26 l'Europe et que Néandertal ne faisait qu'à la marge.
00:24:28 Et tout ça émerge à ce moment là, et c'est ce qu'on a appelé des industries de
00:24:32 transition. Et on a supposé que c'était Néandertal qui, au contact paraculturation
00:24:42 avec Sapiens, allait évoluer et modifier ses manières d'être et ses traditions.
00:24:48 Alors, il va y avoir plein d'industries de transition.
00:24:51 Il y en a X, du Châtel-Pérounien, de l'Ulusien, du Néronien, du Bouynétien, du
00:24:57 Streletskien, du Zélétien oriental, il y en a autant que du Gersmanovitien, plein de
00:25:02 noms en yin comme ça, et qui sont un petit peu barbares et qui ne nous disent pas
00:25:07 grand chose. Pourquoi ils ne nous disent pas grand chose ?
00:25:09 Parce que, on sait, si tu veux, c'est comme si on passait...
00:25:13 Je vais faire une énorme caricature, mais elle est intéressante.
00:25:16 On va dire que Néandertal faisait des industries traditionnelles, archaïques,
00:25:20 qu'on va appeler zéro, que Sapiens faisait des industries, des éléments
00:25:25 modernes qu'on va appeler un.
00:25:26 Et ce passage, ce moment du contact du zéro entre les deux, on a du 0,5.
00:25:31 En fonction des territoires, ce 0,5, c'est plein de cultures différentes.
00:25:36 Et ce 0,5, on pense, on a supposé, on suppute que c'est Néandertal qui s'inculture
00:25:44 au contact de l'arrivée des beaux et joyeux Sapiens, très riches de leur
00:25:49 culture moderne. En vérité, c'est beaucoup plus compliqué.
00:25:53 Ce 0,5, on ne sait pas trop qui le fait.
00:25:56 C'est à dire qu'on a, en fait, sur les restes humains, et pour te donner une
00:26:03 échelle, l'article qu'on a publié en février dernier, on a publié neuf dents
00:26:11 de toute notre séquence archéologique.
00:26:12 On va dire, bon, neuf dents, ce n'est pas beaucoup.
00:26:14 C'est neuf dents, quoi.
00:26:17 Il faut être conscient que des dents d'homo sapiens antérieures au 40e
00:26:24 millénaire sur toute l'Europe continentale, en 150 ans d'archéologie,
00:26:29 on en a trouvé quatre.
00:26:32 Et celles qu'on publiait étaient la cinquième.
00:26:34 Les données sont d'une immense rareté.
00:26:37 Puis après, il y a des bouts de crâne qui traînent sans aucun contexte
00:26:40 archéologique, dont on sait que les dates ne sont pas bonnes ou discutables et on a
00:26:44 du mal à les placer.
00:26:46 Les données sont comme ça, sont super fragiles.
00:26:48 On n'a pas les restes humains.
00:26:49 On a très peu de restes humains.
00:26:51 Ils sont très difficilement contextualisables.
00:26:54 Et c'est dans ce contexte que dans la vallée du Rhône, après 30 ans de
00:26:59 travail, nous, on allait publier nos neuf dents.
00:27:02 Nos neuf dents après 30 ans, 2, 3, 4 mois par an.
00:27:06 Je ne sais plus, j'avais calculé qu'on avait trouvé une dent tous les 10 mois
00:27:11 de fouilles, 10 mois de terrain continu avec des équipes à 15, 20, 25.
00:27:16 Une dent tous les 10 mois.
00:27:17 Donc, elle coûte cher la dent.
00:27:19 Elle coûte plus cher que quand tu vas au dentiste.
00:27:23 Et après 30 ans, malgré tout, on a réussi à avoir ces neufs dents et à
00:27:30 voir surtout la des dents dans la période, la sandwich qui va vers le
00:27:34 cinquantième millénaire jusqu'au moment de l'extinction.
00:27:37 Et quand on a confié ces dents à une personne qui s'appelle Clément Zanoli,
00:27:44 qui lui aussi est chercheur au CNRS sur Bordeaux.
00:27:48 Il nous a dit écoute tes dents, sans surprise, elles sont toutes
00:27:53 nerdertaliennes.
00:27:54 Par contre, là, regarde ta dent en plein milieu de la séquence.
00:27:58 Il me dit là, tu as une dent, c'est de l'homo sapiens et c'est pas
00:28:02 n'importe quel homo sapiens.
00:28:03 C'est un homo sapiens archaïque, pleistocène, c'est à dire
00:28:06 paléolithique, un homo sapiens ancien.
00:28:07 Les morphologies de cette dent étaient tout à fait particulières.
00:28:13 Alors, quand il m'a dit ça, j'ai dit très bien intéressant, c'est
00:28:15 quel niveau ? Il me dit couche E, A.
00:28:17 La couche E, pour moi, la grotte Mondrain, au fur et à mesure, on
00:28:21 descend, A, B, C, D, E, F, G, on descend jusqu'à J.
00:28:23 Au fur et à mesure où on descend, on est de plus en plus vieux.
00:28:25 La E, c'est notre milieu de séquence archéologique.
00:28:28 Et pour moi, la E, c'était super intéressant parce que c'était un
00:28:31 truc qui était une véritable énigme que j'avais étudié dans le cadre
00:28:37 de ma thèse de doctorat que j'avais défendu en décembre 2004.
00:28:41 Et en décembre 2004, j'avais dit ce truc est très bizarre.
00:28:43 On a un problème et j'avais appelé ce problème anthropologique,
00:28:50 j'avais défini une culture que j'avais appelée le néronien.
00:28:53 À l'époque, je m'étais dit, c'est certainement Néandertal qui
00:28:58 invente une nouvelle manière d'être et un truc moderne.
00:29:01 Une de ces fameuses industries de transition en yin.
00:29:04 Et donc, j'ai encore fait un yin, j'ai fait un néronien de la grotte de Néron.
00:29:08 Et sur cette base là, ça posait un doute.
00:29:11 Bon, c'est très bien.
00:29:12 J'avais reconnu quelque chose.
00:29:14 J'avais du mal à l'attribuer, mais je le pensais néandertalien.
00:29:18 Mais si on reprenait le schéma que j'ai posé tout à l'heure, où on va du plus
00:29:23 simple vers le plus complexe dans une sorte de schéma évolutif très régulier,
00:29:28 où on va du 0, 0,5, 1, mais en fonction des régions, le 0,5 n'est pas le même.
00:29:33 C'est toujours pareil, 0, 0,5, 1 en Italie, 0, 0,5, 1 dans le nord de l'Europe, 0, 0,5, 1 en Europe centrale, etc.
00:29:42 Et on a plein de cultures différentes et le processus était toujours le même.
00:29:46 Mais si vous reproduisez ce processus là, dans ce que je voyais dans la vallée du Rhône,
00:29:51 je n'avais pas 0, 0,5, 1 et c'était ça le problème.
00:29:55 Le problème, c'est que j'avais 0, 0,75, 0,25, 0,0, 0,0, 1.
00:30:04 Alors là, on tombe dans une complexité qui n'est plus du tout la même.
00:30:07 Et effectivement, tous les trucs que j'avais définis comme des 0, ou du 0,25,
00:30:14 se sont avérés être associés à des restes humains néandertaliens.
00:30:18 Et ce que j'avais défini comme étant un 0,75,
00:30:23 parce que ce truc était super, super moderne et surtout qu'il avait des affinités
00:30:29 techniques tout à fait particulières avec des industries plus récentes,
00:30:33 qui sont les industries qu'on attribue traditionnellement à Homo sapiens
00:30:38 quand il arrive en Europe, qui sont les industries du Proto-Orignacien.
00:30:41 Et on retrouvait un certain nombre de traditions dans mon erronia
00:30:46 qui annonçaient ce qu'on allait trouver dix millénaires plus tard dans le Proto-Orignacien.
00:30:52 Alors, le problème anthropologique était là et était à peu près insoluble
00:30:59 vu qu'effectivement on avait quelques dents, mais à l'époque on ne savait pas les étudier.
00:31:04 On pouvait dire, "Regarde, elle a une grosse vacuole, elle a machin,
00:31:07 c'est une tendance néandertalienne", mais on n'allait pas plus loin.
00:31:09 Alors que les analyses qu'on a réalisées, publiées en février dernier,
00:31:14 sont des analyses à très haute résolution développées par Clément Zanolli
00:31:19 à l'aide de Microsity Scan, c'est des scans au micron,
00:31:21 c'est des analyses statistiques extrêmement robustes et qui peuvent te dire à 100%,
00:31:26 il n'y a aucun doute, c'est dedans on peut dire ce qu'on veut,
00:31:29 mais c'est non seulement de l'Homo sapiens, mais c'est de l'Homo sapiens pleistocène.
00:31:33 Et donc là, on avait des éléments extrêmement robustes.
00:31:36 Mais avant d'avoir ces éléments très robustes,
00:31:38 il y avait d'abord, en 2004, la question du néronien,
00:31:42 énigme anthropologique, énigme historique, qu'est-ce qui se passe ?
00:31:45 Qu'est-ce que c'est que ce truc moderne encadré dans des trucs tout à fait classiques
00:31:49 néandertaliens ?
00:31:50 Et j'allais dire, les portes s'étaient entreouvertes à partir de 2016
00:31:56 quand il y a très peu de...
00:31:59 Le néronien est caractérisé par des productions de petites pointes de silex
00:32:03 magnifiques, très standardisées, très normalisées,
00:32:06 qui peuvent faire jusqu'à 30 mm de longueur maximum,
00:32:12 et jusqu'à 10 mm des petits triangles parfaits produits en série.
00:32:15 Et on les a plus que par centaines.
00:32:18 Aujourd'hui, sur la petite surface fouillée, on en a 1 499.
00:32:23 C'est absolument incroyable.
00:32:24 Si on prend tous les sites d'Europe en 150 ans d'archéologie,
00:32:27 on en a, je ne sais plus, 800 et quelques.
00:32:30 On faisait la culbute sur toute l'Europe cumulée, sur un seul niveau archéologique.
00:32:34 Et surtout, ce n'était pas du tout les mêmes pointes.
00:32:36 C'était beaucoup plus petit, beaucoup plus légère, beaucoup plus standardisé.
00:32:39 Donc, énigme.
00:32:41 Et à partir de 2016, on décide d'aller travailler aux Etats-Unis.
00:32:45 On part sur Harvard, au Peabody Museum, pendant un an, avec ma compagne qui fait
00:32:50 des analyses fonctionnelles sur ces mêmes objets, leur METS.
00:32:55 Et on part pendant un an sur Harvard parce que là-bas sont déposées des
00:32:59 collections qui viennent de l'est de la Méditerranée.
00:33:01 Le livre "Neanderthal nu", c'est un récit de voyage.
00:33:05 Avant tout, ce n'est surtout pas un truc où on s'endort à la sixième page.
00:33:09 C'est vraiment 30 ans de recherche, 30 ans d'égarement, 30 ans de quête.
00:33:17 Et c'est tous ces récits de voyage.
00:33:20 Tu parlais du cercle polaire, de la corne de l'Afrique,
00:33:22 de l'Anatolie, des déserts.
00:33:26 Et je parle de tout ça.
00:33:27 Je parle de ces rencontres humaines.
00:33:29 Je parle de comment on s'égare ou de comment, des fois, des idées émergent
00:33:33 ou des fois, comment nos propres concepts sont complètement retournés.
00:33:37 Et là, c'est un retournement en 2016 parce que, étant sur le Peabody Museum
00:33:43 à Harvard, j'étudie ces collections qui viennent de l'est de la Méditerranée,
00:33:47 d'un gisement qui s'appelle Xaraquil.
00:33:49 Et on va là-bas parce qu'on sait que là-bas, il y a beaucoup de pointes.
00:33:51 Mais il y a un milliard de manières de faire des pointes.
00:33:53 Et il n'y a aucune raison qu'ils les fassent de la même manière que dans la
00:33:56 Vallée du Rhône, mais allons voir.
00:33:57 Et donc, j'obtiens un financement du CNRS et on part pendant une année,
00:34:04 en 2016, sur le Peabody.
00:34:09 Je descends au Peabody, on descend dans les réserves, on ouvre les tiroirs,
00:34:14 on sort les silex et là, je m'assois parce que les collections sont très
00:34:20 riches, comme la grotte Mandrin, il y a beaucoup de choses à étudier.
00:34:22 Ce sont des milliers d'objets de silex.
00:34:24 Et ce que j'ai sous mes yeux, effectivement, c'est des pointes.
00:34:27 Ça, je le savais, mais ce n'est pas n'importe quelle pointe.
00:34:29 C'est très exactement les systèmes techniques, les artisanats, mais
00:34:34 exactement les artisanats que je voyais dans la Vallée du Rhône.
00:34:38 Alors, ce que j'avais que sur le levant, on appelait l'initiale
00:34:43 perpérolithique, c'est-à-dire le début du paléolithique supérieur,
00:34:47 donc le début de la phase moderne d'Homo sapiens.
00:34:50 Ce qu'ils appellent là-bas l'initiale perpérolithique, c'est ce que
00:34:53 j'avais appelé le néronien.
00:34:54 C'est exactement ce que j'avais appelé le néronien.
00:34:57 Confronté à ça, pour moi, c'est un échec hémat.
00:35:02 C'est-à-dire que moi, j'avais supposé que ces industries étaient
00:35:05 néandertaliennes sur un ensemble d'éléments argumentés que je
00:35:08 pensais raisonnables et qui, en fait, ne l'étaient peut-être pas.
00:35:13 Et me trouvant face à cet échec hémat, je décide de l'assumer.
00:35:18 Et dès 2017, je publie plusieurs articles où j'explique que je me
00:35:24 suis probablement planté et que puisque ces industries du levant
00:35:30 sont exactement les mêmes et puisque sur le levant, on sait que
00:35:33 c'est Homo sapiens, je publie à cette époque que ce qu'on a dans la
00:35:38 Vallée du Rhône ne doit être, ne peut être que des industries
00:35:42 attribuables à Homo sapiens.
00:35:44 Et cette historiographie-là, cette remise dans le temps de la
00:35:48 recherche est extrêmement importante parce que 2017, on est un
00:35:54 an et demi à deux ans avant que je confie les dents à Clément Zanolli.
00:35:58 Donc moi-même, je ne savais pas que c'était Homo sapiens.
00:36:03 Et par l'analyse de ces artisanats, je réalise que c'est Homo sapiens.
00:36:09 Je publie dans différents articles que c'est Homo sapiens et que c'est
00:36:15 compliqué à expliquer, c'est compliqué à redéfinir parce qu'il
00:36:19 faut redéfinir de nombreux de nos cadres intellectuels à ce moment-là.
00:36:23 Mais je dis, je ne vois pas d'autres intellectuellement, pas d'autres
00:36:29 interprétations parsimoniaises.
00:36:31 Et donc, je publie ça.
00:36:33 Et quand Clément Zanolli me dit c'est Homo sapiens, moi, les articles
00:36:37 sont publiés depuis un an et demi.
00:36:40 Et quand il me dit c'est Homo sapiens dans cette couche-là, j'ai
00:36:43 publié un an et demi avant et je sais depuis 2016 que pour moi, c'est
00:36:48 Homo sapiens.
00:36:49 Alors du coup, qu'est-ce que ça va impliquer tout ça ?
00:36:53 Qu'est-ce qu'on peut supputer du coup sur ces relations qu'il y a
00:37:00 pu avoir et sur leur arrivée plus tôt finalement dans la région ?
00:37:05 En fait, on ne sait toujours rien.
00:37:08 Donc, si tu veux, le truc qui est intéressant, c'est que donc on a
00:37:12 un recul pour l'Europe occidentale, c'est un recul de 12 millénaires.
00:37:15 Pour l'Europe continentale, à l'échelle de toute l'Europe, c'est
00:37:17 un recul de 10 millénaires.
00:37:19 Mais ce recul, il ne te dit rien.
00:37:21 C'est-à-dire bon, on recule de 12 000 ans, on aurait pu reculer de
00:37:24 25 000 ans. Qu'est-ce que ça change ?
00:37:26 La question, c'est effectivement la question que tu poses, c'est
00:37:28 quelles ont pu être les interrelations spécifiques entre ces deux
00:37:32 humanités ? Est-ce que là, elles se rencontrent à plus ou moins
00:37:35 1000 ans ou pas ?
00:37:38 Mais plus ou moins 1000 ans, ça ne m'intéressait pas trop.
00:37:39 Et donc, là-dessus, à partir de 2006, on a commencé à trouver à
00:37:45 la grotte Mandrin, j'explique ça dans Néandertal nu, un ensemble
00:37:49 de fragments de parois de la grotte qui se sont effrités et qui
00:37:52 sont tombés dans les couches archéologiques.
00:37:54 En fait, on en trouve des milliers de ces éléments.
00:37:56 Je réalise en 2006, c'est rigolo parce que tous les ans, on doit
00:38:00 rendre des rapports de fouilles à l'État.
00:38:02 Et dans le rapport de fouilles 2006, j'écris noir sur blanc, on doit
00:38:06 pouvoir faire de la microchronologie avec ça.
00:38:08 En fait, on avait des dépôts de suie sur les fragments de parois.
00:38:11 Donc, quand les hommes faisaient le feu dans la grotte, la paroi
00:38:14 devient noire, la suie se dépose comme dans une cheminée, comme
00:38:18 partout quand on fait du feu.
00:38:19 Donc, la suie se dépose et quand les hommes repartent, la calcite
00:38:24 recouvre le noir et la paroi redevient blanche.
00:38:27 Et puis, un an après, les hommes reviennent et la paroi redevient
00:38:31 noire et ainsi comme ça, à travers le temps, à travers les années
00:38:35 et les générations, noir, blanc, noir, blanc, noir, blanc, noir, blanc.
00:38:37 Au bout d'un moment, la pierre tombe.
00:38:38 Et si on la découpe et qu'on la polie, qu'on la regarde au microscope,
00:38:42 on a simplement un code barre et on a exactement des cernes comme
00:38:46 dans les cernes d'un arbre.
00:38:47 Et ces éléments-là, on va travailler dessus.
00:38:51 2006, premier article, 2017, pendant 11 ans.
00:38:54 Et je vais en particulier confier ces éléments à une personne tout à
00:38:59 fait brillante qui s'appelle Ségolène van de Velde et qui, je
00:39:03 savais, était brillante et hyperactive et c'est pour ça que je lui
00:39:07 avais confié ça. Et elle va se pencher là-dessus, faire ses master,
00:39:11 faire sa thèse, soutenir sa thèse à Paris-Sorbonne en décembre 2019
00:39:15 et nous démontrer que ces éléments permettaient d'avoir des
00:39:20 résolutions chronologiques qui n'étaient plus à plus ou moins
00:39:23 1 000 ans, mais qui étaient à plus ou moins 6 mois.
00:39:26 Et en travaillant sur...
00:39:28 Nous, on avait 12 niveaux archéologiques qui allaient de 120 000 ans
00:39:32 jusqu'à l'extinction il y a 42 millénaires.
00:39:34 Et donc, on dit, moi, ce que je vois, c'est qu'ils sont venus au moins
00:39:38 12 fois, les hommes.
00:39:39 Voilà, 12 fois sur 80 millénaires.
00:39:42 Donc, ça donne un peu l'échelle de notre résolution.
00:39:45 Et quand Ségolène va travailler sur ces suies, elle, elle va voir
00:39:50 quelque chose comme 500 phases de feu.
00:39:52 Et donc, ce n'est plus du tout les mêmes résolutions et elle va pouvoir
00:39:56 évaluer les concrétions.
00:39:58 Il y a des concrétions de saison humide et des concrétions de saison
00:40:02 sèche et donc, on est à 6 mois.
00:40:04 Ce n'est pas les mêmes concrétions qui vont recouvrir.
00:40:06 Et en détournant des logiciels de ce qu'on appelle la dendrochronologie
00:40:10 qui est des datations sur les cernes des bois, elle va réussir à mettre
00:40:13 au point cette méthode qu'elle a appelée d'un nom barbare la
00:40:16 fuliginochronologie.
00:40:17 Fuligino, c'est l'essuie.
00:40:20 Donc, c'est la chronologie par l'essuie.
00:40:22 Donc, ça, ça a été vraiment développé ici sur le site avec un très
00:40:26 gros effort de recherche.
00:40:27 Et quand on publie la question de ces dents, on l'associe à ces
00:40:33 questions de très fine chronologie.
00:40:35 Et ce qu'on met à ce moment-là en évidence, c'est le temps d'une
00:40:41 part entre le dernier feu néandertalien et le premier feu d'Homo
00:40:47 sapiens dans la grotte.
00:40:48 Et là, on n'est plus à plus ou moins 1000 ans.
00:40:52 Le temps, c'est plus ou moins 6 mois.
00:40:57 Alors là, ça devient intéressant parce que d'un coup, c'est plus un
00:41:00 temps théorique.
00:41:01 Tu vois, quand on dit quand on dit ils sont venus il y a 54 000 ans,
00:41:05 ces Homo sapiens, c'est pas des temps humains.
00:41:07 Pour les raisons que j'ai expliquées tout à l'heure et pour d'autres
00:41:10 raisons, en fait, c'est pas 54 000 ans.
00:41:13 C'est statistiquement entre 57 000 et 52 000.
00:41:17 Voilà donc, on a 5 millénaires.
00:41:20 5 millénaires, c'est le temps qui nous sépare du premier pas sur la
00:41:25 lune de la première dynastie égyptienne.
00:41:27 Ça, c'est le moment de l'arrivée de nos Homo sapiens.
00:41:30 La résolution, c'est 5000 ans.
00:41:32 Donc, on voit que là, on n'est pas dans des temps humains, pas du tout.
00:41:36 Mais quand on fait la chronologie par le feu, la chronologie de ces
00:41:41 suils, à plus ou moins 6 mois, c'est plus la même.
00:41:44 C'est plus la même Bouillabaisse.
00:41:45 On parle d'autre chose et à plus ou moins 6 mois, ce qui est très
00:41:49 intéressant, c'est qu'on peut reconstituer le territoire à plus ou
00:41:52 moins 6 mois.
00:41:53 Ils ne se sont peut-être pas rencontrés.
00:41:54 Si je te dis, on se donne rendez-vous à plus ou moins 6 mois, on ne va
00:41:57 peut-être pas réussir à se faire une photo des deux.
00:41:58 Donc, si on se fait un truc, on essaiera d'être un peu plus précis
00:42:03 que ça encore.
00:42:03 Mais là, on n'arrive pas à voir mieux.
00:42:06 Par contre, ce qui est intéressant, c'est qu'on arrive à définir les
00:42:10 territoires de ces populations et on arrive à les définir de manière
00:42:14 relativement précise autour de la cavité, autour de la grotte.
00:42:17 Comment on arrive à faire ça ?
00:42:21 Quand ces populations utilisent des silex, ils vont chercher les
00:42:24 silex dans les zones où les silex se forment.
00:42:26 Et ces zones-là, géologiques, c'est dans des calcaires, ils se
00:42:30 forment dans des lieux extrêmement précis.
00:42:32 Ça peut être là, les monts du Vercors, à 70 kilomètres au nord-est,
00:42:36 dans telle vallée, et puis là, dans telle vallée du Gard, et puis là,
00:42:40 dans les monts du Vaucluse.
00:42:41 Et quand on retrace toutes les origines des silex, on peut voir
00:42:44 sous quelle forme ils circulent et on peut voir quelle quantité
00:42:47 ils en importent.
00:42:48 Et on peut redessiner les territoires de manière très précise.
00:42:51 Et quand on fait ces territoires-là, on a quelque chose comme un
00:42:54 cercle de 80 à 100 kilomètres, à peu près dans toutes les
00:42:59 directions autour de la cavité.
00:43:01 Mais 80 à 100 kilomètres, ça représente des milliers de
00:43:04 kilomètres carrés.
00:43:05 Et la deuxième information qu'on a tirée de ces suies, c'est que
00:43:10 ces populations d'Homo sapiens étaient revenus une fois par an
00:43:14 dans la grotte pendant 40 ans.
00:43:17 40 ans, c'est une vie humaine.
00:43:18 C'est vachement intéressant.
00:43:19 Si ces gens-là avaient entre 20 et 40 ans quand ils sont arrivés,
00:43:22 ils avaient entre 60 et 80 ans.
00:43:24 Ils sont restés leur vie.
00:43:26 Donc d'abord, ce n'est pas un petit campement.
00:43:28 Ce n'est pas juste une poignée d'éclaireurs, de chasseurs qui
00:43:32 sont remontés le long de la vallée du Rhône, qui sont allés en
00:43:34 territoire inconnu.
00:43:35 C'est certainement toute une population.
00:43:38 Ils sont restés longtemps.
00:43:39 Et l'Adam qu'on a trouvé, c'est l'Adam d'un petit bout qui avait
00:43:43 entre 3 et 6 ans.
00:43:44 Donc, ils sont là avec femme et enfant, de toute évidence.
00:43:47 C'est un groupe.
00:43:48 Et ce groupe-là, il reste cette quarantaine d'années.
00:43:53 Et en 40 ans, en fait, on ne peut pas connaître les ressources de
00:43:58 ces milliers de kilomètres carrés.
00:43:59 Et là, on a un problème.
00:44:01 Quand je dis là, il y a ce silex qui vient de 70 kilomètres au
00:44:04 nord-est, il y a des silex, c'est des fois sur 200 mètres.
00:44:08 C'est localisé dans un petit vallon perdu et on ne peut pas le
00:44:11 trouver comme ça.
00:44:12 Même en 40 ans, on ne va pas le trouver comme ça.
00:44:14 On ne peut pas connaître les ressources de milliers de kilomètres
00:44:18 carrés en 40 ans.
00:44:19 Néandertal les connaissait, mais Néandertal les connaissait parce
00:44:24 que ces territoires étaient exploités de toute éternité et que
00:44:28 depuis des siècles et des millénaires, les traditions de bouche
00:44:31 néandertalienne à oreille néandertalienne s'étaient transmises
00:44:34 et ils avaient une connaissance incroyablement précise de ces
00:44:38 terroirs.
00:44:39 Quand Sapiens arrive, que je dis, il se passe plus ou moins six
00:44:43 mois avec le dernier néandertalien, qu'il ne reste que 40 ans et
00:44:47 que je constate qu'il connaît toutes les ressources sur des
00:44:50 milliers de kilomètres carrés, j'ai un problème anthropologique
00:44:53 majeur. Et ce problème anthropologique majeur, c'est qu'il ne peut
00:44:56 pas connaître ces ressources et que le seul moyen de les connaître,
00:44:59 c'est qu'il en a hérité, qu'il y a eu un processus de transmission,
00:45:04 non pas de Sapiens vers Néandertal, comme on l'a vu partout en
00:45:08 Europe avec toutes ces industries en yin, toutes ces cultures en yin,
00:45:11 tous ces trucs de transition, on a dit que l'homo sapiens apporte
00:45:16 la lumière à Néandertal et Néandertal sa culture.
00:45:19 Là, les processus de transmission, donc c'est des processus de
00:45:22 transmission de Sapiens vers Néandertal, partout on a dit que
00:45:25 Sapiens apporte la lumière à Néandertal.
00:45:27 Et là, ce qu'on voit, c'est quelque chose d'assez différent.
00:45:31 D'abord, après on a un retour des sociétés néandertaliennes,
00:45:35 on ne voit pas de transmission chez Néandertal des traditions
00:45:39 sapiens, d'une part, et d'autre part, s'il y a un processus de
00:45:43 transmission et un contact très direct qu'on peut documenter,
00:45:47 il est dans l'autre sens.
00:45:48 Il n'est pas de Sapiens vers Néandertal, mais de Néandertal
00:45:52 vers Sapiens, évidemment, puisque c'était bien ces populations
00:45:55 qui avaient une connaissance millénaire et extrêmement précise
00:45:59 de ces terroirs.
00:46:00 Ça, c'est très intéressant parce qu'ethnographiquement, ces
00:46:03 processus dans lesquels on va sur des territoires et on va avoir
00:46:07 des contacts avec les populations locales et éventuellement,
00:46:10 si on n'a pas de contact, on va prendre des guides dans les
00:46:13 populations locales.
00:46:14 C'est des processus universels.
00:46:16 Quand les colons européens sont arrivés dans tous les immenses
00:46:19 territoires des Amériques, partout, que ce soit en Amazonie,
00:46:24 chez les Indiens des Plaines ou dans les zones arctiques ou
00:46:26 subarctiques, ils ont pris des guides au sein des populations
00:46:30 locales et ces guides-là leur ont donné toutes les informations
00:46:34 qu'ils souhaitaient sur les ressources, les ressources impôts,
00:46:36 les ressources en gébiers, les ressources en minéraux qu'ils
00:46:40 recherchaient tant, l'argent, l'or, etc.
00:46:42 Et c'est vrai que ce processus-là, ethnographiquement, est un
00:46:46 universel.
00:46:47 Des populations qui arrivent sur un territoire vont avoir un
00:46:50 certain nombre de relations avec les populations locales et vont
00:46:54 prendre des guides.
00:46:55 Maintenant, quelle est la teneur précise et réelle des
00:46:59 interrelations entre Néandertal et Sapiens ?
00:47:01 Ça reste un mystère parce que finalement, on n'ajoute pas
00:47:04 douze millénaires aux échanges entre Néandertal et Sapiens.
00:47:08 On a ajouté une goutte d'eau.
00:47:10 On a diminué la résolution de plus ou moins mille ans à plus ou
00:47:13 moins six mois.
00:47:14 Et on a dit que pendant 40 ans, les deux populations sont très
00:47:18 clairement sur un même territoire.
00:47:20 Mais quelles vont être les relations réelles, précises,
00:47:24 exactes entre ces deux populations ?
00:47:26 Là, on est assez limité.
00:47:29 On ne voit pas de transmission de Néandertal vers Sapiens.
00:47:33 On ne voit pas d'artisanat néandertalien dans les
00:47:36 installations sapiens.
00:47:37 Quand Néandertal reviendra, on ne voit pas de tradition sapiens
00:47:41 dans leur tradition.
00:47:42 Alors, il y a quelque chose qui nous échappe.
00:47:45 Est-ce qu'on est dans des processus d'évitement ?
00:47:48 Quels ont été vraiment les interrelations ?
00:47:51 C'est un petit peu une énigme.
00:47:53 En fait, les processus d'évitement, ça peut paraître un
00:47:58 peu fou de se dire qu'il y a des populations qui sont là sur un
00:48:02 même territoire et ils ne vont pas se voir, à part peut-être
00:48:05 quelques guides.
00:48:06 Mais en fait, là aussi, sur la base des données ethnographiques,
00:48:10 l'évitement, c'est quelque chose d'assez commun.
00:48:14 Il y a encore aujourd'hui des populations dans les derniers
00:48:17 tréfonds de la pauvre Amazonie qui souffrent terriblement
00:48:20 aujourd'hui.
00:48:21 Il y a encore un certain nombre de populations, non pas qui ne
00:48:24 connaissent pas l'homme blanc, mais qui ne veulent pas être en
00:48:27 contact avec lui et qui se sont reculés volontairement et qui
00:48:31 se sont invisibilisés.
00:48:33 Et on a aussi ce genre de processus qui ont été bien
00:48:36 documentés.
00:48:37 C'est la fameuse histoire de Dishi, le dernier indien yaï,
00:48:41 qui est une personne qui arrive subitement en 1911 à Oroville,
00:48:46 en Californie, et qui arrive nue au milieu de la ville et qui
00:48:50 vient pour mourir.
00:48:52 Les gens appellent le shérif et le shérif arrive et ils le
00:48:55 mettent en prison en disant "mais c'est quoi ça ?"
00:48:57 Ils pensaient qu'il n'y avait plus un indien, plus un sauvage.
00:49:00 Les sauvages, c'est eux qui les appelaient ainsi à l'époque.
00:49:02 Ce n'étaient évidemment pas des sauvages, c'était des cultures
00:49:05 tout à fait remarquables et de grandes traditions.
00:49:07 Et ils se trouvent confrontés là aussi à une énigme.
00:49:12 En fait, ces populations qui étaient les indiens yaïs,
00:49:14 s'étaient cachées et avaient évité les blancs depuis des siècles.
00:49:18 C'était même une langue qui était totalement inconnue.
00:49:22 Et donc, les processus d'évitement existent.
00:49:24 Et le pauvre Ishi, c'est le nom qu'il a donné, qui n'était pas
00:49:29 son nom, ça veut dire "être humain" en yaï.
00:49:31 Et donc, même son nom, il reste très mystérieux.
00:49:34 Il n'a même jamais réellement donné son nom.
00:49:37 Mais on sait, il va vivre ces dernières années parmi les blancs,
00:49:41 transmettre un certain nombre de connaissances sur ces populations
00:49:44 et raconter son histoire.
00:49:45 Et son histoire, c'est qu'il a vu les siens, son peuple,
00:49:51 se réduire progressivement, mourir de maladies, mourir de faim,
00:49:56 se toujours reculer dans le plus loin des montagnes.
00:49:59 À la fin, il ne restait que quelques-uns du groupe.
00:50:02 Et à la fin, sa mère est morte et il était tout seul.
00:50:04 Et donc, des processus d'évitement jusqu'à l'extinction, ça a existé.
00:50:09 C'est bien documenté.
00:50:11 Et à ce moment-là, ce qu'il va faire, c'est aller chez les diables blancs
00:50:15 pour mourir.
00:50:16 Et c'est comme ça qu'on va avoir connaissance de toute une tradition,
00:50:21 de toute cette société qui était passée à l'as.
00:50:25 Est-ce qu'on est face à quelque chose comme ça ?
00:50:29 Est-ce que quand Homo sapiens est arrivé, il a d'abord eu un certain nombre
00:50:33 de relations ou des gens exclus du groupe ?
00:50:35 C'est le grand classique, en fait, quand en ethnographie,
00:50:39 les gens qui servent de guide sont souvent des gens qui sont exclus
00:50:42 de leur propre groupe et n'ayant plus de groupe, ils sont rejetés.
00:50:45 Ils vont chercher un autre groupe et c'est eux qui, généralement,
00:50:48 ont servi de guide aux populations qui arrivaient sur ces nouveaux territoires.
00:50:53 Est-ce que simplement, ils ont recueilli des gens qui avaient brisé
00:50:56 les tabous parmi les Néandertaliens et qui ont été recueillis par ces sapiens ?
00:51:01 C'est qu'ils leur ont bien servi de guide ?
00:51:03 Ou est-ce qu'ils ont eu d'autres relations plus approfondies ?
00:51:07 C'est très difficile à dire.
00:51:09 En réalité, on ouvre des portes.
00:51:11 J'ouvre des portes, là, en direct, mais on ne sait pas.
00:51:15 Dans Néandertal nu, je fais vraiment à chaque fois couvrir les portes
00:51:21 et je me refuse à les refermer.
00:51:24 Mais j'ouvre des champs de la pensée qui, souvent, n'ont pas été explorés
00:51:28 et doivent être explorés en dehors des sentiers, des chemins battus.
00:51:33 Parce que si on ne sort pas de nos grands schémas,
00:51:36 on n'arrivera pas à penser l'impensable.
00:51:39 Et la rencontre entre Néandertal et sapiens,
00:51:41 la rencontre avec une humanité qui n'est pas nous, c'est l'impensable.
00:51:45 Alors, quand tu as travaillé dans cette grotte Mandrin,
00:51:51 déjà, pourquoi avoir cherché là-bas ?
00:51:56 Ça, c'est une bonne question.
00:51:57 En fait, c'est vrai que ça a duré 30 ans et ça continue.
00:52:03 On y est toujours, on y sera cet été encore.
00:52:05 Au départ, on n'avait pas grand chose.
00:52:09 Il y a certainement une part de masochisme, je pense.
00:52:12 C'était très dur à fouiller.
00:52:14 Le sédiment était extrêmement dur.
00:52:18 Au début, on travaillait en toute petite équipe,
00:52:20 avec de tout petits financements, dans des conditions logistiques très dures,
00:52:23 dans un camping municipal,
00:52:26 avec des fois des populations locales hostiles.
00:52:29 Non, les gens sont très bien accueillants dans le coin.
00:52:33 Mais c'est vrai que logistiquement,
00:52:36 pendant 15 à 20 ans, ça a été dur.
00:52:40 Et alors la question, c'est pourquoi à un moment donné,
00:52:44 on s'entête et on se dit c'est là que ça se passe ?
00:52:46 Et là, je pense que moi, ça fait 30 ans que je traque la créature
00:52:50 et que je le traque partout.
00:52:53 Et je crois que c'est comme un chasseur, un trappeur.
00:52:57 Tu vois, tu es en forêt et si tu suis le trappeur, tu te dis qu'est-ce qu'il fout ?
00:53:03 Qu'est-ce qu'il cherche ?
00:53:05 Tu dis, il est complètement con parce qu'au bout de trois jours,
00:53:07 tu n'en peux plus et qu'il trappe.
00:53:09 Et puis, le quatrième jour, il t'amène sur le caribou et lui, il l'avait pisté.
00:53:14 Et je crois que c'est un ensemble d'éléments
00:53:20 un petit peu certainement inconscients ou non verbalisés
00:53:25 qui permettent de ressentir, de reconnaître dans des lieux,
00:53:29 exactement comme un trappeur, les éléments où tu te dis,
00:53:32 c'est là que ça se passe.
00:53:34 Là, il y a un truc qui va sortir.
00:53:36 Il y a un truc que je ne comprends pas.
00:53:38 Il y a un truc que je veux comprendre.
00:53:40 Et tu insistes.
00:53:41 Et c'est vrai que les données ont été légères pendant longtemps
00:53:46 et qu'on a dû bricoler comme on pouvait.
00:53:50 Mais ça, j'allais dire, on a dit un petit peu du mal, non pas du CNRS
00:53:55 parce que le CNRS est une superbe institution,
00:53:57 mais on a dit un petit peu du mal de nos sociétés en disant,
00:54:00 imaginez quelqu'un qui se présente à un concours, que ce soit le Harvard
00:54:03 ou le CNRS, habillé en papou, il ne serait pas recruté.
00:54:07 Mais en même temps, là, on va rééquilibrer la balance.
00:54:09 Je veux dire, imaginons que si j'étais un chercheur américain, par exemple,
00:54:14 je serais sur des contrats à 4 ans, à 5 ans, à 10 ans,
00:54:17 et je ne pourrais pas me permettre de me lancer dans des programmes
00:54:20 qui semblent stériles pendant 30 ans.
00:54:23 Et que si ça, c'est le CNRS qui a permis de faire confiance à ces agents
00:54:30 et de se dire, si j'y crois, voyons.
00:54:33 Et c'est ce qui est sorti après 30 ans.
00:54:37 C'est-à-dire que si on n'avait pas mis ces 30 ans d'effort, 2, 3, 4, 5 mois par an.
00:54:41 Et ça, je pense que c'est une institution assez unique au monde pour ça, le CNRS,
00:54:45 car elle permet d'aller explorer, je pense, des champs
00:54:49 qu'on ne se permettrait pas d'explorer sur le temps court.
00:54:54 Et donc, on permet d'explorer des champs improbables.
00:54:58 Et c'est ce champ improbable qui, aujourd'hui, je pense, réécrit
00:55:01 une grande partie de la question de l'extinction néandertalienne
00:55:05 et de la question de la colonisation de l'Europe par les premiers homo sapiens.
00:55:09 Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ?
00:55:11 À propos de quoi précisément ?
00:55:13 Comme tu le disais, on n'a pas de réponse.
00:55:16 Tout est un peu flou, mais de différentes supputations de comment,
00:55:20 effectivement, aurait pu être
00:55:23 "remplacé".
00:55:26 Si tu veux, toutes les hypothèses et les théories
00:55:30 les plus folles ont été soulevées, qui vont de l'impact de météores
00:55:36 aux changements climatiques, aux explosions de volcans,
00:55:39 aux problèmes de champs magnétiques terrestres, de radiations solaires.
00:55:44 On a tout mis, on a tout mis.
00:55:46 Et changement des biotopes, tout ce que tu veux.
00:55:49 Et à la fin, on a dit c'est certainement un petit peu tout ça,
00:55:52 de fragilité biologique de Néandertal, d'incapacité à se confronter
00:55:57 à des changements climatiques.
00:55:58 Et on a mis tout ça, puis on a dit,
00:56:00 "Et puis peut-être que Sapiens est venu mettre la dernière pichenette à la fin."
00:56:03 Et c'est vrai que tant qu'on était à plus ou moins 1 000 ans,
00:56:07 on pouvait laisser Homo sapiens à la périphérie de la problématique
00:56:13 de cette question d'extinction humaine.
00:56:15 Quand d'un coup, on dit que c'est 6 mois,
00:56:18 et le 6 mois, en fait, on l'a deux fois.
00:56:21 On l'a sur l'arrivée d'Homo sapiens à 54 000
00:56:24 et on l'a au sommet de la séquence, sur nos derniers Néandertaliens
00:56:27 et nos tout premiers Homo sapiens.
00:56:29 Là aussi, à nouveau, on a 6 mois avec ce changement culturel extrêmement brutal
00:56:33 entre les derniers Néandertaliens et le fameux proto-orygnacien,
00:56:36 les cultures de l'Homo sapiens.
00:56:39 Alors quand on est à 6 mois,
00:56:41 d'un coup, le coup de la comète, ça commence à devenir un peu gros,
00:56:45 les radations cosmiques aussi,
00:56:47 et l'incapacité de s'adapter à des changements climatiques
00:56:50 alors qu'on ne voit pas de changements climatiques,
00:56:52 et que Néandertal a vécu dans des climats extrêmement chauds.
00:56:56 Il y a 120 000 ans, Néandertal en Europe était dans ce qu'on appelle
00:57:00 une phase qu'on a appelée l'hémien,
00:57:01 dans laquelle la température des océans était 2, 2,5°C,
00:57:06 3°C de plus que l'actuel.
00:57:08 C'est localement beaucoup, beaucoup plus chaud.
00:57:11 Ça peut être ici en Europe, des différences de température
00:57:14 qui peuvent aller jusqu'à 10 ou 15°C.
00:57:16 Ce n'est pas du détail.
00:57:17 Donc, dans ces périodes-là,
00:57:21 les Néandertaliens se sont confrontés à des environnements,
00:57:24 à d'immenses environnements forestiers,
00:57:26 à des forêts primaires tout à fait gigantesques,
00:57:28 qui relèvent plus de la forêt amazonienne que de la steppe herbacée.
00:57:32 Et donc, les environnements,
00:57:36 les aires glaciaires, bien sûr, il a su tout à fait s'y adapter.
00:57:41 Il en a tiré son parti.
00:57:43 C'est un très grand chasseur de chevaux et de bisons,
00:57:46 qui sont ses faunes des steppes.
00:57:47 Mais ça a été aussi un grand chasseur de cerfs dans la forêt.
00:57:51 Et dire, il y a 40 000 ans,
00:57:54 les changements climatiques, si seulement il y en a,
00:57:57 c'est de la piche nette.
00:57:58 Ce n'est rien du tout pour Néandertal.
00:58:00 Donc, mettre le climat, tu l'enlèves.
00:58:03 L'impact de météores, ça ne tombe pas au bon endroit au bon moment.
00:58:07 Pas de chance.
00:58:08 Le volcan, c'est trop local.
00:58:11 Donc, à la fin, tu enlèves tout.
00:58:13 Et si tu remets que, finalement,
00:58:15 il y a une synchronie tout à fait remarquable
00:58:19 entre l'extinction et l'arrivée d'Homo sapiens,
00:58:22 d'un coup, Sapiens se retrouve au centre.
00:58:24 Alors, je ne suis pas du tout en train de dire
00:58:27 qu'on est face à un génocide originel.
00:58:29 Ce que j'essaie de dire,
00:58:31 c'est que Sapiens doit être au centre de l'équation,
00:58:34 au même titre que les Européens sont au centre de l'équation
00:58:37 dans la question de la colonisation des Amériques.
00:58:40 Et effectivement, ce qui s'est passé en Amazonie,
00:58:43 ce n'est pas ce qui s'est passé pour les Inuits dans le Grand Nord canadien.
00:58:47 Mais en ultime instance, c'est bien l'arrivée des populations colon-européennes,
00:58:51 de leur très grand dynamisme,
00:58:53 qui a généré de ces vagues de peuplement,
00:58:56 qui a généré en ultime instance ces remplacements de population.
00:59:00 Mais encore une fois, ça ne veut même pas dire qu'ils se soient seulement rencontrés.
00:59:04 Ils ont pu tout à fait s'éviter,
00:59:06 mais les déstabilisations sociales induites par l'arrivée de nouvelles populations
00:59:12 ont pu être suffisamment fortes
00:59:14 pour déstructurer toutes les interconnexions
00:59:17 qu'avaient les populations aborigènes néandertaliennes.
00:59:20 Ça veut simplement dire que s'installant au cœur d'un territoire,
00:59:23 ayant leurs technologies, les technologies sapiens,
00:59:27 dont on voit la très grande normalité,
00:59:29 la très grande standardisation, la très grande efficacité,
00:59:32 ces populations-là sont certainement dotées d'archeries,
00:59:36 une archerie du cinquantième millénaire,
00:59:38 ils l'ont certainement encore au quarantième millénaire.
00:59:41 Tout ça, c'est des éléments qui montrent que ces populations
00:59:43 ont ce qu'on appelle des propulsions mécaniques,
00:59:46 c'est-à-dire arcs ou propulseurs néandertales.
00:59:49 Tout ce qu'on connaît dans ces armements,
00:59:51 je ne parle pas d'armes de guerre, mais ça pourrait être des armes de guerre,
00:59:53 mais simplement d'armes de chasse,
00:59:55 ce sont de lourdes armes d'astre, très hétéromorphes.
01:00:00 Et on voit que les intérêts technologiques ne sont pas du tout les mêmes.
01:00:07 Et que chez Homo sapiens, il y a un intérêt et une recherche de l'efficacité
01:00:13 et de la normalisation.
01:00:15 Je crois que le secret, c'est peut-être l'une des conclusions
01:00:19 les plus fortes du néandertal nu.
01:00:21 Je ne veux pas tout spoiler le livre,
01:00:23 mais de toute façon, c'est un condensé de concepts.
01:00:29 Mais un des éléments, je pense extrêmement important,
01:00:32 que je soulève dans ce livre, c'est dans la question des éthologies.
01:00:35 Et je relève ce que j'ai dit en début de notre rencontre,
01:00:39 c'est qu'il y a une esthétique tout à fait remarquable
01:00:42 dans les artisans néandertaliens,
01:00:44 mais qu'en même temps, chaque objet est unique.
01:00:46 Que chaque objet est une sorte de partie d'échec,
01:00:48 on regarde ça, moi en tant que tailleur expérimentateur,
01:00:51 je regarde les objets et je me dis à chaque fois,
01:00:53 mais qu'est-ce qu'il veut faire ?
01:00:55 Où va l'artisan ?
01:00:56 C'est quelque chose d'assez stupéfiant,
01:00:58 comme si chaque objet était une création totale
01:01:00 et une création qui rentrait en dialectique avec les matières,
01:01:04 avec les couleurs, avec les textures.
01:01:06 En fonction des silex qu'il va trouver,
01:01:08 il va regarder la matière
01:01:10 et il va voir ce qu'il y a à l'intérieur
01:01:12 et il va adapter ses artisanas et ses traditions
01:01:15 pour réaliser un objet tout à fait original.
01:01:18 Ça, c'est néandertal.
01:01:20 Quand on prend les artisanas sapiens,
01:01:22 même des artisanas sapiens très anciens
01:01:24 qu'on peut voir en Afrique,
01:01:27 il y a 80 000 ans, 100 000 ans,
01:01:28 ou en Europe, je pense au 54e millénaire,
01:01:32 quand on regarde les objets,
01:01:33 ils sont impressionnants techniquement.
01:01:36 Il faut vraiment voir la normalisation de ces objets,
01:01:40 la qualité technique.
01:01:43 Je pense qu'un certain nombre de ces pointes,
01:01:46 de ces 1499 pointes qu'on a retrouvées,
01:01:49 je pense que peu de monde aujourd'hui sur Terre
01:01:52 est capable de les reproduire et peut-être personne.
01:01:56 Il y a des éléments, il y a quelques mains,
01:01:58 on peut reconnaître un certain nombre de mains de tailleur
01:02:01 dans les artisanats.
01:02:02 Il y en a un, je l'appelle le maître,
01:02:04 et ce gars-là, je pense que personne ne refait
01:02:06 ce qu'il devait lui faire en série.
01:02:09 Et donc, on a des artisanats qui sont tout à fait remarquables,
01:02:12 mais dans ces artisanats d'homo sapiens,
01:02:14 il y a un trait saillant extrêmement fort,
01:02:17 quelles que soient les transitions,
01:02:19 chez tous les artisanas sapiens.
01:02:21 C'est cette notion de standardisation.
01:02:24 On fait des objets,
01:02:26 on les produit en série,
01:02:28 on a une idée, elle est logique,
01:02:29 elle est rationnelle, on la suit
01:02:31 et on la produit en série.
01:02:33 Donc, quand vous avez vu les 100 premières pointes en silex
01:02:37 dans votre collection archéologique,
01:02:39 les 10 000 derrière sont les mêmes.
01:02:42 Donc, c'est extrêmement beau,
01:02:43 c'est extrêmement impressionnant
01:02:45 et c'est extrêmement lassant.
01:02:47 Et quand on prend un objet néandertalien,
01:02:50 quand on prend un objet néandertalien, c'est troublant,
01:02:53 parce qu'on se dit "ouah, c'est beau",
01:02:55 mais on a intérêt de vachement bien le regarder,
01:02:57 parce que plus jamais on ne verra le même objet.
01:03:00 C'est une pièce unique.
01:03:02 Et ces gens-là sont des sortes de joueurs d'échecs,
01:03:06 ils ont une sorte de créativité,
01:03:08 de liberté absolue.
01:03:10 Alors que chez Sapiens,
01:03:12 il y a cette volonté de reproduire
01:03:15 et de toujours faire la même chose.
01:03:16 Et en fait, les logiques de Sapiens
01:03:18 sont vraiment nos logiques.
01:03:20 Et on le voit quand on tombe sur les grottes ornées,
01:03:23 dans la même région, à quelques kilomètres de là,
01:03:26 on a la grotte Chauvet,
01:03:27 on n'est pas loin dans le temps.
01:03:29 Et à la grotte Chauvet,
01:03:30 quand on voit ces grandes fresques parietales,
01:03:33 donc on a des panneaux comme ça,
01:03:35 peints au charbon de lionne ou de rhinocéros,
01:03:39 mais on comprend de suite.
01:03:40 Je veux dire, il y a des perspectives,
01:03:42 il y a des vues de trois quarts.
01:03:44 On la voit la lionne,
01:03:45 elle est dans son comportement éthologique justement,
01:03:47 on voit une lionne en train de chasser,
01:03:49 une lionne qui se prépare à sauter.
01:03:51 On comprend tout.
01:03:52 Il y a ça 34 000 ans, mais c'est juste évident.
01:03:55 Mais ce qu'on voit sur les parois
01:03:57 n'est qu'un reflet de ce qu'on voit
01:03:59 dans tous les artisanats sapiens.
01:04:02 Quand on prend des artisanats sapiens,
01:04:03 ils nous sont instinctivement, immédiatement évident.
01:04:07 Et ça, je pense que c'est le truc qu'on avait raté.
01:04:10 C'est-à-dire que chez Néandertal,
01:04:13 chaque objet nous plonge dans l'univers mental d'une personne
01:04:19 à un moment donné face à une matière.
01:04:22 Et ça, quelles que soient les...
01:04:23 Il y a des cultures, des traditions très différentes chez Néandertal,
01:04:26 mais quelles que soient ces traditions, c'est le point commun.
01:04:29 Il y a une créativité totale, une liberté d'être totale.
01:04:32 Et c'est ce que vraiment j'essaie d'expliquer dans cet ouvrage.
01:04:39 C'est que si la définition de l'humanité,
01:04:42 c'est la créativité et la liberté d'être,
01:04:45 mais alors réveillons-nous,
01:04:46 peut-être que les humains ont disparu il y a 40 000 ans.
01:04:49 Ça donne un vertige total.
01:04:52 Et peut-être que notre manière d'être humain,
01:04:54 effectivement, la normalisation, la rationalisation,
01:04:58 la production en série, qui sont nos manières d'être,
01:05:00 mais nos manières d'être dans toutes les cultures,
01:05:02 on révélit ici une question de degré,
01:05:04 mais dans toutes les cultures, ce sont nos manières de sapiens.
01:05:08 Ces manières-là nous donnent effectivement une très,
01:05:11 très grande efficacité, une très grande supériorité,
01:05:14 parce que la créativité de Néandertal,
01:05:16 c'est la créativité du poète.
01:05:18 C'est celui qui va prendre son objet et qui va dire
01:05:20 "Ah ben là, tiens, aujourd'hui, ça sera une pointe
01:05:23 et puis demain, ça sera un racloir".
01:05:25 Mais tu vois, c'est ça le truc.
01:05:27 Et même quand on travaille sur des éléments,
01:05:30 les éléments, je pense, les plus normalisés,
01:05:32 c'est dans l'armement.
01:05:33 Quand on prend les armements et ces armements mécaniques
01:05:36 chez Sapiens, on a des productions dans tout le paléolithique
01:05:40 qui sont d'une standardisation remarquable.
01:05:43 Et quand on prend Néandertal,
01:05:44 en fait, on a même du mal à retrouver ces armes.
01:05:47 C'est des espèces de trucs hétéromorphes,
01:05:48 épais comme des steaks.
01:05:49 Ils sont beaux, mais à chaque fois,
01:05:52 c'est au bon vouloir de celui qui a le Silex entre les mains.
01:05:55 Et le truc, c'est que ces gens-là,
01:05:58 peut-être qu'on aurait eu beaucoup de mal à communiquer
01:06:01 ou qu'on aurait eu beaucoup de mal à communiquer avec eux
01:06:03 et que peut-être que sur le champ de la créativité,
01:06:07 ils nous surplombaient de très haut, de très très haut.
01:06:11 Et c'est vrai qu'il y a quelque chose,
01:06:13 il y a cette très grande efficacité,
01:06:14 cette très grande...
01:06:17 C'est impressionnant, ces productions normalisées.
01:06:20 Je veux dire l'homo sapiens, l'hyper homo sapiens,
01:06:24 c'est vraiment, c'est la danse, les danses standardisées.
01:06:28 On va en Chine et on voit d'un coup,
01:06:30 il y a 50 000 personnes qui dansent tous en même temps.
01:06:33 C'est super beau, c'est super impressionnant,
01:06:35 mais moi, ça me fait peur.
01:06:37 Enfin, 50 000 personnes qui bougent tous au millimètre en même temps,
01:06:40 c'est aussi quelque chose d'extrêmement martial.
01:06:43 Et je pense qu'il y a...
01:06:45 C'est un peu triste à dire,
01:06:46 il y a peut-être, mais justement, c'est ce que je dis,
01:06:48 c'est cette mise en miroir.
01:06:50 On comprend bien quelque chose seulement en le comparant à autre chose.
01:06:54 C'est cette mise en miroir-là.
01:06:56 On a d'un coup un éclairage de Neandertal
01:06:58 qui peut-être nous donne un éclairage sur homo sapiens,
01:07:00 un éclairage un peu cru,
01:07:03 dans lequel les aspects normalisés de notre humanité,
01:07:07 les aspects standardisés de répétition,
01:07:09 de répétition de ce que fait l'autre.
01:07:11 Je disais le coup d'Einstein en Papou, c'est ça.
01:07:17 C'est-à-dire que nous sommes dans des sociétés avec des cultures différentes,
01:07:21 mais on n'accepte pas la différence.
01:07:23 On a beaucoup...
01:07:24 Nous autres, homo sapiens, avons beaucoup de mal pour accepter la différence.
01:07:30 C'est le coup de...
01:07:31 Tu vois un beau paysage, tu t'arrêtes, tu arrêtes ta voiture, c'est magnifique.
01:07:36 Et bien sûr, comme tu viens de t'arrêter,
01:07:38 il y a quelqu'un qui s'arrête derrière.
01:07:39 Mais toi, tu voulais être tranquille.
01:07:41 Mais tu vois, il y a ce besoin,
01:07:43 on l'a tous en nous,
01:07:45 il y a ce besoin de se regrouper, d'être tous ensemble.
01:07:49 Tu vois, c'est Boris Cyrulnik qui disait "tous ensemble, tous ensemble".
01:07:52 Mais tous ensemble, ça me fait peur moi, tous ensemble.
01:07:55 Tous ensemble,
01:07:57 tous ensemble quoi.
01:07:59 Et le truc, c'est que moi j'aimerais bien,
01:08:02 tu vois, qu'on puisse se tourner vers ces humanités passées
01:08:06 sans reproduire nos schémas mentaux.
01:08:09 Et ne pas reproduire nos schémas mentaux,
01:08:11 je pense que c'est la seule manière d'essayer de comprendre ce qui se passe
01:08:14 et d'essayer de ce qui se passe ici, dans le moment de l'extinction.
01:08:18 Si je ne me plante pas,
01:08:21 je peux me planter,
01:08:23 mais si je ne me plante pas
01:08:25 et qu'effectivement, il y a cette créativité remarquable chez Néandertal
01:08:30 et cette standardisation effrayante chez Sapiens,
01:08:35 alors, et que les deux ont plus ou moins six mois maximum de remplacement,
01:08:40 je pense qu'on a là tous les éléments du processus qui sont sur la table et devant nous.
01:08:45 Je ne dis pas que dans les aspects martiaux guerriers de Sapiens,
01:08:50 on est allé éradiquer les Néandertaliens,
01:08:52 mais je dis que les processus de normalisation et de standardisation intellectuelle
01:08:58 des populations modernes,
01:09:00 leur ont donné une très grande efficacité
01:09:02 sur les territoires même des populations aborigènes néandertaliennes
01:09:07 et que cette grande supériorité technique, objective,
01:09:10 même si on peut dire la créativité est beaucoup plus belle,
01:09:13 objectivement, Van Gogh a crevé la dalle,
01:09:16 il faisait la manche à la sortie des églises à Arles.
01:09:19 La beauté, ça ne paye pas.
01:09:23 Et il y a une objectivité,
01:09:28 une supériorité objective, triste, effroyable,
01:09:33 je pense, des éthologies d'homo sapiens sur les éthologies néandertaliennes.
01:09:39 Bien que je pondère en disant qu'effectivement,
01:09:42 je pense qu'en ce qui concerne la créativité,
01:09:45 il est bien probable que la créature nous ait surplombé de beaucoup.
01:09:49 – Oui, il y a l'artiste d'un côté, l'ouvrier de l'autre.
01:09:53 – Oui, alors le truc, c'est que si tu le prends comme ça,
01:09:56 c'est désespérant parce que tu te dis, mais où est l'espoir ?
01:09:59 Si tous les homo sapiens produisent des éléments martiaux,
01:10:03 alors je ne sais pas si je suis allé jusque-là,
01:10:05 dans Néandertalus, je ne sais plus parce que j'ai écrit il y a plus d'un an,
01:10:08 mais j'ai dû le dire quelque part, ou je pense que j'ai dû le dire dedans,
01:10:13 je veux dire que si on finit simplement sur le désespoir,
01:10:16 alors on vient de comprendre ce qu'est l'homme et c'est désespérant,
01:10:19 et donc ça ne s'adresse pas du tout à des philosophes,
01:10:24 à des sociologues, à des gens du commun, à tout un chacun,
01:10:27 et tout le monde peut comprendre ce que j'écris là-dedans.
01:10:29 Et c'est vraiment écrit comme ce récit de voyage-là,
01:10:33 et j'allais dire, il faut quand même apporter une lueur d'espoir
01:10:36 parce que j'espère être un peu humaniste quand même malgré tout ça,
01:10:41 et aimer aussi toute l'espèce humaine que j'ai vue sur tous les continents,
01:10:46 et qui est quelque chose de tout à fait remarquable aussi dans l'homme,
01:10:50 il faut l'aimer comme il est, et j'allais dire, il y a un espoir,
01:10:53 l'espoir c'est quoi ? Ça veut dire que c'est le mouton noir,
01:10:57 c'est-à-dire que s'il y a un con dans le lot,
01:11:00 dans tous les gars qui sont en train de danser en même temps,
01:11:03 et qu'il y a un gars qui fait différemment,
01:11:06 mais qui intéresse beaucoup de monde, un peu comme ce que tu fais sur ta chaîne,
01:11:09 et bien en fait il peut emporter tout le troupeau avec lui.
01:11:12 Et je crois que c'est l'espoir, c'est que s'il y a des gens parmi nous
01:11:16 qui sont plus créatifs, plus humanistes, plus aimants,
01:11:19 qui ont un regard fort et humain sur le monde,
01:11:23 et qu'ils arrivent à emporter avec eux des gens,
01:11:26 et bien Sapiens est fait de telle sorte que peut-être que tout le troupeau peut suivre.
01:11:31 C'est beau !
01:11:34 C'est ma dernière lueur d'espoir !
01:11:35 [Rires]
01:11:38 En tout cas sur les implications, alors tu ne nous as pas dit exactement
01:11:41 quelle était la spécificité vraiment de la grotte Mandrin,
01:11:45 est-ce qu'il y a quelque chose de particulier dans cette grotte par rapport à d'autres ?
01:11:48 Ce sont la très grande qualité des enregistrements archéologiques,
01:11:52 parce que la cavité en fait s'appelle grotte Mandrin,
01:11:55 mais ce n'est pas une grotte, c'est un abri, c'est une bulle dans le rocher.
01:11:58 Et ça c'est un très grand avantage parce que dans les grottes il y a des processus,
01:12:02 les grottes c'est créé par l'eau, par des passages d'eau, par des rivières,
01:12:07 des fois ça dégueule, ça vidange, ça nettoie, ça emporte les niveaux, ça mélange.
01:12:12 Là ce n'est pas du tout ça, en fait on s'appelle grotte mais ce n'est pas une grotte,
01:12:15 c'est un abri, c'est un abri sous voûte.
01:12:16 Et donc on a une voûte d'une dizaine de mètres de large et de profondeur
01:12:22 qui fait une sorte de coquille, comme ça, mais qui est complètement fermée.
01:12:26 Et cette coquille-là est ouverte plein nord dans la vallée du Rhône.
01:12:30 Et pour ceux qui nous écoutent et qui sont du sud-est,
01:12:33 ils connaissent un truc qui s'appelle le mistral,
01:12:35 ils en bouffent plus de 100 jours par an et c'est un truc vraiment puissant,
01:12:39 c'est un des vents les plus puissants au monde.
01:12:41 Et ce vent-là pendant les grandes périodes glaciaires était dans un environnement
01:12:45 dans lequel on n'était que dans de la stèpe herbacée
01:12:48 avec très peu de couverts végétaux pour retenir les sédiments.
01:12:51 Et donc quand il soufflait très très fort,
01:12:53 le mistral allait prendre le long des berges du Rhône des sables et des limons,
01:12:58 les prenait violemment et allait les redéposer 100 mètres plus haut dans la grotte.
01:13:02 Et on a une sorte de remplissage continu qu'on appelle éolien par les vents,
01:13:07 des sortes de lœss, ce qu'on appelle les lœss,
01:13:09 qui sont ces limons très très fins déposés par le vent,
01:13:12 et ça s'est rempli, rempli, rempli, et ça s'est intercalé,
01:13:15 les hommes venaient, ils laissaient, ils abandonnaient leur silex,
01:13:18 ils faisaient leur foyer, ils faisaient leurs activités,
01:13:20 ils découpaient leurs bêtes, des fois peut-être qu'ils laissaient un corps.
01:13:24 Et puis comme ça, ça se remplissait et tout était préservé.
01:13:27 C'est pour ça que je dis que Mandrin, c'est une sorte de Pompéi à répétition,
01:13:33 sans l'aspect catastrophique, il y a une sorte de conservation en série
01:13:37 dans douze grandes faces où comme ça on piège, on enregistre,
01:13:41 et tout ce qui est rentré là-dedans est complètement piégé
01:13:44 et ne bouge plus du tout, est complètement scellé.
01:13:47 Et ça c'est vraiment une des particularités.
01:13:50 Avec la deuxième particularité, c'est que ces fameuses industries du Néronia,
01:13:54 ces fameuses industries d'Homo sapiens il y a 54 000 ans,
01:13:59 on les retrouve dans quatre autres sites de la région.
01:14:01 Mais dans ces quatre autres sites, en fait, c'est le sommet,
01:14:05 c'est-à-dire au-dessus il n'y a plus rien,
01:14:07 il n'y a plus d'enregistrement archéologique.
01:14:08 Et à Mandrin ça continue, le vent bien sûr,
01:14:11 parce que c'est le vent, et le vent lui ne s'est pas arrêté,
01:14:14 ça a continué à se remplir.
01:14:16 Et en fait, on a pensé dans les années 60,
01:14:20 mon maître Jean Combier en 63 pensait que des industries
01:14:24 qu'il n'avait pas encore appelées le Néronia lui,
01:14:26 mais qu'il avait appelées le Moustérien évolutif,
01:14:28 il avait déjà repéré le truc, il se passe quelque chose.
01:14:31 Il avait dit "ah c'est bizarre, les séquences archéologiques s'arrêtent là-dessus,
01:14:36 c'est la fin du cycle".
01:14:39 Et en fait, il ne nous manquait ni plus ni moins que douze millénaires.
01:14:42 Et c'est douze millénaires de ces premiers Homo sapiens
01:14:46 jusqu'à l'extinction néandertalienne,
01:14:47 donc on a les sapiens qui viennent,
01:14:49 et après Néandertal revient après ses 40 ans,
01:14:52 et il va revenir pendant cinq grandes phases et pendant douze millénaires.
01:14:55 Et ce processus d'intercalation entre différentes humanités
01:15:00 est quelque chose de tout à fait unique sur le continent européen,
01:15:04 et c'est l'une des grandes particularités de la Grotte Mandrin,
01:15:07 avec son caractère de Pompéi à répétition,
01:15:10 d'enregistrement, de préservation, de très très belles conservations archéologiques,
01:15:15 de richesses archéologiques tout à fait remarquables,
01:15:18 on a l'intercalation d'humanités très différente.
01:15:22 Alors la question bien sûr qu'on doit se poser immédiatement,
01:15:24 mais pourquoi est-ce que là, toi, pourquoi est-ce que tu aurais
01:15:28 0075, 025, 0001, pourquoi tu aurais une intercalation,
01:15:32 pourquoi tu aurais un retour de Néandertal ?
01:15:33 On n'a ça nulle part en Europe.
01:15:35 Et c'est une vraie question, et c'est une question qu'on ne peut pas éluder.
01:15:40 Et je pense que la réponse est dans le cadre géographique,
01:15:45 et ce cadre géographique singulier, c'est la vallée du Rhône,
01:15:49 et le Rhône, c'est l'échelle qui nous permet de comprendre ce qui se passe ici.
01:15:54 Le continent européen est un espace géographiquement extrêmement segmenté,
01:15:59 on a les Pyrénées, le Massif central, les Alpes qui partent de la France,
01:16:03 et on en a jusqu'en Autriche, et puis après on a les Carpathes,
01:16:05 on a tout ce qu'on veut, tout est extrêmement segmenté,
01:16:08 et on n'a pas de passage depuis cet immense ensemble méditerranéen
01:16:12 jusqu'à l'Europe du Nord.
01:16:14 Et le seul axe, c'est le Rhône, le seul passage Nord-Sud aujourd'hui, toujours.
01:16:20 C'était à l'époque la vérité pour les grands herbivores,
01:16:23 pour les chevaux, pour les bisons, pour les mammouths,
01:16:26 et ça l'est aujourd'hui.
01:16:27 Aujourd'hui, l'été, sous la grotte Mandrin,
01:16:30 il y a 70% de la circulation européenne qui passe sous la grotte,
01:16:34 70% dans l'axe Nord-Sud.
01:16:36 Pourquoi ? Parce que sur 300 mètres,
01:16:38 on a autoroute nationale départementale, TGV, tout est calé là,
01:16:41 et tout ne peut être calé que là,
01:16:43 parce qu'on est entre le Massif central et les Alpes,
01:16:45 et que c'est le seul…
01:16:46 c'est pour ça aussi que souffle le Mistral,
01:16:48 ce sont les dépressions de l'Europe du Nord qui va vers la Méditerranée,
01:16:52 qui est aspirée, les masses d'air ne peuvent passer que là,
01:16:55 les voitures, les trains, les TGV ne peuvent passer que là,
01:16:58 et c'était pareil pour les mammouths et les hommes.
01:17:00 Et cette très grande conjonction fait que cet espace géographique
01:17:04 tout à fait singulier qui unit l'Europe méditerranéenne à l'Europe du Nord,
01:17:08 c'est un espace tout à fait central.
01:17:11 J'allais même dire, c'est l'espace central du continent,
01:17:14 et c'est l'espace dans lequel on n'avait pas déterminé,
01:17:17 on n'avait pas mis l'effort archéologique.
01:17:19 Tous les efforts archéologiques,
01:17:22 la grande phase de la préhistoire, c'est le XXe siècle en France,
01:17:26 et les efforts ont été essentiellement, en dehors de mon maître Jean Combier,
01:17:31 ont été portés sur le Périgord, la Dordogne, la Bourgogne, le bassin parisien,
01:17:36 avec les deux grandes écoles du XXe siècle,
01:17:38 qui était l'école de Leroy Gourand,
01:17:40 qui a travaillé beaucoup en Bourgogne, le nord de la Bourgogne et le bassin parisien,
01:17:44 et l'école de François Borde, qui était sur Bordeaux,
01:17:47 et c'était la Dordogne, etc.
01:17:49 Mais quand vous êtes en Dordogne, c'est extraordinaire,
01:17:52 parce qu'effectivement, ils avaient des sites très riches,
01:17:54 très beaux, avec de très belles choses,
01:17:57 mais en fait, c'est le cul du monde.
01:17:59 C'est-à-dire que c'est la dernière impasse avant l'océan,
01:18:02 c'est le bout ouest de l'Eurasie,
01:18:05 et on n'était pas du tout dans les espaces d'échange et de circulation.
01:18:10 Le Rhône, c'est l'un des plus importants fleuves d'Europe occidentale,
01:18:15 c'est le seul fleuve qui permet la jonction de la Méditerranée,
01:18:18 et quand on est au nord, l'axe Rhônesonne, c'est l'estèpe d'Europe du Nord,
01:18:22 et à l'échelle de la Méditerranée, c'est le deuxième fleuve de Méditerranée,
01:18:27 en termes de quantité d'eau et de sédiments apportés à terre.
01:18:31 La Méditerranée fonctionne essentiellement sur le Nil d'un côté et le Rhône de l'autre,
01:18:37 et c'est vrai que ces deux grands espaces-là sont les deux grands espaces de circulation
01:18:41 et d'endroits où on a eu des échanges entre les populations à travers les millénaires.
01:18:46 Il faut comprendre, je pense,
01:18:49 et Mandrin et le Rhône à cette échelle méditerranéenne,
01:18:52 en comprenant pourquoi en Méditerranée émergent toutes les religions monothéistes,
01:18:58 tous les alphabets, toutes les grandes civilisations de Rome, de Grèce, d'Égypte.
01:19:02 Pourquoi ?
01:19:02 Ce n'est pas parce qu'il y a un bon Dieu barbu avec une barbe blanche
01:19:06 qui a posé le doigt là et qui a dit que ça serait là,
01:19:08 c'est parce que la Méditerranée,
01:19:10 ça c'est après 30 ans que je bouillonne tout ça,
01:19:13 après 30 ans, la Méditerranée est le seul espace
01:19:20 où tout l'Ancien Monde se rencontre.
01:19:23 C'est la rencontre de l'Europe, de l'Asie et de l'Afrique.
01:19:26 Et donc c'est cet espace singulier où toutes les populations
01:19:31 de tous les continents de l'Ancien Monde sont reliées,
01:19:34 se rejoignent, échangent des concepts, échangent des idées, échangent des idées.
01:19:38 C'est là que ça se passe.
01:19:40 Et la Méditerranée, c'est le Nil et le Rhône.
01:19:43 - Et alors du coup, il sera arrivé finalement via la navigation dans cette route ?
01:19:50 - Alors, je ne sais pas comment ils sont arrivés.
01:19:54 Ce que je peux dire, je peux dire, il y a des éléments que je peux affirmer.
01:19:58 Les éléments que je peux affirmer, c'est qu'effectivement,
01:20:01 quand je suis parti en 2016 à Harvard,
01:20:04 j'ai constaté que ces artisanats de l'Est de la Méditerranée,
01:20:10 d'Homo sapiens, sont exactement nos artisanats dans les mêmes phases chronologiques.
01:20:15 Donc ça, c'est le premier truc.
01:20:16 Le deuxième truc que je peux affirmer, c'est qu'il y a 3000 km entre les deux,
01:20:20 en ligne droite.
01:20:21 Et le troisième truc que je peux affirmer,
01:20:23 c'est qu'entre le point A de la vallée du Rhône et le point B sur les flancs du Mont-Liban,
01:20:27 je n'ai pas vraiment de point intermédiaire.
01:20:30 Donc, quand tu prends toute cette équation, que tu secoues,
01:20:33 tu rajoutes un autre petit élément, qui est qu'il y a un deuxième événement majeur,
01:20:38 et ça, on en parle dans l'article de février,
01:20:41 il y a un deuxième événement majeur qui se passe exactement au même moment,
01:20:45 à l'autre bout de l'Eurasie.
01:20:47 Nous, on est à l'extrême fin ouest de l'hypercontinent eurasiatique,
01:20:51 et quand on file de l'autre côté, dans l'Orient eurasiatique,
01:20:56 on a un événement historique tout à fait majeur qui est enregistré.
01:21:00 Et cet événement historique majeur,
01:21:02 c'est la question de la colonisation du continent australien.
01:21:07 Et le continent australien, c'est exactement à ce moment-là.
01:21:10 Pendant qu'il y a nos bonhommes, nos homo sapiens qui viennent en territoire néandertalien,
01:21:15 on a d'autres homo sapiens qui franchissent d'immenses pans de mer,
01:21:20 avec des courants terribles et gavés de requins blancs,
01:21:23 et qui vont coloniser un continent dans lequel il n'y a pas des néandertaliens, mais des kangourous.
01:21:28 Et donc, sur ce côté-là, c'est peut-être plus facile,
01:21:31 mais sur l'autre côté, il y a la question de "mais comment je passe ces pans de mer ?"
01:21:35 Aujourd'hui, je pense qu'il y a au niveau scientifique, globalement, un consensus
01:21:39 pour dire que ça ne peut pas être 4 péquins sur un tronc d'arbre,
01:21:43 et que de par les analyses génétiques qu'on a pu faire sur les populations,
01:21:47 on voit que c'est une grande vague de migration d'un groupe qui est relativement important,
01:21:54 qui est au moins quelques centaines, peut-être quelques milliers de personnes
01:21:58 qui arrivent sur le continent australien.
01:22:00 Mais il faut imaginer, on est exactement contemporain de nos hommes de mandrin.
01:22:05 Au-delà du cinquantième millénaire, 50, 55, 60 000 ans,
01:22:10 et on est en train de dire qu'il y a entre 50 et 60 000 ans,
01:22:16 des populations, des centaines ou des milliers d'hommes,
01:22:20 en une seule vague, ont colonisé un continent.
01:22:23 Ça veut dire que la navigation était déjà, à cette époque, parfaitement...
01:22:28 Enfin, il y a deux hypothèses.
01:22:32 Disons que si on exclut l'aviation, il reste la navigation.
01:22:36 (rires)
01:22:38 Je vois où tu veux en venir.
01:22:42 En prenant les éléments les plus parcimonieux du moment,
01:22:46 on peut proposer que la navigation n'est pas simplement un tronc d'arbre
01:22:50 avec des péquins qui traînent dessus,
01:22:52 mais une vraie navigation, c'est ce dont je parle dans le bouquin,
01:22:55 une vraie navigation est déjà parfaitement maîtrisée.
01:22:58 Alors là, ça nous demande un effort intellectuel, parce qu'effectivement,
01:23:02 ces éléments-là sont archéologiquement absolument invisibles.
01:23:06 C'est juste que, comme j'exclus l'avion, il ne reste que l'aviation.
01:23:10 Et comme l'ADN me dit que c'est une seule grande vague,
01:23:12 ce n'est pas des gars comme ça, sur des millénaires,
01:23:15 dix par là, vingt autres par là.
01:23:17 Non, non, non, c'est une vague de peuplement, une grande vague de peuplement.
01:23:21 Et ça, c'est assez fascinant, parce que ça veut dire que ces technologies
01:23:24 de la navigation, qui sont faites de bois, de textiles, de fibres,
01:23:30 et qui se décomposent donc intégralement dans la terre,
01:23:33 ne se conservent pas sur ces millénaires.
01:23:35 Ils sont donc pour nous une chimère archéologique,
01:23:38 ils sont totalement invisibles, et en réalité,
01:23:41 étaient parfaitement maîtrisés par les navigations.
01:23:43 Mais il faut avoir conscience qu'en réalité,
01:23:46 ce sont d'une part des technologies extrêmement efficaces,
01:23:50 et d'autre part, en réalité, des technologies assez simples.
01:23:52 C'est-à-dire qu'une fois qu'on a vu un gars qui a eu le bon sens
01:23:56 d'aller vider un tronc et de l'utiliser en pirogue,
01:23:59 et qu'on le voit passer à l'horizon sur la Méditerranée ou sur une mer,
01:24:04 il n'y a pas besoin d'être très malin pour comprendre ce que le mec a fait,
01:24:08 et comprendre en quoi c'est efficace.
01:24:11 Et donc, on peut poser, et on sait qu'archéologiquement,
01:24:16 qu'en Eurasie, les populations, et peut-être de très nombreuses populations
01:24:20 en ces époques-là, maîtrisent tout à fait parfaitement la navigation.
01:24:24 Maintenant, je retourne du côté ouest de l'Eurasie,
01:24:27 et là, je pars en conjecture, c'est-à-dire que je n'en sais rien.
01:24:31 Personne ne peut dire qu'ils sont arrivés par navigation.
01:24:34 Et ça, il faut toujours, nous, en tant que scientifiques,
01:24:36 on doit toujours poser le poids des inconnus.
01:24:38 Le poids des inconnus, il est énorme pour ces périodes-là.
01:24:42 J'ai un point A, j'ai un point B, je fais une connexion.
01:24:45 Ce qui est intéressant, c'est que la connexion que j'ai établie
01:24:47 entre le point A et le point B, entre la vallée du Rhône
01:24:50 et les flancs du Mont-Liban, entre ces 3000 kilomètres,
01:24:52 je l'ai établie en blind test, en double aveugle,
01:24:56 c'est-à-dire que j'ai dit, ça doit être Homo sapiens.
01:24:59 Et après, il s'est avéré par les études que c'est bien Homo sapiens.
01:25:03 Mais c'est intéressant de se dire, OK, je fais la définition d'une science,
01:25:08 c'est qu'elle peut être prédictive.
01:25:09 Et donc, quand je publie en 2017 que c'est Homo sapiens,
01:25:12 je pose une prédiction qui peut s'avérer fausse, mais qui s'est avérée exacte.
01:25:18 Et donc, ça donne une très grande robustesse à ce qui est dit,
01:25:23 et donc au diagnostic.
01:25:24 Donc, si on dit dans le diagnostic,
01:25:26 on a pu dire dans la vallée du Rhône que c'était Homo sapiens
01:25:28 parce que ces artisanats étaient vraiment quelque chose
01:25:31 qui était ce qu'on a dans l'Est de la Méditerranée,
01:25:34 alors ça induit qu'il y a un contact très direct entre ces deux espaces-là.
01:25:38 Et s'il n'y a pas de solution,
01:25:41 je n'ai pas vraiment de point entre les flancs du Mont Liban et la vallée du Rhône.
01:25:47 Maintenant, il faut bien imaginer qu'à l'époque,
01:25:50 la mer Méditerranée était beaucoup plus basse
01:25:52 et que tous les sites côtiers ne nous sont pas connus.
01:25:54 Ils ont été aujourd'hui submergés.
01:25:56 Et donc, on peut tout à fait envisager qu'on a des populations
01:26:00 qui sont venues non pas par vraie navigation, mais par cabotage,
01:26:04 ou simplement venues à pied en longeant les côtes,
01:26:06 sachant qu'à l'époque, l'Adriatique était globalement à sec.
01:26:12 Donc, on passe très, très rapidement.
01:26:15 Il y a trois péninsules de la vallée du Rhône au flanc du Mont Liban.
01:26:19 Ces 3 000 km, c'est rien du tout.
01:26:21 Ces trois péninsules, c'est la péninsule italique, la péninsule hélène,
01:26:24 donc la Grèce, et la péninsule anatolienne.
01:26:27 La péninsule anatolienne, moi j'ai travaillé, donc c'est la Turquie,
01:26:31 j'ai travaillé sept ans, j'ai fouillé pendant sept ans en Turquie.
01:26:34 Et globalement, on sait que jusque dans le tournant de la Méditerranée,
01:26:39 là où ça fait l'angle avant de descendre vers le sud,
01:26:41 jusque là, on retrouve ces industries à pointe que je reconnais dans la vallée du Rhône.
01:26:45 Donc, plus au nord que les flancs du Mont Liban.
01:26:47 Et après, toute l'immense péninsule, elle est immense, elle file jusqu'à la Grèce.
01:26:51 Quand on est en Grèce, s'il n'y a pas l'Adriatique,
01:26:53 la vallée du Rhône, elle est juste à côté.
01:26:56 En fait, cette immense péninsule anatolienne, on ne sait pas ce qu'il y a.
01:27:00 On n'a pas les données archéologiques.
01:27:02 On manque de données.
01:27:05 Il y a des équipes tout à fait extraordinaires
01:27:06 sur l'université d'Istanbul et d'Ankara qui travaillent.
01:27:10 Mais de grands programmes sur ces périodes-là restent encore à mettre en place.
01:27:15 J'espère que nombre des étudiants que j'ai côtoyés à l'époque,
01:27:19 qui sont sur Istanbul, auront l'opportunité de fouiller,
01:27:23 d'avoir ces éléments-là entre 40 et 50 000.
01:27:25 Et je pense que c'est la Turquie qui peut-être nous donnera une clé
01:27:29 tout à fait fondamentale pour comprendre ce qui se passe.
01:27:33 Maintenant, effectivement, on a le constat.
01:27:36 Donc, soit il nous manque les données sur la Turquie,
01:27:38 et puis après on a la partie Grèce-Italie,
01:27:42 où c'est peut-être simplement submergé,
01:27:45 où les données ne sont peut-être pas encore interprétées, pas encore perçues.
01:27:50 Soit effectivement, ces 3000 kilomètres-là ont été passés par navigation,
01:27:55 sachant qu'on est exactement dans cette phase-là de la colonisation de l'Australie.
01:28:00 Et donc, on est dans quelque chose qui est parcimonieux,
01:28:04 mais qui n'est pas démontré, comme pour l'Australie.
01:28:06 Donc, il faut vraiment distinguer ce qui est de l'ordre de la plausibilité
01:28:12 et de l'ordre de la démonstration.
01:28:14 Et je pense qu'Homo sapiens est aujourd'hui de l'ordre de la démonstration,
01:28:18 à 54 000, et c'est lié surtout avec les espaces levantins.
01:28:21 Mais que comment ces gens-là sont arrivés,
01:28:25 quelles furent leurs relations réelles et précises avec les Néandertaliens,
01:28:29 et comment et pourquoi les populations néandertaliennes s'éteignent,
01:28:33 sont des champs ouverts de la recherche,
01:28:35 et qui vont demander encore de très grands efforts intellectuels
01:28:40 et le travail de très très grandes équipes à l'international.
01:28:43 - Quelqu'un qui rebondit en disant "Bon bah du coup,
01:28:45 on n'a aucune idée de ce à quoi pouvait ressembler cette navigation à l'époque".
01:28:49 - On n'en a pas idée, on n'en a pas de représentation dans l'espace australien,
01:28:56 et donc on sait qu'elle est là, et on ne peut pas en dire plus.
01:29:00 (rires)
01:29:01 Je suis désolé.
01:29:02 - Non mais c'est bien, et puis c'est ce qu'on répète souvent dans cette émission,
01:29:05 c'est qu'il y a beaucoup d'inconnus en histoire,
01:29:10 et il ne s'agit pas d'alimenter les fantasmes justement en inventant des réponses.
01:29:14 Quand on ne sait pas, on ne sait pas, et puis voilà.
01:29:17 - C'est ça.
01:29:18 - Le reste, on en fait de la belle littérature et ça nous fait rêver.
01:29:23 Est-ce qu'on peut retirer des ressemblances génétiques entre Néandertal et Sapiens ?
01:29:33 Par exemple, on a pu mesurer qu'il y avait des pourcentages d'ADN Néandertal
01:29:38 dans Homo Sapiens, européens je précise.
01:29:42 Est-ce qu'il y a eu des échanges dans l'autre sens ou pas ?
01:29:46 - Ça c'est très intéressant et c'est un chapitre de mon livre que j'appelle
01:29:50 "Je t'aime Néandertal-Sapiens, je t'aime moi non plus".
01:29:54 Et le truc qui est tout à fait fascinant,
01:29:56 c'est qu'aujourd'hui on trouve des gènes Néandertaliens dans tous les Homo Sapiens.
01:30:00 Pas seulement en Eurasie, même les populations d'Afrique ont des gènes Néandertaliens,
01:30:04 c'est juste que les proportions sont inférieures.
01:30:07 Mais parce qu'il y a eu après, en fait, durant le Néolithique,
01:30:09 il y a eu des remigrations depuis l'Eurasie vers l'Afrique,
01:30:13 et donc on retrouve ces gènes disséminés absolument partout.
01:30:16 Maintenant, on retrouve chez tous les Homo Sapiens,
01:30:20 et quand on trouve des Homo Sapiens anciens, archaïques, du Paléolithique,
01:30:24 dans toute l'Eurasie, et quand on a réussi à en extraire leur génome,
01:30:28 on voit qu'ils ont tous, eux aussi, dès ces périodes anciennes,
01:30:31 qui ont plus de 30 000 ans, des gènes Néandertaliens bien affirmés.
01:30:35 Et des fois seulement quelques générations avant l'individu qu'on a retrouvé.
01:30:40 Mais quand on... Je t'aime moi non plus,
01:30:43 parce que quand on regarde le génome des derniers Néandertaliens,
01:30:48 des Néandertaliens récents, entre 40 et 50 000,
01:30:50 et on commence à en avoir quand même quelques-uns maintenant,
01:30:54 eh bien on n'a aucun gène Sapiens récent.
01:30:58 Et ça, ça pose un vrai problème, parce que l'échange des gènes...
01:31:03 Si Sapiens est venu en territoire Néandertalien,
01:31:05 et qu'effectivement, Sapiens se retrouve avec des gènes Néandertaliens,
01:31:09 ça veut dire qu'ils ont pris des femmes Sapiens,
01:31:10 et qu'ils sont censés avoir...
01:31:12 Je parle de femmes, c'est l'échange des femmes en ethnographie.
01:31:16 On le sait depuis les travaux de Lévi-Strauss
01:31:19 sur les structures élémentaires de la parenté,
01:31:21 l'échange de gènes se fait par l'échange des femmes.
01:31:25 Non pas qu'on échange les femmes comme des objets,
01:31:27 mais cela signifie que ce sont les femmes qui ont la mobilité dans les groupes humains.
01:31:32 C'est-à-dire que si j'ai une sœur,
01:31:34 et qu'il y a un groupe voisin avec qui je veux faire une alliance,
01:31:37 ma sœur ira dans ce groupe,
01:31:39 et une sœur du groupe voisin ira dans mon groupe.
01:31:42 Et ce sont les femmes qui ont la mobilité.
01:31:43 Cette mobilité, ce n'est pas un universel,
01:31:47 mais vraiment, on est dans le quasi-universel.
01:31:51 On a quelques très très rares cas très particuliers,
01:31:54 où ça ne marche pas comme ça,
01:31:55 sur des milliers d'occurrences de quelles que soient les cultures,
01:31:57 quels que soient les continents.
01:31:59 Et on a aussi des données génétiques qui nous montrent que chez Néandertal,
01:32:03 c'était déjà très certainement le cas par la génétique,
01:32:06 on voit que c'est certainement une étude sur le gisement d'El Cidrón en Espagne,
01:32:10 qui nous montre que c'est certainement les femmes qui sont mobiles,
01:32:13 déjà aussi, et chez ces populations.
01:32:15 Et il y a même des analyses qui suggèrent que peut-être même chez les Australopithèques,
01:32:19 donc en fait, chez toutes ces populations domininées, voire dominidées,
01:32:24 ce sont les femelles qui ont la mobilité.
01:32:27 Et l'échange de gènes, l'échange de femmes,
01:32:31 ce n'est jamais une histoire d'amour.
01:32:33 C'est les structures élémentaires de la parenté de Claude Lévi-Strauss
01:32:37 qui montrent que c'est toujours une question d'alliance entre les populations.
01:32:42 En clair, je te donne ma sœur, si tu me donnes ta sœur.
01:32:47 Mais il n'existe pas d'exemple, ou alors ils sont très particuliers,
01:32:52 où je te donne ma sœur, mais tu ne me donnes pas ta sœur.
01:32:56 Et dans ces cas-là, les seuls cas où effectivement,
01:33:00 les sœurs d'un groupe vont se retrouver dans l'autre groupe sans échange,
01:33:03 c'est dans le cas de guerre totale, où les hommes sont massacrés
01:33:07 et où le groupe qui a vaincu la guerre va prendre à sa charge
01:33:12 les femmes et les enfants du groupe opposé.
01:33:15 Et c'est le seul cas possible.
01:33:18 Il y a certainement, l'origistre ethnographique est très riche,
01:33:22 donc il y a peut-être d'autres éléments, mais globalement,
01:33:25 le truc universel, c'est je te donne ma sœur, si tu me donnes ta sœur.
01:33:30 Et si j'ai du gène néandertalien chez tous les premiers homo sapiens
01:33:36 et pas de gène sapiens chez tous les derniers néandertaliens,
01:33:39 ça veut dire que les sapiens ont pris des femmes néandertaliennes,
01:33:42 mais ils n'ont pas donné des femmes sapiens, ou qu'il n'y a pas eu de fertilité.
01:33:46 Et certainement que dans ce je t'aime moi non plus,
01:33:50 quel que soit le processus historique qui nous échappe encore aujourd'hui,
01:33:53 et peut-être qu'il va falloir multiplier les analyses génétiques
01:33:56 et qu'à un moment donné, on va trouver l'équivalent,
01:33:58 mais on n'aura toujours pas la balance, parce que ce sera 1 sur X.
01:34:02 Et donc peut-être que là, on a une des clés de lecture
01:34:06 peut-être de ce qui a pu se passer,
01:34:09 soit dans des interfécondités qui étaient trop partielles,
01:34:12 et c'est peut-être ça qui s'est joué dans les 40 ans.
01:34:14 Peut-être que quand Sapiens s'est installé sur ce territoire en Valais-du-Rhône,
01:34:19 il a eu de bonnes relations avec les populations aborigènes locales néandertaliennes,
01:34:25 et qu'ils ont échangé leurs femmes, qu'ils ont eu de bonnes ententes,
01:34:29 puisqu'on voit ces connaissances de Silex par exemple,
01:34:32 et peut-être qu'ils ont essayé ça, peut-être qu'ils ont essayé de devenir un seul groupe humain,
01:34:38 et peut-être que ça n'a pas marché génétiquement,
01:34:40 et c'est peut-être pour ça qu'après 40 ans, après justement une vie humaine,
01:34:45 ça a queuté, ça n'a pas pu marcher.
01:34:48 Peut-être que c'est simplement des questions d'interfécondité partielle.
01:34:52 On nous demande si on peut...
01:34:57 On pense aujourd'hui que Néandertal était capable de langage.
01:35:01 On peut dire sur ses formes biologiques, du larynx,
01:35:07 toutes les formes, le haut du crâne,
01:35:11 nous permettent de dire que physiquement il en était capable.
01:35:15 Après, le langage c'est beaucoup de choses,
01:35:17 et ce n'est pas que de la physiologie, c'est beaucoup du mental,
01:35:21 et la question c'est de savoir comment des populations qui sont séparées de nous par...
01:35:26 c'est beaucoup, par un demi-million d'années, par 500 000 ans de divergence d'évolution,
01:35:32 communiquaient entre elles.
01:35:34 Et le langage certes, mais quel langage et comment un langage sifflé ?
01:35:39 Il y a même des chercheurs anglo-saxons qui pensaient que peut-être ces gens-là ne parlaient pas méchanté.
01:35:47 Alors ça peut faire sourire parce qu'en vérité on n'en sait rien,
01:35:50 mais c'est vrai que ça permet de se confronter,
01:35:53 de se projeter déjà dans une altérité, dans quelque chose de différent.
01:35:58 Le langage physiquement bien sûr, mais le langage ce n'est pas du physique.
01:36:02 Quand on parle tous les deux, ce n'est pas la question de savoir quelle est la forme de ta mandibule,
01:36:06 et les concepts qu'on est en train d'échanger, les idées,
01:36:09 elles nous viennent de l'intérieur de notre crâne,
01:36:12 et même pas de la morphologie du cerveau,
01:36:14 le fait de savoir que tel ou tel individu a un cerveau plus gros qu'un autre ne te dit rien.
01:36:20 Et globalement, le fait de savoir que Neandertal est très encéphalisé,
01:36:25 a un cerveau très très large, plus important que le nôtre,
01:36:28 et que d'une manière générale on voit une réduction du cerveau chez Homo sapiens
01:36:32 depuis les quelques derniers millénaires,
01:36:34 on a un cerveau plus petit qui a 4 ou 5 000 ans par exemple,
01:36:37 ne te dit pas sur ce qui se passe effectivement,
01:36:41 et sur la capacité de chaque individu ou du groupe humain.
01:36:45 Donc le langage doit rester dans ce champ de l'inconnu,
01:36:49 qui est celui de la question de l'éthologie,
01:36:51 celui de la question "est-ce que ces gens là pensent vraiment comme moi ?"
01:36:55 - Qu'est-ce que tu penses toi, qui as pas mal travaillé sur Neandertal,
01:36:59 justement de la représentation des Neandertal dans des œuvres de fiction ?
01:37:05 Alors par exemple on nous cite la saga des enfants de la Terre.
01:37:08 - Alors je ne les ai pas beaucoup lus.
01:37:12 Alors pour ce que j'ai lu, je pense que c'est dommage,
01:37:21 parce qu'on est passé à côté du sujet,
01:37:25 mais j'allais dire c'est pas très grave,
01:37:27 c'est ce qu'on disait, Neandertal appartient à la pop culture,
01:37:30 et il est cette créature qui a échappé à son créateur,
01:37:33 qui a échappé à Frankenstein,
01:37:35 et globalement aujourd'hui il fait sa belle vie dans les rues de New York ou de Paris,
01:37:42 il est partout, il est dans le métro, il est dans les imaginaires,
01:37:45 il est dans le cinéma,
01:37:48 et on peut partir du principe que toutes ses représentations sont pourries.
01:37:53 [Rire]
01:37:56 Mais qu'en lisant Neandertal nu on va s'en sortir.
01:37:59 Non mais, comment dire,
01:38:02 c'est un petit peu le défi déjà d'arriver à nous représenter,
01:38:07 et à nous comprendre nous au sein,
01:38:09 même pas, je ne dis pas d'aller essayer qu'un grec essaie de comprendre un anglais,
01:38:14 mais déjà dans une petite communauté, dans ton village ou je ne sais pas où,
01:38:19 essayer de se comprendre,
01:38:20 et dire "putain mais pourquoi il fait ça lui ?"
01:38:22 et des fois même dans sa famille on ne comprend pas son frère ou on ne comprend pas son père,
01:38:27 et le truc c'est qu'il y a un truc qui est très très important,
01:38:31 c'est qu'on voit une diversité biologique en nous,
01:38:34 on voit au premier coup d'œil que je ne te ressemble pas,
01:38:37 moi j'ai un ami qui s'appelle Vladimir qui fait 2m05,
01:38:40 au premier coup d'œil tu vois quand il passe à côté de toi il est immense,
01:38:43 et il passe à côté de gens qui font 1m50,
01:38:45 et tu dis "ce n'est pas possible c'est la même espèce" quoi.
01:38:48 Mais ça, ces divergences biologiques-là,
01:38:51 ces différences de morphologie,
01:38:53 elles nous sautent aux yeux, elles sont immédiatement, instinctivement,
01:38:57 on les comprend de suite, on voit tes yeux bleus,
01:38:59 on dit "putain c'est trop beau",
01:39:00 tu vois, t'as un truc qui te sort à la face et qui est là.
01:39:04 Mais ce qu'on ne comprend pas je pense,
01:39:06 c'est que les différences mentales,
01:39:09 entre nous tous là dans une même population avec tes voisins, tes frères etc.,
01:39:13 nos différences mentales sont au moins aussi importantes,
01:39:16 et je pense en réalité beaucoup plus importantes que nos différences biologiques,
01:39:20 et sauf que comme c'est invisible,
01:39:23 tu pars du constat inconscient
01:39:26 que celui qui est en face de toi pense comme toi.
01:39:30 Et en réalité, je pense que celui qui est en face de toi,
01:39:35 il y a une diversité de compréhension du monde et de capacité
01:39:42 qui est infiniment plus importante même que nos différences biologiques extérieures évidentes.
01:39:48 Et ça comme on ne le conçoit pas,
01:39:50 et quand on croise des gens, on ne le voit pas,
01:39:53 on ne le voit pas, on ne le comprend pas,
01:39:55 et on n'est déjà pas nous-mêmes nous,
01:39:57 de nous comprendre nous en tant qu'homo sapiens en train de se dire
01:40:01 on se met tous dans un même sac,
01:40:03 on dit "on est tous pareils",
01:40:05 on est tous très différents, on est tous très différents biologiquement,
01:40:08 on est tous très différents dans nos sentiments, dans nos capacités d'interpréter,
01:40:13 dans nos réactivités, dans nos réactions, dans nos capacités de nous maîtriser.
01:40:17 Mais alors pour Néandertal, c'est un ouragan, c'est un abysse insondable,
01:40:22 et je pense qu'en même temps il y a des éléments très très concrets sur lesquels on peut se poser,
01:40:28 et qu'effectivement le roman sur Néandertal, le bon livre sur Néandertal,
01:40:34 celui qui ouvre les portes sans vraiment les refermer, reste à écrire totalement.
01:40:39 Alors on l'a vu, la guerre peut être une explication
01:40:44 des relations entre Néandertal et Sapiens, mais pas que,
01:40:51 et on a des sites de fouilles justement, on a des traces de conflits entre les deux ?
01:40:56 Il faut comprendre qu'en 150 ans d'archéologie,
01:41:00 on a découvert une quarantaine de corps pour toute l'Eurasie.
01:41:04 C'était rien, il y a des bouts d'os qui traînent partout dans tous les sites,
01:41:08 mais des bonhommes à peu près complets, on n'a presque rien.
01:41:11 Et donc effectivement, sur les quelques bonhommes qu'on a retrouvés,
01:41:15 il n'y en a qu'ont des traces de violences interprétées comme de la violence interpersonnelle,
01:41:20 des coups sur le crâne, etc.
01:41:22 Mais des vrais beaux conflits comme on a à partir des périodes récentes de la préhistoire,
01:41:27 il y a 6, 7, 8 000 ans, dans lesquelles on va trouver des caveaux remplis de corps
01:41:32 avec des flèches plantées dans les vertèbres, on n'a pas, on aimerait bien l'avoir.
01:41:37 Non pas qu'on aimerait qu'il se soit foutu sur la gueule,
01:41:39 mais on aimerait bien avoir un registre anthropologique un peu plus riche,
01:41:44 un petit peu plus conséquent, globalement dans les périodes anciennes,
01:41:48 il y a pratiquement, et on va taper dans des périodes qui sont un petit peu avant Néandertal,
01:41:53 mais il y a pratiquement que quelques sites en Espagne où on a une bonne visibilité,
01:41:59 on a le gisement d'Atapuerca, mais les corps ont peut-être, on a une population,
01:42:03 on a 28 individus qui ont été retrouvés au fond d'une grotte,
01:42:06 et là d'un coup on a une visibilité, mais c'est il y a 400 000 ans, quelque chose comme ça.
01:42:11 Donc on est dans des choses antées, pré-néandertaliennes,
01:42:14 des choses qui sont les ancêtres plus ou moins directes,
01:42:18 mais on n'a pas le site qui en plus devrait avoir du moment du contact,
01:42:25 d'il y a 40 000 ans, et dans lequel on aurait les corps.
01:42:28 Je ne sais pas s'il y a eu conflit, mais ce que j'imagine c'est que
01:42:32 on est face à des populations dans lesquelles, moi j'ai dit,
01:42:35 les dents d'homo sapiens antérieures à 40 000 ans,
01:42:39 c'est 4 dents, 5 dents maintenant avec la grotte mandrin,
01:42:42 donc on est dans des registres extrêmement rares,
01:42:45 pour tout le début du paléolithique supérieur,
01:42:47 ce qu'on appelle l'orignacien, pendant longtemps on a pensé qu'on n'avait rien,
01:42:50 puis maintenant en prenant très large,
01:42:52 tous l'orignacien, c'est les gens qui ont fait la grotte chauvée,
01:42:55 c'est les premiers homo sapiens,
01:42:57 c'est vraiment la grande vague de peuplement définitive,
01:43:00 on n'a presque rien, on a des bouts de dents, des bouts de mandibules,
01:43:04 de rien du tout, et pourtant des registres archéologiques
01:43:07 qui sont très très importants, et beaucoup d'efforts archéologiques,
01:43:10 donc il nous manque quelque chose,
01:43:12 c'est peut-être une question de ritualisation,
01:43:14 c'est peut-être une question d'exposition des corps dans les arbres,
01:43:17 de donner les corps aux grands carnivores à manger aux lions par exemple,
01:43:21 puisqu'on sait qu'ils ont une relation un petit peu particulière aux lions,
01:43:24 ça peut être simplement qu'ils abandonnaient les corps dans l'eau,
01:43:27 et là on n'en aura aucune marque,
01:43:30 comme en plus là, sur la question des premiers homo sapiens,
01:43:34 à un moment donné on a une sorte d'homogénéité culturelle sur l'Europe,
01:43:38 on a ces vagues de peuples morts,
01:43:40 on a à ce moment-là toutes les chances d'avoir un certain nombre de rites,
01:43:43 de rapports à la mort qui étaient un petit peu près les mêmes pour toutes ces populations,
01:43:47 et dans ce rapport à la mort,
01:43:50 il est possible, probable, plausible,
01:43:53 que les populations n'enterraient pas leurs morts,
01:43:55 en tout cas dans leur lieu de vie,
01:43:57 et pas dans les espaces qu'on a réussi à fouiller jusqu'à présent,
01:44:00 et donc on ne les a pas,
01:44:01 et donc on a encore moins effectivement les lieux de conflit entre les deux populations.
01:44:05 - Par rapport à ce qu'on a dit tout à l'heure sur la navigation,
01:44:08 on a Rackham le Rouge, étonnamment,
01:44:10 qui nous pose une question sur l'archéologie sous-marine,
01:44:14 est-ce que ça peut aider justement les recherches concernant ces mouvements de population sapiens ?
01:44:19 - Ça pourrait potentiellement,
01:44:21 il y a les travaux de Jacques-Colina Girard,
01:44:23 qui avait travaillé autour des calanques de Marseille,
01:44:25 et qui en plongée avait cartographié,
01:44:29 à cartographier, je salue Jacques s'il est par là,
01:44:32 à cartographier les fonds dans cette zone-là,
01:44:36 à repérer un ensemble de grottes,
01:44:38 dont un certain nombre ont un réel potentiel archéologique.
01:44:41 Il n'y a pas que la grotte Cosquer et ses remarquables peintures,
01:44:45 il y a un ensemble d'éléments qui peut-être un jour
01:44:48 pourraient nous donner des indications sur les populations méditerranéennes de cette période-là.
01:44:54 Est-ce qu'on a vraiment aujourd'hui les éléments ?
01:44:57 On ne les a pas,
01:44:58 on a des cartographies et on a un potentiel.
01:45:01 Certainement qu'un jour il en sortira quelque chose.
01:45:04 - On nous demande ton avis sur l'utilisation du feu par Néandertal.
01:45:09 - Oui, je pense que dans tous les sites néandertaliens que j'ai fouillés,
01:45:14 j'ai trouvé des foyers,
01:45:16 mais ce n'est pas seulement les sites que j'ai fouillés,
01:45:20 c'est quelque chose qui est très largement répandu,
01:45:22 qui est très largement maîtrisé,
01:45:24 et effectivement ces populations,
01:45:26 mais le feu en est certainement dans des maîtrises très anciennes,
01:45:29 y compris sur des sites dans la moyenne vallée du Rhône,
01:45:33 le gisement d'Orniak 3,
01:45:35 on est dans des trucs comme les sites espagnols qui ont plus de 400 000 ans
01:45:39 et on a toutes les indications d'utilisation du feu dans ces périodes-là,
01:45:43 déjà avant Néandertal,
01:45:44 et d'utilisation commune et très régulière.
01:45:47 Donc effectivement le feu, c'est une bonne question,
01:45:51 joue un rôle important dans la socialisation des individus,
01:45:56 le fait qu'on se réunisse le soir autour d'une source de chaleur et de lumière
01:46:00 dans lequel on va échanger des idées, des concepts, des objets peut-être,
01:46:04 et effectivement il est proposé par de très nombreux chercheurs
01:46:09 que la maîtrise du feu a marqué un pas dans l'évolution des hominidés.
01:46:14 Maintenant, effectivement, je pense que ces technologies relativement simples,
01:46:19 un petit peu comme la navigation,
01:46:21 peuvent remonter très loin dans le temps,
01:46:23 sans induire le fait que Néandertal ait été un autre nous-mêmes.
01:46:30 Est-ce qu'on a découvert des choses archéologiquement,
01:46:38 des outils ou autres qui peuvent laisser suggérer des pratiques culturelles
01:46:44 comme du jeu ou quelque chose comme ça ?
01:46:46 Ça c'est vraiment un des points très importants
01:46:49 et que je développe dans Néandertal Nuit
01:46:52 et c'est la question du rite.
01:46:54 C'est vrai que la question du rite est un petit peu passée à l'as,
01:46:59 en dehors de la question des sépultures et du rapport à la mort.
01:47:04 Je pense qu'il y a beaucoup dans les données archéologiques,
01:47:08 dans les éléments archéologiques, qui doivent nous interroger.
01:47:11 Il y a des choses troublantes qui des fois sont difficiles à publier
01:47:16 parce qu'elles sont toujours suggestives plutôt que démonstratives.
01:47:22 Mais dans les éléments que je donne dans Néandertal Nuit,
01:47:26 c'est une grotte que je fouillais dans le Vaucluse,
01:47:32 dans les gorges de Louvès, un endroit tout à fait merveilleux, sauvage,
01:47:36 dans lequel on est rentré dans un dédale souterrain.
01:47:39 C'était des falaises qui s'étaient effondrées
01:47:41 et en s'effondrant, ça avait fait une sorte de véritable labyrinthe
01:47:48 en trois dimensions souterrain.
01:47:50 En travaillant là-dedans avec des équipes spéléoprofessionnelles,
01:47:54 on a réussi à avancer, fracturer des blocs à la dynamite, évacuer.
01:47:58 Ça a été un travail titanesque, j'explique ça dans le bouquin.
01:48:01 À un moment donné, on est tombé sur une couche, un ensemble
01:48:05 qu'on a appelé la zone alpha.
01:48:10 Dans cette zone alpha, ça a 105 à 110 000 ans,
01:48:17 et les populations néandertaliennes ont chassé de manière privilégiée
01:48:22 les cerfs-vidés et en particulier les cerfs.
01:48:25 Dans les grands cerfs, ils n'ont pris que les mâles,
01:48:28 et dans les mâles, ils ont exclu les jeunes et les vieux.
01:48:31 Donc, ils se sont focalisés sur les grands cerfs-mâles
01:48:36 dans la force de l'âge, qui est certainement la proie la plus difficile
01:48:40 et, quand ils sont dans la période du rut, la moins rigolote à approcher.
01:48:46 Ça, c'est très intéressant, parce que ce n'est pas du tout
01:48:50 une courbe de mortalité.
01:48:54 Alors, bien sûr, on connaît des hardes dans lesquelles
01:48:57 il y a quelques grands mâles qui vivent solitaires,
01:49:00 mais globalement, ces populations vivent dans des hardes
01:49:02 dans lesquelles il va y avoir des très vieux, des jeunes,
01:49:05 et puis des mâles dans la force de l'âge.
01:49:09 Et là, on voit une sélection très particulière,
01:49:12 et cette sélection du grand mâle dans la force de l'âge,
01:49:16 et dans laquelle on ne va prendre que le mâle dans la force de l'âge,
01:49:19 ni les jeunes, ni les vieux, ni les femelles,
01:49:21 c'est quelque chose de très étonnant, qu'il faut interroger,
01:49:25 qu'il faut essayer de comprendre, et ce qui est intéressant,
01:49:29 c'est que la relation au cerf et au grand cerf mâle,
01:49:32 en sociologie, en ethnographie, c'est super bien documenté.
01:49:36 C'est la chasse classique du passage à l'âge adulte
01:49:40 dans de très nombreuses populations,
01:49:43 c'est la confrontation au couteau entre le cerf et l'homme,
01:49:47 et en fait, entre l'homme-cerf, c'est-à-dire que ce mouvement,
01:49:50 ces rites de passage, ces chasses, souvent dans les pays germaniques d'ailleurs,
01:49:55 où on va se confronter au corps à corps et au couteau avec des grands cerf-mâles,
01:50:01 marquent des phases de passage à l'âge adulte,
01:50:04 et ces phases de ritualisation méritent, je pense, d'être interrogées,
01:50:11 toujours en laissant les portes ouvertes,
01:50:12 on ne sait pas si Néandertal a chassé pour passer à l'âge adulte, etc.
01:50:16 Je ne sais pas ce qu'on dit, mais on ouvre des portes,
01:50:19 qui nous ouvrent des champs, qui si on ne les interroge pas,
01:50:23 ce qu'il faut convoquer, je pense, quand on fait cette archéologie aujourd'hui sur Néandertal,
01:50:27 et à l'avenir, ce n'est pas tant de multiplier des études d'ADN, isotopiques, de datation,
01:50:32 tout ça c'est super, mais tout ça c'est des outils,
01:50:35 et ce qu'on doit utiliser sont les outils des sciences humaines.
01:50:39 Il faut invoquer, réinvoquer les sciences humaines à la table de la discussion.
01:50:45 Aujourd'hui, dans les grandes revues américaines,
01:50:47 comme on a publié notre Sapiens par exemple,
01:50:50 c'est très difficile de publier des données brutes de sciences humaines,
01:50:55 d'être un ethnologue, un ethnographe, un historien,
01:50:58 quelqu'un qui pense l'homme, un philosophe,
01:51:01 et de dire "je vais publier ma découverte philosophique dans Nature".
01:51:04 Nature va dire "Monsieur, vous êtes gentil, mais vous comprenez, et vous allez être refusé".
01:51:10 Et vous n'allez jamais passer les gatekeepers, les gardiens des portes,
01:51:14 et donc ça va être impossible de publier dans ces grandes revues,
01:51:17 et pourtant c'est vraiment le combat de ce livre Néandertal nu.
01:51:22 Je pense qu'aujourd'hui, tous ces outils qui permettent de publier dans les grandes revues
01:51:26 ne sont que des outils, c'est de la technicité, de la très haute technicité,
01:51:30 des outils remarquables qui nous sont absolument essentiels,
01:51:33 qui nous permettent de repenser beaucoup de choses.
01:51:35 Mais c'est sur la base de ces outils que maintenant il faut penser.
01:51:39 Quand on parle de la question des échanges de gènes,
01:51:42 de la mobilité des femmes, des échanges entre populations,
01:51:45 au départ c'est de la génétique, mais après derrière c'est de l'anthropologie culturelle,
01:51:49 et c'est là-dessus qu'il faut penser, utiliser les données des sciences humaines
01:51:55 sans état d'âme, sans se censurer,
01:51:59 et c'est vrai qu'aujourd'hui, les sciences humaines,
01:52:02 on va dire "Ce sont des sciences molles".
01:52:04 Oui, mais les sciences molles, c'est mon prochain livre,
01:52:07 je vais expliquer comment les sciences molles ont mis en échec et mat
01:52:10 tous les sciences dures dans une découverte tout à fait remarquable
01:52:12 qu'on a fait justement à la grotte membrane.
01:52:14 Et ça, on peut s'apercevoir que les sciences humaines,
01:52:19 c'est ce qu'on a fait exactement quand j'ouvre des tiroirs,
01:52:23 que je regarde des silex et que d'un coup à 3000 kilomètres de là,
01:52:27 je dis "ça doit être Homo sapiens".
01:52:29 Et bien ça, c'est une partie d'échec réalisé par les sciences humaines
01:52:33 et qui après est démontré par des éléments de sciences dures.
01:52:36 Mais au départ, c'est bien les sciences humaines qui proposent
01:52:39 et qui ouvrent toutes ces hypothèses-là.
01:52:41 Et je pense que pour toutes ces questions du jeu, de la ritualisation,
01:52:45 du rapport entre les individus, on a une masse documentaire.
01:52:50 Les éléments archéologiques sur Néandertal, ce n'est pas quelques pièces isolées.
01:52:54 On ploie sous les données, on a des centaines de millions d'objets,
01:52:58 on ne sait plus quoi en faire, on a des données extrêmement riches.
01:53:01 Et je pense qu'aujourd'hui, plutôt qu'à aller faire des statistiques là-dessus,
01:53:04 il faut les regarder avec un regard sensible,
01:53:07 essayer d'interroger l'éthologie, la sociologie, la philosophie,
01:53:11 essayer de réintégrer l'humain et la pensée,
01:53:17 convoquer et même invoquer le verbe dans ce qui reste à faire.
01:53:22 Est-ce que tu aurais éventuellement des...
01:53:27 Alors tu es libre de refaire la promo de ton bouquin sans aucun problème,
01:53:31 il nous reste cinq minutes avec ça,
01:53:32 mais de nous conseiller aussi peut-être d'autres livres,
01:53:35 les travaux d'autres chercheurs, des documentaires,
01:53:38 pour mieux comprendre que ce soit Néandertal, Sapiens
01:53:41 ou la relation qu'ils ont pu entretenir ou pas.
01:53:44 C'est très difficile.
01:53:46 Je dirais que malheureusement, il faut tout lire
01:53:49 et se considérer bon, ce qu'on considère mauvais,
01:53:53 la pop culture, tu vois, on parlait des romans, etc.
01:53:57 Et c'est au croisement de tout ça que chacun peut se faire vraiment son image.
01:54:04 Après, dans les livres grand public, c'est difficile
01:54:07 parce qu'il n'y en a pas eu tant que ça.
01:54:09 Ils n'ont pas tant que ça à explorer la question.
01:54:13 Moi, je pense qu'il y a un gars qui s'appelle Stephen Mitten,
01:54:16 alors je ne sais pas s'il est traduit en français,
01:54:18 "The Singing Neandertal", "Le Neandertal chantant",
01:54:21 ça a peut-être été traduit.
01:54:23 Et ce n'est pas nécessairement justement que je partage les vues de ce chercheur,
01:54:30 mais c'est qu'il ouvre une certaine manière de penser le monde
01:54:34 et de penser Neandertal qui n'est pas celle très classiquement utilisée
01:54:41 et répandue dans le grand public et même au sein de la communauté des chercheurs.
01:54:46 J'allais dire, il faut que chacun, suivant sa sensibilité, explore.
01:54:52 Je veux dire, il n'y a pas un chercheur qu'il ne faut pas lire.
01:54:55 C'est sûr que si on ne doit lire qu'un livre, il faut lire "Neandertal" nu.
01:55:01 Mais ça, c'est vraiment une évidence première.
01:55:04 D'abord parce que vous allez vous régaler
01:55:06 et ensuite parce que j'ouvre toutes les portes qui n'ont jamais été ouvertes.
01:55:09 Et ensuite, j'allais dire, c'est vraiment, quand on est confronté à un livre,
01:55:13 on se balade généralement dans une librairie
01:55:15 et puis ça va être un coup de foudre entre les quatre premières phrases
01:55:19 qu'on va lire derrière, l'image qui est devant et il y a un truc qu'on va sentir.
01:55:23 Et j'allais dire que c'est un petit peu chacun suivant sa sensibilité
01:55:26 et qu'il y a plein de choses vis-à-vis desquelles je ne suis pas d'accord,
01:55:30 mais que rien n'est mauvais à lire.
01:55:32 Merci pour cet entretien, Ludovic.
01:55:35 Merci de nous avoir accordé deux heures de ton temps,
01:55:37 toi qui a été pas mal occupé dans les derniers mois.
01:55:39 Un grand merci à toi, Ben, et à toute ta communauté.
01:55:42 Moi, j'adore la dialectique, donc c'est un vrai plaisir de pouvoir échanger
01:55:47 et de pouvoir échanger comme ça sur un temps long,
01:55:50 de rentrer vraiment dans le sujet.
01:55:52 Pour moi, c'était super plaisant.
01:55:54 Donc, à plus quand tu veux.
01:55:56 Merci à tous. Passez une bonne soirée.
01:55:58 Et Ludovic, encore merci. Ciao, ciao.
01:56:00 Ciao, ciao.
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