Lecture de poèmes d’Andrée Chedid (1920-2011)

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00:00 *Musique*
00:11 Le poème apparaît souvent comme un ébouli de mots, dépourvu de sens pour l'œil non exercé.
00:20 Au fond de cette lave, trouvera-t-on le feu qui survit ? Ce risque, il faut le prendre.
00:28 L'instant de poésie, fragile à cause de nous qui ne savons pas ses journées, pas à cause d'elle, poésie qui est égale inlassablement.
00:42 L'appel du poème est rarement contraignant, le plus souvent discret.
00:49 Ne dirait-on pas que son premier désir est qu'on veuille bien, tout d'abord, écouter ?
00:59 Que dire ? Que dire des trouées de l'âme, de la glisse des pensées, des dérapages du sens ?
01:09 Que dire du corps qui se rénove par la grâce d'une parole, le secours d'une caresse, la saveur d'une malice ?
01:19 Que dire des jours si vivaces, des heures si ténues, de la géole des mots, de l'attrait du futur ?
01:29 Que dire de l'instant tantôt ténemi, tantôt tami ?
01:37 Alternée
01:41 Érige des villes, pour le temps et ses graines, pour le cœur et pour l'œil, pour l'âge et pour l'enfant.
01:50 Puis, ronds l'enveloppe, suspends-toi au vent sans territoire, chavire dans toutes les mers,
01:59 renais sur toutes les plages, gravis cette dune qui n'engendre que silence,
02:06 puis, à nouveau, rejoins ces villes où l'événement t'attend.
02:13 L'autre réalité
02:20 La marée des mots, la tempête du verbe, le souffle de la parole désignent l'autre réalité,
02:29 impalpable mais souveraine, insondable mais quotidienne,
02:35 qui nous exalte ou nous dévaste, nous consume ou nous affranchit.
02:47 Hivre de liberté et d'ordonnance, la vie enchaîne ses gammes,
02:53 exécute ses parades, s'articule en milliards de formes,
02:58 se supprime pour mieux renaître, se décime pour reverdir.
03:05 Les corps, c'est le destin.
03:12 Par nos yeux, par notre seule bouche, par nos deux mains et par l'unique cœur,
03:19 au nom de cette naissance qui nous convie, au nom de cette mort qui nous contraint,
03:26 au nom du premier cri et du dernier déclin, par ce bref passage dans les couloirs du temps,
03:34 par l'obscur qui nous mine, par ce feu qui nous anime, nous sommes tous du même cortège,
03:42 séparés par l'écorce, soumises au même piège, reliés par le destin.
03:49 Il y aura ceux qui s'aiment, il y aura ceux qui s'aiment,
03:59 debout devant ma porte, je les attends.
04:04 Il y en a qui veillent, année après année, comme des oliviers,
04:09 mangés de soleil et de patience.
04:12 Moi, j'ai franchi le seuil, je guette la route, et je sais qu'ils viendront.
04:19 Dans la maison, les appels se nouent.
04:23 C'est assez d'attendre, il faut prendre sa place comme les autres.
04:29 Comme les autres, autour d'une table de bois, il faut prendre sa place.
04:35 La vie est comme cela, crin de sable, or qui teinte, fil de soie.
04:42 Ensuite, celle qui m'habite comme une prune trop ridée a dit.
04:48 J'ai peur pour ceux qui s'aiment. Quelles menaces portent-ils au cœur l'un pour l'autre ?
04:54 Elle a dit. J'ai peur pour ceux qui s'aiment.
04:58 Le cri âcre des méfiants les tourmente, la voix cuivrée des loups,
05:03 l'envie avec ses lèvres de malade.
05:07 Mais j'ai crié plus fort que l'emmuré.
05:10 Pour ceux qui n'ont eu que les songes, j'ai crié.
05:14 Pour ceux qui n'ont que le jeu, pour cette tour de la solitude,
05:19 pour le silence des mal-aimés, enfuis en lui-même comme en un puits.
05:25 À cause de la vie, à cause de la mort, j'ai crié plus fort que l'emmuré.
05:32 J'ai crié avant que les vuilles ne s'écroulent,
05:36 avant que l'ombre des arbres ne traverse le fleuve comme des cordes.
05:42 Aussi sûr que le soleil et sa mort se défient,
05:46 il y aura ceux qui s'aiment et je ne chercherai plus.
05:51 J'ai crié, j'ai chanté, la magie à leurs doigts,
05:55 dans leurs veines des rivières de fêtes.
05:58 Ils iront intouchés comme des rois de nulle part,
06:03 leurs regards se croiseront au-dessus des voies.
06:08 J'ai crié, j'ai chanté et devant ma maison, il y avait eux et moi.
06:16 Au cœur du cœur, au cœur de l'espace, le chant.
06:27 Au cœur du chant, le souffle.
06:30 Au cœur du souffle, le silence.
06:34 Au cœur du silence, l'espoir.
06:37 Au cœur de l'espoir, l'autre.
06:40 Au cœur de l'autre, l'amour.
06:43 Au cœur du cœur, le cœur.
06:47 L'hiver, sous un ciel de refus,
06:54 entre les vains appels des branches et les silences de l'oiseau.
06:59 Plus nu que l'absence, plus pâle que l'attente,
07:04 l'hiver compte ses heures, la gorge transpercée par le seul cri du vent.
07:11 Marée
07:18 Livrées aux marées tributaires au-delà lune,
07:22 nos terres émergent, puis s'effacent,
07:25 renaissent pour s'éclipser.
07:28 A vide de nos sols, la mer les submerge pour mieux les oublier.
07:34 Quel cycle subissent nos corps ?
07:37 Sur quel balance évalue-t-on l'âme ?
07:41 Quelle gravitation nous aspire vers la vie ?
07:45 Quel poussé nous recourbe vers la mort ?
07:50 En quel lieu sans mesure s'épèle notre liberté ?
07:56 L'enfance
07:58 Regardez l'enfance.
08:01 Jusqu'au bord de ta vie, tu porteras ton enfance,
08:06 ses fables et ses larmes, ses grelots et ses peurs.
08:11 Tout au long de tes jours te précède ton enfance,
08:16 entravant ta marche ou te frayant chemin.
08:20 Singulier et magique, l'œil de ton enfance
08:24 qui détient à sa source l'univers des regards.
08:28 Au revers
08:35 Tandis que les graines s'enfièvrent au creux des sols,
08:40 tandis que les sèves s'émeuvent au cœur des arbres,
08:45 l'orage racle à nos murs.
08:48 Fureur ses vices se déchaînèrent,
08:51 on parla haine, on outragea, on versa sang.
08:55 Mais une fois de plus, au revers de l'atroce,
09:00 au tréfonds de l'obscur,
09:03 s'échafaudait l'eau pignâtre printemps.
09:07 Vitalité
09:13 Ce jour-là, tout ravivait l'espérance.
09:17 Était-ce cette musique intime, venue on ne sait d'où,
09:22 ou cette bouffonnerie joyeuse
09:25 qui s'empare parfois de nos cœurs,
09:28 transformant chaque ride en rire,
09:31 chaque broussaille en horizon ?
09:34 Était-ce un écho qui comble soudain la pelle,
09:38 un rayon qui transperce les mailles,
09:41 une présence qui écarte les barreaux ?
09:45 Était-ce l'oiseau tenace, balayant de ses ailes
09:49 nos laborieux chagrins ?
09:51 Ce jour-là, la vie fendit ses écorces
09:55 pour s'ébattre sans entrave dans tout l'espace du corps.
10:00 À part
10:08 À part le temps et ses rouages,
10:12 à part la terre en éruption,
10:15 à part le ciel pétrisseur de nuages,
10:19 à part l'ennemi qui génère l'ennemi,
10:23 à part le désamour qui ronge l'illusion,
10:27 à part la durée qui moisit nos visages,
10:31 à part les fléaux, à part la tyrannie,
10:35 à part l'ombre et le crime, nos batailles, nos outrages,
10:39 je te célèbre aux vies, entre cavités et songes,
10:44 intervalles convoités, entre le vide et le rien.
10:50 Parodie
10:55 Se parodiant de siècle en siècle,
10:58 l'homme oscille entre crime et beauté.
11:02 Saccageant chaque lueur,
11:05 il échafaude des pièges, s'enlise dans la haine,
11:09 s'aveugle d'oscurité.
11:12 D'autres fois, sa parole se partage,
11:15 son regard accueille,
11:18 son souffle le mène jusqu'à l'audace d'aimer.
11:23 Nuages
11:30 Les nuages frôlent, falaises et crêtes,
11:34 courtisent les vallées,
11:36 tracent sur plan d'azur de brèves et blanches écritures
11:40 détissées par le temps.
11:43 Face aux montagnes qui surplombent nos saisons passagères,
11:47 nous sommes ces nuages, entre gouffres et sommets.
11:53 Origine
11:59 Avant ta naissance, où étais-tu ?
12:02 Soudain enclavé dans l'eau maternelle,
12:05 tu retraces le périple des origines.
12:09 De l'amibe à l'homme,
12:11 tu génères la patiente éclosion.
12:14 Tu émerges enfin.
12:16 Chers, souffles, visages.
12:21 En terre périlleuse, tu prends corps.
12:24 Affrontant soleil et désarroi,
12:27 tu te greffes au jour à jour.
12:30 Héritier de vie,
12:32 captif du temps et des fables,
12:35 où iras-tu ?
12:38 L'oiseau
12:46 Loin des pesanteurs de nos vies quotidiennes,
12:50 fidèles au seul calendrier de ses migrations,
12:54 l'oiseau plane attire d'elle par-delà les nations.
13:00 Loin des raideurs de nos vies orangaines,
13:03 sans joue, sans servitude,
13:05 libre de tout son champ,
13:08 l'oiseau s'élève,
13:10 abattement d'elle plus leste que le vent.
13:13 L'autre
13:19 Je recherche l'autre à force de m'écrire.
13:23 Je me découvre un peu,
13:25 j'aperçois au loin
13:27 la femme que j'ai été.
13:29 Je discerne ses gestes,
13:32 je glisse sur ses défauts.
13:34 Je pénètre à l'intérieur
13:36 d'une conscience évanouie comme ces nuits.
13:39 Je dépiste et dénue d'un ciel,
13:42 sans réponse et sans voix.
13:45 Je parcours d'autres domaines,
13:47 j'invente mon langage
13:49 et m'évade en poésie.
13:52 Retombée sur ma terre,
13:54 j'y répète à voix basse
13:56 inventions et souvenirs.
13:59 À force de m'écrire,
14:01 je me découvre un peu
14:03 et je retrouve l'autre.
14:06 Les crépuscules
14:13 Somptueuses ou tourmentées,
14:16 les jours s'achèvent,
14:18 le temps fuit.
14:20 La mélodie des couleurs
14:22 succombe à l'outrage des puits.
14:26 Plongeant dans les profondeurs nocturnes,
14:29 la vie cède
14:31 au scénario de la nuit.
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14:39 Sous-titrage FR : VNero14
14:42 Sous-titrage FR : VNero14
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14:48 Sous-titrage FR : VNero14
14:51 [SILENCE]

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