• il y a 3 ans
À l'occasion de la sortie de son livre en mai 2021, « 3 mois sous silence », nous avons rencontré Judith Aquien. Elle dépeint un essai porté sur l'invisibilisation du premier trimestre de la grossesse : du manque d'accompagnement lors d'une fausse couche à l'infantilisation des femmes, du jargon maternel réducteur aux paradoxes nourris d'injonctions sociales, Judith Aquien nous explique en quoi la prise de conscience et une meilleure prise en charge du premier trimestre de la grossesse est primordial.

Son ouvrage : https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/trois-mois-sous-silence-9782228928304

Son compte instagram : https://www.instagram.com/judith_aquien/?hl=fr

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Transcription
00:00 Moi, on m'a même demandé de m'inscrire à la maternité
00:03 entre deux examens qui devaient vérifier
00:06 que j'étais bien en train de faire une fausse couche.
00:08 On m'a demandé ça.
00:11 Bonjour, je suis Judith Akien, j'ai 37 ans
00:16 et j'ai écrit "Trois mois sous silence, le tabou de la condition des femmes
00:19 en début de grossesse"
00:21 qui a été publié chez Paillot en mai 2021.
00:24 Qu'est-ce qui m'a donné envie d'écrire ce livre ?
00:26 Eh bien, que j'ai vécu en fait coup sur coup d'abord une fausse couche,
00:30 une grossesse qui elle a été menée jusqu'à son terme.
00:32 Je me suis rendu compte que tout ça n'était absolument pas documenté,
00:36 ne serait-ce que d'informations, qui est quand même un premier point important,
00:39 proposées aux femmes pour comprendre ce qu'elles traversaient.
00:41 Pour comprendre ce qu'elles traversaient lorsque elles traversent une fausse couche
00:44 puisque la seule information qu'on leur donne régulièrement
00:47 quand elles sont chez le médecin, c'est que c'est banal,
00:50 mais sans explications supplémentaires.
00:52 Et en fait, on fabrique de la pensée magique, extrêmement culpabilisante.
00:55 Et en plus, les mots n'aident pas, puisqu'on dit "faire une fausse couche"
00:59 alors qu'on ne fabrique pas sa fausse couche.
01:01 On est victime finalement d'une fausse couche.
01:03 Et puis j'ai donc été enceinte pour la deuxième fois après.
01:06 Et là, j'ai traversé vraiment des symptômes,
01:09 bon, que tout le monde traverse, mais qui ne sont décrits nulle part,
01:13 en tout cas très mal décrits.
01:14 On a toujours tendance à dire que la grossesse est quelque chose d'absolument indescriptible,
01:18 mais pourquoi est-ce indescriptible ?
01:19 Parce que vraiment, ça n'est pas décrit, ne serait-ce que par la nomenclature
01:23 qui indique que les symptômes très forts de la grossesse,
01:27 on parle quand même de 85% des femmes qui traversent des nausées, des vomissements,
01:33 donc une fatigue absolument monstrueuse,
01:36 qui ne fait pas l'objet de recherche,
01:37 des dépressions qui sont très sous-diagnostiquées aussi, etc.
01:41 Pendant tout ce premier trimestre de grossesse.
01:43 Ces mots sont très mal nommés, puisqu'ils sont nommés les petits mots de la grossesse.
01:48 Donc déjà, ça minimise toute la souffrance, en fait, que traversent les femmes à ce moment-là,
01:53 tous les symptômes qui sont invisibles.
01:54 Et, comble du paradoxe, c'est la période qui est la plus dure à vivre,
01:59 qui est associée aux plus gros risques,
02:02 puisque selon les statistiques, une femme sur quatre ou une femme sur cinq
02:05 traverse une fausse couche à ce moment-là.
02:08 Et pour autant, c'est la période qui fait l'objet du moins de soins,
02:14 de prises en charge, de réflexions au niveau de la société,
02:18 y compris au niveau RH, au niveau professionnel, de la grossesse.
02:22 Le fait que les femmes traversent de la souffrance, de la douleur,
02:26 est rejeté parce qu'il y a une représentation de la maternité absolue.
02:31 Certes, c'est un immense bonheur, mais c'est aussi une plongée dans l'enfer,
02:35 puisque on a tous ces symptômes qui ne sont absolument pas reconnus,
02:39 qu'on doit faire avec tous ces symptômes.
02:42 On se prend à la figure qu'on est enceinte et pas malade,
02:45 que toutes ces petites expressions qui en fait dénigrent,
02:48 c'est quelque chose aussi qui est relayé par la médecine.
02:51 La médecine ne fait pas de recherche, parce qu'on les appelle les petits mots de la grossesse.
02:55 Et donc c'est tous ces cercles vicieux qui concourent à toujours discréditer le corps de la femme.
03:02 Pourquoi les femmes cachent leur grossesse ?
03:04 Parce que de fait, il y a ce risque de fausse couche.
03:06 Donc il y a la peur de devoir refaire une tournée d'annonces et de raconter ça.
03:12 Ça relève de la superstition aussi, parfois, où on se dit "si j'en parle, ça va m'attirer le malheur".
03:17 Simplement, ce n'est pas comme ça que ça fonctionne.
03:20 Ce sont des anomalies chromosomiques qui font qu'on traverse une fausse couche.
03:23 C'est un problème qui est constitutif de l'embryon, qui amène ce genre de tragédie.
03:30 Pour revenir à cette terminologie "faire une fausse couche",
03:33 en fait, rien ne va là-dedans et rien ne désigne quoi que ce soit correctement.
03:39 D'abord le "faux", c'est vrai que c'est quelque chose qui est extrêmement cruel,
03:44 parce que c'est un vrai événement. Cette expression "fausse couche" ne veut rien dire,
03:48 ne désigne rien de manière scientifique, de manière corporelle.
03:52 "Faire une fausse couche", je le dis souvent, mais c'est terrible de dire un truc pareil.
03:59 C'est quelque chose qui culpabilise profondément.
04:02 En aucun cas, la femme est actrice de ce qu'elle est en train de traverser.
04:06 Il n'empêche que ce n'est pas parce que c'était qu'un embryon,
04:10 que ce n'est pas parce qu'il n'était pas viable,
04:13 ce n'est pas parce que ce n'était absolument pas, il n'avait même pas la tête d'un enfant.
04:17 Ce n'est pas parce que tout ça, qu'on n'a pas cristallisé,
04:20 qu'on n'a pas imaginé dès le test de grossesse.
04:23 Obligatoirement, d'une manière ou d'une autre, on projette,
04:27 on imagine évidemment ce que ça va être au bout.
04:31 Soustraire par une expression qui culpabilise,
04:34 par une expression qui met du faux à l'endroit où il y avait de la vraie projection,
04:39 c'est quelque chose qui, une fois de plus, concourt à refuser aux femmes
04:43 quelque chose qu'elles traversent, et qu'elles traversent profondément.
04:47 Déjà, les médecins n'ont pas appris manifestement,
04:50 on peut dire que c'est banal de ne pas le traiter correctement,
04:56 de ne pas demander des fonds pour pouvoir construire des unités d'obstétrique
05:03 pour la prise en charge des fausses couches,
05:06 à l'écart des unités où les femmes accouchent.
05:09 On doit accoucher d'un corps qui ne sera pas viable,
05:15 au milieu des femmes qui, elles, accouchent de bébés qui font leur premier cri.
05:20 C'est épouvantable, c'est d'une violence.
05:24 Même chose lorsque les femmes doivent évacuer seules chez elles le début d'embryon,
05:32 on leur donne un comprimé de cytothèque, ce médicament abortif,
05:36 on les renvoie seules chez elles à devoir tirer la chasse d'eau
05:41 sur l'embryon sur lequel elles avaient cristallisé tous leurs espoirs de maternité.
05:47 Et sans aucun suivi, évidemment, sans aucun coup de fil.
05:49 Les gars, en fait, c'est pas normal, c'est vraiment pas normal tout ça.
05:52 Il y a un point qui est effectivement important,
05:54 c'est qu'au moment où on prend le premier rendez-vous,
05:57 juste après la teste de grossesse,
05:59 on nous dit qu'il faut absolument s'inscrire à la maternité tout de suite.
06:03 En fait, c'est cette violence-là aussi.
06:05 C'est-à-dire que, un, on nous dit "ne te projette pas",
06:08 deux, on nous appelle quand même "maman", alors qu'on n'a rien demandé.
06:11 Voilà, donc quittez-vous pour m'appeler "maman".
06:13 Trois, on nous dit de quand même se projeter, mais vraiment à fond,
06:18 c'est-à-dire sur le jour de l'accouchement et le jour de la naissance de l'enfant.
06:21 Le tout en ne nous donnant aucune espèce d'indication
06:25 et en n'apportant à aucun moment à disposition
06:28 un outil pour savoir comment on veut accoucher.
06:32 Moi, on m'a même demandé de m'inscrire à la maternité
06:35 entre deux examens qui devaient vérifier
06:38 que j'étais bien en train de faire une fausse couche.
06:41 On m'a demandé ça.
06:43 Il faut dire les choses, il y a un peu de médical quand même,
06:46 pendant ce premier trimestre.
06:47 On ne nous explique jamais pourquoi.
06:49 On ne va jamais au bout de l'explication.
06:52 Du coup, on est plongé dans une infantilisation totale.
06:55 On se fait tout de suite appeler "maman",
06:57 qui appartient au champ de l'affectif, au champ familial et au champ du bébé.
07:03 Le fait de plonger la future mère dans le champ de l'enfance
07:08 et d'un vocabulaire enfantin fait également qu'on leur soustrait
07:13 toute une catégorie d'informations.
07:16 Les petits bobos de la grossesse, les petits mots de la grossesse,
07:19 les petits ci, les petits ça, les petits ci, les petits ça.
07:21 Donc, rien ne reconnaît l'énormité des choses pour les femmes
07:26 à un moment où pourtant, mais plus que jamais,
07:30 il faudrait les traiter en adultes.
07:32 [Musique]

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