Juste la fin du monde, intemporel
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00:00 Comment annoncer à ses proches qu'on va mourir bientôt ?
00:02 C'est tout l'enjeu d'une pièce de théâtre portée à l'écran par Xavier Dolan en 2016,
00:06 Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce.
00:08 C'est l'essence de son écriture, c'est l'essence de son style aussi,
00:13 et c'est l'essence de ses sujets qu'il a mis dans Juste la fin du monde.
00:16 C'est l'histoire du retour de Louis, un homme de 34 ans, dans sa famille.
00:20 Il vient leur annoncer sa mort, comme il dit, sa mort prochaine et irrémédiable.
00:26 Plus tard, l'année d'après, j'allais mourir à mon tour.
00:33 J'ai près de 34 ans maintenant et c'est à cet âge que je mourrai l'année d'après.
00:38 Seulement, Louis a coupé les ponts depuis 12 ans.
00:40 En fait, il n'aura pas l'occasion de le faire puisqu'il y a tant de ressentiments,
00:44 il y a tant de choses à dire, de choses à régler.
00:47 On comprend implicitement que Louis est atteint d'une maladie,
00:50 même si la chose n'est jamais énoncée.
00:51 Et c'est toute la particularité de la pièce renforcée par l'écriture de Jean-Luc Lagarce.
00:55 La parole bute, se reprend et la fin du monde, la fin de son monde, n'est jamais explicité.
01:00 C'est de la pensée énoncée.
01:02 C'est-à-dire qu'en fait, tout est corrigé en direct, j'allais dire en live.
01:06 C'est une figure de style qu'on appelle l'épanorthose,
01:09 qui consiste à se reprendre sans cesse pour arriver à la précision du langage,
01:14 la précision de la pensée, de ce qu'on veut dire exactement.
01:16 Ce qui donne un rythme très, très particulier à cette pièce, à l'écriture,
01:21 qui est en fait assez proche de la langue parlée.
01:23 On passe son temps à se reprendre, à se répéter.
01:27 Souvent on le fait en silence, mais là c'est dit.
01:29 Ce n'est pas bien que tu sois partie.
01:31 Partie si longtemps.
01:32 Ce n'est pas bien et ce n'est pas bien pour moi.
01:34 Et ce n'est pas bien pour elle.
01:35 Elle ne te le dira pas et ce n'est pas bien encore d'une certaine manière pour eux.
01:39 Autobiographique sans l'être tout à fait,
01:41 Juste la fin du monde est né sous la plume d'un auteur élevé en Franche-Comté
01:44 par des parents ouvriers et monté à Paris pour devenir comédien,
01:47 dramaturge, chef de troupe.
01:49 C'est un condensé de son oeuvre.
01:51 Il a écrit 27 pièces de mémoire.
01:53 C'est une oeuvre longue pour une vie très courte.
01:55 Le sujet du retour, le sujet de l'abandon, le sujet familial aussi.
01:59 Le sujet de la maladie, le sujet de la mort
02:00 sont des sujets qui sont très récurrents dans l'oeuvre de Lagarce.
02:04 Lagarce l'écrit en 1990 alors qu'il se sait atteint du sida et condamné.
02:09 On devine donc l'importance qu'il accorde à la difficulté de dire les choses
02:12 ou de ne pas les dire.
02:13 Ce n'était pas tabou pour moi.
02:14 C'est tabou pour des tas de gens dans ce pays, étrangement.
02:17 Vous dites j'en ai jamais parlé et puis j'en ai jamais pas parlé.
02:23 C'est l'une des dernières pièces qu'il écrira avant de mourir en 1995.
02:27 J'imagine que ça devait être une oeuvre très importante pour lui
02:30 mais malheureusement il ne l'aura jamais vue monter.
02:33 Voilà, puisqu'elle a été refusée à tous les comités de lecture
02:35 parce que justement c'était poussé le style je crois un peu trop loin.
02:39 Il y en a que ça agace, les spectateurs qui sont un peu déstabilisés en sortant de là
02:43 en disant pourquoi ils se répètent tout le temps tous, qu'est-ce qu'ils ont,
02:47 c'est quoi ces monologues interminables.
02:49 Parfois tu nous envoyais des lettres.
02:51 Parfois tu nous envoyais des lettres.
02:53 Ce ne sont pas des lettres, qu'est-ce que c'est ?
02:55 De petits mots, juste des petits mots, une ou deux phrases, rien.
02:59 Comment est-ce qu'on dit ?
03:00 Elliptique !
03:02 Parfois tu nous envoyais des lettres elliptiques.
03:04 Xavier Dolan adapte le texte et remporte le grand prix du jury à Cannes en 2016,
03:09 puis 3 Césars.
03:10 Le rôle principal y est tenu par un Gaspard Ulliel largement salué par la critique
03:14 qui, coïncidence du destin, mourra quasiment au même âge que Jean-Luc Lagarce.
03:18 Plus de 30 ans après son écriture,
03:20 Juste la fin du monde déconcerte toujours dans sa forme et ses questionnements.
03:24 Peut-être la recette de son succès posthume.
03:26 Donc c'est tout à fait, j'allais dire, logique que ça se retrouve au BAC.
03:31 Nous on a fait beaucoup de représentations devant les scolaires,
03:32 j'ai fait beaucoup d'interventions dans les écoles.
03:34 Et c'est fou de voir comment ce texte est formidablement compris par les élèves.
03:38 J'ai eu des discussions passionnantes avec des élèves de 14-15 ans,
03:44 avec des interventions et des remarques très intelligentes, très structurées.
03:47 [Tambours]