Affaire n° 2023-1055-QPC

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Date de l'audience : 06/06/2023

Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais [Interdiction d’étiquetage des fruits et légumes]

Lien vers la décision : https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2023/20231055QPC.htm
Transcript
00:00 Alors nous allons passer à la seconde question prioritaire de constitutionnalité,
00:07 sous le numéro 2023-1055.
00:12 C'est tout à fait différent, elle porte sur l'article 80
00:18 de la loi 2020-105 du 10 février 2020,
00:23 relative à la lutte contre le gaspillage
00:27 et à l'économie circulaire.
00:29 Madame la greffière.
00:31 Merci monsieur le président.
00:33 Le conseil constitutionnel a été saisi le 26 avril 2023 par une décision du conseil d'état
00:38 d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais,
00:45 portant sur la conformité aux droits et libertés que la constitution garantit
00:49 de l'article 80 de la loi 2020-105 du 10 février 2020,
00:54 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire.
00:58 Cette question relative à l'interdiction des tictages des fruits et légumes
01:02 a été enregistrée au secrétariat général du conseil constitutionnel sous le numéro 2023-1055 QPC.
01:09 Maître Jelena Trifounovic, Arthur Elfer et Guillaume Léonard ont produit des observations dans l'intérêt de la partie requérante
01:16 les 10 et 25 mai 2023.
01:19 La première ministre a produit des observations le 10 mai 2023.
01:23 France Nature Environnement a demandé à intervenir et a produit des observations à cette fin les 10 et 25 mai 2023.
01:31 Seront entendus aujourd'hui les avocats de la partie requérante et le représentant de la première ministre.
01:37 Très bien. Alors nous allons commencer avec maître Arthur Elfer,
01:43 qui comme maître Guillaume Léonard, qui lui succédera,
01:47 est avocat au barreau de Paris, représente l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais,
01:53 partie requérante. Maître.
01:55 Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
02:01 dans son rapport d'activité pour l'année 2005, le Conseil d'État a noté la chose suivante, je cite,
02:09 "Pour respecter la loi, il faut la connaître. Pour la connaître, il faut qu'elle soit claire et stable.
02:15 Or, et ce constat est préoccupant, nombre de nos lois ne sont ni claires ni stables.
02:21 La France légit vert trop et légit faire mal."
02:25 La disposition dont vous êtes saisi aujourd'hui, au titre de la QPC introduite par Interfell,
02:32 est l'illustration parfaite que ce constat formulé il y a 17 ans demeure pleinement d'actualité.
02:39 Alors dans les quelques minutes qui nous sont accordées, nous ne reviendrons pas, ni mon confrère, ni moi-même,
02:44 évidemment, rassurez-vous, sur chacun des griefs invoqués à l'appui de cette QPC,
02:49 qui juste pour mémoire sont tirés de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre,
02:54 du principe d'égalité, du principe de l'égalité des délits et des peines,
02:58 de l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi invoquée en combinaison avec la liberté d'entreprendre,
03:06 et dernier grief, de l'incompétence négative dont est obtachée la disposition,
03:11 là aussi invoquée en combinaison avec la liberté d'entreprendre.
03:14 Nous souhaiterions en revanche dans cette intervention assister rapidement sur le problème fondamental
03:21 en réalité que soulève l'article 80 de la loi AJEC et qui irrigue en réalité l'ensemble des griefs que nous avons invoqués,
03:29 en particulier les griefs numéro 3, 4 et 5 que j'évoquais à l'instant,
03:32 et ce problème, vous l'avez compris, c'est celui de la qualité de la loi,
03:36 et plus précisément de son caractère peu clair, équivoque, inintelligible et en définitive inapplicable.
03:44 Alors notre intervention se déroulera comme annoncé en deux temps.
03:47 Dans un premier temps, en quelques minutes, brièvement, j'essaierai de vous démontrer en quoi l'article 80 de la loi AJEC
03:54 est à la fois peu clair, équivoque, inintelligible et en définitive inapplicable,
03:58 et dans un second temps, mon confrère évoquera les conséquences attirées en l'espèce de cette malfaçon
04:03 en vous présentant les raisons pour lesquelles aucune réserve d'interprétation n'est envisageable, selon nous,
04:09 et la bourgation s'impose.
04:11 Quelques mots d'abord, rapidement, sur le caractère peu clair, inintelligible et équivoque de la disposition litigieuse.
04:17 Quand on regarde votre jurisprudence au visa de chacun des principes que nous invoquons à travers les différents griefs que nous formulons,
04:24 en particulier griefs 3, 4 et 5, on est frappé par la cohérence de cette jurisprudence.
04:28 En effet, que vous abordiez la question de la qualité de la loi à travers le principe de l'égalité des délais et des peines,
04:34 à travers l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, ou à travers la notion d'incompétence négative,
04:40 trois moyens que nous invoquons, trois griefs que nous formulons, vous formulez toujours les deux mêmes exigences à l'endroit du législateur.
04:47 Vous exigez d'une part que la loi soit précise, et vous exigez d'autre part que la loi soit rédigée en des termes non équivoques.
04:54 En l'espèce, l'article 80 de la loi AJEC ne satisfait à aucune de ces deux exigences.
04:59 Je le cite pour mémoire rapidement.
05:01 Au plus tard, le 1er janvier 2022, il est mis fin à la position d'étiquette directement sur les fruits et légumes,
05:09 à l'exception des étiquettes compostables en compostage domestique et constituées en toute ou partie de matières biosourcées.
05:16 Voilà la disposition.
05:17 Cette disposition, je le disais, n'est ni claire, ni précise, plus exactement, ni univoque.
05:23 Elle est d'abord imprécise pour deux raisons.
05:25 La première est que la formule « au plus tard, il est mis fin à » n'a strictement aucun sens.
05:31 On n'interdit pas quelque chose « au plus tard, à telle date ».
05:34 On interdit « à compter de ».
05:35 On oblige le cas échéant, l'État, à prendre des mesures « au plus tard, à telle date ».
05:40 C'est une lecture, d'ailleurs, qu'on pourrait imaginer de cette disposition.
05:43 Mais on n'interdit pas « au plus tard, à telle date ».
05:45 Et la seconde raison, qui est beaucoup plus fondamentale, c'est qu'il n'est objectivement pas possible, à la lecture de la disposition,
05:50 de déterminer si celle-ci comporte clairement ou non une interdiction.
05:54 Le cas échéant, quel est l'acte matériel qui est visé par cette interdiction ?
05:59 Quel est le champ d'application, par conséquent, de celle-ci ?
06:03 Nous y reviendrons.
06:04 Et enfin, quelles sont les personnes qui sont débitrices, le cas échéant de l'obligation,
06:09 ou en tout cas qui sont visées par l'interdiction ?
06:11 S'agit-il des producteurs de fruits et légumes ?
06:13 Des distributeurs de fruits et légumes ?
06:15 Des importateurs ? Des exportateurs ?
06:17 De l'ensemble de ces personnes, comme semble le soutenir l'association intervenante,
06:22 et pourquoi pas des particuliers qui récoltent leurs fruits et légumes dans leur propre jardin ?
06:26 Ou, plus sérieusement, de l'État, à qui il appartiendrait dans ce cas de mettre fin,
06:31 par des mesures positives, au comportement jugé problématique,
06:34 en adoptant, par exemple, des actes réglementaires, au plus tard, à la date visée par la loi ?
06:39 A l'évidence, on voit le texte qui vous est soumis n'est pas précis.
06:42 Il est également, et plus fondamentalement, équivaut.
06:46 À la lecture des différentes mémoires qui vous ont été soumises,
06:49 vous constaterez en effet que plusieurs interprétations de ce texte, radicalement opposées,
06:55 vous sont soumises et proposées.
06:57 Vous avez notamment l'interprétation du professeur Rebus,
07:00 que nous produisons en annexe à nos écritures,
07:03 et qui s'attache à la lettre du texte.
07:05 Le texte vise l'apposition d'une étiquette, c'est-à-dire le fait d'apposer une étiquette,
07:09 et donc interdit le fait d'apposer une étiquette.
07:11 Par conséquent, sont concernés par la disposition les producteurs,
07:15 c'est-à-dire ceux qui apposent des étiquettes,
07:17 lorsqu'ils sont établis en France,
07:19 y compris pour ceux de leurs produits qui sont, en cas échéant, exportés.
07:22 Les distributeurs, en revanche, ne sont pas concernés.
07:25 C'est une première lecture envisageable.
07:27 Et puis vous avez la lecture de l'administration,
07:29 sans préjudice d'ailleurs d'une troisième, quatrième, cinquième interprétation,
07:32 mais pour ce qui concerne celles qui vous sont soumises,
07:34 interprétation de l'administration, qui figure dans sa FAQ,
07:38 sur le texte, et selon laquelle le texte viserait cette fois-ci non plus la position,
07:42 même si c'est ce que le texte dit,
07:44 mais la vente de fruits et légumes,
07:46 et selon laquelle, par conséquent, seraient concernés les distributeurs et plus les producteurs.
07:50 C'est une autre lecture.
07:52 Mais dans un cas comme dans l'autre, et mon confrère l'expliquera également,
07:56 aucune de ces lectures n'est tenable.
07:59 La première est contraire à la Constitution,
08:01 notamment au principe d'égalité, au principe de la liberté d'entreprendre.
08:05 La seconde est contraire au texte.
08:07 Et donc vous êtes face à un texte qui non seulement n'est pas clair, n'est pas précis,
08:10 mais qui, de surcroît, est équivoque,
08:12 et est même inapplicable,
08:14 puisque aucune interprétation de ce texte n'existe,
08:17 qui soit à la fois conforme à la Constitution et conforme au texte lui-même.
08:21 Raison pour laquelle, sans doute, d'ailleurs,
08:23 ce texte n'est 18 mois après la date butoir du 1er janvier 2022,
08:26 toujours pas appliqué par l'administration.
08:28 Et donc, quelle que soit le griez que vous retiendrez,
08:31 et par lequel vous appréhendrez cette problématique,
08:34 l'égalité d'identité des peines, inintelligibilité de la loi ou incompétence négative,
08:38 vous ne pourrez, selon nous, que constater la contrariété du texte à la Constitution.
08:43 Je remercie.
08:45 Merci, maître.
08:47 Donc, maintenant, je vais donner la parole à votre collègue, maître Léonard.
08:52 Monsieur le Président,
08:55 Mesdames, Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
08:58 comme cela vient d'être réteillé,
08:59 l'imprécision et le caractère équivoque de l'article 80 de la loi AGEC
09:03 sont tels qu'il en résulte une atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.
09:07 Plutôt que de déclarer ce texte contraire à la Constitution,
09:13 vous pourriez être tenté d'explorer la voie d'une réserve d'interprétation.
09:18 Comme vous le savez, cette technique jurisprudentielle que vous avez façonnée
09:22 n'est cependant pas sans limites,
09:24 puisque vous y avez vous-même attaché un certain nombre de garde-fous.
09:28 Deux limites méritent d'être ici rappelées.
09:32 La première, c'est que lorsqu'un texte est susceptible de recevoir plusieurs interprétations,
09:38 vous ne pouvez bien évidemment pas retenir une interprétation qui serait contraire à la Constitution.
09:43 Une seconde limite, c'est que la réserve d'interprétation peut certes vous conduire à neutraliser une interprétation
09:50 qui serait contraire à la Constitution ou à combler un silence de la loi,
09:55 mais elle ne peut pas vous conduire à réécrire la loi, sauf à excéder votre office.
10:01 Or, au vu du texte dont vous êtes saisis ce matin, à notre sens, il n'y a pas la place pour une réserve d'interprétation.
10:09 Prenons un exemple.
10:11 Comme l'a souligné mon confrère, l'imprécision de l'article 80 de la loi AJEC pose notamment la question de savoir
10:17 quel acte est visé par le législateur.
10:19 Lorsque le législateur dit « il est mis fin à la position d'étiquette sur les fruits et légumes »,
10:25 quel acte vise-t-il ?
10:27 Vous ne pouvez pas dire que les termes « la position d'une étiquette » signifient le fait d'apposer une étiquette.
10:35 C'eût été une appalissade, mais ce serait contraire à la Constitution, car il en résulterait une atteinte disproportionnelle
10:41 à la liberté d'entreprendre et une rupture d'égalité devant la loi.
10:44 Nous renvoyons sur ce point nos observations écrites.
10:47 Vous ne pouvez pas dire non plus que lorsque le législateur prévoit « il est mis fin à la position d'étiquette sur les fruits et légumes »,
10:55 il vise l'interdiction de vendre en France des fruits et légumes étiquetés,
10:59 tout simplement parce que ce n'est pas ce que dit la loi.
11:02 Et ce n'est pas non plus ce que disent les travaux préparatoires de la loi.
11:06 Et ce n'est pas même une interprétation qui est susceptible de recevoir la loi.
11:10 En effet, le législateur vise « la position d'étiquette ».
11:14 Il n'a pas visé la vente de produits étiquetés, ni l'exposition à la vente,
11:20 ni la mise à disposition de produits, termes qui ont un autre sens.
11:24 Et les mots « il est mis fin à la position d'étiquette » ne sauraient évidemment être interprétés comme signifiant la vente de produits étiquetés.
11:35 Une telle interprétation, à supposer d'ailleurs que l'on puisse parler d'interprétation,
11:39 ne reviendrait pas à préciser le champ d'application de l'article 80.
11:44 Elle reviendrait en réalité à modifier la portée de cet article, à en changer l'objet.
11:50 L'acte visé ne serait plus le fait d'apposer une étiquette, l'acte visé serait le fait de vendre un produit.
11:58 Et les personnes visées ne seraient plus les mêmes.
12:01 Le distributeur recevant un fruit déjà étiqueté se verrait imposer une obligation nouvelle,
12:08 tandis que le producteur de fruit d'un fruit qui apposerait une étiquette sur ce fruit,
12:13 ne serait quant à lui plus soumis au champ d'application de la loi, alors que la loi dit l'exact contraire.
12:20 Bref, en l'espèce, une réserve d'interprétation ne vous conduirait pas à neutraliser une interprétation de la loi,
12:25 ni à combler un silence de la loi.
12:27 Elle vous conduirait à réécrire la loi, à prendre la plume à la place du législateur,
12:31 ce que vous êtes toujours interdit de faire, puisque cela excède votre office.
12:36 En l'espèce, il n'existe donc pas, selon nous, d'alternative à la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 80 de la loi AJEC.
12:44 Ce constat n'est en réalité pas bien grave, car une déclaration d'inconstitutionnalité,
12:49 donc l'abrogation de ce texte, n'aura strictement aucune conséquence en pratique.
12:54 D'abord, parce que ce texte n'a à ce jour reçu aucune application.
12:59 Son abrogation ne créera donc aucun vide juridique, elle ne portera pas atteinte à la sécurité juridique.
13:05 Ensuite, parce qu'une disposition ayant la même finalité que l'article 80 est actuellement en cours d'élaboration au niveau de l'Union européenne,
13:12 dans le projet de règlement relatif aux emballages.
13:15 Ce texte européen sera par nature directement et uniformément applicable dans tous les États membres de l'Union européenne,
13:22 et s'appliquera de la même manière à tous les fruits et légumes au sein du marché intérieur.
13:27 L'article 80 de la loi AJEC deviendra donc en tout état de cause obsolète.
13:31 Et d'ailleurs, une déclaration d'inconstitutionnalité de cet article par vos soins permettra d'éviter que le juge ordinaire
13:39 soit prochainement amené à se prononcer sur la compatibilité de cet article avec le règlement européen à venir,
13:45 et plus largement d'ailleurs avec le droit de l'Union européenne.
13:48 Pour ces raisons, il nous semble donc qu'en l'espèce, une réserve d'interprétation est non seulement impossible sur le plan juridique,
13:55 et qu'en outre, aucune considération d'intérêt général justifie qu'elle ne soit prononcée.
14:01 En conclusion, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
14:06 vous avez entre vos mains l'exemple typique du texte mal rédigé,
14:11 du texte qui a été élaboré au terme d'un travail préparatoire quasiment inexistant.
14:16 Il procède d'un amendement parlementaire dont l'exposé des motifs est notoirement lapidaire.
14:21 Il n'a fait l'objet d'aucune étude d'impact.
14:24 Il n'a quasiment pas été examiné dans le cas des travaux préparatoires.
14:28 Il a même été adopté contre l'avis du gouvernement.
14:31 La présente affaire vous offre ainsi l'occasion de rappeler aux législateurs que la Constitution lui impose au minimum
14:39 de définir clairement et précisément les restrictions qu'il entend apporter à l'activité des opérateurs économiques.
14:46 Dans le contexte actuel où les normes nouvelles foisonnent, où la France légifère trop et légifère mal,
14:52 ce rappel sera assurément le bienvenu au nom de la protection des droits et des libertés dont vous êtes le garant.
14:58 Je vous remercie.
15:00 Merci, maître.
15:01 Alors, France Nature Environnement, qui est une partie intervenante, a fait savoir qu'elle s'en remet à ses écritures.
15:07 Donc, nous allons écouter maintenant pour la Première ministre M. Canguilhem.
15:12 Merci, M. le Président.
15:13 Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
15:16 le tri à la source des biodéchets des ménages est un objectif que le législateur a consacré,
15:20 par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique, dans le but notamment de réduire les quantités d'ordures ménagères.
15:27 Au nombre de ces biodéchets figurent les restes de fruits et légumes après leur consommation,
15:32 et le compostage est un élément de la valorisation de ces biodéchets,
15:36 qui permet tout à la fois un bénéfice pour les sols qui reçoivent cette matière organique
15:40 et permet d'éviter une pollution supplémentaire en réduisant la part des déchets transportés puis incinérés.
15:47 Mais pour que le compostage reste bénéfique, encore faut-il que le compost ne soit pas lui-même composé de matière qui viendrait à polluer les sols.
15:55 Le bénéfice serait alors réduit à néant.
15:59 C'est ainsi, afin d'éviter que des matières plastiques polluantes soient mélangées aux matières organiques composant le compost,
16:05 que le législateur a prévu par l'article 80 de la loi AGEC une interdiction afin qu'au plus tard, le 1er janvier 2022,
16:13 il soit mis fin à la position d'étiquette directement sur les fruits et légumes, à l'exception de celles que le compostage ait constitué de matières biosourcées.
16:22 Le champ de l'interdiction posé par cette disposition ne peut être compris qu'au regard de l'objectif précédemment évoqué de la valorisation des biodéchets.
16:32 Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, ce qui est visé par cette disposition n'est pas tant l'acte lui-même de mettre une étiquette sur un fruit,
16:40 que d'éviter qu'une étiquette polluante se retrouve dans les déchets alimentaires après consommation de fruits ou légumes.
16:47 Et pour ce faire, c'est bien la commercialisation de produits comportant de telles étiquettes que le législateur a entendu interdire.
16:54 Le respect de cette interdiction accompte donc aux producteurs comme aux distributeurs et vise les produits ayant vocation à être consommés en France.
17:02 C'est bien l'objectif de la disposition. Les fruits et légumes exportés ne sont donc pas concernés, à la différence de ceux qui sont importés et qui ont vocation à être consommés en France.
17:14 Dans ces conditions, aucun des griefs soulevés n'est fondé.
17:20 En premier lieu, les dispositions de l'article 80 de la loi GEC ne méconnaissent pas la liberté d'entreprendre.
17:26 Vous jugez de manière constante que celle-ci n'est ni générale ni absolue, et qu'il est inavoisible, le législateur, d'y apporter des limitations
17:33 liées à des exigences conscientes ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteindre disproportionné au regard de l'objectif poursuivi.
17:41 Ainsi que nous l'avons déjà évoqué, en l'espèce, les dispositions contestées poursuivent un objectif lié à la protection de l'environnement
17:48 par la valorisation des biodéchets et de réduction de la pollution liée au traitement des déchets ménagers.
17:54 Il y a donc bien la poursuite d'un intérêt général et même le respect d'exigences constitutionnelles.
18:01 Sur le caractère proportionné de cette atteinte, il y a bien une atteinte à la liberté d'entreprendre, cela n'est pas niais.
18:11 Mais celle-ci est extrêmement limitée.
18:13 Elle est limitée car il ne s'agit pas d'interdire la commercialisation de certains fruits et légumes, ni même d'en interdire l'étiquetage.
18:20 L'objet de ces dispositions n'est que de poser deux conditions à cet étiquetage, que les étiquettes soient compostables,
18:27 qu'elles soient composées en toutes ou parties de matières biosourcées.
18:31 De par son ampleur très limitée, l'atteinte à la liberté d'entreprendre n'est donc pas disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi.
18:40 Vous avez d'ailleurs déjà eu l'occasion de juger que des mesures beaucoup plus restrictives,
18:45 comme l'interdiction de la mise à disposition d'ustensiles jetables de cuisine en matière plastique, décision 718 d'Essai,
18:51 ou des ustensiles comme les pailles, les couverts ou les couvercles non réutilisables, décision 771 d'Essai,
19:00 que ces interdictions-là ne portaient pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre au regard des objectifs poursuivis.
19:06 Le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre pourra donc être écarté.
19:11 Il pourra en être de même du grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité.
19:15 Votre contrôle du respect du principe d'égalité repose tout entier sur la question de la différence des situations.
19:22 Mais en l'espèce, la différence des situations alléguées n'existe pas.
19:27 L'objectif poursuivi par le législateur étant d'éviter que des étiquettes non compostables se retrouvent dans les assiettes des consommateurs,
19:34 ce sont bien l'ensemble des fruits et légumes vendus en France qui sont concernés par cette interdiction.
19:39 Il n'existe donc pas de traitement entre les fruits et légumes produits et vendus en France et ceux qui ont été importés.
19:47 En troisième lieu, il est soutenu que l'article 80 de la loi AJEC méconnaît le principe de l'égalité des délits et des peines,
19:57 qui a pour objet de prémunir contre le risque d'arbitraire et impose que les notions soient suffisamment précises
20:02 et ne revêtent pas de caractère équivoque.
20:06 Mais pour que ce principe trouve à s'appliquer, encore faut-il qu'une peine existe.
20:11 Or tel n'est pas le cas en l'espèce, les dispositions contestées ne définissent par elles-mêmes aucune sanction pénale au non-respect de cette interdiction.
20:21 Elles ne font que définir une bande temporelle au-delà de laquelle il est interdit de commercialiser des fruits et légumes selon les conditions déjà évoquées.
20:30 L'infraction pénale en cas de méconnaissance de cette interdiction, elle existe, mais elle est prévue par un autre texte,
20:36 un texte de valeur réglementaire, l'article R 543-73 du Code de l'environnement,
20:41 qui prévoit que le non-respect de cette interdiction est puni par une contravention de troisième classe.
20:46 Or vous jugez de manière constante qu'il ne vous appartient pas d'apprécier la conformité de dispositions réglementaires à la Constitution
20:53 et notamment aux exigences de l'article 8 de la déclaration de 1789.
20:58 Et contrairement à ce qui est soutenu par les auteurs de la question,
21:02 le fait que le délit visé par le pouvoir réglementaire reprenne la formulation législative de l'interdiction
21:12 n'a pas pour effet de rendre le principe de l'égalité des délits et des peines invocable à l'encontre de l'article législatif de l'article 80 de la loi AJEC.
21:22 En effet, si ce grief avait été soulevé à l'occasion de votre contrôle a priori, vous l'auriez écarté comme inopérant,
21:29 car aucune sanction à la méconnaissance de cette interdiction n'existait alors.
21:33 Et l'examen de la constitutionnalité de la loi ne peut dépendre de l'intervention postérieure du pouvoir réglementaire.
21:42 Et donc en l'absence de toute sanction pénale prévue par les dispositions contestées,
21:47 le grief tiré de la méconnaissance du principe de l'égalité des délits et des peines ne pourra donc qu'être écarté comme étant inopérant en l'espèce.
21:56 En dernier lieu, vous pourrez également écarter comme étant inopérant le grief tiré de la méconnaissance de l'objectif de valeur consciente d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi
22:06 qui n'est pas invocable en lui-même dans le cadre de votre contrôle a posteriori.
22:10 Et vous pourrez également écarter le grief tiré de la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne pourrait être invoqué à l'appui d'une QPC
22:19 que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la constitution garantit.
22:23 Aucune exigence constitutionnelle n'ayant été méconnue, je vous invite à déclarer les dispositions de l'article 80 de la loi AGEC conformes à la constitution.
22:30 Merci M. Canguilhem.
22:33 Alors, là aussi nous avons entendu des arguments dans des sens opposés.
22:37 Est-ce qu'il y a une demande ? Oui.
22:40 M. le conseiller Séners.
22:42 Merci M. le Président. Ma question s'adresse à M. Léonard.
22:46 Vous avez évoqué mettre la préparation d'un règlement européen sur cette problématique.
22:53 Est-ce que vous pouvez nous en dire un petit peu plus sur ce que vous savez du contenu de ce projet ?
22:59 En quoi est-il similaire ou identique ou à défaut ? En quoi se distingue-t-il du dispositif visé par la QPC ?
23:08 Maître, venez à la barre s'il vous plaît.
23:11 Alors, il s'agit de l'article 8 du projet de règlement relatif aux emballages qui est actuellement en cours d'élaboration au niveau de l'Union européenne.
23:24 Donc dans la rédaction, il n'est par définition pas encore complètement figé.
23:28 Ce texte poursuit la même finalité que l'article 80 de la loi AJEC, à savoir de réglementer la position,
23:37 parce qu'il faut que l'on appelle le terme « label » sur les stickers sur les fruits et légumes.
23:43 Il est rédigé en l'état plus précisément puisqu'on n'a pas cette notion d'apposition sur les fruits et légumes qui est en ces termes-là employée.
23:52 Et surtout, dans ce paragraphe 1 de l'article 8 qui prévoit la mesure.
23:57 Et ensuite, s'il vous plaît, il y a d'autres dispositions qui sont envisagées au-delà des étiquettes sur les fruits et légumes.
24:04 Et je crois que c'est le paragraphe 3 ou le paragraphe 4 de ce même article 8 renvoient à une annexe technique
24:09 dans laquelle le législateur de l'Union européenne précisera exactement les critères techniques qui devront être mis en œuvre par les différents opérateurs
24:19 afin d'uniformiser l'approche, enfin, sur le plan purement technique des étiquettes, ce qui est possible, ce qui n'est pas possible,
24:27 et afin de réaliser la meilleure conciliation possible entre, d'une part, l'objectif environnemental que poursuit la mesure,
24:32 et d'autre part, les exigences qui s'attachent à la libre circulation des marchandises au sein du marché intérieur.
24:38 Merci. Monsieur Canguilhem, vous voulez dire un mot là-dessus ?
24:43 Bon, si vous voulez nous faire passer une note, parce que ça concerne quand même aussi le gouvernement.
24:49 Alors, une note sur le règlement, je sais que l'essentiel a été dit.
24:57 Juste un élément peut-être par rapport à ce qui a été dit sur l'application à l'heure actuelle de la mesure.
25:09 Effectivement, deux éléments. La loi prévoyait le 1er janvier, un délai d'écoulement avait été donné jusqu'au 1er juillet 2022.
25:21 Donc, on est sur une application à un peu moins d'un an, et il est exact qu'à l'heure actuelle, la poursuite de cette infraction n'était inscrite
25:28 ni au programme national d'enquête des inspecteurs de la SDGCRF, ni au programme d'action national des inspecteurs de l'environnement.
25:35 Voilà pour la mise en œuvre de la mesure.
25:39 D'autres questions ? Non ? Vous êtes éclairé ?
25:43 Très bien. Et là aussi, nous rendrons notre décision publique dans dix jours, le 16 juin au matin.
25:51 Voilà, l'audience est levée. Bonne journée à toutes et à tous.
25:55 Merci.
25:58 Merci.
25:59 Merci à tous !
26:01 Merci à tous !