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Interview cinéma d'une émission produite par CANAL+ autour du 76e Festival de Cannes 2023
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Transcription
00:00 - Bonjour à toutes les deux. - Bonjour.
00:01 Je suis ravie de vous accueillir.
00:03 Alors ce film, Valérie, vous avez eu envie de le faire pour Virginie, avec Virginie, n'est-ce pas ?
00:07 Oui, tout à fait.
00:08 C'était votre condition sine qua non ?
00:10 Oui, en fait, quand j'ai rencontré Virginie, on a tourné ensemble dans Madeleine Collins
00:16 et je l'ai vue, vraiment, j'étais la première spectatrice puisque je lui donnais la réplique,
00:21 j'étais sa meilleure amie dans le film.
00:23 Et je l'ai vue travailler devant moi comme ça, j'ai complètement oublié l'actrice,
00:28 je voyais que le personnage, en fait.
00:30 Et j'ai eu une sensation de meilleure amie, vraiment, j'ai oublié qu'on jouait,
00:34 je me suis dit "mais c'est fou".
00:35 J'ai été époustouflée par sa prestation, par son jeu.
00:39 Et en rentrant chez moi, je me suis dit "ah, quand même, elle serait vraiment super".
00:42 Si je dois adapter ce livre, c'est avec elle que j'ai envie de le faire.
00:44 Et donc, j'ai offert le livre quelques mois plus tard.
00:47 Et puis, par chance, il y a eu ce confinement, heureusement.
00:49 Le livre d'Éric Reynard, que je vous ai adapté.
00:51 "Par chance, il y a eu ce confinement".
00:53 C'est une phrase qu'on ne dit pas si souvent, c'est dommage.
00:55 - Pourquoi ? Parce que vous avez pu prendre le temps de lire ?
00:57 - Bah oui, tout s'est arrêté.
00:58 Et donc, je pense que t'as eu le temps de le lire assez vite.
01:00 Et voilà, et donc elle m'a dit assez vite qu'elle trouvait l'histoire intéressante
01:03 et qu'elle voyait effectivement qu'il y avait le potentiel
01:06 pour faire quelque chose de beau et d'intéressant et de fort.
01:10 Et donc, je suis partie en écriture avec son visage à l'intérieur de ma tête.
01:15 - Et j'imagine, Virginie, que c'est agréable de savoir qu'un rôle a été écrit pour soi.
01:19 - Oui, bien sûr, ça l'est, surtout si ça vient d'une personne avec qui vous aussi,
01:22 parce que, en général, quand on a une sorte de coup de foudre comme ça,
01:26 c'est que l'autre le ressent aussi.
01:29 - Ça reste sans rui.
01:30 - Parce que tu es vraiment dans un truc un peu problématique.
01:33 Voilà, ça peut arriver qu'il n'y ait pas de retour.
01:36 Mais moi, je connaissais tous les films de Valérie depuis "La Reine des pommes".
01:41 Donc j'adorais son cinéma.
01:43 Et il y avait quelque chose, et c'est vrai que c'est peut-être quand on a tourné ensemble
01:47 comme comédienne toutes les deux,
01:50 où on est rentré dans un dialogue un peu plus intime ensemble,
01:52 et je me disais qu'il y avait suffisamment de choses
01:55 entre mon admiration pour elle en tant que réalisatrice
01:58 et ce que je pouvais pressentir d'une intimité partagée pour faire quelque chose.
02:02 - On a parlé de "Madeleine Collins", qui est le film dans lequel vous vous êtes retrouvées toutes les deux,
02:06 qui était aussi un thriller extrêmement tendu, très réussi aussi.
02:10 Vous partagez ça en commun, toutes les deux, un goût pour les thrillers ?
02:14 - Alors moi, complètement. Toi, je ne sais pas.
02:16 - J'aime bien quand même, oui, oui, j'aime bien.
02:18 Je suis une fan d'Hitchcock, et je trouve que c'est quand même le maître du thriller.
02:24 Et je trouve qu'il y a quelque chose sur la précision, en fait,
02:27 sur la réflexion et la précision dans les thrillers, qui est quand même assez passionnant,
02:32 parce que c'est vraiment fait pour le spectateur.
02:34 Il y a quelque chose comme ça où on est en connexion totale avec le ressenti du spectateur.
02:38 - Et pour franchir le cap, il fallait trouver votre blonde hitchcockienne.
02:42 - Oui, et en plus, je pense qu'Hitchcock aurait adoré le film.
02:47 - Ah bon ? - Bien sûr.
02:48 - C'est un beau compliment, bien jamais.
02:50 - Il n'y a pas beaucoup de proximité avec Bruxelles et le côté un peu accessibilité.
02:53 - Ah non, mais avec ta cynégénie, ton visage, comme ça, c'est sûr.
02:57 Et d'ailleurs, Tippi Hendren, moi, j'avais revu "Pas de printemps pour Marnie",
03:01 et ça a vraiment été ma référence pour Blanche Renard, quoi.
03:05 Le même blond, le même bleu, il y avait quelque chose d'assez déconnu.
03:09 - Alors plus que Kim Novak dans "Vertigo" ?
03:10 - Oui, plus que Kim Novak dans "Vertigo",
03:12 parce que Kim Novak, elle a une certaine force physique quand même.
03:16 Elle a quelque chose de différent de Tippi Hendren.
03:19 Tippi Hendren, c'est vraiment...
03:21 On voit la petite fille qu'il y a en elle encore, on voit sa fragilité.
03:24 - Vous citez deux comédiennes qui ont avoué avoir été harcelées,
03:28 en tout cas, qu'Hitchcock a exercé sur elles une certaine domination.
03:31 - Surtout Tippi Hendren, d'ailleurs.
03:32 - Oui, c'est ça.
03:33 J'imagine que tourner avec Valérie Broselli,
03:35 puisqu'on compare beaucoup à Hitchcock, c'est beaucoup plus agréable.
03:38 - Ah, j'ai été très peu malmenée.
03:41 Mais ceci dit, ceci dit, le film...
03:45 - Il y a de l'exigence en commun.
03:46 - Puisqu'on voulait raconter cette histoire jusqu'au bout,
03:50 il n'était pas question d'y aller avec une forme de confort.
03:56 J'y vais à peine.
03:57 Il faut raconter cette destruction au sein d'un couple.
03:59 Donc, moi, il y avait vraiment des moments sur les scènes
04:04 où c'était comme des attractions à la fois, le petit train des horreurs.
04:08 Il y avait quelque chose comme les prises sont très longues
04:11 et qu'il y a tous les éléments, c'est-à-dire l'écriture, le partenaire,
04:15 l'implication de Valérie, la lumière, pour vous faire croire à ce que vous existez.
04:18 Vous-même, vous convoquez une sorte de croyance en ce qui se passe là,
04:22 qui fait qu'entre action et coupé.
04:23 Bon, là, mais ce qui est super, c'est qu'après, il y a l'énergie de Valérie
04:28 avec quelque chose d'extrêmement doux qui permettait...
04:31 Et le rapport à mon partenaire aussi, à Melville, que je connaissais aussi.
04:35 - C'est ce que j'allais dire.
04:36 - Qui est quelqu'un d'extrêmement...
04:38 Oui, ce que je disais, de doux, gentil,
04:41 et qui disait qu'on était dans une représentation.
04:43 Quand il y a coupé, on peut sortir de ça.
04:45 - Il faut qu'il y ait une grande confiance en son partenaire
04:47 quand on joue de telles scènes d'intensité, de torture psychologique.
04:52 - Oui, une confiance d'abord dans le metteur en scène,
04:54 sur ce qu'il veut voir, sur comment il regarde cette chose-là.
04:58 Et après, pour pouvoir aller plus loin, pas plus loin, mais loin comme ça doit l'être,
05:06 il faut quelqu'un avec qui on n'a pas de précaution à prendre,
05:08 parce que c'est implicite, parce qu'on se connaît, parce qu'on sait.
05:11 C'est comme sur les scènes d'amour et tout ça,
05:14 si on sent qu'on pourrait gêner son partenaire en faisant ci ou ça,
05:17 ou que la personne est...
05:20 Du coup, on fait attention à la pudeur de la personne et pas du personnage.
05:24 - Bien sûr. - Et ça, il n'y avait pas avec "Melville".
05:27 - Alors, on va juste parler chiffres.
05:29 122 féminicides en 2021, 146 en 2022, selon le collectif "Nous Toutes".
05:35 Ce film, c'est l'histoire d'une femme qui prend conscience de l'emprise
05:39 qu'a son mari sur elle.
05:40 Elle le prend conscience assez rapidement.
05:42 Est-ce que Valérie a envie d'adapter ce livre ?
05:44 Ce livre qui date de 2014, ça a grandi aussi en vous avec l'actualité,
05:49 qui se fait de plus en plus pesante.
05:50 - Oui, je pense que ça a grandi avec moi-même et avec mon chemin personnel.
05:55 Je pense que ce qui était intéressant, c'était vraiment de raconter
05:58 qu'est-ce que c'est qu'être dans la tête de cette victime
06:02 et de comprendre que ce n'est pas si facile de partir.
06:05 Parce que quand on n'a pas le même fonctionnement
06:08 que la personne malveillante en face de soi,
06:12 on n'a pas les automatismes de défense, on est dans la sidération.
06:16 Et je trouve que pour moi, ce qui était important,
06:18 c'était de pouvoir faire un film pour qu'on puisse se dire,
06:20 qu'on comprenait pourquoi certaines femmes n'arrivaient pas à partir.
06:23 Parce que c'est extrêmement difficile de pouvoir se libérer d'une emprise.
06:26 Et le film raconte ça aussi.
06:28 Et c'est vraiment le chemin d'un affranchissement.
06:31 C'est le chemin de Blanche-Renard.
06:33 Et c'est un chemin qui va vers la lumière.
06:35 Greg s'est arrangé pour me rendre la vie impossible.
06:38 Bonjour !
06:38 Mon emploi du temps était devenu militaire.
06:42 La moindre dépense devait être justifiée.
06:44 Tu finis à quelle heure demain ?
06:45 15h.
06:47 Tu traînes pas trop, hein ?
06:49 Pas comme la dernière fois.
06:50 Le film montre très bien ces mécanismes.
06:52 C'est ce qu'on a dit, les mécanismes de l'emprise.
06:54 Comment un homme en vient à enfermer sa compagne,
06:57 à la tracer, à l'harceler au sein du couple.
06:59 Et j'imagine pour toutes les deux en tant que femmes
07:01 que quand on arrive sur un film comme celui-ci,
07:04 on a notre petit CV de femme,
07:06 ou en tout cas, entre nos expériences,
07:08 celle de nos entourages.
07:10 Voilà, c'est pas de la science-fiction, malheureusement.
07:12 Oui, je pense qu'on a toutes des petits CV, tout à fait,
07:14 et qu'on va puiser aussi dans...
07:16 Et c'est pour ça que le livre m'a plu,
07:17 c'est qu'il y a aussi une résonance personnelle,
07:20 et même pour Audrey avec qui j'ai écrit,
07:22 et même pour les amis autour de moi.
07:24 Et puis, ces relations d'emprise, elles existent aussi dans le travail,
07:27 elles existent en amitié,
07:29 elles ne sont pas que dans la relation amoureuse.
07:30 Je suis heureuse que le film sorte de l'endroit de la représentation,
07:33 évidemment, et qui est quelque chose,
07:35 presque, quand on voit le film,
07:37 qui serait aussi un peu métaphorique du couple,
07:40 parce que le couple, c'est un régime politique aussi,
07:42 qui est rarement, quand même,
07:44 la démocratie.
07:46 Là, clairement, avec Blanche et Greg,
07:49 on est sur une dictature tyrannique,
07:51 et ça, on peut y échapper.
07:53 Mais bon, c'est l'endroit de...
07:56 L'endroit où ça dérape aussi.
07:58 Oui, la liberté qu'on perd, machin,
08:00 pas forcément toujours des humiliations,
08:01 mais il y a quelque chose de ça aussi dans le film.
08:03 Virginie, vous incarnez Blanche Renard,
08:05 mais vous incarnez aussi sa soeur jumelle,
08:07 Rose, qui, elle, dès le départ,
08:10 elle est quand même beaucoup moins confiante que Blanche.
08:14 Comment, déjà, ça s'est passé pour vous d'incarner ces deux rôles ?
08:17 Est-ce que vous l'avez pris d'une manière un peu schizophrénique ?
08:19 Je le sens assez joyeux, déjà, comme projet de départ.
08:21 Et c'est comme s'il y avait une division de vous-même.
08:24 On était partis aussi sur l'idée qu'au sein de ces deux personnages,
08:27 c'est aussi, parfois,
08:29 il serait fallu de peu pour que Blanche soit un peu Rose.
08:32 Qu'est-ce qui fait qu'on prend ce chemin-là ?
08:35 Ça pourrait être les mêmes,
08:37 mais il y a deux, trois petites choses,
08:38 comme ça, qui font qu'il y en a une qui a un destin très différent de l'autre.
08:42 Et donc, disons que j'ai plus mis
08:45 le côté rigolard, agricole belge,
08:49 que je peux avoir chez Rose.
08:51 J'allais vous demander lequel est le plus proche de vous, alors ?
08:54 C'est Rose ?
08:55 Peut-être, sur une façon de parler ?
08:57 Sur une façon d'être au monde, etc.
09:00 Mais peut-être pas psychologiquement.
09:01 Psychologiquement, je crois qu'il y a beaucoup de Blanche.
09:04 C'est-à-dire cette possibilité de penser assez souvent qu'on se trompe,
09:10 cette féminité assez rentrée.
09:12 Là, il y a des choses que je peux côtoyer.
09:15 À votre mise en scène, Valérie Donzelli,
09:17 c'est vraiment un film où la lumière...
09:21 On sent que vous l'avez pensée comme un tableau, aussi,
09:25 par un moment, et que cette métaphore...
09:27 C'est le titre du livre, mais ça se sent dans votre réalisation.
09:30 L'amour, les forêts...
09:31 Oui, parce que je voulais que le film soit
09:34 sensationnel, enfin, pas sensationnel, mais...
09:38 - Que ce soit... - Oui, sensationnel et sensoriel.
09:39 - ...mais aussi sensoriel, voilà.
09:42 Et que ce soit... - Et bouleversifiant.
09:44 Et que ce soit une expérience
09:48 qui frôle avec l'expérimental.
09:51 Et qu'on ressente le chaos intérieur de Blanche.
09:55 Vraiment, c'était important pour moi.
09:57 Et je pense que ça passe aussi par l'image,
09:59 ça passe par quelque chose de physique de l'image.
10:04 - Merci beaucoup à toutes et tous. - Merci, Ernie.
10:06 - Je vous souhaite un bon Cannes. - Merci.
10:07 Virginie a représenté deux films en sélection à Cannes.
10:09 Il n'y a rien à perdre, également.
10:11 Ce sont deux beaux rôles de femmes et de mères.
10:14 Et je vous souhaite une belle montée de marche.
10:15 Vous aurez des belles photos souvenirs.
10:18 - Merci. - Merci.
10:20 - Merci. - Merci.
10:21 [SILENCE]

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