Un ancien agent de la DGSE répond à toutes les questions qu’on se pose sur l'espionnage.
Le livre de Richard Volange, "Espion 44 ans à la DGSE"
Le livre de Richard Volange, "Espion 44 ans à la DGSE"
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00:00 Est-ce que vous avez le droit déjà de publier ce lien ?
00:02 Non. J'avais un fusil à pompe avec moi en permanence.
00:05 J'avais été au contact de l'un des traducteurs de Poutine.
00:08 Il est logique aussi d'avoir peur.
00:10 Richard Bollange a passé toute sa carrière au service de renseignement extérieur français.
00:15 Il vient donc de prendre sa retraite et il publie ses mémoires "Espion 44 ans à la DGSE".
00:20 Une précision tout de même, c'est un pseudo car il souhaite rester anonyme pour des raisons de sécurité.
00:25 Voici donc une plongée inédite dans les coulisses de l'espionnage français avec un ancien agent.
00:30 Déjà pour commencer, comment est-ce qu'on devient agent de la DGSE ?
00:34 Comment est-ce que de votre côté vous êtes retrouvé ici ?
00:37 Et aujourd'hui, quel est le parcours en général pour terminer agent de la DGSE ?
00:41 On se retrouvait à la DGSE dans mon cas un peu par hasard.
00:44 Ça a été au niveau de mon père qui travaillait depuis la Seconde Guerre mondiale,
00:50 comme beaucoup de résistants, qui avait intégré le service.
00:54 Et donc moi à l'époque, je ne savais pas trop ce que je voulais faire.
00:57 En tout état de cause, il était hors de question de travailler dans l'administration.
01:01 Au départ, j'ai fait mon service militaire.
01:04 J'étais pistonné évidemment, puisqu'à l'époque, il était hors de question de faire son service militaire
01:09 là où on habitait à proximité.
01:11 Il y avait un brassage entre les différentes provinces.
01:14 Et donc pendant les dix mois, c'était un travail administratif qui n'était pas très intéressant.
01:23 Voilà, photocopies, etc.
01:25 Et puis après, quand j'y suis resté, c'était aussi un travail,
01:30 mais qui dirigeait plus vers le côté archive.
01:35 Donc c'est là que j'ai été affecté.
01:37 Et ça me plaisait beaucoup parce qu'il y avait un côté historique.
01:40 J'ai toujours aimé l'histoire.
01:42 Et donc là, je me suis piqué au jeu et j'ai essayé de progresser justement dans ce domaine d'archiviste.
01:48 – Avant de devenir du coup agent ?
01:49 – Avant de devenir véritablement agent, ou à travers les concours que j'ai passés,
01:54 là je me suis retrouvé après sur le terrain,
01:56 et notamment par le plus grand des hasards sur une première affectation clandestine.
02:00 Ça veut dire des gens qui sont déployés à l'étranger,
02:04 mais sous une couverture, une véritable couverture,
02:09 qui n'est absolument pas étatique.
02:11 Parce que moi je travaillais dans le privé, au titre d'une société,
02:15 certes qui était à la main du service, mais qui travaillait dans l'immobilier.
02:20 Donc j'étais un agent immobilier.
02:21 Après, quand je suis devenu véritablement agent,
02:25 là j'étais sous couverture diplomatique.
02:28 Là je n'étais pas pour une entreprise ou quoi que ce soit.
02:33 Là c'était purement diplomatique,
02:34 comme tous les agents des services du monde entier ont une couverture diplomatique,
02:39 avec un rôle défini au sein d'une ambassade.
02:41 En principe, seul l'ambassadeur est au courant
02:45 si l'agent n'est pas déclaré aux autorités locales,
02:48 comme Diplo ou Lambda,
02:51 soit s'il y a un véritable partenariat avec les services locaux,
02:56 là effectivement tout le monde est au courant de l'activité de l'agent.
03:01 – Aujourd'hui si quelqu'un veut rejoindre la DGSE en tant qu'agent, comment on fait ?
03:06 – Alors il suffit de passer les concours.
03:09 Et maintenant la communication est assez transparente,
03:13 puisqu'il y a un site pour présenter les concours,
03:17 il y a également même des rapports de jury qui sont produits sur les sessions précédentes,
03:23 les profils qui sont recherchés,
03:26 donc ça peut aller de toutes sortes de catégories,
03:29 de catégories plus modestes à celle d'un ingénieur, cryptographe, ce que vous voulez.
03:34 Il y a aussi une voie de recrutement sous contrat,
03:38 puisqu'on a de plus en plus de contrats actuels.
03:40 Voilà, ça c'est ce qui concerne les civils.
03:43 Pour les militaires, eux ils sont déjà en affectation régiment,
03:47 ils font une demande de mutation.
03:48 – Quelles sont les compétences et les qualités selon vous qui sont nécessaires
03:51 pour travailler à la DGSE et justement travailler sur le terrain en tant qu'agent de la DGSE ?
03:57 – C'est surtout de ne pas sombrer dans la paranoïa,
04:00 d'être quand même suffisamment équilibré,
04:03 parce que sinon ça devient extrêmement difficile
04:06 si on perd une capacité de discernement ou si on n'en a pas du tout.
04:11 Voilà, c'est de l'humain, rien n'est écrit,
04:13 vous avez une formation bien évidemment,
04:16 qui vous permet d'avoir quelques clés,
04:19 mais sinon le reste c'est votre personnalité,
04:22 c'est créativité, réactivité, adaptation, adaptabilité, c'est tout ça.
04:28 – C'est une forme de sang-froid aussi j'imagine,
04:30 pour être capable de maîtriser n'importe quelle situation
04:33 et s'en sortir le mieux possible.
04:34 – Oui, mais il est logique aussi d'avoir peur,
04:37 parce que quelqu'un qui n'a pas peur, qui est trop froid,
04:40 ça devient dangereux aussi.
04:42 S'il n'a plus de perception avec la réalité des événements,
04:46 et qu'il perd son côté humain, ça devient aussi…
04:50 – Donc la peur est aussi une force d'une certaine façon.
04:52 – Oui, c'est exact, il faut absolument que les gens aient peur.
04:57 Après, moi j'ai toujours connu des gens qui avaient peur,
05:01 et moi le premier, parce que vous vous retrouvez dans des situations,
05:04 il faudrait vraiment être un animal à sang-froid.
05:07 – Sur la peur, quel est le moment où vous avez peut-être eu le plus peur
05:10 dans votre carrière en tant qu'agent sur le terrain ?
05:13 – Pour moi, ça a été le génocide Rwanda, juste après,
05:16 avec toutes les conséquences qui ont été déclenchées après le génocide,
05:21 c'était effectivement dans la ville où j'étais,
05:23 la ville était complètement assiégée,
05:25 donc j'avais un fusil à pompe avec moi en permanence,
05:28 et dormir avec un fusil à pompe, ce n'est pas évident,
05:32 ça fait mal aux côtes, et vous vous demandez toujours si…
05:36 vous ne pouvez pas faire une nuit complète, ce n'est pas possible.
05:39 Et puis aussi, tout ce cortège d'horreur,
05:41 notamment de gens brûlés dans des pneus, c'est impressionnant.
05:45 C'est impressionnant, et vraiment, c'est choquant.
05:48 – Un des éléments importants, c'est cette dimension d'information,
05:52 être sur le terrain pour essayer de récupérer des informations.
05:55 Est-ce que vous voulez expliquer un peu en quoi ça consiste ?
05:58 Quel genre d'informations, auprès de qui ?
06:00 Comment est-ce qu'on recrute une source, et comment ça se passe ?
06:03 – Ça passe d'abord par un ciblage, c'est-à-dire que vous ciblez les personnes
06:07 qui vous intéressent dans un domaine précis.
06:09 Ça peut être, je ne sais pas, le renseignement militaire,
06:12 ça peut être politique, au niveau d'un ministre, d'une secrétaire, voilà.
06:19 Donc cette personne, une fois que vous l'avez ciblée,
06:21 avec un minimum d'environnement, sa vie, qui elle fréquente, etc.
06:27 Donc vous vous portez au contact, vous discutez avec,
06:30 vous lui expliquez en gros pour quelle raison vous êtes intéressé
06:34 par des échanges avec cette personne,
06:38 sachant que vous êtes sur place, vous êtes "diplomate", entre guillemets.
06:41 Donc là, en l'occurrence, je suis attaché à l'humanitaire,
06:44 mais il y a quand même une dimension géopolitique.
06:46 Voilà, et vous voyez si la personne accepte d'échanger,
06:50 et puis vous parlez aussi un petit peu de tout,
06:53 sa famille, comment elle vit, son parcours, voilà.
06:57 – Vous créez un lien humain.
06:58 – Exactement, un lien humain, qui vous permette de revoir cette personne,
07:03 et ensuite d'échanger régulièrement avec.
07:06 Et progressivement, vous voyez l'intérêt de cette personne à dialoguer,
07:12 et pour quelle raison.
07:13 Alors, ça peut reposer sur de l'argent,
07:16 ça peut reposer sur le besoin de faire passer des messages,
07:21 à travers sa communauté, à travers sa perception pour son pays,
07:27 et ainsi de suite, et au bout d'un moment,
07:29 on peut considérer qu'elle est recrutée,
07:32 parce qu'effectivement, elle est consciente de travailler
07:35 pour un service étranger, en l'occurrence la DGSE,
07:39 et vous avez trouvé une méthode qui peut être l'argent,
07:44 où là, effectivement, vous versez des fonds,
07:48 vous aidez la personne, vous subversez.
07:49 – En échange d'informations.
07:50 – Voilà, mais ça peut aussi se traduire par des demandes de visa,
07:55 pour la famille, pour des visites médicales, des opérations,
08:00 parce que les gens n'ont pas de sécurité sociale.
08:03 – Et donc, ce que vous dites, c'est que cette personne-là,
08:06 cette source que vous recrutez sur le terrain,
08:09 elle sait forcément qu'elle est avec la DGSE.
08:13 On a en tête souvent l'espion qui prend des informations,
08:16 sans établir finalement ce contact,
08:17 ou sans dire directement qu'il est de tel ou tel organisme.
08:21 – Au départ, vous ne le dites pas.
08:24 Vous restez sous votre couverture de diplomate,
08:27 et c'est progressivement, à travers les questions,
08:31 que vous allez vous livrer et dire, finalement,
08:35 pour qui la personne est censée travailler.
08:37 Il faut que la personne le sache.
08:39 Pourquoi ? Parce que les sources appartiennent aux services.
08:42 Donc, on ne va pas leur faire croire qu'ils travaillent pour Total
08:46 ou pour n'importe qui.
08:48 Donc, ce n'est pas possible.
08:49 Il faut absolument que la personne soit consciente.
08:52 Parce qu'en étant consciente, l'échange est quand même plus sincère.
08:57 Si c'est pour mentir, et après raconter n'importe quoi,
09:01 et après que la personne s'aperçoive,
09:03 déjà à travers la sensibilité des questions, c'est faussé.
09:06 Donc, ce n'est pas bon.
09:08 Il faut absolument, au bout d'un moment, révéler votre appartenance.
09:12 – Je pense que dans l'imaginaire de pas mal de personnes,
09:13 il y a la série du Bureau des légendes.
09:16 Forcément, qu'est-ce qui est juste ou pas juste dans cette série,
09:20 telle qu'on voit les agents de la DGSE ?
09:22 – L'histoire est très bien faite.
09:25 Le scénario est vraiment génial parce que sur le fond, c'est exactement ça.
09:31 Après, sur la forme, il y a plein de choses qui ont été romancées.
09:35 Par exemple, déclencher un téléphone à distance, ce n'est pas possible.
09:40 Si vous voulez faire des opérations comme ça,
09:42 il faut que vous ayez eu en main le téléphone de la personne
09:46 et que vous n'ayez plus le piégé.
09:49 Les histoires d'agents déployés directement au contact des djihadistes, etc.,
09:54 c'est quand même un peu gros parce que là, on est un peu dans le film.
10:01 Mais certaines méthodologies, effectivement, sont respectées.
10:05 L'histoire des échanges par forum, boîte mail,
10:10 ça oui, tout à fait, moi je l'ai fait.
10:12 – Dans votre livre, vous parlez de WhatsApp,
10:14 vous parlez de signal de pas mal de plateformes.
10:18 Il y a un élément intéressant que vous dites,
10:19 c'est que finalement, la plus grande discrétion,
10:22 c'est peut-être d'utiliser des services qui sont relativement communs.
10:25 Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus ?
10:27 – C'est un principe simple, c'est-à-dire que plus c'est utilisé,
10:30 plus c'est noyé dans la masse, donc c'est beaucoup plus difficile à remonter.
10:33 Si vous prenez des applications extrêmement sophistiquées,
10:36 automatiquement, on va pouvoir se poser la question "pour quelle raison ?"
10:40 Aujourd'hui, tout le monde utilise WhatsApp.
10:43 Donc si vous voulez aller retrouver vos communications,
10:47 à moins de posséder votre numéro, c'est très compliqué.
10:49 On va voir dans les écoutes le flux entre tel numéro et tel numéro,
10:54 mais on n'aura pas le contenu.
10:55 Quand vous avez une source relativement sensible,
11:00 et que vous ne voulez pas utiliser le téléphone,
11:03 parce qu'on peut imaginer que cette personne soit surveillée,
11:06 vous n'avez pas encore mis en place un véritable programme de traitement,
11:11 donc ce forum, c'est pas mal.
11:14 Vous vous connectez, ça peut être n'importe quoi.
11:17 Et effectivement, vous donnez des informations
11:20 qui normalement correspondent à un prochain lieu de rendez-vous.
11:24 – Sur un site de voyage, vous donnez l'exemple de
11:26 "je vais être en vacances au Canary le 15 février à 10 heures"
11:29 pour communiquer sur un lieu de rendez-vous, un endroit,
11:31 de façon plus ou moins codée.
11:32 – C'est ça, parce que sur les forums, ça va être rien.
11:35 Les gens échangent par rapport à leur vacances,
11:38 par rapport à un tour opérateur, leur expérience.
11:41 Donc vous pouvez facilement dire "tiens, je pars au Canary la semaine prochaine,
11:46 on va voir, je vais suivre vos conseils,
11:49 j'ai trouvé un vol pas cher, tel jour à telle heure".
11:52 Et là, vous avez donné le rendez-vous.
11:54 – Vous avez connu ce métier-là, avec internet et sans internet,
11:58 qu'est-ce que ça a changé ?
11:59 Est-ce que ça a changé le métier d'agent sur le terrain ?
12:02 – Alors, ça a énormément changé,
12:03 parce que moi, à l'époque, il n'y avait pas de téléphone.
12:06 Donc, on prenait les cabines téléphoniques,
12:10 et sinon, on avait un téléphone fixe au bureau, qui était détourné.
12:15 – Détourné, c'est-à-dire ?
12:15 – C'est un brotier que vous mettez chez quelqu'un,
12:18 et la ligne est détournée chez cette personne.
12:20 Il y en a beaucoup qui partent du principe
12:23 qu'avec le téléphone, avec internet, on fait tout à distance.
12:28 C'est une grosse erreur, parce que c'est un métier lié à l'humain.
12:32 Si vous ne rencontrez pas les gens, si vous n'avez pas un échange…
12:36 – Un lien de confiance aussi qui se fait.
12:38 – Ce n'est pas possible.
12:39 – Est-ce que vous avez des exemples d'erreurs à ne surtout pas commettre ?
12:43 Est-ce que vous avez en tête certaines erreurs que vous avez pu faire,
12:44 ou de personnes, de collègues qui ont pu en faire,
12:47 qui vous semblent importantes à leur tête ?
12:49 – Quand on est rédacteur, ou bien vous connaissez parfaitement un dossier,
12:54 ou bien souvent, la personne en face de vous,
12:57 vous arrivez à en savoir plus sur son pays que lui.
13:00 Parce que vous avez regroupé toutes les thématiques du pays,
13:02 vous connaissez parfaitement les interlocuteurs, voilà.
13:06 Lui, vous l'interrogez sur un domaine de spécialité.
13:10 Sur le reste, il peut avoir évidemment une connaissance, c'est son pays,
13:13 mais c'est plus une vue d'ensemble.
13:15 En tant que Français, si vous êtes approché,
13:17 il y a des choses que vous ne connaissez pas forcément,
13:19 de l'histoire de votre pays, des détails.
13:21 C'est classique.
13:22 Là, c'est pareil.
13:23 Donc, c'est toute la difficulté, c'est que certains, en posant des questions,
13:29 vont inonder la personne de leur savoir,
13:32 et finalement, ne vont pas lui poser véritablement de questions,
13:35 vont chercher à obtenir confirmation de ce qu'ils pensent.
13:39 Donc, l'autre, effectivement, un peu perdu, va dire oui.
13:43 Ou bien, motivé par le gain, va dire oui.
13:47 Et c'est là que vous fossez complètement l'entretien.
13:50 – Vous avez utilisé le mot de manipulation deux, trois fois.
13:52 C'est une forme de manipulation pour y arriver.
13:54 Quelle forme ça prend quand on approche une source et comment est-ce qu'on fait ?
13:57 – Alors, vous devez passer forcément par une phase de manipulation.
14:00 Parce que la personne qui est en face de vous,
14:03 elle, elle va défendre sa vision, la vision de son pays.
14:07 Donc, vous devez effectivement rentrer dans le jeu,
14:10 et dire effectivement, vous avez raison, donner des exemples.
14:15 Et c'est ça la manipulation.
14:17 C'est se mettre véritablement à la portée de votre interlocuteur,
14:22 en épousant ses thèses.
14:24 Mais pas avec un simple "oui, oui".
14:25 C'est effectivement en essayant d'étayer les mêmes propos,
14:29 de sorte qu'elle comprenne, qu'elle soit sensible à vos arguments qui sont les mêmes.
14:35 Et ça va l'encourager à travailler dans ce domaine.
14:39 Voilà, c'est ça.
14:40 Quand vous voulez infiltrer un mouvement ou autre,
14:43 il faut épouser les convictions de la personne.
14:45 A contrario, cette personne, ça peut être vraiment la dernière des pourritures,
14:49 un assassin, etc. ce que vous voulez.
14:51 Mais là aussi, il faut développer un discours
14:56 qui va effectivement un peu dans le sens de la personne.
15:00 Et vous n'avez pas le choix.
15:01 Vous êtes obligé, il y a des sources très sensibles.
15:03 Vous ne pouvez pas vous permettre de vous afficher avec au bout d'un moment.
15:07 Parce que c'est une personne qui ne peut pas forcément assumer
15:12 un contact régulier avec vous.
15:14 Donc, ça sera une relation qui peut être attachante,
15:19 mais qui va rester dans un cadre très professionnel.
15:23 Après, vous en avez d'autres qui peuvent assumer un contact régulier
15:26 et vous pouvez avoir une espèce d'amitié naissante.
15:29 Mais il faut toujours garder en tête le principe
15:31 c'est qu'une source, elle doit être transmissible.
15:33 Une fois que vous partez, vous avez terminé votre mandat,
15:37 il faut la transmettre à votre successeur.
15:40 Sinon, ce n'est pas une source si elle n'est pas transmissible.
15:42 Si elle est uniquement attachée à vous, ce n'est pas une source du service.
15:46 C'est un copain. Et là, ça va pub. Voilà.
15:50 – Vous parlez notamment d'une sphère de jaune d'œuf
15:53 que vous avez dû avaler avant de rejoindre une source.
15:55 Est-ce que vous voulez nous raconter cette histoire-là ?
15:57 – Oui, ça s'est produit lorsque j'avais été au contact
16:00 de l'un des traducteurs de Poutine.
16:03 Donc, il avait été ciblé. Le but, c'était effectivement de le recruter.
16:07 Ça se passait plutôt bien. – C'était dans quel pays ?
16:10 – C'était à Paris. Il faisait son stage NA à Paris.
16:14 Et donc, évidemment, il buvait beaucoup.
16:18 Le problème, c'est qu'au bout d'un moment,
16:22 je ne pouvais pas sans arrêt lui verser à boire.
16:26 Et donc, il fallait que je boive aussi.
16:28 Et donc, la technique, on m'avait dit,
16:30 pour retarder l'absorption d'alcool, il faut avaler les jaunes d'œufs.
16:34 Donc, c'est ce que je faisais à la chambre d'hôtel avant.
16:36 Donc, je battais 3, 4 jaunes d'œufs, et puis, gloup !
16:41 Je les avalais pour que ça reste fixé un temps.
16:44 Et ça marche. Ça marche.
16:46 Ça ne vous empêche pas d'être bourré après, mais ça décale dans le temps,
16:49 puisque l'absorption se fait plus lentement.
16:51 – Qu'est-ce que vous avez le droit de dire ou ne pas dire
16:53 quand vous êtes agent de la DGSE ?
16:56 – Au niveau de la famille, tout le monde le savait,
16:58 puisque c'était un peu une histoire de famille.
17:00 – Oui, dans votre cas, oui. – Alors, voilà.
17:02 Mais finalement, en fait, vous n'en parlez pas.
17:06 Parce que moi, mon épouse travaillait là aussi.
17:09 S'il fallait qu'on passe notre temps après arriver à la maison,
17:12 alors là, c'est plus une vie, si vous voulez.
17:15 Ça n'a plus beaucoup de sens.
17:17 Donc, finalement, on n'en parlait pas.
17:19 Et puis, tous les couples sont davantage accaparés.
17:22 Quand vous rentrez le soir, vous avez les enfants,
17:26 ce qui peut être problème familial, la scolarité, etc.
17:28 Donc, vous avez autre chose à faire que de dire
17:30 "Bah tiens, j'ai participé à telle opération, machin, etc."
17:34 Souvent, ça se limitait à "Oui, un tel, il m'emmerde.
17:37 Un tel, ce chef, il est pénible."
17:39 – Comme tout le monde, n'importe quelle entreprise.
17:42 – Exactement. – Et par rapport à…
17:44 – Je ne parlais pas.
17:45 Il y a des trucs, ma femme, elle découvre dans le bouquin.
17:48 – OK. – Au bout de 40 ans de mariage.
17:50 – Quelles sont les consignes qui sont données par la DGSE ?
17:53 Est-ce que, si vous êtes marié, la personne avec qui vous êtes marié
17:56 a le droit de savoir ce que vous faites ou pas ?
17:59 – Oui, oui, oui, bien évidemment.
18:01 Vous pouvez dire aujourd'hui que vous faites partie de la DGSE,
18:04 mais vous ne pouvez pas développer exactement votre activité
18:09 et tout ce qui touche effectivement au secret défense.
18:11 Ça, vous ne pouvez pas.
18:12 C'est évident.
18:14 Maintenant, quelqu'un qui est marié, s'il a envie de se confier à son épouse,
18:19 c'est son droit.
18:21 Juridiquement, on ne peut pas l'attaquer.
18:22 Ils sont mariés.
18:24 – Est-ce que vous avez eu l'impression parfois, dans le cadre de votre mission,
18:26 de faire certaines choses qui n'étaient pas éthiques, selon vous ?
18:30 – Oui, bien sûr.
18:32 Quand vous êtes en contact de criminels, etc.,
18:35 et que vous êtes obligé de protéger…
18:40 – Protéger dans quel cadre ?
18:41 Protéger parce que c'est une source ou protéger parce que…
18:43 – Protéger parce que c'est une source et elle vous donne des renseignements.
18:47 Donc le problème, c'est que si vous jouez sur une moralité permanente,
18:51 au bout du compte, vous ne verrez personne.
18:54 – Il faut accepter ça.
18:55 Il me semble que vous en parliez dans le livre.
18:57 Vous parliez du boucher de Pahoa, en Centrafrique, notamment.
19:00 Vous voulez nous en parler un petit peu ?
19:01 – Alors, le boucher de Pahoa, pourquoi ?
19:03 Parce que Pahoa, c'est une ville qui est au nord de la Centrafrique,
19:07 vers le Tchad et le Cameroun.
19:10 Et avec ses troupes, la Garde républicaine,
19:13 il avait lancé, comme c'était un lieu de rébellion,
19:16 il avait massacré des villages entiers, femmes, enfants, tout le monde y est passé.
19:20 Il avait massacré 1500 personnes.
19:22 Même le président Bozizé était assez choqué.
19:25 Moi, j'en avais parlé, mais il a pris un hélicoptère, il est revenu,
19:29 il était assez décontenancé.
19:32 Mais l'autre était complètement givré.
19:34 Et oui, mais moi, j'en avais besoin.
19:37 C'était le patron de la Garde républicaine.
19:39 Je ne pouvais pas lui dire "c'est pas bien, on va te mettre en prison".
19:42 Je ne pouvais pas faire ça.
19:44 Donc j'avais besoin aussi de renseignements qu'il était capable de me fournir,
19:48 parce que c'est un type qui avait un égo démesuré,
19:50 il n'avait pas besoin d'argent.
19:52 Donc j'étais obligé d'être à son contact, même si ce n'était pas une source.
19:56 – Qu'est-ce qui intéresse la DGSE, en général,
19:58 quand on va sur le terrain récupérer des infos ?
20:02 – Très souvent, c'est du politico-sécuritaire.
20:05 C'est tout ce qui concourt aux individus, aux personnes proches du pouvoir,
20:12 et qui vont développer certains secteurs d'activité,
20:15 et qui vont nous être favorables ou non.
20:18 Tout ce qui aura été transmis à Paris par ces postes extérieurs,
20:24 donc vos informations, elles sont compilées, cotées,
20:29 et la note qui va être produite va permettre d'aider à la décision.
20:35 Un ministre, le chef de l'État, par rapport aux liens qu'il doit fixer,
20:42 par exemple, il va rencontrer prochainement son homologue,
20:46 je ne sais pas, j'invente, tunisien, algérien ou autre,
20:49 l'Élysée va demander, ça va redescendre par le conseiller Afrique,
20:52 va demander une fiche, une fiche complète sur la situation du pays,
20:57 ou tel ministre qu'il est, voilà.
21:00 Donc ça permet aussi de s'adapter à son interlocuteur,
21:04 mais ça permet aussi d'avoir des éléments qui vont aider dans la discussion,
21:10 un ministre, un chef d'État, un général, qui vous voulez, c'est très important.
21:15 – Est-ce qu'il y a des différences majeures entre les services d'enseignement français
21:18 et les services d'enseignement américains par exemple ?
21:21 Quelle différence est-ce qu'on voit entre les deux types d'agents ?
21:24 – Par définition, la culture américaine ne se prête pas beaucoup,
21:28 à mon sens, à des échanges très humains, tels qu'on l'entend nous en Europe.
21:36 Bref, ils ont tout misé sur la technique,
21:38 au niveau des gens que j'ai côtoyés, mes homologues américains,
21:43 ils préféraient, ils savaient qu'on se débrouillait beaucoup mieux
21:46 pour faire de la recherche humaine.
21:48 Nous c'est notre ADN, c'est notre point fort.
21:51 Eux en fait, leur terrain c'est "je vais recruter, il me reste de l'argent", c'est tout.
21:56 Mais c'est plus compliqué que ça.
21:57 – On parle même de relations quasiment de marchands de tapis avec certaines sources,
22:01 c'est-à-dire, on veut une info, on vous donne l'argent,
22:04 quitte à une panne louée du coup de liens humains ou de contacts humains.
22:08 – C'est ça, en gros on vient vous voir, ils se disent,
22:12 bon celui-là il est ministre, il gagne à peu près tant,
22:15 bon il y a les écoutes, tout, on sait qu'il a tel transfert d'argent,
22:19 en gros, voilà là son patrimoine, ils viennent,
22:23 voilà 200 000 euros par exemple, je veux ça.
22:27 Alors ça va marcher une fois sur… mais ça marche, ça marche.
22:31 Prenez n'importe qui, chacun a un prix de toute façon, il faut comprendre ça.
22:35 Donc ça marche, mais ça rime à quoi ?
22:38 À rien, puisque c'est pas une personne avec laquelle vous allez entretenir,
22:42 sur la durée, une relation.
22:45 Voilà, une source…
22:47 – Ils se disent, à coup d'argent et de grosse somme,
22:50 c'est peut-être suffisant selon eux pour arriver à entretenir ce lien parce que…
22:54 – Je ne sais même pas si le lien les intéresse, en fait ce qui les intéresse,
22:57 c'est à un moment donné, une personne détient certaines informations,
23:02 donc je vais mettre un paquet de fric sur la table pour obtenir ça et pour en bas.
23:06 Et après, tant pis, on ne se reverra plus.
23:08 – Est-ce qu'on doit partir du principe que tous les pays s'espionnent entre eux,
23:12 y compris nos alliés les plus proches ?
23:14 – Tout le monde espionne tout le monde, c'est logique,
23:17 le problème c'est qu'avec nos alliés les plus proches,
23:21 américains, britanniques, allemands, etc.,
23:24 on ne va pas s'espionner, ce ne sont pas des cibles,
23:28 mais en revanche, sur certains segments où nos intérêts peuvent être mis en jeu,
23:34 là effectivement il y aura une notion d'espionnage.
23:37 Nous on l'a fait aux États-Unis, sur certains sujets,
23:42 eux le font également sur nous, c'est évident,
23:46 mais ça ne va pas être un pays désigné comme cible,
23:50 ça ne va pas être Chine, Russie, etc., c'est totalement différent.
23:54 – Est-ce que vous avez le droit de dire non à la DGSE sur certaines missions ?
23:58 Est-ce que vous êtes envoyé et vous suivez les règles ?
24:02 – Vous êtes obligé de suivre les règles, on ne peut pas dire non.
24:05 Vous recevez des orientations qui correspondent
24:08 aux segments sur lesquels vous devez travailler,
24:11 si vous ne voulez pas le faire ou si vous dites "ah non, un tel n'est pas bien,
24:16 c'est un assassin ou un tel", il faut changer de métier,
24:18 ce n'est pas possible, ce n'est pas possible autrement.
24:20 – Donc c'est la défense des intérêts de la France,
24:23 tels qu'ils sont dictés par la DGSE avec des consignes précises,
24:27 et ça vous avez eu des cas de conscience,
24:30 vous avez eu le sentiment que la mission qu'on vous donnait
24:32 n'était pas éthique ou juste, quand bien même elle vous était donnée ?
24:39 – Non, moi ça ne m'a jamais posé de problème de ce côté-là,
24:42 parce que dans les domaines sur lesquels j'ai travaillé,
24:47 ça correspondait à la défense des intérêts français.
24:52 Après, vous retrouvez à travailler avec des pays ou contre des pays,
24:57 ce n'est pas nécessairement contre leur économie.
25:01 Donc moi il y a des fois, non franchement je n'ai pas eu ce problème-là,
25:07 et même avec des hauts responsables africains,
25:09 des fois ils me disaient "ce que tu fais c'est normal, tu défends ton pays",
25:13 et ils me disaient "moi je défends le mien aussi".
25:15 Voilà, c'est clair.
25:17 – On a parlé d'évolution technologique,
25:19 on a compris du rôle de la France à l'international etc.
25:22 Comment est-ce que vous voyez cette évolution du renseignement français ?
25:25 – L'évolution du renseignement français,
25:27 ça passe maintenant de plus en plus par des échanges
25:29 avec des services étrangers, partenaires étrangers.
25:32 Parce que de plus en plus,
25:34 on travaille sur des environnements sous-régionaux,
25:38 des grandes problématiques.
25:40 Si on prend le cas de l'Ukraine,
25:42 il y a forcément une coalition d'intérêts.
25:46 Lorsque vous avez le développement de la politique de la Chine,
25:51 effectivement cette puissance économique,
25:54 là aussi il faut conjuguer tous les efforts.
25:57 Après, l'islamisme, le terrorisme aussi.
26:02 Il y a des États sur lesquels nous sommes obligés de nous appuyer,
26:05 la Turquie par exemple, on travaille très bien avec la Turquie.
26:09 Vous savez, des fois on a de mauvais rapports avec certains pays,
26:11 mais au niveau des services…
26:12 – Les rapports publiquement entre la Turquie et la France
26:13 ces dernières années n'ont pas été…
26:14 – Ce n'est pas génial, mais entre services, on peut en dire.
26:17 – On a parlé de moments de peur, de moments plus difficiles.
26:20 Votre meilleur souvenir, quelle forme est-ce qu'il a pu prendre ?
26:23 – Le meilleur souvenir, c'était à Djibouti,
26:26 avec l'arrestation de Peter Scheriff,
26:28 les liens d'amitié avec les officiers djiboutiens
26:32 que je pilotais, formais, etc.
26:34 C'était vraiment une…
26:36 – Alors qui était Peter Scheriff, peut-être pour donner un peu de contexte ?
26:38 – Alors Peter Scheriff, c'est un vétéran du djihad,
26:41 c'est quelqu'un qui avait rejoint Daesh en Irak très rapidement,
26:47 dans les années 2000, puis en Syrie,
26:51 capturé par les Américains, extradé en France,
26:55 placé en détention provisoire avant son procès,
26:58 il fuit, il arrive à s'échapper, il rejoint l'Yémen,
27:02 et c'est là que sa traque commence.
27:05 Pour nous, c'était un type extrêmement important,
27:08 parce que, manifestement, il a été l'un des commanditaires
27:14 des attentats de Charlie Hebdo,
27:16 la justice va essayer de le prouver puisqu'il est renvoyé aux Assises.
27:20 Donc pour moi, c'est un très grand souvenir.
27:23 – Merci beaucoup d'avoir accepté de prendre le temps,
27:25 c'est super intéressant.