MICHEL BUTOR ET EMMANUEL LEGEARD : PHILOSOPHIE ET SOUVENIRS D'ENFANCE

  • l’année dernière
Interviewé en 2016 par Emmanuel Legeard dans le bureau du premier étage de sa maison de Lucinges, "A l'Ecart", Michel Butor répond sur la philosophie sous-jacente à ses romans et raconte des souvenirs d'enfance inédits.

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Transcript
00:00 Mais vous n'êtes pas fataliste. Vous donnez l'impression d'être fataliste dans quasiment tout ce que vous avez écrit.
00:07 Être fataliste ?
00:09 Oui, oui. On a un sentiment toujours d'accablement.
00:14 Je suis au début où on a commencé cette question, par mon opinion du niveau de ce qu'elle vaut sur notre approche organique du rapport de la totalité à la partie.
00:33 On a l'impression effectivement que le microcosme reflète le macrocosme, mais que ce n'est pas réciproque.
00:41 C'est-à-dire que ce soit l'œuvre isolée par rapport à l'œuvre totale, que ce soit l'être humain par rapport au contexte, etc.
00:51 Ce sont des objets... Reprenons par exemple vos héros néo-romanesques, comme on dit dans les anthologies.
01:02 Ce ne sont pas des agents volontaires de ce qui se produit, mais des occasions pour le contexte de s'exprimer, pour la totalité de s'exprimer à travers eux.
01:14 Et on a toujours l'impression, et dans Kierkegaard c'est pareil, qu'il y a une espèce de fatalité et qu'il faut s'en remettre au destin.
01:25 Si on est religieux, comme Kierkegaard, quand on croit en Dieu, à une espèce de providence divine, on l'accepte avec bonheur, et si c'est là, quel bonheur ?
01:33 Mais souvent on n'a pas cette impression. Il y a quelque chose d'écrasant, d'accablant, le destin de l'homme,
01:40 qui est le produit de la totalité, sur laquelle il ne peut pas prendre de point de vue,
01:48 au-dessus de laquelle il ne peut pas s'élever suffisamment pour pouvoir épuiser, en quelque sorte, les raisons qui l'ont amené là où il est.
01:57 Mais je ne retrouve pas ça du tout chez le texte que j'en fais, c'était moi.
02:03 Oui, mais je suis à la fois très conscient du malheur, si vous voulez, mais je suis en même temps optimiste.
02:16 C'est-à-dire que je pense que les choses peuvent s'arranger, elles prennent leur temps pour s'arranger.
02:25 Alors, c'est entendu, il faut laisser du temps au temps, comme disent les sous-politiques, mais en même temps, vous pourrez essayer d'en laisser un peu moins.
02:35 Alors, je suis les deux à la fois, oui. Je suis très sensible au malheur général.
02:47 Je suis parce que je suis un enfant de la guerre. Je suis né en 26, quand la guerre a commencé en 39,
03:01 quand j'avais, disons pour l'anniversaire de mes 13 ans, j'avais 12-13 ans, à ce moment-là, j'ai passé toute mon adolescence dans la guerre.
03:16 Il y a eu une première année qu'on appelait la drôle de guerre, et où rien ne se passait.
03:25 Il y avait des escarpouches entre les deux lignes, des machinaux, ils se trouvaient, et puis, à ce moment-là, j'étais réfugié dans la ville d'Everest.
03:42 Mon père était dans l'administration des chemins de fer, et ses services avaient été délocalisés à Trouville, parce que le gouvernement français avait essayé de vider Paris,
04:00 parce qu'on craignait évidemment que les bombardements... En réalité, Paris n'a pas été bombardée. Il y a eu énormément de bombardements ailleurs, mais ça n'avait pas eu de but.
04:14 Donc, il était délocalisé à Trouville. Mes oncles, le frère de ma mère, avaient une caisse agricole qui est devenue une petite banque à Yvereux.
04:29 Alors, entre Trouville et Paris, Yvereux est à peu près à mi-chemin. Pendant un an, on a été à Yvereux. Et puis, au début de juin, tout s'est découlé.
04:48 Ça a été la débat que les Allemands ont passé par la Belgique, et... Le monde est réfugié. Moi, je suis réfugié. Actuellement, je ressens leurs problèmes.
05:05 Je suis honteux de la façon dont les Allemands, par contre, les refoulots, les traités, pratiquement ignorent le problème. Parce que c'est absolument lamentable, ce qu'on vit.
05:25 Et donc, nous avons vu les gens déferler dans les gares, dans la gare des Boulogne. Alors, on allait distribuer des sandwichs. Et puis, peu après, c'était nous qui devions partir.
05:41 Alors, mon père a senti ça, et il nous a fait quitter notre refus numéro un pour aller dans le sud de la France, où était une partie de ma famille.
05:56 Et donc, le mois de juillet 1940, nous l'avons passé dans les Basses Pyrénées, dans le Béarn. C'était un temps magnifique. C'était pour nous...
06:13 Je suis une famille de 7 ans. C'était pour nous des espèces de vacances. Une gueule de vacances au milieu de la tempête.
06:29 Et je me suis rendu compte depuis, parce que je ne me rendais pas du tout compte à l'époque, que les Allemands étaient juste à côté. Parce que les Allemands sont descendus jusqu'à la frontière espagnole.
06:42 Jusqu'à Rondaille, c'était un côté beau. A Rondaille, les Allemands étaient là. Et ils ont construit le mur de l'Atlantique sur toute la côte jusqu'à la frontière espagnole.
06:56 A Rondaille, il y a encore des blocages allemands. Après ça, au mois d'août, on est rentrés à Paris. Et j'ai passé toute l'occupation à Paris.
07:12 Et puis on a poursuivi toute l'allumération sans s'arrêter à Paris. Et alors donc, ça m'a rendu très sensible.
07:21 Je sais et je sens que la guerre n'a jamais cessé. Il y a toujours, toujours de la guerre quelque part dans le monde. Toujours, toujours, toujours.
07:38 Et maintenant, ça continue. On peut même dire que ça continue plus belle.
07:47 Est-ce que justement ce sentiment de fatalité ne vient pas de là en particulier ?
07:51 Ah, ça vient certainement de la puissance de cette expérience de jeunesse. Mais il y a aussi un sentiment de libération.
08:01 Il y a un moment où on en est sorti en partie. Ça a toujours continué quelque part. Mais tout de même, il n'y avait pas de comparaison entre ce qui se passait en 45 et ce qui se passait en 48.
08:21 Vous êtes en quelque sorte un voyageur mobile, revient régulièrement. Vous êtes un voyageur immobile.
08:31 Ah, je suis aussi un voyageur immobile. C'est-à-dire que quand je suis immobile, je voyage beaucoup dans ma tête.
08:41 Et j'ai souvent abordé ce problème du voyage à l'intérieur du voyage. Vous êtes dans le train, et bien on pense à d'autres voyages.
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