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26 ans après la fermeture des Houillères du Dauphiné, 58 anciens mineurs de La Mure ont gagné devant le conseil des Prud'hommes de Grenoble qui a condamné l'Etat à leur verser 1 million d'euros, au titre du préjudice d'anxiété car, durant leur carrière professionnelle, ils ont été exposés à une vingtaine de produits toxiques, sans le savoir.

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Transcription
00:00 Bonjour et bienvenue dans Le Grand Format, le reportage en longueur de la rédaction
00:04 de France Bleu Isère.
00:06 Aujourd'hui, gros plan sur les mineurs de la Mure.
00:09 26 ans après la fermeture des houillères, 58 d'entre eux viennent d'obtenir la
00:14 condamnation de l'État et plus d'un million d'euros au titre du préjudice d'anxiété.
00:18 Car durant toute leur carrière professionnelle, ils ont été exposés à des produits toxiques
00:25 sans le savoir.
00:26 Le Grand Format de France Bleu Isère.
00:29 Bonjour Véronique Pueyo.
00:30 Bonjour Lionel Cariou.
00:31 A la Mure, dans le local CGT, vous avez rencontré deux des 58 mineurs à l'origine de ce combat
00:37 judiciaire engagé en 2008, Frédémo Giron et Hubert Paul, la soixantaine tous les deux,
00:44 et 20 ans de mine.
00:45 Hubert Paul est rentré le 12 décembre 77 aux houillères de la Mure et il en est sorti
00:51 le 1er janvier 98.
00:52 Il travaillait, comme on disait à l'époque, à l'abattage, c'est-à-dire au fond, dans
00:57 des conditions difficiles, exposés sans savoir à une vingtaine de produits toxiques.
01:01 On utilisait de l'huile pour graisser les perforateurs, les freins des camions étaient
01:05 bourrés d'amiante, les toiles qu'on utilisait pour évacuer les produits étaient pleines
01:09 d'amiante, triclou, et on se lavait les mains avec.
01:12 On travaillait dans des espaces confinés, pollués en permanence.
01:15 Les camions tournaient en permanence.
01:17 Alors tout ce qui est particules fines, nous on connaît.
01:20 Tous ces produits-là sont tous carcérigènes.
01:22 Et au niveau des huiles aussi, vous me disiez qu'aujourd'hui elles sont traitées avec
01:26 des gens en scaphandre, enfin...
01:27 C'est des huiles aujourd'hui qui sont manipulées avec la plus grande prudence.
01:30 Les gens qui les manipulent, il n'y a pas un bout de peau qui dépasse.
01:33 Nous on utilisait ça en maillot de corps, les mains nues, sans aucune protection, on
01:38 en était couverts.
01:39 Quand on travaillait à l'avancement, quand on creusait les galeries, les perforateurs
01:41 qu'on utilisait fonctionnaient à comprimer et on mettait ces huiles dedans sans aucune
01:46 arrière-pensée, on ne savait pas.
01:47 Quand je suis rentré à la mine, je connaissais les risques de la poussière.
01:50 Je suis né à la mur, comme on est tous nés là.
01:52 On avait nos parents, les parents des copains qui étaient atteints de silicose.
01:55 Je savais très bien à quoi je m'exposais au niveau de la silicose.
01:57 Poussière de charbon, poussière de rocher.
01:59 Mais c'est tout.
02:00 Les masques qu'on avait arrêtaient la poussière de charbon, mais pas la silice.
02:03 J'en avais une peur bleue de cette silicose.
02:04 J'ai tellement envie que des pères de camarades à moi mourirent de ça, qui étaient branchés
02:08 dans nos exilés en permanence.
02:09 C'était ma frayeur.
02:10 J'ai su quand j'ai quitté la mine que ces masques étaient inefficaces contre la silice.
02:14 Et malgré ces conditions de travail dantesques dans des galeries souterraines rendues bleues
02:19 à cause des gaz d'échappement, Hubert Paul aimait son métier et surtout l'ambiance.
02:24 C'est un travail qui est dur, très dur.
02:26 Mais une camaraderie, une ambiance, le syndicalisme.
02:30 On est très unique.
02:31 On aime se revoir.
02:32 C'est une famille en fait.
02:34 Notre comité d'entreprise, les vacances, les clubs de foot qu'on avait, les tournois
02:37 de foot interrouillères, les tournois de boule interrouillère.
02:40 C'était quelque chose la mine.
02:41 Moi je commençais à travailler à 16 ans dans une tollerie.
02:43 Je savais que j'allais rentrer à la mine.
02:45 Donc je me disais après j'aurais mon logement, j'aurais mon charbon.
02:48 On faisait pas l'avance aux médecins, à l'époque c'était important.
02:51 Et puis le salaire.
02:52 Quand je suis rentré à la mine, j'ai multiplié ma paie par trois quand même.
02:54 Quand je travaillais chez Parole et On, on faisait des cinémas au café au lait.
02:57 On avait pas d'argent pour finir le mois.
02:59 Là, on était riches.
03:00 C'est dingue.
03:01 On nous retrait de l'argent à bouffer.
03:02 Aujourd'hui, s'il n'y avait pas tout ce qui arrive là, avec cette anxiété liée
03:06 à ces produits, ces copains qui tombent malades, on n'aurait que des bons souvenirs.
03:11 Même le travail pénible.
03:12 Alors aujourd'hui, qui le sait, qui l'a été exposé sans le savoir à pas moins
03:16 de 23 produits toxiques qui ont déjà tué beaucoup de ses camarades.
03:19 À qui en veut-il, Hubert Paul ?
03:21 J'en veux aux médecins de la mine déjà.
03:23 On avait deux médecins, c'était deux charcutiers.
03:26 Alors je leur en veux à bloc.
03:28 Et puis j'en veux aussi à l'employeur parce que l'employeur savait.
03:30 On demandait pas grand chose.
03:32 Si on nous avait informés, si on nous avait fourni des protections, mais on nous a laissé
03:38 crever en exagérant dans notre merde.
03:40 Parce que quelque part, c'est un petit peu basique le mineur.
03:44 On n'est pas trop diplômé, on est comme on est.
03:46 Ils ont profité de notre faiblesse, tout simplement.
03:48 Nous on travaillait pour gagner notre vie, dans les conditions qui nous étaient fournies,
03:52 sans se poser de questions.
03:53 C'est une forme de mépris quelque part ?
03:55 Oui, mépris et puis se faire quand même du gras sur le dos des travailleurs.
03:58 Parce qu'on sait aujourd'hui que la merde c'est un produit qui n'était vraiment pas cher,
04:02 qu'il aurait pu y avoir d'autres solutions.
04:03 C'est toujours ce côté capitalisme, faire de l'argent sur les petits.
04:07 Le feu ne s'arrête pas d'une couche de charbon.
04:09 C'est impossible.
04:10 C'est comme pour un poêle.
04:11 Un poêle, un charbon, quand vous voulez baisser son intensité, vous coupez la rivée d'air.
04:15 Donc le seul moyen qu'on avait, c'était de monter des barrages.
04:17 En reculant, catastrophe.
04:18 On montait des barrages de moelleux, et ensuite on projetait de la merde pour étanchéiser tout ça.
04:23 Mais comme ça on projetait de la merde.
04:25 Il y avait des bidons, des produits, on mélangeait la merde et on projetait.
04:28 On sortait de la mine, on passait à l'infirmerie, on prenait un cachet.
04:31 Des douleurs à la tête.
04:33 Des douleurs à devenir fou.
04:34 Alors cette première victoire devant les Prud'hommes, ça lui a fait quel effet ?
04:38 C'est une reconnaissance.
04:39 On ne vole personne, on ne vole rien.
04:41 Parce que ça pourrait être interprété comme ça.
04:43 Bien sûr qu'on est content.
04:44 Oui, c'est réussi, c'est rendu.
04:45 Moi-même, je n'y croyais pas.
04:47 Quand on est parti au départ, moi j'y vais, parce que le mec est marradivant.
04:51 Franchement, sans aucune conviction, je dis, nous ne connaîtrons jamais.
04:54 On a eu des HHCT, on n'a jamais été reconnus en quoi que ce soit.
04:57 Alors, ils nous disaient ça, mais ça ne passera jamais.
04:59 C'est une fierté.
05:00 Vous avez eu raison de vous battre.
05:02 Mais vous savez, quand on a eu raison de se battre, ça j'avais compris depuis longtemps.
05:04 Parce que nous, les mineurs, on ne serait pas battus, on était fermés depuis 68.
05:08 Et nous, on les a encore fait repousser, au point de finir notre carrière.
05:12 C'est déjà des belles victoires.
05:13 Non ?
05:14 A quel prix ?
05:15 Mais on aimait notre métier.
05:16 Véronique Pueyo, aux côtés d'Hubert Paul, vous avez rencontré Frédéric Maugiron,
05:21 électro-mécanicien de profession, responsable CGT à la Mure du temps des Houillères,
05:26 et qui s'est battu en vain pour éviter la fermeture de la mine à la fin des années 90.
05:31 Oui, une véritable figure du plateau mathésin, Frédéric, que tout le monde connaît,
05:35 où l'on compte sur ce plateau mathésin encore 2800 anciens mineurs.
05:39 En 99, lui, il a signé un CCFC, comme les autres mineurs, d'ailleurs un congé charbonnier de fin de carrière.
05:45 Jusqu'à sa retraite, il a touché 80% de son salaire, il a arrêté de travailler à 39 ans.
05:50 Mais jamais arrêté de militer, en fait.
05:52 Et quand, en 2008, d'anciens collègues sont venus le voir alors qu'ils étaient malades,
05:56 il a décidé, avec d'autres, de reprendre le combat, et grâce à l'aide d'un médecin du travail,
06:00 ce qu'il a découvert l'a sidéré.
06:02 Frédéric Maugiron.
06:03 On a commencé à établir des fiches de poste,
06:05 on a fait des relevés dans les PV de CHSCT, de CE,
06:09 pour voir exactement les produits qu'on avait, etc.
06:12 Il faut savoir que quand il y avait des produits qui rentraient à la mine,
06:15 les étiquettes, elles étaient peintes en noir.
06:17 On n'arrivait pas à lire ce que c'était, on n'arrivait pas à savoir.
06:20 Quand on posait la question au CHSCT, le directeur ne nous répondait pas,
06:24 le président du CHSCT ne nous répondait pas, et ça restait comme ça.
06:28 En 2015, le Dr Carré a vraiment commencé à travailler avec nous,
06:31 qu'il a eu connaissance de nos fiches de poste, etc.
06:34 C'est là qu'il nous a dit "vous avez travaillé dans des conditions terribles,
06:38 vous avez de fortes chances de développer des cancers qui sont d'origine professionnelle".
06:42 Donc en 2016, on a déposé un dossier au ministère de l'Emploi
06:46 pour faire classer le site des mines de la Mure
06:48 comme ayant exposé les salariés à la miante,
06:50 comme nos couches de charbon prenaient feu,
06:52 donc on faisait beaucoup de flocage et beaucoup de calorifugage.
06:55 Et puis bon, le ministère ne nous a jamais répandu,
06:58 donc les choses ont un peu traîné.
07:00 Puis en 2019, il y a eu le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation,
07:05 donc dans un premier temps sur l'exposition de l'ensemble des salariés à la miante,
07:10 dans un deuxième temps sur les expositions au cancérigène,
07:13 en considérant que tous ceux qui avaient travaillé soit avec de la miante,
07:18 soit avec des produits cancérigènes, pouvaient réclamer le préjudice d'anxiété.
07:21 Donc là, au 58 mineurs de la Mure, on a décidé d'engager le dossier,
07:24 qu'on a déposé en 2020 devant le Conseil des Prud'hommes de Grenoble,
07:28 et puis dans le même laps de temps,
07:30 puisque le ministère ne nous répondait pas sur notre demande de 2016,
07:33 on a fait une demande au tribunal administratif de Grenoble
07:36 pour faire reconnaître le site des mines de la Mure
07:38 comme ayant exposé les salariés à la miante.
07:40 Le tribunal administratif de Grenoble a rendu un jugement en novembre 2022,
07:44 faisant une injonction au ministère de classer le site des mines de la Mure
07:47 comme ayant exposé les salariés à la miante.
07:49 Le ministère avait deux mois pour faire appel,
07:51 il n'a pas fait appel de la décision, donc aujourd'hui la décision est définitive.
07:54 Et dans le même laps de temps, en décembre 2022,
07:58 on est passé devant le Conseil des Prud'hommes de Grenoble,
08:01 qui a rendu sa décision le 28 avril 2023,
08:04 qui a fait droit aux mineurs,
08:06 donc qui ont reconnu que notre demande n'était pas trop ancienne,
08:09 parce que l'avocat de la partie adverse disait
08:11 "ça fait 25 ans que la mine est fermée, vous arrivez beaucoup trop tard",
08:15 et nous on disait "mais vous ne nous avez jamais informés, jamais formés,
08:18 donc on ne peut pas arriver trop tard",
08:20 et donc le Conseil des Prud'hommes a reconnu que c'était suite aux éléments qu'on avait fournis,
08:25 qu'on a été pleinement informés de nos expositions,
08:28 donc il a fait droit à notre demande.
08:30 Pour les 58 mineurs, ça représente à peu près 1 million d'euros.
08:33 Grâce au classement du site,
08:35 tous ceux qui ont été ouvriers à la mine dans les fonctions de traçage,
08:38 de mineurs au charbon, électro-mécaniciens, blindistes,
08:41 et tous ceux du jour qui étaient ateliers mécaniques, lavoires, ateliers électriques, fours sécheurs,
08:45 le garage, peuvent demander le préjudice d'anxiété.
08:48 Donc voilà, c'est aussi une satisfaction.
08:50 Le jugement des Prud'hommes est très important,
08:53 parce qu'ils reconnaissent que l'entreprise nous a toujours menti.
08:56 Depuis 1964, ils participaient à tous les colloques sur l'amiante, les médecins du travail.
09:00 Nous, on était agents principaux de sécurité à la mine,
09:03 on n'a jamais été informés, l'ADRIR ne nous a jamais rien dit,
09:06 la mine ne nous a jamais rien dit.
09:08 Ça me pose beaucoup de problèmes,
09:10 parce que j'ai le sentiment de ne pas avoir défendu mes collègues.
09:13 Et on a une grosse pensée pour tous les mineurs qui sont décédés de cancer,
09:17 que ce soit de la vessie, des reins, qu'on n'a pas pu faire passer en maladie professionnelle,
09:22 alors qu'ils auraient pu en prétendre.
09:24 Aujourd'hui, on le sait, donc on essaie de monter les dossiers dans ce sens-là.
09:27 Et voilà, aujourd'hui, à chaque fois qu'on est informé qu'on a un ancien mineur qui atteint une pathologie,
09:33 on essaie de faire lien pour savoir si ce n'est pas lié à son exposition, pour faire reconnaître.
09:37 Parce que s'ils ne nous ont jamais rien dit, ce n'est pas par plaisir de nous mentir.
09:41 C'est parce que depuis le temps, ils ont fait beaucoup d'économies.
09:44 Donc aujourd'hui, les un million d'euros qui sont condamnés,
09:47 ça ne doit même pas faire 1% de ce qu'ils ont fait comme économie.
09:51 Donc oui, on invite tous les mineurs à bénéficier de ce suivi post-professionnel,
09:55 et puis de nous contacter, parce que si on laisse faire l'entreprise,
09:58 ils ne leur parlent pas de toutes les expositions.
10:00 Ce n'est pas moins de 23 cancers régionales sur lesquelles on a été exposé dans l'entreprise.
10:05 La procédure a été longue, mais les gueules noires n'ont rien lâché,
10:09 et ils ont gagné la première manche.
10:11 Oui, car l'Etat a jusqu'à la fin du mois pour faire appel de la décision du Conseil des Prud'hommes.
10:15 Le temps peut jouer contre les anciens mineurs, car déjà, sur les 58 qui ont déposé plainte,
10:20 deux sont morts, 25 sont atteints de cancer de la peau, de la vessie,
10:24 ou ont été reconnus en maladie professionnelle,
10:26 ce qui leur permet de toucher une pension qui est reversée à leur veuve en cas de décès.
10:30 Bref, Frédéric Mogiron et Hubert Paul ont le sentiment aujourd'hui
10:33 de vivre avec une véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête.
10:37 On est anxieux, moi je développe du psoriasis.
10:39 Depuis que j'ai appris toutes ces expositions,
10:41 c'est pas une maladie professionnelle, mais c'est lié à l'angoisse, au stress, etc.
10:45 Chaque fois qu'on va passer un examen, dans le cadre du suivi post-professionnel,
10:49 on n'est pas trop tranquille.
10:51 Quand on sort, on nous dit "vous avez rien", on est content, on va boire un coup, on est soulagé.
10:57 Mais on vit tout le temps avec la peur et l'angoisse de développer,
11:00 parce que maintenant qu'on sait tout ce qu'on a été exposé,
11:03 on se dit qu'il y a des fortes chances qu'un jour ça nous arrive.
11:05 C'était le grand format de la rédaction.
11:08 Merci à Véronique Puyot pour ce reportage.
11:11 Merci à Vincent Elie pour la réalisation.
11:14 Ce reportage est à retrouver sur notre site internet, nos réseaux sociaux et les plateformes de podcast.
11:19 et à l'instant.

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