Ali Leonardi a décidé de renoncer à ses droits parentaux il y a un an, parce qu’elle ne s’est jamais sentie mère et dans l’espoir d’offrir à sa fille un avenir meilleur. Aujourd’hui, elle témoigne : “Je ne regrette rien”.
Avec notre journaliste Mathieu Habasque, elle a écrit le livre “Mauvaise mère”, paru aux éditions Fayard.
Avec notre journaliste Mathieu Habasque, elle a écrit le livre “Mauvaise mère”, paru aux éditions Fayard.
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00:00 J'étais un monstre horrible qui a laissé ma fille dans les bras des services sociaux.
00:04 Sauf que c'était ma décision en fait, c'était pour la protéger.
00:08 Et je pense que les gens ont du mal à comprendre ça.
00:10 Avant que je tombe enceinte, la maternité pour moi c'était même pas une question.
00:16 Et j'avais pas envie d'être mère tout simplement.
00:17 J'ai été opérée pour l'endométriose.
00:19 J'étais placée sous ménopause artificielle, pilule en continu,
00:22 donc normalement pas de possibilité d'être enceinte.
00:24 La spécialiste de l'endométriose arrive,
00:26 elle m'a annoncé qu'ils ont remarqué que mon utérus était vraiment très gros.
00:30 J'ai pas trop compris, jusqu'à ce qu'elle me dise qu'en fait je suis enceinte d'un mois et demi.
00:34 Et la première question que je lui ai posée c'est "comment on avorte ?"
00:37 Donc je l'annonce tout de suite à ma maman.
00:39 Elle m'a fait en tout cas garder ce bébé, pour plein d'excuses différentes.
00:43 Si je le gardais pas maintenant, de toute façon plus tard j'aurais un enfant parce que...
00:47 bah c'est mon rôle, je suis une femme.
00:49 Et puis par religion aussi, donc l'avortement c'est même pas une question.
00:54 J'avais 19 ans quand on m'a appris ma grossesse et j'étais sous emprise.
00:58 J'étais la marionnette de ma mère et je pèse mes mots,
01:01 que ce soit violence psychologique ou violence physique.
01:03 J'ai jamais eu de représentation d'amour en fait.
01:06 La grossesse je l'ai assez mal vécue, je l'ai pas vécue comme quelque chose de magique.
01:10 Et puis j'arrivais pas à me projeter aussi sur cet enfant.
01:12 À chaque fois je me disais "mais il va se passer un truc,
01:14 je vais pas vivre cette grossesse jusqu'à terme, c'est sûr.
01:17 Je vais me faire renverser, je vais tomber dans les escaliers,
01:19 je vais faire une fausse couche."
01:20 J'espérais avoir ce sentiment qu'on nous explique de bonheur absolu.
01:25 Donc on me l'a ramené, on me l'a mis sur moi
01:27 et je lui carressais la joue de façon mécanique.
01:29 Je me suis sentie totalement hors de mon corps,
01:32 je comprenais pas ce qui se passait,
01:33 j'avais l'impression de pas être dans la réalité.
01:36 Au fur et à mesure des semaines qui passaient,
01:37 moi je m'en occupais parfaitement bien.
01:39 En fait je regardais tout ce qu'il fallait faire pour être un bon parent,
01:41 mais je faisais ça de façon robotique on va dire.
01:44 En fait je me forçais.
01:45 C'est comme si j'avais oublié que c'était moi qui avais à coucher,
01:49 que c'était mon bébé.
01:52 Je me disais "mais non, ça va le faire, ça va aller,
01:54 je serai pas comme ma mère à moi,
01:57 je vais bien m'en occuper,
01:58 je vais faire tout mon possible pour qu'elle soit heureuse."
02:01 Les sentiments commencent à un moment donné à exploser.
02:04 Et j'ai fait une tentative de suicide.
02:07 Au final j'avais déjà abandonné mes responsabilités de maman.
02:10 Je me rendais déjà un peu compte que ça allait pas
02:12 parce que je la laissais souvent pleurer seule dans sa chambre.
02:15 Elle était petite, elle avait même pas encore un an.
02:17 J'avais peur de lui faire du mal,
02:18 je savais que je lèverais jamais la main sur elle,
02:20 sauf que "ne jamais dire jamais".
02:22 Je me suis écoutée, je me suis dit "ok,
02:24 je sais pas de quoi je suis capable.
02:25 Si déjà là je la laisse seule avec ses émotions,
02:27 c'est déjà de la négligence, voire de la maltraitance."
02:29 J'ai appelé une assistante sociale pour lui dire "ça va pas,
02:32 il faut que vous veniez prendre Nina."
02:34 Moi je pensais que ça allait être que temporaire au départ.
02:37 On a fermé la porte et là je me suis écroulée en fait.
02:40 J'ai pas regretté, parce que je me suis dit
02:42 "de toute façon j'avais pas le choix."
02:43 Ma phobie c'était vraiment d'avoir un geste
02:45 ou de continuer à la laisser toute seule pendant des heures.
02:48 Je pouvais pas continuer comme ça en fait.
02:49 Mais cette culpabilité de me dire
02:51 "ok là ça se trouve je l'ai détruite,
02:53 elle va jamais s'en remettre."
02:54 Je voyais la petite une fois par semaine.
02:56 Et au fur et à mesure je décalais,
02:58 jusqu'au moment où un jour je ferme la porte
03:00 et je me dis "je crois que je peux plus,
03:02 je crois que je vais arrêter de la voir en fait
03:04 parce que je lui apporte rien à part de l'espoir."
03:06 Donc j'ai arrêté de la voir à peu près
03:07 à ses un an et demi il me semble.
03:08 Et le papier je l'ai signé seulement l'année dernière,
03:11 tout simplement parce que justement j'ai mis du temps
03:13 en fait à me dire "ok,
03:15 si là je signe ce papier,
03:16 qui est de renoncer à mes droits parentaux,
03:18 légalement, je ne serai plus rien,
03:20 ce sera terminé et je pourrai plus demander de nouvelles.
03:23 Comment je vais savoir si elle va bien ?"
03:25 Et ça c'était le plus compliqué,
03:26 donc j'ai dû faire un travail avec la psychologue
03:28 de l'aide sociale à l'enfance,
03:29 qui m'a aidée à déculpabiliser,
03:30 à me dire que si pour moi c'était la meilleure décision,
03:33 pour elle c'était pareil.
03:34 Au final, merci à la famille d'accueil
03:36 parce que c'est eux qui m'ont rassurée.
03:38 Ils m'envoyaient des photos,
03:39 des vidéos d'elle à la plage,
03:43 dans des parcs,
03:45 tout ça m'a réconfortée dans l'idée
03:47 que oui j'ai pris la bonne décision,
03:48 j'ai signé ce papier,
03:50 et là...
03:51 Et aujourd'hui je ne regrette pas
03:53 et je sais que je ne regretterai pas,
03:54 quoi qu'il arrive.
03:55 Nina me manque,
03:56 je ne pourrais pas dire que ce n'est pas le cas.
03:59 Je pense à elle tous les jours,
04:01 ça c'est certain,
04:02 mais je sais qu'elle est bien
04:03 et que de la garder,
04:05 ça aurait été déjà égoïste,
04:07 de lui faire croire qu'un jour
04:09 on aurait pu avoir réellement une vraie relation.
04:11 Mais oui, je ne peux pas dire qu'elle ne me manque pas.
04:13 Du coup j'ai décidé de me faire ligaturer les trompes,
04:15 c'était une décision pas prise à l'allégère du tout,
04:18 je voulais déjà le faire depuis un moment,
04:19 mais on me le refusait.
04:20 J'ai eu mon jeune âge,
04:21 même si j'expliquais mon parcours et mon histoire
04:23 du fait que j'ai renoncé à mes droits parentaux,
04:25 que je ne voulais plus d'enfant,
04:26 que je me suis forcée à être mère en fait,
04:27 je leur ai expliqué,
04:28 j'étais en pleurs dans leur bureau.
04:29 Et maintenant, mais...
04:31 Je suis trop heureuse quoi.
04:32 Je n'ai même pas de mots pour dire à quel point
04:34 ça a été une des meilleures décisions de ma vie.
04:37 Il y a des personnes qui ont été très violentes,
04:40 mais surtout dans ma famille en fait.
04:42 J'étais un monstre horrible
04:44 qui a laissé ma fille dans les bras des services sociaux.
04:47 Sauf que c'était ma décision en fait,
04:49 c'était pour la protéger.
04:51 Et je pense que les gens ont du mal à comprendre ça.
04:53 Le père ou le géniteur,
04:54 ou je ne sais pas comment on pourrait appeler ça,
04:56 de Nina qui n'a jamais voulu prendre ses responsabilités,
04:59 on n'en parle jamais.
05:00 Je ne peux pas mentir,
05:01 je ne peux pas dire que je n'ai surtout pas envie
05:03 qu'elle me recontacte plus tard.
05:05 Mais je ne peux pas être égoïste.
05:07 Si elle veut me rencontrer, elle le pourra.
05:09 Si elle a envie de lire son dossier, elle le pourra.
05:11 Mais si elle ne veut jamais l'ouvrir
05:12 et se dire que sa vraie famille,
05:14 c'est la famille qui s'est occupée d'elle,
05:16 c'est totalement légitime.
05:17 En tout cas, ce que j'espère,
05:19 c'est qu'elle ne culpabilisera jamais,
05:21 qu'elle ne se remettra jamais en question,
05:23 qu'elle ne se dira jamais que c'est de sa faute.
05:24 Parce que ce n'est pas de sa faute,
05:25 ce n'est jamais de la faute d'un enfant.
05:27 De toute façon, je laisserai tout dans son dossier,
05:28 elle a tout.
05:30 Même des choses que je ne peux pas dire dans mon livre,
05:32 parce que ça lui appartient.
05:35 Et il y a des mots d'amour que j'ai envie de lui dire juste à elle en fait.
05:38 [BIP]
05:39 [Musique]