Emma, ancienne sportive de haut niveau, raconte les violences sexuelles dans l'athlétisme

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00:00 Il a commencé à se frotter contre moi alors que j'étais en train de préparer mes affaires
00:17 pour aller sur le stade pour faire ma première finale mondiale.
00:20 C'était un truc complètement lunaire.
00:22 J'ai commencé l'athlée, j'étais assez jeune, j'avais 10-11 ans à peu près.
00:27 Très rapidement, on me détecte en tant que potentiel pouvant faire plusieurs sélections
00:34 en équipe de France.
00:35 Je rentre en sport-études, puis en pôle espoir, puis à l'INSEP, je fais plusieurs sélections
00:41 en équipe de France.
00:43 En 2014, j'ai participé à mes premiers championnats du monde junior à Eugene.
00:47 J'avais 19 ans à l'époque.
00:48 C'était un très gros événement.
00:50 J'étais sous la responsabilité d'un coach national, un coach qui est rattaché à l'équipe
00:56 de France.
00:57 C'est quelqu'un qui était décrit comme étant très tactile, qui n'avait pas forcément
01:02 les codes, qui était un petit peu bourrin.
01:04 Et en fait, ce qui s'est passé, c'était qu'il était responsable de mon échauffement
01:08 juste avant ma finale.
01:10 Et lors de mon échauffement, en fait, il a eu des...
01:12 À l'époque, j'appelais ça des gestes déplacés.
01:15 Mais maintenant, avec le recul et l'expérience, je sais que c'était des agressions sexuelles.
01:20 Il commençait par me prendre par la taille, par me serrer.
01:23 Après, il a commencé à me faire des bisous dans le cou.
01:27 C'était des trucs, mais c'est complètement inadapté.
01:31 Ça n'a pas lieu d'être.
01:32 Et je me sentais hyper, hyper mal.
01:34 Je savais que ce n'était pas normal du tout.
01:37 Et en fait, là où ça a été le plus grave, c'est quand il a commencé à se frotter contre
01:43 moi alors que j'étais en train de préparer mes affaires pour aller sur le stade pour
01:48 faire ma première finale mondiale.
01:50 C'était un truc complètement lunaire.
01:52 Je me rendais compte sur le moment qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas.
01:55 J'étais en état de sidération, mais du coup, j'avais du mal à m'extirper de cette situation-là.
02:01 Je ne savais pas trop comment réagir.
02:02 Je l'ai extrêmement mal vécu.
02:04 Et après, je me suis mise à pleurer juste avant ma finale.
02:09 J'ai fait une finale, forcément, qui a été une course qui a été forcément catastrophique.
02:12 Personne ne comprenait vraiment pourquoi.
02:14 Et heureusement, j'ai pu en parler avec une athlète de l'équipe de France avec qui j'étais
02:19 très amie, qui m'a dit que ce que j'avais vécu, ce n'était pas normal.
02:23 Suite à ça, j'en ai parlé à mon vrai coach, pas forcément au coach national, mais à mon
02:28 vrai coach qui m'entraînait de manière quotidienne.
02:30 Ils ont essayé de gérer l'affaire un petit peu en sous-marin.
02:33 Mais ça, je ne l'ai appris que plusieurs années plus tard.
02:37 Et en 2018, je prends conscience que ce que j'ai vécu, ça s'appelle des agressions sexuelles
02:43 parce qu'il y a eu toute la vague #MeToo.
02:45 Et donc à ce moment-là, je décide d'en parler à un responsable qui était un petit
02:49 peu plus haut dans la hiérarchie de la Fédération française d'athlètes.
02:52 Et de là, il y a un journaliste du Monde qui me contacte parce qu'il a voulu faire
02:56 un papier sur ce qui se passait.
02:58 Et entre-temps, je décide de porter plainte contre cet entraîneur.
03:02 Le déclencheur pour porter plainte, ça a vraiment été de voir qu'il était toujours
03:06 au contact d'athlètes féminines qui avaient mon âge à l'époque où moi, j'ai vécu
03:12 des violences de sa part.
03:14 Et je me suis dit "mais c'est pas possible, je peux pas laisser faire ça".
03:19 Après, je l'ai fait également pour moi parce que j'avais envie de pouvoir dire à
03:24 la justice ce qui m'était arrivé, dire à la Fédération aussi ce qui m'était
03:28 arrivé pour que la Fédération puisse prendre ses responsabilités.
03:31 Il y a eu vraiment deux camps au sein de mon environnement sportif.
03:36 Il y a des personnes qui m'ont soutenue à fond et il y a des personnes qui étaient
03:40 hyper réfractaires à tout ça.
03:43 C'était en 2018, tout ça, donc Sarah Abitbol n'avait pas encore parlé.
03:47 Et donc c'est des sujets dans le milieu du sport qui étaient hyper nouveaux et qui
03:52 étaient en clash avec une génération pour qui mettre une main aux fesses, c'est complètement
03:57 normal, pour qui envoyer des textos un peu de drague à des athlètes, c'est complètement
04:02 normal.
04:03 Et donc il y a ces personnes-là qui, je pense, n'ont pas compris et surtout qui se sont
04:07 senties menacées.
04:08 Et heureusement, il y a énormément de personnes qui m'ont soutenue dans ma démarche.
04:13 Il y a le responsable de la Fédération à qui j'avais fait part en premier de tout
04:17 ce qui s'était passé, qui tout de suite a décidé de mettre cet entraîneur de côté
04:22 pour qu'il ne puisse plus entraîner, en tout cas au sein de l'équipe de France.
04:26 Et heureusement aussi, quand ça a été su sur les réseaux sociaux, etc., pareil, 99%
04:32 des gens ont été hyper bienveillants.
04:35 Donc je porte plainte en 2018 et j'apprends le classement sans suite fin 2020.
04:41 C'est terrible à dire, mais je n'attendais rien de ce jugement et de la justice.
04:47 On est obligé de se blinder et de se dire, vu que la grande majorité de ce genre d'affaires
04:56 est classée sans suite, si je m'attends à ce qu'il y ait un jugement, à ce qu'il
05:00 y ait une condamnation et que je laisse reposer mon futur sur ça, ce n'est pas possible.
05:07 Forcément, ça a été dur, mais je suis très vite passée à autre chose parce que j'avais
05:11 quand même fait mon job dans le sens où j'en avais parlé dans les médias, j'en
05:15 ai parlé sur les réseaux sociaux, j'ai fait un travail de sensibilisation.
05:20 Dans le monde de l'athlète, tout le monde sait maintenant qui il est et ce qu'il peut
05:23 faire.
05:24 Donc j'ai quand même la sensation que ça a servi et je n'ai pas attendu une décision
05:29 de justice pour être fière de ce que j'avais entrepris.
05:32 J'ai fait mon documentaire qui s'appelle "Suite", qui est un documentaire sur les
05:36 violences sexistes et sexuelles dans l'athlétisme.
05:39 Le but, c'était dans un premier temps de pouvoir donner la parole à des athlètes
05:44 féminines qui ont vécu des choses qui sont absolument terribles au sein de l'athlétisme
05:50 et également qu'il y ait une prise de conscience, que ce soit au sein de l'athlée,
05:55 mais dans le monde du sport ou dans notre société de manière générale.
05:59 C'est vrai qu'aujourd'hui, je suis hyper critique par rapport au sport de haut niveau
06:02 sur plein d'aspects, notamment par rapport à cette culture de la douleur, de la souffrance
06:08 qui est hyper mise en avant.
06:11 Plus un athlète ou une athlète est capable de souffrir et de se mettre dans le mal et
06:15 de vomir à la fin d'une séance et de s'évanouir, etc. et mieux c'est vu, plus c'est valorisé.
06:22 Déjà en soi, je trouve que c'est une dérive d'avoir ce rapport-là à la souffrance.
06:26 Et en plus de ça, ça mène à d'autres dérives, notamment aux violences sexuelles.
06:32 Si je suis dans un contexte qui m'encourage à ne plus avoir de limites, à ne plus respecter
06:39 mon corps, à ne plus respecter mon intégrité, pourquoi j'envisagerais le fait que les autres
06:45 doivent le faire ? Pourquoi le jour où mon agresseur porte atteinte à mon corps, pourquoi
06:51 je lui dirais non ? Puisque de toute façon, mon corps ne m'appartient plus dans le milieu
06:54 du sport.
06:55 Donc ce n'est pas quelque chose qui soit très sain et c'est quelque chose qu'il
06:59 est hyper important de questionner.
07:01 Je suis hyper fière d'avoir permis d'ouvrir la parole par rapport à ces sujets parce
07:09 qu'il y a encore trop peu, malheureusement, de sportives et sportifs qui en parlent alors
07:14 qu'il y a une souffrance qui est extrême dans ce milieu-là.
07:18 Donc ça reste quand même, même si ce sont des sujets qui sont difficiles, ça reste
07:24 C'est pour moi très très positif et je suis très contente de tout ce qui se passe en ce moment.

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