L'interview d'actualité - Yannick Alléno

  • l’année dernière
Chroniqueuse : Julia Vignali 


Il y a un an, Antoine Alléno, fils du chef étoilé Yannick Alléno, est décédé à l'âge de 24 ans après avoir été percuté à l'arrêt par un conducteur. L'homme conduisait à vive à allure sous l'emprise de la drogue et de l'alcool et était connu de la police pour des faits similaires. Son permis avait même été annulé. Mise en examen pour homicide involontaire, il est aujourd'hui libre et placé sous contrôle judiciaire.

Category

📺
TV
Transcript
00:00 - Bonjour Yannick Halenaud, merci d'avoir accepté l'invitation de Télématin.
00:03 Il y a un an, votre fils Antoine, âgé de 24 ans, est décédé après avoir été percuté à l'arrêt au feu rouge par un conducteur.
00:10 Cet homme roulait à vive allure, sous l'emprise de la drogue et de l'alcool.
00:13 Il était déjà connu des services de police pour des délires routiers, son permis avait même été annulé.
00:18 Le chauffard a été mis en examen pour homicide involontaire.
00:22 Il est placé aujourd'hui sous contrôle judiciaire, il est libre.
00:25 Qu'est-ce que ça fait d'entendre qu'on a perdu un enfant pour cause involontaire ?
00:32 - Écoutez, déjà, quand c'est arrivé lui-même, je suis arrivé, enfin Antoine est parti en bas de chez nous,
00:38 et je suis arrivé dans une scène de chaos, il y avait un amas de voitures,
00:43 les forces de l'ordre, les pompiers, mon fils était allongé par terre dans son sang.
00:49 Et puis, on est dans une scène chaotique, on est dans une scène d'attentat.
00:57 Et c'est pour ça que je compare aujourd'hui cet acte-là de ce qu'on a pu voir au Bataclan.
01:03 Aujourd'hui, je ne suis pas le seul, nous ne sommes pas le seul à avoir perdu un enfant,
01:06 c'est 700 enfants qui partent sur la route tous les ans,
01:09 donc c'est cinq Bataclans qui sont devant nos yeux.
01:15 Et d'entendre parler d'homicide involontaire, c'est juste insupportable, je crois.
01:20 - Parce que vous avez dit qu'il n'y a rien d'involontaire à prendre le volant,
01:24 justement, quand on est sous le coup de substance.
01:27 - Non, mais c'est pour ça que nous, on a envie de parler d'un homicide routier,
01:31 et non pas d'un acte involontaire.
01:33 Quand vous avez un individu qui consomme régulièrement de la drogue, de l'alcool,
01:38 au-delà des seuils autorisés, personne ne le force à faire ceci,
01:43 donc c'est bien un acte volontaire de se droguer, un acte volontaire de s'alcooliser.
01:49 Ensuite, ce même individu, personne ne le force à rentrer dans sa voiture.
01:53 - Et à rouler. - Et à rouler.
01:55 Donc c'est bien un acte volontaire de prendre ce véhicule
01:58 et de mettre la vie d'autrui en danger.
02:01 Évidemment, ce qui est arrivé à Antoine, ça arrive à d'autres,
02:05 la mort est au bout de cette volonté, en fait, de prendre la voiture.
02:11 - Et puis il y a aussi l'absurdité, l'absurdité qui se mêle à la douleur,
02:14 comme par exemple cette facture d'ambulance que vous recevez.
02:16 Racontez-nous ce qui s'est passé, tellement c'est hallucinant, en fait.
02:20 - Je veux bien en parler, mais au-delà de ça,
02:21 je pense qu'aujourd'hui, on a besoin d'une vraie volonté politique
02:24 pour faire changer les mots et faire changer que ça soit une infraction autonome.
02:32 On n'est pas dans le cas de figure où quelqu'un prend la voiture,
02:35 est aveuglé et renverse un gamin, malheureusement.
02:38 On est vraiment encore dans un acte volontaire.
02:41 Je crois que l'infraction autonome d'homicide routier,
02:44 on a besoin de la distinguer de l'homicide involontaire.
02:47 Déjà, ça nous permettrait de rendre peut-être un peu plus supportable
02:52 ce qui est insupportable, d'entendre parler que c'est…
02:55 Je n'ai pas fait exprès, pardon.
02:58 Et donc ensuite, c'est la considération de la victime
03:00 que nous avons besoin de faire.
03:02 - Vous dites qu'il n'y a pas d'égalité de traitement, en fait.
03:05 - Non, il n'y a pas d'égalité de traitement.
03:08 C'est pour ça qu'aujourd'hui, moi, j'ai grandi avec ce mot d'égalité
03:14 sur tout le fronton des mairies.
03:15 On doit être traité de façon égalitaire.
03:17 C'est-à-dire que quand ça arrive comme ça,
03:19 puisque justement la qualification est ce qu'elle est,
03:23 les familles ne sont pas accompagnées.
03:24 C'est-à-dire que les co-victimes, les frangins, les frangines,
03:27 ceux qui vivent, parce que généralement,
03:30 la frange la plus touchée, c'est ces 15-25 ans.
03:32 C'est ces jeunes qui sont en construction
03:34 et qui font l'avenir de notre pays aussi.
03:37 - Et donc, ils ont des frères et des sœurs,
03:38 des parents qui les attendaient à la maison.
03:40 - Et pourquoi on a créé cette association ?
03:41 C'est pour aider ces jeunes à avoir accès aux soins psychologiques.
03:48 - Qu'est-ce que vous pourriez justement avec cette association ?
03:50 Quel est le but proposé aux victimes comme vous,
03:53 aux familles qui ont perdu un enfant ?
03:54 C'est quoi un accompagnement psychologique ?
03:56 Je crois qu'il y a un numéro d'urgence.
03:58 Vous cherchez des bénévoles ?
03:59 - On cherche des gens pour travailler.
04:01 On cherche notamment une assistante sociale
04:03 parce que répondre à une famille, une maman qui a perdu son enfant,
04:06 il faut le savoir le faire.
04:10 Pour comment on aide, je vais vous donner deux, trois exemples.
04:12 Une dame qui vit à Marseille, son enfant est mort à Lille,
04:18 qui n'a pas les moyens de se déplacer,
04:20 donc elle est obligée de se sacrifier le mois
04:23 pour pouvoir payer son avocat, pour pouvoir payer son transport,
04:27 son logement, sa nourriture, pour aller assister au procès,
04:30 la préparation du procès, on est là pour ça.
04:33 On est là aussi, moi j'ai entendu une maman,
04:34 le jour où elle me disait "écoutez, ma fille est partie,
04:36 elle avait trois filles, elle est partie,
04:38 on m'a enlevé la CAF deux mois après,
04:41 j'ai été obligé de me séparer de ma maison, elle était locataire".
04:45 Tout ça engendre finalement des dégâts qu'on ne mesure pas.
04:50 Donc quand vous avez 700 enfants qui partent,
04:52 vous imaginez bien, peut-être qu'ils ne sont pas…
04:53 vous additionnez là-dessus des frères, des sœurs, des mamans, etc.,
04:56 qui sont dans la peine et que moi mon fils,
05:00 mon deuxième fils Thomas, personne n'a pris le temps de l'appeler
05:02 pour savoir comment il allait.
05:04 Est-ce que vous avez besoin d'aide ?
05:05 Est-ce qu'on peut vous…
05:06 Alors quand un attentat arrive, tout ça se met en route.
05:09 Les avocats sont pris en charge, etc.
05:12 Donc je pense qu'aujourd'hui on est dans une masse importante d'enfants,
05:16 on est dans des familles qu'il faut aider absolument
05:19 et moi je veux mettre ma notoriété au service de cette cause
05:22 parce que je trouve qu'on est maltraité en France.
05:24 Nous avons besoin de volonté politique pour faire changer ceci,
05:27 pour que… enfin un peu d'humanité jusqu'en.
05:30 Vous parlez notamment de la police et de ce manque d'humanité,
05:34 en tout cas un manque de formation,
05:35 très clairement vous dites que les fonctionnaires de police
05:37 ne sont pas du tout formés à ce genre de situation.
05:41 Ils sont formés mais je crois que quand ils appuient sur une sonnette
05:45 qu'ils vont voir des gens, ils savent très bien ce qu'il y a derrière.
05:48 Et eux ensuite, qu'est-ce qu'on fait ?
05:50 Moi j'ai eu des gens qui m'ont dit "on sort de là,
05:54 personne ne nous a demandé non plus comment ça allait en fait"
05:56 parce que d'annoncer la mort d'un enfant à une famille,
05:58 ce n'est pas sans conséquence.
06:00 Le pompier qui était sur le tatre du chaos d'Antoine,
06:06 ce n'est pas sans conséquence.
06:07 On ne peut pas sortir d'un acte comme ça sans sortir perturbé.
06:10 Personne ne sort indemne, y compris les policiers,
06:13 y compris les familles évidemment.
06:15 Oui, c'est pour ça, il faut absolument qu'on soit conscient de ça
06:18 et qu'on se dise juste "moi j'ai reçu une facture,
06:22 le meurtrier de mon enfant il est parti dans une voiture
06:25 qui a été payée par nous-mêmes".
06:26 Vous voyez ce que je veux dire ?
06:26 Il est parti avec la police et puis ensuite il a été logé,
06:29 puis en plus il a été nourri,
06:30 puis en plus il a été assisté par une psychologique une fois,
06:33 deux fois, des docteurs une fois, deux fois, trois fois, etc.
06:36 Nous on est restés, on est arrivés à l'hôtel Dieu,
06:39 seuls, on ne nous a rien dit, rien demandé.
06:42 Trois heures du matin j'ai réalisé, je me suis dit "qu'est-ce qu'on fait là ?
06:45 Qu'est-ce qu'on peut faire ? On doit partir.
06:46 Où est notre enfant ? Comment ça se passe ?
06:48 Écoutez, on verra ça demain matin".
06:50 Donc on est rentrés chez nous sans rien, sans truc.
06:54 Après il a fallu qu'on cherche notre enfant,
06:56 dans quel institut médico-légal ?
06:58 Il y a des gens, ils mettent presque trois mois parfois à récupérer leur enfant.
07:00 Il y a eu une errance totale, vous êtes abandonné à ce moment-là,
07:03 c'est ce qu'on entend dans vos propos.
07:04 Et c'était l'ambulance dont je parlais en début d'interview,
07:06 effectivement, qu'on vous demande de payer, 14,90 euros.
07:09 Moi je n'ai pas payé, du coup j'ai reçu une lettre de huissier.
07:10 Donc c'est que ça coûte à la communauté des trucs de fou.
07:12 C'est des absurdités administratives.
07:13 C'est ça que vous venez de dénoncer ce matin à Yannick Haleno.
07:16 Vraiment merci pour votre témoignage
07:17 et nous espérons vraiment que ça sera utile aux familles de victimes
07:21 et que ça va faire surtout bouger les choses.
07:22 – On les fera bouger, ouais. – Merci.

Recommandée